108 II 509
Urteilskopf
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95. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 28 octobre 1982 dans la cause R. contre dame R. (recours en nullité)
Regeste
Art. 145 ZGB, 68 Abs. 1 lit. a OG.
Im Rahmen der vorsorglichen Massnahmen von Art. 145 ZGB kann der Scheidungsrichter weder aufgrund von Bundesrecht noch aufgrund von kantonalem Recht zur Sicherung der Frauengutsforderung eine Grundbuchsperre über eine Liegenschaft des Ehemannes verfügen (E. 7 und 8a). Hingegen kann er eine solche Massnahme aufgrund von kantonalem Recht treffen, soweit die Sperre dazu bestimmt ist, den Bestand des ehelichen Vermögens festzustellen, sodass er die Verteilung dieses Vermögens vornehmen und ein Urteil fällen kann, das dem bestehenden Zustand entspricht (E. 8b).
A.- Les époux R. sont en instance de divorce, depuis le 2 février 1982, devant le Tribunal civil de l'arrondissement de la Glâne.
Par ordonnance de mesures provisionnelles du 6 avril 1982, le président du tribunal a donné l'ordre au conservateur du registre foncier de la Glâne "d'opérer l'inscription d'une interdiction d'aliéner l'immeuble art. 228 du registre foncier de la commune d'Ursy, pour la durée de la procédure de divorce". La femme allègue que la villa qui y est édifiée a été construite grâce à des avances de fonds consenties par elle-même et par ses enfants d'un premier mariage, alors qu'elle n'avait pas encore épousé R.
B.- Le 10 mai 1982, le Tribunal civil de l'arrondissement de la Glâne a rejeté un recours de R. contre l'ordonnance présidentielle. Cette décision est motivée comme il suit:
R. a l'intention de vendre l'immeuble en raison de ses difficultés financières, alors que dame R. a contribué à la construction de la villa et a donc, de ce chef, une créance contre son mari. L'inscription d'une interdiction d'aliéner pour la durée de la procédure de divorce signifie que le conservateur du registre foncier ne pourra procéder, durant un laps de temps déterminé ou déterminable, à aucun transfert de propriété de l'immeuble. Or, en 1952, le Tribunal fédéral a dit qu'il n'est pas admissible, sur la base de l'art. 145 CC, de faire annoter au feuillet d'un immeuble du mari une restriction du droit d'aliéner conformément à l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC, pour garantir une créance de la femme tirée du régime matrimonial, car il y aurait là un séquestre déguisé, proscrit en l'absence des conditions de l'art. 271 LP (ATF 78 II 91ss consid. 2). Toutefois, dans un arrêt plus récent, le Tribunal fédéral a laissé indécise la question de savoir s'il est admissible que le droit de procédure cantonal prévoie, à côté de la restriction judiciaire du droit d'aliéner au sens de l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC, un moyen de garantie plus fort, sous la forme d'un blocage, ordonné par le juge, de l'immeuble au registre foncier, en particulier pour empêcher l'aliénation ou la modification de l'objet du litige (ATF 91 II 422 consid. 1). DESCHENAUX ET TERCIER (Le mariage et le divorce, 2e éd., p. 139) semblent d'ailleurs l'admettre. Or, l'annotation d'une restriction du droit d'aliéner est une mesure un peu plus souple, prévue à l'art. 368 al. 1 litt. d du code de procédure
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civile fribourgeois (CPC frib.), aux termes duquel le juge peut, entre autres mesures, ordonner selon sa prudence et sans être lié par les conclusions des parties l'interdiction d'aliéner ou de grever l'objet litigieux.
C.- R. a recouru en nullité au Tribunal fédéral sur la base de l'art. 68 al. 1 litt. a OJ. Il concluait à l'annulation de l'arrêt du Tribunal civil de l'arrondissement de la Glâne, le dossier étant renvoyé au tribunal pour nouvelle décision.
Le recours a été rejeté.
Extrait des considérants:
6. Dans la mesure où, au moment du mariage, l'intimée était titulaire, contre le recourant, d'une créance née antérieurement, cette créance doit être qualifiée d'apport au sens de l'art. 195 al. 1 CC. La femme continue d'en être titulaire après le mariage et l'usufruit du mari sur cet apport n'entraîne pas l'extinction de la dette par confusion. Tout au plus les intérêts, s'il en a été stipulé, s'éteignent par confusion (art. 195 al. 3 CC; cf. LEMP, n. 10 ad art. 195 CC et n. 11 ad art. 201 CC). Le litige a donc bien pour base une créance de la femme du chef de ses apports.
Pour le surplus, quand, dans sa réponse au recours, dame R. affirme que ses enfants nés d'un premier lit ont, eux aussi, fait des avances au recourant antérieurement au mariage, en prélevant ces fonds sur leurs biens propres, il s'agit d'allégations nouvelles, qui n'entrent pas en considération (art. 55 al. 1 litt. c, 63 al. 2, 74 OJ). On ne voit guère, d'ailleurs, comment la créance de tiers au procès pourrait fonder des mesures provisionnelles en faveur de l'une des parties.
7. Au terme d'un raisonnement fondé sur deux arrêts du Tribunal fédéral (ATF 78 II 89ss et ATF 91 II 422 consid. d) et sur l'ouvrage de DESCHENAUX ET TERCIER (Le mariage et le divorce, 2e éd., p. 139), l'autorité cantonale parvient à la conclusion qu'il n'est pas exclu, en l'état actuel de la jurisprudence et de la doctrine, que, pour protéger les créances de la femme du chef de ses apports, le juge du divorce puisse, par mesures provisoires au sens de l'art. 145 CC, interdire au mari de disposer de son immeuble, en ordonnant un blocage au registre foncier. A juste titre, le recourant ne se plaint pas d'une violation du droit fédéral sur ce point: ce serait un moyen de réforme au sens des art. 43 ss OJ. Néanmoins, il convient d'examiner la question à titre préalable, car, si
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l'application du droit cantonal conduisait au même résultat que l'application du droit fédéral, il n'y aurait pas de préjudice et, partant, R. n'aurait pas qualité pour interjeter un recours en nullité (ATF 85 II 289 consid. 2, 81 II 324).L'exécution forcée ayant pour objet une somme d'argent ou des sûretés à fournir s'opère par la poursuite pour dettes (art. 38 al. 1 LP). Dès l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, le 1er janvier 1892, les dispositions contraires du droit fédéral, des législations cantonales et des concordats ont été abrogées (art. 318 al. 3 LP). Or, la mesure qui permet au créancier d'une somme d'argent, non garanti par gage, de faire mettre sous main de justice des biens que, faute d'avoir accompli les formalités de la poursuite, il ne peut faire saisir ou inventorier au préjudice de son débiteur, pour l'empêcher de compromettre le résultat d'une poursuite pendante ou future, est le séquestre, régi par les art. 271 ss LP. Certains auteurs ont admis que, pour protéger les créances de la femme du chef de ses apports, le juge peut interdire au mari, par mesure provisionnelle, de disposer de son immeuble, en ordonnant un blocage du registre foncier: ils ont tiré argument de ce que l'art. 145 CC est une disposition légale spéciale, postérieure à l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (cf. BÜHLER/SPÜHLER, n. 344, 373 et 374 ad art. 145 CC). Ce raisonnement se heurte cependant à la jurisprudence fédérale récente.
Dans l'arrêt ATF 103 II 1 ss (sp. 5 consid. 3 b et c), que l'autorité cantonale ne mentionne pas, le Tribunal fédéral a dit que les mesures provisoires, dont l'art. 145 CC ne précise pas la nature, peuvent découler du droit fédéral et du droit cantonal de procédure. Le blocage, uniquement partiel, d'un immeuble n'est connu du droit fédéral que dans certains cas prévus par des dispositions particulières (art. 841 CC, 42/43 LEx, 7 de la loi fédérale du 25 juin 1930 sur la garantie des obligations assumées par les sociétés suisses d'assurances sur la vie, 137 LP). En dehors de ces cas légaux exceptionnels, le droit fédéral n'accorde à un tiers une protection contre des actes de disposition au registre foncier que sous la forme de l'annotation selon les art. 959-961 CC . Une restriction du droit d'aliéner, au sens de l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC, ne peut pas être annotée au registre foncier en garantie du droit de la femme à la restitution de ses apports, car ce droit ne se rapporte pas directement à l'immeuble (ATF 103 II 3 consid. 2; cf. ATF 104 II 176 consid. 5).
L'arrêt ATF 103 II 1 ss, rendu le 20 janvier 1977, a été analysé par HAUSHERR (RJB 115/1979 p. 226 ss), sans que cet auteur soulève de critiques. Le Tribunal fédéral l'a confirmé récemment (arrêt Mehl c. Mehl et Obergericht du canton de Lucerne, du 30 avril 1981, et arrêt Hengärtner c. Hengärtner et Tribunal cantonal du canton de Saint-Gall, du 18 décembre 1981, non publiés). Il relève que, dans le message du Conseil fédéral concernant la revision du Code civil suisse (effets généraux du mariage, régimes matrimoniaux et successions), du 11 juillet 1979, la mention au registre foncier de l'interdiction faite à un époux de disposer de son immeuble en vue de protéger le conjoint contre tout acte de disposition (art. 178 al. 3 du projet) est présentée comme une institution nouvelle, donc actuellement inconnue du droit fédéral (cf. FF 1979 II 1265 et 1383).
RIEMER (Zur Frage der Zulässigkeit von Grundbuchsperren, RNRF 57/1976 p. 65 ss) propose que le juge du divorce puisse garantir la créance de la femme découlant de la liquidation du régime matrimonial en ordonnant l'inscription d'une hypothèque sur les immeubles du mari (loc.cit., p. 77/78). Point n'est besoin cependant d'examiner en l'espèce si une telle mesure est compatible avec le droit fédéral, dans le cadre de l'application de l'art. 145 CC: l'autorité cantonale n'y a pas eu recours.
8. Pour justifier la décision présidentielle ordonnant au conservateur du registre foncier d'opérer l'inscription d'une interdiction d'aliéner l'immeuble du mari, l'autorité cantonale s'est également, et avant tout, fondée sur l'art. 368 al. 1 litt. d CPC frib.
a) Dans la mesure où l'inscription a pour but d'assurer à la femme la possibilité de poursuivre son mari sur l'immeuble, elle est destinée à garantir le recouvrement d'une créance pécuniaire en empêchant le débiteur de disposer d'un bien qui n'est pas lui-même l'objet du litige. C'est là, on l'a vu, la fonction du séquestre, réglé par les art. 271 ss LP (cf. ATF 107 III 35 consid. 2, 101/102; MATILE, Les mesures provisionnelles ordonnant l'exécution et la garantie d'obligations de "donner", JdT 1957 III 98ss, sp. 107/108). Le juge du divorce ne saurait, en se fondant sur le droit cantonal, assurer à la femme, sous le couvert de mesures provisionnelles, la possibilité de procéder à un séquestre à des conditions différentes de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite: ce serait méconnaître le principe de la force dérogatoire du droit fédéral.
Dans ce sens, on peut dire qu'est tranchée la question, laissée
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indécise, de savoir si l'on peut, sur la base de l'art. 145 CC, ordonner une limitation du droit de disposer ou même un blocage de l'immeuble pour garantir une créance d'argent (ATF 91 II 422 consid. d, ATF 103 II 5 /6; cf. ATF 104 II 178 ss consid. 6). Si le Tribunal fédéral n'a pas pris position sur l'ensemble du problème, il a néanmoins dit qu'une telle mesure ne pouvait découler du droit fédéral. Dès l'instant que le blocage d'un immeuble sert à la garantie d'une créance pécuniaire n'ayant pas pour objet l'immeuble lui-même, seules sont applicables les dispositions de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite.On ne peut pas tirer argument du fait que, dans certains cas déterminés, comme on l'a vu ci-dessus, le droit fédéral connaît un blocage au registre foncier: une réglementation fédérale exceptionnelle n'autorise pas les cantons à introduire des règles exceptionnelles analogues dans un domaine qui relève exclusivement de la législation fédérale (cf. ATF 108 III 107 consid. 3). Au demeurant, l'art. 37 al. 2 CPC frib. dispose qu'il ne peut pas être pris de mesures provisionnelles pour la sûreté de créances soumises à la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite.
b) Ce n'est pas à dire cependant que le juge du divorce ne peut pas, par la voie de mesures provisoires, rendre indisponibles certains éléments du patrimoine d'un conjoint, mobiliers comme immobiliers, pour autant que ces mesures ont pour but, non pas la protection de l'autre conjoint, mais les nécessités de la procédure, laquelle est du ressort des cantons (art. 64 al. 3 Cst.; cf. art. 6 CC et ATF 104 Ia 108 consid. 4a).
aa) Un jugement se fonde sur un état de fait que le juge constate et sur la base duquel il dit le droit. La décision doit donc être prise en fonction de données stables: pour arrêter le cadre du litige, il faut fixer provisoirement la situation de fait. Ainsi, non seulement le jugement pourra être rendu, mais, lorsqu'il interviendra, il ne sera pas lettre morte faute de correspondre à la réalité. Il est dès lors conforme aux exigences de la procédure que le juge puisse donner l'ordre aux parties de ne pas modifier, en cours d'instance, l'état de choses existant (cf. GULDENER, Schweizerisches Prozessrecht, 3e éd., p. 574 ss et, p. 578 n. 24, la liste des législations, fédérale et cantonales, qui prévoient expressément des mesures de ce type; HABSCHEID, Droit judiciaire privé suisse, 2e éd., p. 406 ss). Lorsque les plaideurs ne pourraient enfreindre cet ordre qu'avec le concours d'un tiers, notamment d'un officier public, le moyen le plus efficace de prévenir leurs manoeuvres est d'enjoindre
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aux tiers de ne pas prêter la main à l'opération requise (cf. GULDENER, op.cit., p. 579): la menace des peines d'arrêts ou d'amende prévues à l'art. 292 CP n'a qu'un effet indirect, car elle ne permet pas le rétablissement de l'état de choses modifié.bb) Dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, la procédure de divorce doit permettre au juge de déterminer en quoi consistent les biens matrimoniaux, pour qu'il puisse ensuite en régler le sort selon les règles applicables. Il faut aussi que la décision prise sur la base de l'art. 154 CC puisse sortir ses effets, ce qui risque de ne pas être possible si la qualité et la quantité des biens se sont modifiées au cours du procès.
Le juge du divorce doit donc être autorisé à donner l'ordre aux parties, dans le cadre de l'art. 145 CC et sur la base des règles de procédure, de ne pas changer la consistance des biens matrimoniaux et à assortir cet ordre de l'injonction aux tiers dont la collaboration est nécessaire de ne pas coopérer à un acte qui entraînerait la modification prohibée. Ce faisant, il ne garantit qu'indirectement l'exécution de la créance qu'il déterminera. Le but visé est d'intérêt public: assurer la sécurité et l'efficacité de la procédure. La voie exclusive de la poursuite pour dettes ne sera ouverte qu'au moment où le jugement de divorce sera devenu définitif et exécutoire, soit après que les mesures provisoires, qui ne sont prises que pour la durée du procès, seront devenues caduques.
Ainsi, le blocage de droit cantonal a pour objet d'empêcher que ne se modifie un état de choses donné, avant que ne puissent être mis en oeuvre les art. 271 ss LP et 959-961 CC, dont le champ d'application est différent. Ces dispositions renforcent un droit qui est en relation directe avec un immeuble ou assurent l'exécution d'une créance exigible. Le blocage de droit cantonal, lui, concerne les règles de procédure nécessaires à la constatation d'un droit sans rapport direct avec un immeuble, existant et déterminable, mais qui n'est pas encore déterminé, à savoir la créance de la femme du chef de ses apports et de son expectative de bénéfice. Il est destiné à permettre au juge du divorce de la déterminer sur des bases fixes et de telle manière que la décision à prendre corresponde à l'état de choses existant au moment où elle sera rendue.
cc) En l'espèce, le prononcé présidentiel, confirmé par le Tribunal de la Glâne, a pour effet d'empêcher la modification de la situation en ce qui concerne l'immeuble du mari. Du fait de l'ordre qui lui est donné, le conservateur du registre foncier ne peut
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pas collaborer aux opérations que pourrait entreprendre le recourant pour changer la qualité et la quantité des biens matrimoniaux. De telles mesures sont licites quand elles sont prises, dans le cadre de l'art. 145 CC, sur la base du droit cantonal. Le Tribunal de la Glâne s'est fondé sur l'art. 368 al. 1 litt. d CPC frib. Saisi d'un recours en nullité, le Tribunal fédéral est lié par l'interprétation du droit cantonal donnée par l'autorité cantonale (ATF 102 II 156 consid. 3). Il doit donc admettre que la disposition légale invoquée permet un blocage au registre foncier pour satisfaire aux exigences de la procédure. Dans ces conditions, il n'y a pas eu application du droit cantonal à la place du droit fédéral déterminant. Le recours est dès lors mal fondé et doit être rejeté.