105 II 183
Urteilskopf
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30. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 28 juin 1979 dans la cause Masse en faillite N. contre M. (recours en réforme)
Regeste
Art. 825 ZGB; 17, 170 Abs. 1 OR.
1. Sollte die Übertragung einer zur Sicherstellung einer bestimmten Forderung errichteten Grundpfandverschreibung auf eine andere Forderung überhaupt zulässig sein (Frage offen gelassen), so müsste sie auf jeden Fall öffentlich beurkundet werden (Bestätigung der Rechtsprechung) (E. 2 und 5).
2. Ein grundpfandgesichertes abstraktes Schuldbekenntnis, das zur Sicherstellung eines bestimmten Anspruches dient, kann nicht infolge späterer Zession eine andere Forderung sicherstellen (E. 4, 6).
A.- a) Dans la liquidation de la faillite de N., ouverte le 12 octobre 1965, l'Office des faillites du canton de Fribourg a colloqué en cinquième classe une créance de 367'102 fr. 15 produite par dame M. Dame M. estime que sa créance est garantie par un gage immobilier. Elle se fonde sur les faits suivants:
La créance résulte d'un contrat de prêt conclu le 14 juin 1965 entre dame M. et N. Le chiffre 2 du contrat est rédigé en ces termes:
"Als Sicherheit gibt Herr N. Frau M. eine Grundpfandverschreibung im Betrage von Fr. 2'000'000.- über Parzelle..., im 8. Rang mit Vorgang von Fr. 3'485'000.-.
Die Parteien sind sich einig, dass diese Grundpfandverschreibung im Moment noch für Herrn P. zu Buche steht, wobei Herr P. erklärt hat, er werde die Grundpfandverschreibung an Frau M. zedieren."
Effectivement, par contrat de gage immobilier passé en la forme authentique le 4 juin 1965, N. avait constitué sur son immeuble sis dans la commune de Bruggen (Saint-Gall) une
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hypothèque qui fut inscrite le même jour au registre foncier. Le contrat de gage immobilier a la teneur suivante:"Herr N. bekennt hiermit Herrn die Summe von Fr. 2'000'000.- (Franken zwei Millionen) schuldig zu sein.
Zur Sicherung dieses Betrages lässt der unterzeichnete Grundeigentümer auf das vorbeschriebene Grundstück eine Grundpfandverschreibung im Betrage von Fr. 2'000'000.- im 8. Rang mit Vorgang von Fr. 3'485'000.- errichten und meldet diese hiermit zur Eintragung im Grundbuch an.
Die Schuld ist vom Entstehungstage an halbjährlich auf 31. Dezember und 30. Juni, erstmals auf 31. Dezember 1965, zu 5% zu verzinsen und kündbar jederzeit gegenseitig auf 6 Monate."
Cette reconnaissance de dette garantie par hypothèque était destinée à servir de sûreté à des prétentions que P. pourrait le cas échéant faire valoir contre N. en vertu d'un contrat du 1er mars 1965, complété par convention du 4 mai 1965. Dans ce contrat, N. s'était engagé à exécuter des travaux de construction pour P. Ce dernier avait fait certaines prestations préalables à titre d'acompte, mais il ne semble pas que les travaux aient été exécutés par la suite. Quoi qu'il en soit, P. n'a jamais invoqué de créance contre N. Au contraire, le 15 juin 1965, il a fait la déclaration suivante sur un extrait du registre foncier, établi le 4 juin 1965 par le bureau de Saint-Gall, qui reproduit le contenu de la constitution d'hypothèque susmentionnée:
"Hiermit zediere ich die durch diese Grundpfandverschreibung gesicherte Forderung samt Pfandrecht an: Frau M."
Le bureau du registre foncier de Saint-Gall a inscrit cette cession dans le registre des créanciers le 13 novembre 1965.
b) Tandis que dame M. invoque la cession, l'administration de la faillite de N. rétorque ce qui suit:
A l'origine, l'hypothèque a eu pour objet de garantir d'éventuelles prétentions de P. contre N. Or cette créance future incertaine, qui n'avait pas pris naissance le 14 juin 1965, n'est finalement jamais née. Comme l'hypothèque a une nature purement accessoire et que son existence est liée à celle d'une créance, le droit de gage n'a jamais existé. P. n'a pu céder à dame M. ni une créance ni l'hypothèque: dame M. n'est donc pas au bénéfice d'une garantie réelle.
B.- Le 15 octobre 1968, dame M. a ouvert action devant le président du Tribunal civil de l'arrondissement de la Sarine, demandant qu'il fût dit que sa créance est garantie par le gage immobilier.
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Tandis que le procès en contestation de l'état de collocation était pendant devant le président, l'immeuble de N. fut vendu. En effet, il était grevé d'un droit d'emption, antérieur aux créances hypothécaires: les titulaires de ce droit l'exercèrent en 1970, pour le prix prévu de Fr. 3'489'945. Ils reprirent les dettes hypothécaires jusqu'à concurrence des sept premiers rangs (Fr. 3'485'000) et virèrent le solde du prix de vente (Fr. 364'945) sur un compte de dépôt auprès de la Banque de l'Etat de Fribourg. Dame M. donna son accord à cette opération et consentit à la radiation de l'hypothèque, sous réserve que sa prétention en garantie par gage porterait désormais sur le montant déposé à la banque.
C.- Le 24 avril 1978, le président du Tribunal civil de l'arrondissement de la Sarine déclara que l'action en contestation de l'état de collocation était devenue sans objet, parce que l'immeuble hypothéqué avait été vendu et que l'hypothèque avait été radiée. Il mit les frais et les dépens à la charge de la masse défenderesse, au motif que, s'il avait fallu se prononcer, l'action aurait dû être admise.
D.- Le 13 novembre 1978, la Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a rejeté le recours formé contre ce jugement par la masse en faillite, admis le recours joint de dame M., déclaré fondée son action en contestation de l'état de collocation et ordonné que le montant de 366'201 fr. 10 consigné à la Banque de l'Etat de Fribourg soit remis à la demanderesse.
La cour cantonale a considéré que le premier juge avait commis une erreur en disant que le procès n'avait plus d'objet; l'objet du litige s'est modifié, mais il subsiste, portant désormais sur la question de savoir si le montant déposé en banque doit servir de gage à dame M.: on doit répondre par l'affirmative, car l'hypothèque a été valablement cédée.
E.- La masse en faillite N. a recouru en réforme au Tribunal fédéral, concluant à l'annulation de l'arrêt attaqué et au rejet de l'action en contestation de l'état de collocation.
Le Tribunal fédéral a admis le recours.
Considérant en droit:
2. Il n'est pas unanimement admis que l'hypothèque, droit essentiellement subordonné à la créance, puisse servir de garantie, par remploi, à une autre créance, appartenant au même
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créancier ou à un autre. L'opinion dominante, dans la doctrine et la jurisprudence cantonale, est pour l'affirmative (cf. la décision de l'autorité fribourgeoise de surveillance du registre foncier publiée dans RNRF 39/1958, p. 354 ss. et les références). Le Tribunal fédéral, lui, ne s'est pas encore prononcé: dans ATF 60 II 96 /97, il a laissé la question indécise. Point n'est besoin de la trancher en l'espèce. En effet, on s'accorde à dire que, au cas où le transfert de l'hypothèque d'une créance sur une autre serait possible, il y aurait nécessité de la passation d'un nouvel acte authentique (ATF 60 II 97; LEEMANN, n. 17 ad art. 825 CC; RNRF 39/1958, p. 359 et les références). Dès lors, si, comme le pense l'autorité cantonale, l'hypothèque constituée en faveur de P. servait directement de garantie aux prétentions que celui-ci pourrait faire valoir en vertu de ses relations contractuelles avec N., il fallait à tout le moins un nouveau contrat de gage immobilier passé en la forme authentique pour que l'hypothèque pût désormais garantir la créance née du prêt accordé à N. par dame M.
3. En réalité, l'hypothèque n'a jamais garanti directement les prétentions contractuelles de P. contre N., mais la dette de 2'000'000 fr. de N. envers P., mentionnée dans le contrat de gage immobilier passé en la forme authentique. Il y a là reconnaissance de dette abstraite, au sens de l'art. 17 CO. Cette reconnaissance de dette garantie par hypothèque était destinée à servir de sûreté aux prétentions éventuelles de P. contre N. C'est ce que l'intimée a soutenu dès le début de la procédure. On ne peut pas le déduire directement des constatations de fait de l'arrêt attaqué, mais cela ressort sans équivoque des pièces qui y sont mentionnées. D'une part, en vertu du contrat du 1er mars 1965 avec P., N. était tenu de garantir les prétentions de son cocontractant "durch Schuldbriefe, Pfandverschreibungen, etc.". D'autre part, dans sa lettre du 4 octobre 1967 à l'Office des faillites du canton de Fribourg, P. a confirmé que l'hypothèque avait été constituée à cette fin et que par la suite, à la demande de N., elle avait été cédée à dame M. Sur le vu de ces pièces, le Tribunal fédéral peut, conformément à l'art. 64 al. 2 OJ, compléter les constatations de l'arrêt attaqué dans le sens indiqué ci-dessus.
4. Ainsi, ce que P. a cédé à dame M. le 15 juin 1965, c'est la créance de 2'000'000 fr. garantie par hypothèque: le texte de la cession ne prête à aucune équivoque. De toute façon, le droit de gage immobilier
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passait à la cessionnaire avec la créance cédée, même sans mention expresse dans l'acte, en vertu de la loi (art. 170 al. 1 CO et 835 CC). Reste à savoir si, du fait de la cession, la reconnaissance de dette abstraite assure la garantie d'une autre créance, soit celle résultant du prêt consenti le 14 juin 1965 par dame M. à N.a) En droit suisse, lorsqu'on dit qu'une reconnaissance de dette est abstraite, on entend simplement que la cause de l'obligation n'est pas énoncée dans l'engagement. Mais une telle cause doit exister et être valable; bien qu'elle ne soit pas exprimée, elle est la condition nécessaire de l'obligation: la reconnaissance de dette abstraite a pour objet une obligation causale. Quand le créancier invoque une reconnaissance de dette abstraite, le débiteur peut toujours se prévaloir de l'inexistence de la dette et soulever toutes les exceptions qui peuvent être fondées sur le rapport juridique à la base de la reconnaissance, et cela, en cas de cession, à l'égard du successeur à titre particulier du créancier (cf. art. 169 CO). Le seul effet de la reconnaissance de dette abstraite est de renverser le fardeau de la preuve: le créancier n'a pas à prouver la cause de sa créance; c'est au débiteur qui conteste sa dette d'établir quelle est la cause de l'obligation et de démontrer que cette cause n'est pas valable ou ne peut plus être invoquée (ATF 65 II 84 /85; cf. ATF 96 II 26 consid. 1, ATF 75 II 296 a; W. YUNG, La théorie de l'obligation abstraite et la reconnaissance de dette non causée en droit suisse, thèse Genève 1930; SCHÖNENBERGER/JÄGGI, n. 12 ss. ad art. 17 CO, 104 ss. ad art. 965 CO; GUHL/MERZ/KUMMER, Das schweizerische Obligationenrecht, p. 108/109; P. ENGEL, Traité des obligations en droit suisse, p. 120; la thèse contraire de von Tuhr, encore professée dans von TUHR/PETER, Allgemeiner Teil des schweizerischen Obligationenrechts, I p. 270, selon laquelle la créance peut naître sans cause, n'a jamais été reçue en Suisse: voir les réfutations de YUNG, p. 74 ss., et de SCHÖNENBERGER/JÄGGI, n. 21-23 ad art. 17 CO).
b) Ainsi, la souscription par N. d'une reconnaissance de dette abstraite ne conférait pas à P. une prétention indépendante de l'existence des droits fondés sur les contrats passés avec N. Au contraire, les droits reconnus à P. dans cet acte ne pouvaient être invoqués par le créancier qu'autant que ce dernier pouvait faire valoir des prétentions fondées sur les contrats, et uniquement à concurrence du montant de ces prétentions. Vu l'hypothèque
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attachée à l'engagement abstrait, c'était une garantie: P. ne pouvait l'exercer qu'aux conditions convenues avec N.c) L'effet de la cession de créance est de transférer la créance du cédant au cessionnaire. Seul change le titulaire de la créance: il n'y a pas création d'une créance nouvelle, mais translation d'une créance préexistante. La reconnaissance de dette abstraite n'a ainsi pas été convertie en une garantie du prêt consenti à N. par dame M.: ce qui est garanti, c'est la créance cédée, assortie des conditions fondées sur les relations entre P. et N.
5. Il n'est pas possible à dame M. d'invoquer, outre la cession que P. lui a faite, l'engagement que N. a pris à son égard dans la convention du 14 juin 1965. Tout ce qu'on peut tirer de ce document, c'est la volonté d'affecter l'hypothèque à la garantie d'une autre créance, au profit d'un autre créancier. Or, on l'a vu, un tel transfert de l'affectation de l'hypothèque, si tant est qu'il soit possible, doit revêtir la forme authentique.
N. a traité la reconnaissance de dette abstraite comme s'il avait souscrit une cédule hypothécaire, mais les art. 855 et 872 CC ne sont pas applicables à la créance garantie par hypothèque.
6. En conclusion, le transfert de la garantie hypothécaire à une créance nouvelle ne s'est pas réalisé. Les seuls droits garantis par hypothèque que peut faire valoir dame M. sont donc ceux de P., soit les droits qui résultent de la reconnaissance de dette abstraite signée par N. le 4 juin 1965: une créance dont l'existence et les modalités sont celles convenues entre P. et N. selon leurs accords des 1er mars/4 mai 1965. Or la créance que l'intimée a produite est celle qui résulte du prêt par elle accordé à N.: cette créance n'étant pas garantie par hypothèque, c'est à juste titre qu'elle a été colloquée en cinquième classe.