Urteilskopf
104 II 184
30. Arrêt de la Ire Cour civile du 11 juillet 1978 dans la cause Maillard contre Guye et Gutknecht
Regeste
Art. 50 OR. Solidarische Haftung neunjähriger Kinder, die mit Pfeil und Bogen spielen (E. 2). Schadenersatzbemessung unter Berücksichtung des Alters der Kinder und der wirtschaftlichen Umstände (E. 3).
Ersetzung der Heilungskosten. Art. 96 VVG ist auf die im Sinne von Art. 1 KUVG anerkannten Krankenkassen nicht anwendbar; Anspruchskonkurrenz des Geschädigten gemäss Art. 51 OR gegenüber dem haftpflichtigen Dritten und der Krankenkasse (E. 4).
Genugtuung (E. 5).
Le 4 mars 1972, les enfants Stéphane Guye, André Maillard et Jean-Fred Gutknecht, âgés tous trois de neuf ans, jouaient avec un arc, sommairement confectionné d'un bâton et d'une ficelle, et une flèche constituée par la baguette d'un petit drapeau. Leur jeu consistait à atteindre avec la flèche l'un des
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participants qui, une fois touché, tirait à son tour. C'est ainsi que Maillard, atteint par Gutknecht, est entré en possession de l'arc et a visé Guye, qui s'écartait de lui. Alors qu'il se trouvait à environ 3 m, Guye s'est arrêté et retourné. Il a reçu à ce moment, dans l'oeil droit, la flèche décochée par Maillard. Il a totalement perdu l'usage de cet oeil.
Le 31 janvier 1973, le Président de la Chambre des mineurs a adressé une réprimande à André Maillard.
Stéphane Guye a ouvert action contre André Maillard en paiement, avec intérêt, de 142'823 fr. à titre de dommages-intérêts - prétention ramenée par la suite à 105'573 fr. - et de 20'000 fr. à titre de réparation morale, sous réserve d'une revision du jugement au sens de l'art. 46 al. 2 CO.
Le défendeur a conclu à libération et a appelé en cause Jean-Fred Gutknecht.
Ce dernier a proposé le rejet des conclusions dirigées contre lui.
Par jugement du 13 mars 1978, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a admis l'action du demandeur contre le défendeur et rejeté l'action de celui-ci contre l'appelé en cause. Elle a condamné le défendeur à payer au demandeur 125'573 fr. en capital.
Le défendeur recourt en réforme au Tribunal fédéral en concluant à la réduction de la somme qu'il doit au demandeur à 82'013 fr. et au remboursement de la moitié de cette somme par l'appelé en cause.
Le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours.
Considérant en droit:
1. La Cour civile vaudoise estime que le défendeur a commis une faute évidente en tirant à courte distance contre le demandeur qui lui faisait face, et que cette faute est seule à l'origine des lésions subies, ce qui exonère l'appelé en cause; quant au demandeur, on peut tout au plus voir dans son attitude l'acceptation d'un risque, mais non un comportement fautif contribuant à l'apparition du dommage ou à son aggravation. Considérant d'une part le discernement restreint du défendeur, dû à son jeune âge, et l'acceptation des risques du jeu par le lésé, d'autre part la situation économique des parties, et notamment l'existence d'une assurance couvrant la responsabilité
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civile du défendeur, les premiers juges admettent que "d'évidents motifs d'équité commandent... d'astreindre le défendeur à la pleine réparation du dommage", ainsi que le permet l'
art. 54 al. 1 CO.
Le défendeur ne conteste pas le principe de sa responsabilité civile à l'égard du demandeur, mais il estime qu'il n'a pas à réparer plus des 2/3, éventuellement des 3/4 du dommage. On doit en effet reprocher au demandeur, selon lui, "d'avoir accepté le risque que comporte la participation à un jeu reconnu dangereux", ainsi que "de s'être retourné et d'avoir présenté son visage à découvert à une distance de 3 mètres, alors qu'il savait que le défendeur Maillard allait chercher à l'atteindre et que l'imprécision de l'arme devait être évidente pour lui autant que pour le recourant". Le défendeur invoque d'autre part un droit de recours contre l'appelé en cause, à concurrence de la moitié du montant qu'il devra verser au demandeur. Il fait valoir que les trois enfants s'adonnaient ensemble à un jeu dangereux et qu'ils sont dès lors solidairement responsables, selon l'art. 50 CO, du dommage survenu au cours de ce jeu.
2. Le Tribunal fédéral a jugé récemment (
ATF 103 II 27 s. consid. 4), dans le cadre de la responsabilité fondée sur l'
art. 333 CC, qu'un arc et une flèche du genre de ceux qu'ont utilisés les parties au présent procès devaient être considérés comme un instrument dangereux dans les mains d'enfants de 7 ans. Ainsi que le relève cet arrêt, plusieurs exemples issus de la jurisprudence fédérale et cantonale attestent qu'un arc et une flèche peuvent causer de graves blessures aux yeux.
Agés tous trois de neuf ans, les enfants Guye, Maillard et Gutknecht devaient être conscients de ce risque (cf.
ATF 100 II 332 ss., admettant la capacité délictuelle d'enfants de 9 ans qui jouaient avec des allumettes de bengale;
ATF 70 II 136 ss., concernant la responsabilité d'un enfant de 10 ans qui coupait du bois avec une hache et avait blessé une fillette). Leur jeu était d'autant plus dangereux qu'ils ne visaient pas une cible, mais cherchaient à atteindre l'un de leurs camarades. Même si la règle du jeu voulait qu'ils ne tirent pas trop haut ni de trop près, ils avaient assez de discernement pour réaliser que cette règle risquait d'être oubliée, dans l'excitation du jeu, et qu'elle ne suffisait pas à prévenir un accident.
En participant ensemble à une activité dont ils pouvaient et devaient reconnaître le caractère dangereux, les trois enfants ont commis une faute commune, dont l'importance est certes sensiblement atténuée en raison de leur jeune âge, mais qui engage néanmoins leur responsabilité solidaire selon l'
art. 50 al. 1 CO, pour le dommage en relation de causalité adéquate avec cette activité (cf.
ATF 100 II 337 consid. 2e,
ATF 79 II 69 ss.,
ATF 71 II 112,
ATF 57 II 420). Peu importe que la flèche qui a atteint l'oeil du demandeur ait été tirée par le défendeur seul. Ses deux camarades jouaient au même titre, chacun à leur tour, le rôle de tireur et de cible; aucun n'était un simple spectateur. Par ailleurs, le comportement de leur camarade n'a pas été tel qu'il eût interrompu la relation de causalité entre leur activité commune et le dommage (
ATF 89 II 123). Le Tribunal cantonal considère, il est vrai, que le défendeur a commis une faute "patente" et qu'en tirant trop haut et trop près, il "n'a pas respecté la règle implicite du jeu". Mais il était conforme à l'expérience de la vie que, dans le feu de l'action, l'un ou l'autre des enfants en vienne à passer outre aux règles de prudence qui s'imposaient, à savoir notamment de laisser une distance suffisante entre la cible et le tireur et d'ajuster le tir de manière à ne pouvoir atteindre que le bas du corps. Si le comportement du défendeur constitue une faute dont on devra tenir compte dans la répartition des dommages-intérêts, elle n'exonère pas les autres participants au jeu de leur responsabilité. C'est donc à tort que les premiers juges admettent que cette faute, "à elle seule... est à l'origine des lésions subies" et qu'elle "exculpe totalement l'appelé en cause".
La responsabilité solidaire des trois enfants ne saurait être exclue, ainsi que l'admet le jugement attaqué, parce que le lésé est non pas un tiers, mais l'un des auteurs de l'acte illicite, "pour qui l'exposition à un danger ne constitue que l'acceptation d'un risque créé délibérément". Cette distinction est sans fondement. Les participants répondent du risque qui leur est imputable à faute à l'égard de toute personne lésée, selon l'
art. 41 CO; ils en répondent de même selon l'
art. 44 CO, s'ils sont eux-mêmes victimes de l'entreprise commune. L'acceptation du risque par le lésé n'interrompt pas la relation de causalité adéquate entre le dommage et le comportement des autres responsables. En l'espèce, le défendeur et l'appelé en cause
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répondent donc solidairement du dommage subi par le demandeur.
3. a) Le défendeur a non seulement participé à un jeu dont il devait reconnaître le caractère dangereux, mais il a en outre manqué aux règles de prudence qui s'imposaient dans ce jeu, en tirant sur son camarade alors que celui-ci se trouvait à 3 m seulement de lui et en ne visant pas la partie inférieure du corps, ce qui lui aurait été facile à une distance aussi réduite. Il répond ainsi d'une faute supplémentaire, qui est cependant sensiblement tempérée par son jeune âge.
Le demandeur a lui aussi participé au jeu dangereux. Il en a accepté les risques, qu'il était en mesure d'apprécier. Son comportement constitue donc une faute concomitante qui lui est opposable selon l'
art. 44 al. 1 CO, mais qui doit également être jugée en fonction de son âge (cf.
ATF 102 II 368).
Le juge détermine l'étendue de la réparation d'après les circonstances et la gravité de la faute (
art. 43 al. 1 CO). Fondé sur cette disposition, le Tribunal fédéral opère généralement une réduction des dommages-intérêts, lorsque le responsable est un enfant (
ATF 100 II 337 consid. 3a et les arrêts cités; cf. aussi
ATF 102 II 368). Mais le juge peut aussi tenir compte, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, des conditions économiques et sociales de chaque partie (DESCHENAUX/ TERCIER, La responsabilité civile, p. 242 ch. 5). En l'espèce, le jugement attaqué constate que le demandeur n'est pas d'un milieu aisé et que ses espérances professionnelles sont relativement restreintes, alors que le défendeur est au bénéfice d'une assurance de la responsabilité civile. Il se justifie dès lors de ne laisser à la charge du demandeur, eu égard à la faute concurrente dont il répond, que le quart du dommage qu'il a subi, les trois autres quarts étant mis à la charge du défendeur et de l'appelé en cause.
b) L'appelé en cause étant solidairement responsable du dommage avec le défendeur, l'action récursoire de celui-ci est en principe fondée. La faute de l'appelé en cause, consistant dans la participation au jeu dangereux, est également atténuée en raison de son jeune âge, et il est lui aussi couvert contre les conséquences de sa responsabilité civile. Le défendeur répond d'une faute supplémentaire, ainsi qu'on l'a vu, et son comportement irréfléchi et imprudent est la cause directe du dommage.
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Il convient dès lors de n'admettre l'action récursoire du défendeur qu'à concurrence d'un tiers de la part du dommage mise à sa charge, l'appelé en cause supportant ainsi un quart du préjudice subi par le demandeur.
4. Quant au montant des dommages-intérêts, le défendeur ne conteste pas l'estimation de l'atteinte à l'avenir économique. Il considère en revanche qu'il n'a pas à payer au demandeur les frais médicaux déjà assumés par la caisse d'assurance-maladie auprès de laquelle celui-ci est assuré (2'303 fr.), ni les frais médicaux futurs retenus à concurrence de 3'000 fr. par le Tribunal cantonal. Il fait valoir que les
art. 26 et 100 LAMA excluent la possibilité, pour la personne affiliée à une caisse-maladie soumise à ces dispositions, de s'enrichir grâce à une double assurance ou à un cumul d'actions, et que le demandeur n'a dès lors plus qualité pour agir en ce qui concerne les frais médicaux. Le demandeur admet le bien-fondé de ces remarques dans la mesure où la caisse-maladie a déjà couvert le dommage, soit à concurrence de 2'303 fr.
a) Le Tribunal cantonal considère à tort en l'espèce que "le cumul d'une indemnité versée par une assurance en responsabilité civile et des avantages découlant d'une assurance de personnes est... possible". L'
art. 96 LCA, auquel il se réfère ainsi implicitement, n'est en effet pas applicable aux caisses-maladie reconnues, au sens de l'
art. 1er LAMA (
ATF 81 II 167; OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht 1, 4e éd., p. 403; DESCHENAUX/TERCIER, op.cit., p. 292). Celles-ci sont soumises à l'
art. 26 al. 1 LAMA, aux termes duquel l'assurance ne doit pas être une source de gain pour les assurés, qui disposent d'un simple concours d'actions contre le tiers responsable et leur caisse, selon l'
art. 51 CO. En l'occurrence, la caisse-maladie à laquelle est affilié le demandeur a réglé les frais médicaux par 2'303 fr. et annoncé son intention de recourir contre l'Union Suisse, qui assure la responsabilité civile du défendeur. Le demandeur n'a ainsi plus d'action contre ce dernier (cf.
ATF 63 II 149 consid. 4), et le jugement attaqué doit être réformé dans la mesure où il lui a alloué la somme de 2'303 fr.
b) Le recours est en revanche mal fondé en ce qui concerne les frais médicaux futurs. Le demandeur n'a reçu de la caisse-maladie aucun paiement de nature à libérer le défendeur à son égard, et on ignore si et dans quelle mesure cette caisse assumera
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les frais en question. Le défendeur en est donc responsable, le montant de 3'000 fr. retenu par les premiers juges n'étant pas contesté.
c) Compte tenu de la somme de 115'020 fr., également incontestée, allouée au demandeur pour l'atteinte portée à son avenir économique, le dommage s'élève à 118'020 fr. Le demandeur a droit aux trois quarts de cette somme, soit à 88'515 fr.
5. Le défendeur ne critique pas le montant de l'indemnité pour tort moral retenu par les premiers juges, soit 8'000 fr., mais il demande la réduction de cette indemnité dans la même proportion et pour les mêmes motifs que les dommages-intérêts.
La détermination de l'indemnité pour tort moral obéit toutefois à ses propres critères. En l'espèce, le tort subi par le demandeur est grave: la perte d'un oeil représente un handicap dont il souffrira durant toute sa vie, et il subit en outre, selon les constatations du jugement attaqué, "une atteinte esthétique très visible". Compte tenu des fautes respectives du défendeur et du demandeur, atténuées pour chacun d'eux en raison de leur jeune âge, la somme de 8'000 fr. allouée au demandeur par les premiers juges apparaît équitable, et le jugement attaqué doit être confirmé sur ce point.
6. Le défendeur doit ainsi payer au demandeur, à titre de dommages-intérêts, 88'515 fr., valeur échue, et, à titre de réparation du tort moral, 8'000 fr. avec intérêt à 5% dès le 4 mars 1972, jour de l'accident; le taux et le point de départ de l'intérêt ne sont pas contestés.
L'appelé en cause remboursera au défendeur le tiers de ces montants, soit 32'172 fr. ( 1/3 de 96'515 fr.), avec intérêt à 5% dès le 4 mars 1972 sur 2'666 fr. (1/3 de 8'000 fr.).