BGE 107 III 25 |
7. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 19 mars 1981 dans la cause opposant les associés de la société simple Reconstruction du Quai du Seujet à la banque Leclerc et Cie, en liquidation concordataire (procès direct) |
Regeste |
Verrechnung im Konkurs und beim Nachlassvertrag mit Vermögensabtretung (Art. 213 Abs. 2, Art. 316m SchKG; Art. 32 VNB). |
Sachverhalt |
Le 16 février 1971, un certain nombre de particuliers et de sociétés commerciales constituèrent une société simple dénommée "Reconstruction du Quai du Seujet". La banque Leclerc et Cie en faisait partie et ses apports se montaient à 2'811'839.- fr. au 18 février 1974. En 1974, la société simple ouvrit un compte auprès de la banque Leclerc et Cie pour des dépôts remboursables avec un préavis d'un mois. A fin 1975, ce compte se soldait par 83'789.- fr. en faveur de la société simple. |
La banque Leclerc et Cie ferma ses guichets le 6 mai 1977. Elle obtint un sursis bancaire le 10 mai. Le 7 juillet 1977, elle sollicita un sursis concordataire, qui lui fut accordé le 13 juillet et fut publié le 20 juillet. L'autorité de concordat ordonna la rétroactivité du sursis au 6 mai 1977. La banque proposa un concordat par abandon d'actif qui fut accepté et que la Cour de justice du canton de Genève homologua le 23 novembre 1978. Le Tribunal fédéral rejeta le 31 mai 1979 les recours formés contre cette décision. |
Réunies en assemblée extraordinaire le 18 décembre 1979, les personnes participant à la Reconstruction du Quai du Seujet prirent acte de ce que leur société avait été dissoute de plein droit par l'homologation du concordat de la banque Leclerc et Cie. Le liquidateur qu'elles désignèrent vendit les actifs de la société simple et décida en mars 1980 de verser aux associés, à valoir sur leur part de liquidation, une avance égale à 30% de leurs apports. Sur l'acompte revenant à la banque Leclerc et Cie, il retint 88'935 fr. 55 représentant le solde créditeur du compte que la société simple avait ouvert auprès d'elle; il déclara compenser, jusqu'à due concurrence, la dette de la société avec sa créance contre la banque. Leclerc et Cie reconnut le solde du compte à fin 1975, par 83'789.- fr. Elle contesta devoir le supplément de 5'146 fr. 55 réclamé par le liquidateur de la société simple à titre d'intérêts pour les années 1976 et 1977. La banque s'opposa également à la compensation, invoquant l'art. 213 al. 2 ch. 2 LP. Les parties convinrent alors de porter devant le Tribunal fédéral, en instance unique, leur litige sur l'admissibilité de la compensation et sur le montant de la créance de la société simple.
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Le Tribunal fédéral a reconnu aux membres de la société simple, demandeurs, le droit d'éteindre jusqu'à due concurrence, par compensation avec leur créance de 88'935 fr. 55, la prétention de la banque défenderesse au paiement de sa part de liquidation.
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Extrait des considérants: |
3. a) La compensation de deux créances suppose qu'elles portent l'une et l'autre sur des sommes d'argent ou sur d'autres prestations de même nature. Cela n'est pas contesté en l'espèce. Il faut en outre que le débiteur de l'obligation à éteindre soit le bénéficiaire de celle opposée en compensation. La défenderesse estime que tel n'est pas le cas: sa prétention au paiement d'une part de liquidation serait dirigée non contre les demandeurs mais contre le liquidateur de la société simple qu'ils ont constituée. Cette objection est dénuée de tout fondement, car le liquidateur d'une société de personnes à laquelle il n'appartient pas, n'est que le mandataire ou l'employé des associés. Il ne répond pas personnellement de l'exécution de leurs obligations réciproques, notamment celles de concourir à la liquidation et au partage, et de payer le montant des parts. Si d'ailleurs, comme la défenderesse semble à tort le penser, le liquidateur était le successeur universel des associés, il acquerrait également leurs droits et leurs créances, de sorte que la condition de réciprocité nécessaire à la compensation n'en serait pas affectée. |
b) La compensation ne peut avoir lieu normalement qu'entre deux dettes exigibles (art. 120 al. 1 CO). L'art. 123 al. 1 CO autorise toutefois, dans la faillite, l'exercice de la compensation au moyen de créances contre le débiteur commun sans égard à leur exigibilité. L'art. 208 LP rend d'ailleurs exigibles toutes les créances contre le failli qui ne sont pas garanties par des gages sur ses immeubles. Selon la doctrine et la jurisprudence, la compensation dans la faillite ne suppose pas non plus l'exigibilité de la créance appartenant au débiteur commun (ATF 42 III 276 s. consid. 5, ATF 39 II 393 s. consid. 2; FAVRE, Droit des poursuites, 3e éd., p. 294; JAEGER, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite, n. 4 ad art. 213; AMONN, Grundriss des Schuldbetreibungs- und Konkursrechts, p. 302). Or ce qui vaut en la matière pour la procédure de faillite s'applique par analogie au concordat par abandon d'actif (cf. art. 316m LP, art. 32 OCB; ATF 40 III 304). Il s'ensuit que la date à laquelle les prétentions respectives des demandeurs et de la défenderesse sont devenues exigibles, n'a pas d'incidence sur le sort de la présente action.
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c) Aux termes de l'art. 213 al. 2 ch. 2 LP, la compensation n'a pas lieu lorsque le créancier du failli est devenu son débiteur ou celui de la masse postérieurement à l'ouverture de la faillite. Cette règle s'applique au concordat bancaire par abandon d'actif, à ceci près que le point de démarcation y est remplacé par la publication du sursis concordataire, éventuellement celle de l'ajournement de la faillite selon l'art. 725 al. 4 CO (art. 32 OCB).
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La défenderesse soutient que son droit au paiement d'une part de liquidation n'a pu naître au plus tôt qu'à la dissolution de la société simple dont elle faisait partie avec les demandeurs. Selon l'art. 545 al. 1 ch. 3 CO, la société prend fin par la faillite de l'un des associés. La défenderesse ne conteste pas, sur ce point, l'assimilation du concordat par abandon d'actif au prononcé de faillite. Elle relève cependant que la Cour de justice n'a homologué son concordat que par décision du 23 novembre 1978, confirmée par le Tribunal fédéral le 31 mai 1979. Elle fait valoir qu'elle avait fermé ses guichets le 6 mai 1977 déjà, qu'elle avait obtenu un sursis concordataire le 13 juillet 1977, publié le 20 juillet, et que la limite dans le temps prévue à l'art. 32 OCB pour la compensation des créances se situe donc, en l'espèce, en 1977, bien avant l'homologation de son concordat et la dissolution de la société simple. De l'avis de la défenderesse, sa prétention au paiement d'une part de liquidation, née au moment de la dissolution de la société, ne pourrait dès lors être compensée avec la créance antérieure des demandeurs, issue des relations de compte courant. |
Selon la doctrine et la jurisprudence, l'art. 213 al. 2 LP n'interdit pas la compensation du seul fait que l'une des créances est affectée d'un terme ou d'une condition. La faculté de compenser n'est exclue que si la créance tire sa cause juridique de faits postérieurs à l'ouverture de la faillite (ATF 106 III 117 consid. 3, ATF 95 III 57, 21 p. 879 s.; BLUMENSTEIN, Handbuch des Schweizerischen Schuldbetreibungsrechtes, p. 646; JAEGER, op.cit., n. 9 et 12 ad art. 213; FAVRE, op.cit., p. 295; BRAND FJS n. 1000 p. 14, n. 1170 p. 9). Car la disposition précitée doit prévenir les abus que pourrait provoquer la faculté de compenser dans la faillite, doit empêcher que la condition nécessaire de réciprocité ne soit créée au préjudice de la masse par des actes postérieurs au prononcé de faillite, notamment par des changements dans la personne de créanciers ou des débiteur (ATF 42 III 389). On outrepasserait son but en l'appliquant de manière à interdire la compensation à un créancier qui, avant l'ouverture de la procédure d'exécution générale, pouvait de bonne foi compter sur l'exercice de cette faculté.
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La défenderesse n'a pu prétendre au paiement de sa part de liquidation qu'après la dissolution de la société simple. La date à laquelle sa créance est devenue exigible n'est toutefois pas décisive pour le sort du litige et il importe peu qu'elle soit postérieure à la limite que l'art. 32 OCB fixe en matière de compensation. Le droit de la défenderesse a en effet sa cause dans le contrat de société conclu avec les demandeurs, et dans les apports qu'elle a faits pour la réalisation du but commun. Bien que subordonné dans son exercice à la dissolution de la société, ce droit existait déjà auparavant, au moins de manière virtuelle. Les faits qui en sont la source sont manifestement antérieurs au sursis concordataire dont la défenderesse a bénéficié. Partant, l'art. 213 al. 2 ch. 2 LP ne s'applique pas en l'espèce et n'interdit pas la compensation de la créance des demandeurs avec celle de la défenderesse. La solution contraire priverait d'ailleurs les demandeurs de la faculté de compenser alors qu'elle pouvait raisonnablement leur apparaître comme garantie avant l'homologation du concordat. Hors faillite, la défenderesse n'aurait pu en effet exiger le paiement de sa part de liquidation sans se laisser opposer le solde créditeur du compte ouvert auprès d'elle. L'application de l'art. 213 al. 2 ch. 2 LP ne servirait dès lors pas à prévenir des opérations postérieures à l'octroi du sursis concordataire et destinées ou propres à créer, au préjudice de la masse, la condition de réciprocité nécessaire à la compensation. Elle imposerait aux demandeurs un sacrifice que le but de la loi ne commande pas et que rien ne justifie. |