109 II 260
Urteilskopf
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57. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 3 mai 1983 dans la cause Fédération de l'industrie suisse du tabac contre Denner A.G. (recours en réforme)
Regeste
Kartellgesetz.
Art. 19 Abs. 2 KG. Der Richter, der das Gutachten der Kartellkommission eingeholt hat, ist daran nicht gebunden (E. 3d).
Art. 5 Abs. 2 lit. c KG. Aufgezwungene Preise für Tabakwaren stellen eine geeignete Vorkehr dar, um die kleinen Lebensmittelgeschäfte und die Kioske zu unterstützen; daran besteht ein öffentliches Interesse (E. 7-8).
Überprüfung der Vorkehr unter dem Gesichtspunkt der Verhältnismässigkeit (E. 10).
A.- La Fédération de l'industrie suisse du tabac (FIST) groupe l'Association suisse des fabricants de cigarettes, l'Association suisse des fabricants de cigares, l'Association suisse des fabricants de tabac à fumer et le Gruppo ticinese industriali del tabacco; la plupart des fabricants de produits du tabac travaillant en Suisse sont affiliés à ces associations. La FIST édicte notamment des
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normes, obligatoires pour ses membres, concernant les conditions de vente faites aux clients. Sont considérés comme clients directs de l'industrie d'une part les grossistes, d'autre part certains détaillants, pour autant que les uns et les autres atteignent un chiffre d'affaires minimum; les autres entreprises doivent s'approvisionner auprès des grossistes.Denner A.G. est une entreprise de commerce de denrées alimentaires et de tabac. Elle limite au minimum ses prestations à la clientèle autres que la fourniture des biens vendus, ce qui lui permet de vendre à des prix avantageux ("discount"). En 1973, son chiffre d'affaires était au minimum de 500 millions de francs; il provenait à concurrence de 18%, soit 90 millions de francs, de la vente des produits du tabac, spécialement des cigarettes; Denner A.G. estime à 1,35 million de francs (1,5%) son bénéfice net sur ces produits. Pour son approvisionnement en tabac, elle passe par le canal de la FIST en qualité de client direct.
Selon une réglementation de la FIST en vigueur depuis le 1er janvier 1973, Denner A.G. obtenait les articles achetés avec un rabais global de 3,5% sur le prix de fabrique; cela lui permettait, à son tour, d'accorder à sa clientèle un rabais de 20% par rapport au prix de détail imprimé sur les emballages.
Le 22 juin 1973, à la suite d'interventions des entreprises vendant les articles de tabac, la FIST adopta une réglementation, entrée en vigueur le 1er septembre 1973, qui prévoyait un "rabais pour respect de marge". Cette réglementation avait comme conséquence, pour Denner A.G., que celle-ci pourrait bénéficier d'un rabais de 0,75% au maximum pour achat en grandes séries, de 0,25% à titre de promotion de vente et de 2,75% pour respect de marge si elle s'engageait à vendre à ses clients à des prix au moins égaux à 103,5% du prix de fabrique; ce taux fut ultérieurement porté à 104% avec effet au 1er mai 1982.
B.- Denner A.G. a ouvert action contre la FIST, en demandant au Tribunal de constater que les mesures prises par la défenderesse le 22 juin 1973 étaient illicites au sens de l'art. 4 LCart, d'interdire à la défenderesse de lui appliquer ces mesures, d'ordonner à la défenderesse de lui consentir les mêmes rabais que jusqu'au 31 août 1973 et de condamner la défenderesse à lui rembourser la différence entre les rabais qui lui auraient été accordés sans la nouvelle réglementation et ceux qui lui ont été effectivement consentis.
Après avoir requis notamment un avis de la Commission des cartels et un rapport d'expertise, la Cour civile du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a admis l'action en principe par jugement du 21 juin 1982, constaté l'illicéité des mesures prises le 22 juin 1973 par la défenderesse ("critère pour respect de marge de 2,75%"), interdit à la défenderesse d'appliquer ces mesures à la demanderesse et renvoyé à un jugement ultérieur les conclusions en dommages-intérêts.
Le Tribunal fédéral admet le recours, annule le jugement attaqué et rejette la demande.
Extrait des considérants:
3. d) La recourante fait implicitement à la cour cantonale le reproche d'avoir violé l'art. 19 al. 2 LCart en ne suivant pas l'opinion de la Commission des cartels exprimée dans l'avis que celle-ci lui avait donné à sa requête (cf. rapport de la Commission des cartels: Wettbewerbsverhältnisse auf dem Tabakmarkt, publications de la Commission des cartels - ci-après: Publ. CC - 1976 p. 215 ss).
Ce grief n'est pas fondé. L'art. 19 al. 2 LCart permet notamment aux tribunaux de requérir de la Commission des cartels des avis sur des questions de principe relatives aux cartels. Figurant dans les "Dispositions de droit administratif" relatives à l'"Organisation et (aux) tâches de la Commission des cartels", l'art. 19 al. 2 impose cette tâche à la Commission, mais il ne résulte ni de son texte ni de son emplacement dans la loi ou de son but que le juge serait lié par l'avis ainsi donné. Il doit au contraire appliquer le droit d'office selon l'art. 63 OJ, également applicable au juge cantonal (ATF 107 II 122 s. consid. 2a, 418 et les arrêts cités), ce qu'il ne pourrait faire s'il était tenu de suivre l'avis de la Commission des cartels. Quant à l'appréciation des preuves, elle relève des tribunaux cantonaux, pour les causes qui leur sont soumises (art. 64bis al. 2 Cst., art. 43, 51 al. 1 lettre c, 55 al. 1 lettres c et d, 63 OJ) et rien ne permet de tirer de l'art. 19 al. 2 LCart une règle de droit fédéral relative à la preuve, limitant leurs pouvoirs à cet égard.
Sans doute le juge ne saurait-il négliger l'opinion de la Commission des cartels mais, s'il ne la fait pas sienne, il ne viole pas pour autant l'art. 19 al. 2 LCart. En l'espèce, il convient donc d'examiner, dans le cadre de l'application de l'art. 5 LCart, si la
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cour cantonale a eu raison de s'écarter de l'avis de la Commission.
7. a) Dans le cadre de l'art. 5 al. 2 lettre c LCart, la cour cantonale admet avec la Commission des cartels (Publ. CC 1976 p. 364 ss, 1977 p. 109 ss; cf. aussi rapport sur la concentration dans le commerce de détail du secteur alimentaire, Publ. CC 1979, p. 389 ss, notamment 418) et le Conseil fédéral (message précité du 27 septembre 1982, FF 1982 III 233 ss) que l'intérêt général commande le maintien de petits magasins de denrées alimentaires et coloniales.
Le Tribunal fédéral en avait jugé de même, dans le cadre des prix imposés pour la vente de la bière (ATF 98 II 365 ss). Il n'a pas de raisons d'en faire autrement aujourd'hui.
Certes, l'intérêt général peut comporter différentes composantes. On peut admettre avec la Commission des cartels qu'il est difficile d'apprécier l'influence d'une libéralisation des prix sur la santé publique: si d'une part la concentration des entreprises qu'elle favoriserait rendrait un peu plus difficile l'accès aux sources d'approvisionnement en tabac, inversement l'abaissement des prix pourrait éventuellement stimuler un peu la consommation. S'il existe, sans doute, un intérêt général à ce que le jeu de la concurrence permette un abaissement des prix de détail, en faveur des consommateurs, il est davantage digne d'être pris en considération lorsqu'il s'agit de produits alimentaires que de produits toxiques tels que le tabac ou les boissons alcooliques, ce qui a également donné lieu à leur imposition fiscale (loi fédérale du 21 mars 1969 sur l'imposition du tabac, RS 641.31, ACF du 4 août 1934 concernant un impôt fédéral sur les boissons, RS 641.411). Comme par ailleurs la réglementation litigieuse ne limite que dans une mesure relativement faible la possibilité pour la demanderesse de déterminer son prix de vente (bénéfice brut imposé d'environ 8,6% en comparaison d'un bénéfice brut moyen de 10%, n'entraînant qu'une réduction du rabais accordé de 20% à 15% du prix imprimé sur l'emballage), l'intérêt à soutenir les petits commerces en denrées alimentaires, en vue du maintien d'un certain réseau de distribution, apparaît nettement prépondérant.
b) La cour cantonale considère en revanche, contrairement à la Commission des cartels, que les prix imposés ne sont pas un moyen adéquat pour maintenir ces petits commerces ou en freiner la diminution. En cela, elle nie l'efficience de la mesure incriminée soit le respect du principe de la proportionnalité. Pour être admissible, la mesure cartellaire ne doit en effet pas restreindre la libre concurrence de manière excessive par rapport au but visé ou du
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fait de sa nature et de la façon dont elle est appliquée (art. 5 al. 1 LCart).Le juge doit se placer à cet égard au moment où les mesures incriminées ont été adoptées et, sur la base des faits qui lui sont soumis, il en est réduit à des conjectures; il s'agit de questions de droit soumises à l'examen du Tribunal fédéral (ATF 98 II 380).
Dans le cadre de l'art. 5 al. 2 lettre c LCart, le principe de la proportionnalité exige que la mesure soit non seulement destinée mais encore propre à entraîner le résultat recherché, soit l'établissement ou le maintien d'une structure - pour une branche ou une profession - souhaitable dans l'intérêt général. En revanche, la loi n'exige pas que cette mesure soit capable, à elle seule, de produire ce résultat. L'organisation d'un certain ordre dans une branche ou une profession peut, en effet, dépendre du concours de différentes causes (cf. ATF 98 II 379 -381). Le texte légal l'exprime clairement, en parlant de "mesures qui visent ... à promouvoir ... une structure".
Selon la Commission des cartels, une suppression totale des prix imposés serait propre à accélérer le processus de concentration dans l'alimentation avec diminution des petits débits; en effet, la suppression de la vente de tabac dans ces débits ou une vente sans bénéfice aucun affecterait leurs rendements et leur capacité de concurrence s'en trouverait encore plus compromise (Publ. CC 1977 p. 112 ss).
Les arguments invoqués par la cour cantonale à l'encontre de cette considération ne sont pas convaincants; ils se fondent en outre sur des faits postérieurs à l'adoption de la mesure cartellaire incriminée.
aa) Pour juger de l'efficience de mesures cartellaires au moment où elles sont prises et notamment pour apprécier, à titre hypothétique, ce qui se serait produit en leur absence, le juge en est réduit par la force des choses à des conjectures.
bb) Si la cour cantonale relève que la suppression des prix imposés (sur des articles de marque) intervenue en 1967 a accéléré le processus de concentration, cette circonstance met précisément en évidence que les petits débits accusent directement les conséquences d'une suppression des prix imposés, en raison de la diminution de bénéfice qui en résulte pour eux; cela permet aussi de supposer qu'une suppression des prix imposés pour les articles où ils subsistent encore serait propre à accentuer encore ce mouvement. La cour cantonale signale également, à ce propos, que cette évolution a entraîné une modification des structures avec une
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diminution des marges bénéficiaires, mais cette circonstance n'a pas de portée propre en ce qui concerne l'appoint fourni par la marge de bénéfice brut résultant des prix imposés.cc) La cour cantonale donne différentes indications numériques quant à l'évolution du nombre des magasins d'alimentation et du chiffre d'affaires des détaillants traditionnels, pour en déduire "qu'une réduction quasi linéaire des commerces indépendants en alimentation s'est opérée avant comme après l'entrée en vigueur - le 1er septembre 1973 - de la réglementation introduite par la FIST". On ne saurait cependant en tirer aucune déduction sur l'évolution qui se serait produite si les prix imposés sur le tabac avaient été supprimés et - ce que la cour cantonale n'examine pas - si tous les prix imposés dans le commerce des denrées alimentaires avaient été supprimés. Le Tribunal cantonal cite aussi l'expert judiciaire qui indique que l'ordre du marché pour le tabac n'a pas ralenti la régression du nombre des petits commerces. L'expert tient cependant pour vraisemblable que cet ordre du marché a freiné l'évolution s'agissant des commerces de denrées alimentaires pour lesquels le tabac représentait une part relativement élevée du chiffre d'affaires.
dd) La cour cantonale pense que, si elle était réelle, l'incidence des prix imposés dans le tabac sur la capacité de concurrence des commerces alimentaires aurait dû apparaître lors de l'introduction de ces prix imposés en 1973, alors qu'on constate qu'elle n'a eu aucun effet sensible. Pour les raisons déjà indiquées, on ne saurait en tirer des déductions quant à l'évolution qui se serait produite sans l'introduction des prix imposés. Le régime de liberté des prix n'a d'ailleurs duré que de 1970 à 1973 (Publ. CC 1976 p. 232), soit durant une période relativement brève pendant laquelle les articles de marque n'étaient plus non plus soumis au régime des prix imposés, de sorte qu'il est malaisé de définir avec précision quels en ont été les effets.
ee) Le Tribunal cantonal considère ensuite que la capacité de concurrence des petites entreprises du secteur alimentaire n'a pas pu être influencée par des prix imposés ne concernant que 5 ou 10%, voir 2 ou 3% de leur chiffre d'affaires. Cet argument ignore toutefois l'incidence possible d'autres facteurs sur la situation de ces détaillants. Sans doute les seuls prix imposés dans les articles de tabac leur apportent-ils une aide limitée; mais l'existence et l'efficacité de cette aide peuvent difficilement être niées quant à la fraction de leur chiffre d'affaires relative aux produits de tabac;
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cette aide peut être accrue notamment par des prix imposés instaurés, pour les mêmes motifs, sur d'autres articles vendus par ces détaillants, ainsi que par d'autres mesures de protection, notamment par une meilleure organisation de cette branche de commerce. Même si l'on admet, avec la cour cantonale et le Conseil fédéral dans son message susmentionné (FF 1982 III 248 ss, 277) que le commerce de détail traditionnel n'est pas voué à la disparition, il est donc patent que l'aide apportée par les prix imposés est propre à lui fournir une certaine assistance par le bénéfice que ces prix lui permettent de réaliser. L'appréciation de la cour cantonale selon laquelle, dans les relations entre grands magasins pratiquant des prix très bas et un commerce de détaillants traditionnels bien organisé, "la force d'attraction des prix y devient secondaire par rapport à d'autres facteurs", ne tient pas suffisamment compte du rôle des prix dans un marché régi par la libre concurrence et de la force d'attraction - relevée par la Commission des cartels - du prix de certains articles (tels ceux du tabac), propre à attirer le client pour l'achat d'autres articles également.ff) La cour cantonale considère enfin que, si les détaillants de la branche alimentaire rendent vraiment des services pour assurer une distribution capillaire du tabac, il serait possible de leur accorder des avantages financiers spéciaux sous forme de rabais de fonction correspondant à des prestations particulières de leur part (ATF 94 II 334). La demanderesse s'élève cependant aussi contre une pareille solution, l'avantage ainsi envisagé correspondant à son avis à une restriction inadmissible à la concurrence; la défenderesse n'y est pas favorable non plus, prétendant qu'elle donnerait lieu à de grosses difficultés (le système des rabais de fonction avait été appliqué précédemment, cf. ATF 91 II 25 ss). L'aide ainsi envisagée, à titre éventuel, par la cour cantonale suppose aussi l'existence d'un intérêt prépondérant et l'efficacité d'une pareille mesure; or si l'aide est utile et efficace, elle peut également être apportée par le recours aux prix minimums imposés.
Dans l'arrêt Denner A.G. du 28 novembre 1972, concernant le cartel de la bière, le Tribunal fédéral considérait notamment ce qui suit (ATF 98 II 380 s.): Il est dans le cours normal des choses que la guerre des prix, liée à la suppression des prix imposés, conduise à une réduction de la marge du commerce de détail sur le marché de la bière. Rien n'indique que ce marché évoluera différemment de ce que l'expérience a montré pour les autres articles de marque après la suppression des prix imposés. Les petits détaillants
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devraient en particulier vendre la bière normale sensiblement plus cher que les magasins "discount", en raison de leur structure défavorable quant aux frais. Ils ne pourraient guère compter sur le service à la clientèle pour s'assurer la vente de la bière, ce service n'étant d'aucune aide pour les articles courants. La baisse des prix causée par la suppression des prix imposés entraînerait donc un déplacement non négligeable de la clientèle des magasins de détail vers les magasins "discount", soit une diminution des points de vente de la bière. Il est vrai qu'on assiste depuis quelques années à un processus de concentration sur le marché des denrées alimentaires. Mais cette évolution est notamment due à l'abandon des prix imposés pour les articles de marque et s'accélérerait si les prix imposés pour la bière étaient supprimés. Les défenderesses ont le droit d'assurer l'application de leurs prix imposés si elles remplissent les conditions légales, quand bien même les prix imposés ont été supprimés pour les autres articles de marque.Les considérations qui précèdent restent d'actualité et sont applicables mutatis mutandis au marché du tabac. Cette jurisprudence a d'ailleurs manifestement servi de fondement à la réglementation adoptée en 1973 par le cartel du tabac (Publ. CC 1976 p. 394; cf. aussi l'organisation cartellaire du marché du tabac, ATF 91 II 25 ss, ATF 94 II 329 ss), dont les membres ont pu penser de bonne foi qu'elle correspondait à l'ordre légal en vigueur; l'exigence de la sécurité du droit s'opposerait à ce que l'on s'en écarte sans nécessité.
L'arrêt ATF 98 II 365 ss a été critiqué par MERZ (La société anonyme suisse 1973 p. 127 ss et RJB 1974 p. 47 ss), qui reproche au Tribunal fédéral d'avoir admis sans preuve que le maintien des prix imposés sur la bière renforçait la structure d'un réseau de distribution des denrées alimentaires dans l'intérêt général. Cette critique n'est pas fondée. En effet, comme on l'a vu, il n'est pas nécessaire que la mesure cartellaire suffise à elle seule à maintenir ou établir une structure. Par ailleurs, l'évolution passée avait montré que la suppression des prix imposés entraînait une chute des prix de détail, donc une diminution du bénéfice brut et une réduction, voire une suppression du bénéfice net chez les petits détaillants; on pouvait en déduire qu'à l'avenir aussi une suppression des prix imposés entraînerait, sur les articles en question, une diminution ou une suppression de bénéfices, ainsi qu'une désaffection de la clientèle attirée par les prix des grands commerces, et que la capacité de concurrence de ces petits commerces serait réduite en conséquence. Il est d'ailleurs notoire que ces commerces sont
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particulièrement exposés à disparaître sous l'effet de la concurrence des prix. Il faut en déduire que le maintien des prix imposés est de nature à leur venir en aide. Enfin, on a également vu plus haut que le maintien d'un certain réseau de distribution capillaire des denrées alimentaires était dans l'intérêt public.
8. a) La Commission des cartels estime que les prix imposés sur les articles de tabac correspondent aussi à l'intérêt général parce qu'ils apportent une aide financière aux kiosques, utiles à l'intérêt général pour la diffusion de la presse d'information et d'opinion (Publ. CC 1977 p. 114). La cour cantonale nie que les kiosques soient en mesure de contribuer de manière importante à la réalisation d'un tel objectif.
b) Dans son arrêt Schmidt-Agence S.A. et consorts, du 7 décembre 1976, le Tribunal fédéral a admis "d'une part les difficultés notoires de la presse écrite, dues notamment à la concurrence de la radio et de la télévision, d'autre part et surtout l'intérêt général de l'ensemble de la population au maintien d'une presse diversifiée, ce qui suppose une diffusion rapide des informations et des opinions, non seulement par les moyens audio-visuels, mais aussi par l'imprimé" (ATF 102 II 442). Ces considérations, elles aussi, n'ont pas perdu de leur pertinence et de leur actualité.
Sans doute le plus grand nombre des exemplaires de journaux ne sont-ils pas distribués dans le pays par les kiosques, mais par voie de porteurs ou par la poste, et les kiosques ne s'implantent-ils en général pas dans les endroits les plus décentralisés, comme le relève la cour cantonale. Les kiosques n'en contribuent pas moins, de façon sensible, à la diffusion et au maintien d'une presse diversifiée, en tenant à la disposition du public un large éventail de publications et grâce à un réseau de distribution étendu.
Pour les mêmes motifs que s'agissant des détaillants du commerce des denrées alimentaires, les prix imposés sont propres à aider les kiosques. Il en est de même des détaillants spécialisés vendant des journaux, à l'égal des kiosques.
9. Les conditions d'application de l'exception prévue par l'art. 5 al. 2 lettre c LCart étant ainsi remplies, il n'est pas nécessaire d'examiner si l'ensemble des faits ne permettrait pas en outre d'admettre la réalisation de la cause générale de l'art. 5 al. 1 LCart (intérêts prépondérants).
10. Si elle est admissible dans son principe, la mesure cartellaire doit aussi respecter dans son ampleur le principe de la proportionnalité.
a) On peut se demander si la mesure incriminée, justifiée au regard de l'art. 5 al. 2 lettre c LCart, n'est pas excessive en ce qu'elle profite non seulement à des commerçants pour lesquels l'intérêt général commande une protection, mais aussi à d'autres commerçants. La cour cantonale évoque ce problème en mentionnant, à titre subsidiaire, la possibilité d'accorder des rabais spéciaux de fonction à certains types d'acheteurs, en raison des services qu'ils rendent.
Le système des prix imposés, accepté en principe par le législateur (art. 5 al. 2 lettre e LCart; ATF 98 II 371 s., 377 s., cf. MICHELI, Les exceptions à l'illicéité des entraves à la concurrence de tiers, thèse Lausanne 1972, p. 99 ss; MATILE, RDS 1970 II 218ss; MATTMANN, Die Preisbindung der zweiten Hand nach dem schweizerischen Kartellgesetz, thèse Fribourg 1969, p. 6 ss), présente d'ordinaire la caractéristique d'être applicable à chacun (ATF 98 II 382), quel que soit l'intérêt qu'il puisse invoquer, avec certains inconvénients que cela peut comporter, mais l'avantage d'une utilisation aisée.
Le système des rabais de fonction peut, théoriquement, sembler préférable, puisqu'il permettrait de n'accorder un avantage économique qu'aux personnes pour lesquelles il est justifié; il implique des difficultés pratiques indéniables, lorsqu'il s'agit de déterminer qui peut justifier d'un tel intérêt et d'empêcher que le rabais ne profite en fait à des acheteurs ne le méritant pas. Or le choix de la mesure cartellaire appartient en premier lieu au cartel, auquel la jurisprudence reconnaît une certaine latitude dans l'ampleur de la mesure choisie (ATF 91 II 40, ATF 98 II 378). En l'espèce, le cartel n'en a pas abusé; il pouvait considérer que les prix imposés profitaient pour l'essentiel aux détaillants en alimentation, kiosques et magasins de tabac spécialisés fonctionnant à l'égal de kiosques et que ceux-ci étaient des points de vente plus importants que les restaurants, automates, stations d'essence, etc.; la mesure adoptée n'excède donc pas de façon évidente l'intérêt à protéger.
b) Un prix imposé ne doit pas non plus être excessif quant à son montant (art. 5 al. 2 lettre e LCart; ATF 91 II 37, ATF 98 II 377 s., 381 ss, ATF 99 II 237; MATILE, RDS 1970 II 234ss; MICHELI, op. cit., p. 104 ss).
En l'espèce, il n'est pas prétendu, et l'on ne saurait non plus admettre qu'il y ait excès. En effet, le prix de vente minimum imposé impliquait une marge de bénéfice brut de 8,59% (ou 8,63%), inférieure à la marge de bénéfice brut moyenne de 10%
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pratiquée par la demanderesse. La mesure incriminée représente un compromis défendable entre les intérêts en présence des différents détaillants concernés; elle permet en particulier à la demanderesse de vendre les articles de tabac avec un rabais substantiel par rapport au prix de détail imprimé - 15% selon déclarations concordantes des parties -, tout en garantissant aux détaillants du commerce alimentaire un minimum réduit de bénéfice et en les mettant à l'abri du risque que leur concurrent Denner A.G. vende ces articles au particulier à un prix inférieur à celui auquel ils peuvent eux-mêmes se les procurer, du fait que les petits détaillants ne bénéficient pas d'un rabais de quantité.c) La sanction attachée au non-respect du prix imposé doit également répondre à l'exigence de la proportionnalité (MATILE, op.cit., p. 239 ss, 249 ss).
A cet égard, une suppression de rabais n'apparaît pas un moyen inadéquat et en l'occurrence la quotité n'en apparaît pas non plus disproportionnée.
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