BGE 101 II 314 |
52. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 29 octobre 1975 dans la cause Piguet contre Krupa. |
Regeste |
Notweg (Art. 694 ZGB). |
2. Solange die Entschädigung nicht festgesetzt ist, kann das Notwegrecht nicht in das Grundbuch eingetragen werden (Erw. 5). |
Sachverhalt |
A.- Marie-Claire Krupa est propriétaire de la parcelle No 66 aux Esserts-de-Rive (commune du Lieu, Vaud), sur laquelle se trouve une villa. Cette parcelle disposait d'un accès à la voie publique par l'intermédiaire d'un chemin de dévestiture publique, grevé d'une servitude de passage à char en faveur du public, longeant la parcelle No 64, propriété de Sonia Piguet. |
Depuis le chemin public des Esserts-de-Rive, dont il se détache, jusqu'à la hauteur de la parcelle No 142 jouxtant celle de Marie-Claire Krupa, ce chemin est carrossable. Il coupe la voie de chemin de fer Pont-Brassus. Le passage à niveau n'est pas aménagé. Dans sa partie supérieure, le chemin se perd sur une centaine de mètres et est partiellement envahi par la forêt voisine. Il est à nouveau praticable ensuite par des véhicules "tous-terrains" et rejoint alors un chemin forestier public carrossable. |
Le 24 juillet 1973, l'Office fédéral des transports a ordonné la fermeture au trafic automobile du passage à niveau du chemin de dévestiture publique, en raison du risque d'accidents dus au défaut de visibilité. Il a considéré que les frais d'installation d'un dispositif de sécurité (vraisemblablement entre 60'000 et 80'000 fr.) seraient hors de proportion avec l'intérêt des particuliers à l'utilisation du passage à niveau au moyen de véhicules. D'autre part, les particuliers intéressés n'ont pas voulu faire les frais de ces installations. Cette décision est devenue définitive. Le passage à niveau est fermé au trafic automobile.
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B.- a) Un chemin non cadastré, servant à l'exploitation de la forêt, court, sur environ 400 m, le long de la voie ferrée, sur la parcelle No 64 de Sonia Piguet et sur la parcelle communale No 197. Il se raccorde d'une part à la route publique Le Lieu - Les-Esserts-de-Rive et, d'autre part, au chemin d'accès de la villa de Marie-Claire Krupa, à la hauteur du passage à niveau, sans le traverser. Il ne présente qu'une faible pente. Les frais nécessaires pour le rendre praticable aux véhicules automobiles s'élèveraient à 18'272 fr. Le déblaiement de la neige coûterait 1'000 fr. par an et se ferait sans difficultés. Il n'y aurait aucun danger du fait du gel. La commune du Lieu est d'accord de céder à Marie-Claire Krupa le passage sur la parcelle dont elle est propriétaire et d'aménager la jonction de ce chemin avec la route publique goudronnée.
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b) Les frais d'aménagement du chemin de dévestiture publique, pour le rendre praticable à la circulation automobile, s'élèveraient, sans modification du profil en long, à 22'230 fr., y compris l'aménagement d'un tronçon de chemin existant, mais non cadastré sur la parcelle No 64 de Sonia Piguet, en lieu et place du tronçon supérieur du chemin de dévestiture, dont la pente est excessive. La pente maximum de ce chemin atteindrait 21,5%. Pour la réduire à 19%, il faudrait procéder à des terrassements qui porteraient le coût total à 53'550 fr. Le déblaiement de la neige serait difficile, mais non impossible. Il coûterait 2'000 fr. par an. En cas de gel, il faudrait laisser les véhicules à moteur à mi-chemin. |
c) Une route, ayant une pente maximum de 14%, pourrait être créée au sud-ouest de la propriété de Marie-Claire Krupa. Mais son coût serait élevé (60'500 fr.) et elle emprunterait, en plus de la propriété de Sonia Piguet, le fond d'un tiers.
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C.- Le 8 août 1973, Marie-Claire Krupa a ouvert action contre Sonia Piguet, en prenant les conclusions suivantes:
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I. la défenderesse est tenue de céder à la demanderesse le passage nécessaire avec véhicules à moteur, pour elle-même et les personnes se rendant chez elle, sur le chemin forestier parallèle aux voies du chemin de fer Pont-Brassus courant sur les parcelles Nos 64 et 197;
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II. ordre est donné au conservateur du registre foncier d'inscrire en faveur de la parcelle No 66 une servitude active à charge des parcelles Nos 64 et 197 ayant la teneur suivante: "Passage pour véhicules à moteur se pratiquant conformément au tracé du plan cadastral";
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III. l'indemnité due par la demanderesse à la défenderesse est fixée à 0 fr. 20 par m2;
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IV. la défenderesse est tenue d'autoriser la demanderesse à effectuer les travaux nécessaires à l'aménagement du chemin forestier en vue de son utilisation conforme à la servitude.
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D.- Par jugement du 22 novembre 1974, le Président du Tribunal du district de la Vallée a rejeté la demande, en donnant acte à la demanderesse de ce que la défenderesse acceptait, sans indemnité, de la laisser utiliser avec des véhicules à moteur et aménager à cette fin un chemin forestier situé dans la partie supérieure de sa parcelle No 64 et facilitant le raccordement du chemin de dévestiture publique au chemin forestier public.
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Statuant sur recours de la demanderesse, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a, le 18 juillet 1975, réformé le jugement en ce sens que:
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I. L'action de la demanderesse est partiellement admise.
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II. La défenderesse est tenue de céder à la demanderesse et de faire inscrire comme servitude de passage pour véhicules à moteur le passage nécessaire pour la demanderesse et les personnes se rendant chez elle sur le chemin forestier parallèle aux voies de chemin de fer Pont-Brassus courant sur la parcelle 64, dite servitude devant grever la parcelle No 64 propriété de Sonia Piguet au bénéfice du fonds dominant, parcelle No 66, propriété de Marie-Claire Krupa, qui supportera tous les frais. |
III. Dès l'inscription de la servitude précitée, Sonia Piguet est tenue d'autoriser Marie-Claire Krupa à entreprendre les travaux nécessaires à l'aménagement du chemin forestier en vue de son utilisation conforme à la servitude, les frais des travaux étant à la charge de Marie-Claire Krupa.
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IV. Il est donné acte à Sonia Piguet de ce que Marie-Claire Krupa offre de payer 0 fr. 20 par m2 à titre de pleine indemnité au sens de l'art. 694 CC.
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E.- La défenderesse a recouru au Tribunal fédéral. Elle conclut à la réforme de l'arrêt attaqué en ce sens que l'action de la demanderesse est rejetée et le jugement de première instance confirmé.
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L'intimée Marie-Claire Krupa conclut, avec dépens, au rejet du recours.
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Considérant en droit: |
Avant la décision de l'Office fédéral des transports de fermer au trafic automobile le passage à niveau, la parcelle de la demanderesse disposait, sauf en hiver, d'un accès suffisant à la voie publique. La demanderesse n'est pas responsable de la situation nouvelle. On ne saurait lui reprocher de n'avoir ni attaqué la décision de l'Office - qui, imposée par la sécurité de l'exploitation, paraît bien fondée - ni assumé les frais des installations de sécurité, dont le montant était disproportionné à l'utilité du raccordement à la voie publique. La demanderesse n'est dès lors pas déchue du droit de réclamer le passage nécessaire.
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Il est constant, en l'espèce, que l'accès qui utiliserait le chemin forestier existant, parallèle à la voie ferrée, serait praticable toute l'année. Du fait que ce chemin ne présente qu'une faible pente, le déblaiement de la neige pourrait se faire sans difficultés et le gel ne créerait pratiquement pas d'inconvénients. Le chemin forestier est nécessaire, à tout le moins utile, à l'exploitation de la forêt; comme il longe de très près la voie ferrée, il ne nuit pas à l'utilisation - même future - de la parcelle. Le seul inconvénient dont puisse se plaindre la défenderesse est qu'elle ne pourra plus se promener et s'installer sur le chemin forestier, à l'abri du trafic automobile. |
En revanche, et contrairement aux allégations de la recourante, l'accès qui utiliserait le chemin de dévestiture ne serait pas l'équivalent de l'autre. Vu la forte pente, supérieure à 20%, il serait fermé au trafic automobile pendant l'hiver ou au moins une partie de celui-ci. Selon le premier juge, à la Vallée de Joux, dont l'altitude est supérieure à 1000 m, les conditions hivernales durent en moyenne cinq à six mois. Pendant cette période, la demanderesse serait donc privée d'un accès suffisant à son fonds.
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Certes, cette situation existait déjà auparavant. L'arrêt attaqué constate qu'en hiver le passage à niveau n'était pas utilisable par les véhicules à moteur. La fermeture du passage à niveau n'a dès lors en fait créé un besoin nouveau que pendant la belle saison. Il était cependant loisible à la demanderesse, coupée désormais de toute communication avec la voie publique et confrontée à une situation nouvelle, d'exiger de ses voisins qu'ils lui accordent un passage praticable hiver comme été. Vu sous cet angle, le passage qui utilise le chemin de dévestiture n'offre pas une issue suffisante, puisqu'il n'est pas praticable en hiver (l'autorité cantonale le considère difficile, voire dangereux, en cas de pluie, même en été); seul le chemin forestier longeant la voie ferrée pouvait être pris en considération.
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4. La recourante n'avance rien qui soit de nature à modifier cette conclusion. Elle affirme que le chemin de dévestiture offre un passage suffisant; elle conteste que le passage à niveau n'ait pas été utilisable en hiver et admet uniquement qu'il n'était pas utilisé; elle met en doute l'accord de la commune du Lieu à la cession du passage et à l'aménagement de la jonction de ce chemin avec la route publique; à la déclaration du président du conseil d'administration du chemin de fer Pont-Brassus, selon lequel, d'après les renseignements obtenus auprès d'un ingénieur des CFF et d'un juriste de l'Office fédéral des transports, l'utilisation du passage le long de la voie ferrée ne nécessiterait pas la pose de glissières de sécurité, elle oppose les déclarations d'un autre témoin. Mais ce sont là des critiques qui portent sur les constatations de fait de l'autorité cantonale et qui, partant, sont irrecevables dans la procédure du recours en réforme (art. 55 al. 1 litt. c OJ). |
Contrairement à l'opinion de la recourante, le Tribunal cantonal n'a pas choisi entre plusieurs chemins qui étaient tous propres à fournir un accès suffisant à la voie publique, retenant celui qui était le plus commode ou le plus favorable à l'ayant droit, dont il aurait suivi les désirs personnels et les fantaisies; il a accordé le passage sur le seul chemin existant propre à assurer une issue suffisante pendant toute l'année et à lever l'état de nécessité dans lequel s'est trouvée la demanderesse, par suite de la fermeture du passage à niveau. Le fait que la demanderesse ne pouvait pas utiliser le passage à niveau en hiver et qu'elle ne disposait pas d'un accès suffisant pendant cette saison ne signifie pas qu'elle était tenue de s'accommoder à tout jamais de cette situation, à partir du moment où la fermeture définitive du passage à niveau l'obligeait à rechercher une solution nouvelle pour accéder à sa propriété.
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L'objection selon laquelle les voisins ne se seraient pas associés à l'action ouverte par la demanderesse ne change rien à la situation objective du fonds de la demanderesse, privé de toute issue suffisante sur la voie publique. De même, il importe peu de savoir, pour la concession du passage nécessaire demandé par dame Krupa, si cette dernière est autorisée à en faire bénéficier un voisin, qui n'a pas actionné la recourante, en lui demandant une participation aux frais d'aménagement du chemin forestier. C'est à la recourante de s'opposer à l'usage abusif du passage nécessaire de la part de tiers non autorisés. Enfin, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral, qui prescrit d'avoir égard aux intérêts des deux parties (art. 694 al. 3 CC), en admettant que l'intérêt de la recourante à se promener sur le chemin forestier longeant la voie de chemin de fer ne l'emportait pas sur l'intérêt de la demanderesse à obtenir le passage nécessaire et que, par ailleurs, l'usage normal de ce chemin ne pouvait pas gêner dans une mesure appréciable la propriétaire. On ne saurait non plus opposer à la demanderesse le fait que la commune n'aurait pas maintenu en état le chemin de dévestiture publique. Au demeurant, rien ne prouve que, même dans cette hypothèse, le chemin serait praticable pendant les mois d'hiver. Le recours apparaît ainsi en tous points comme mal fondé et doit être rejeté. |
Contrairement à l'art. 691 CC (aqueducs et autres conduites), mais en analogie avec l'art. 674 CC (construction empiétant sur le fonds d'autrui), la constitution du droit de passage nécessaire n'exige pas le versement préalable d'une indemnité. D'autre part, l'inscription du droit de passage nécessaire est constitutive (RO 86 II 239) et le paiement de l'indemnité doit avoir lieu en même temps que le dépôt de la requête d'inscription (Zug um Zug). L'ayant droit ne peut exiger du propriétaire du fonds grevé le dépôt de la réquisition d'inscription que s'il a lui-même payé l'indemnité ou offert de la payer (MEIER-HAYOZ, n. 82 à l'art. 694; HAAB, n. 22 aux art. 694-696 CC).
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En l'espèce, la question de l'indemnité reste ouverte et la cour cantonale déclare que, sur ce point, l'arrêt déféré n'a pas valeur de chose jugée. Tant que l'indemnité ne sera pas fixée, l'inscription au registre foncier ne pourra pas avoir lieu.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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