Urteilskopf
126 III 14
5. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 30 septembre 1999 dans la cause Epoux M. contre l'Etat de Berne (recours en réforme)
Regeste
Haftung des Tierhalters (
Art. 56 OR).
Die Haftung einer öffentlichrechtlichen Körperschaft für Schaden, der durch eigene, nicht zur Ausübung hoheitlicher Befugnisse dienende Tiere verursacht wird, beurteilt sich nach Zivilrecht (E. 1a).
Beurteilungskriterien für die vom Tierhalter aufzuwendende Sorgfalt (E. 1b).
Sorgfaltspflichten des Eigentümers einer offen weidenden Kuhherde, die zwei von Hunden begleitete Spaziergänger angegriffen und verletzt haben. Der Befreiungsbeweis nach Art. 56 Abs. 1 in fine OR gelingt insbesondere aufgrund der Ungewöhnlichkeit des Unfalles (E. 1c).
A.- Le 17 juillet 1995, Les époux M. descendaient du Chasseral, avec leurs deux chiens de race Samoyède tenus en laisse, par un sentier qui n'est pas indiqué comme chemin pédestre. Ce sentier traverse un pâturage, clôturé par un fil de fer barbelé, où se trouvaient, en stabulation libre, 25 vaches allaitantes avec leurs veaux; ce bétail appartenait aux Etablissements pénitentiaires de Witzwil, qui sont un service du canton de Berne. Pour accéder au pâturage, il fallait passer une ouverture en triangle et, pour en sortir, ouvrir un fil électrifié au moyen d'une griffe isolante.
Lorsque les époux M. ont pénétré dans le pâturage avec leurs chiens, les vaches, qui étaient couchées à une centaine de mètres environ, ont commencé à mugir et se sont rapidement rapprochées. Prenant peur, les époux M. ont lâché leurs chiens. Au lieu de s'éloigner, ceux-ci se sont mis à courir autour de leurs maîtres. Les vaches, très excitées, ont bousculé, renversé et piétiné les époux M. Ceux-ci ont été gravement blessés.
Le lendemain de l'accident, le vétérinaire d'arrondissement a constaté que les vaches avaient un comportement normal. Les tests effectués par la police ont montré qu'elles adoptaient immédiatement un comportement typique de défense de leur progéniture en présence d'un chien, mais qu'elles ne manifestaient pas d'hostilité à l'égard des personnes. Le troupeau était placé sous la surveillance d'un berger expérimenté, qui l'inspectait deux fois par jour. Il n'a pas été établi qu'un accident de ce genre se soit déjà produit ailleurs. Le matin du 17 juillet 1995, les vaches-mères étaient calmes.
B.- Les époux M. ont introduit une action en paiement fondée sur l'
art. 56 CO contre l'Etat de Berne. Les tribunaux bernois ont
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rejeté la demande. Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral a confirmé la décision cantonale.
Extrait des considérants:
1. a) Il n'est pas contesté que les animaux en cause, appartenant au canton, n'étaient pas utilisés en l'espèce dans l'accomplissement d'une tâche d'autorité, de sorte que la responsabilité du détenteur relève de l'
art. 56 CO et qu'il s'agit bien d'une contestation civile (cf.
ATF 115 II 237 consid. 2c). Le défendeur ne remet pas en question sa qualité de détenteur au sens de cette dernière disposition.
b) La responsabilité du détenteur d'un animal, prévue par l'art. 56 CO, est indépendante de toute faute, mais elle suppose une violation objective du devoir de diligence incombant à l'intéressé (OFTINGER/STARK, Schweizerisches Haftpflichtrecht, II/1, 4ème éd., § 21, no 3 p. 357 s.; ROLAND BREHM, Commentaire bernois, no 38 ad art. 56 CO; ANTON K. SCHNYDER, Commentaire bâlois, no 1 ad art. 56 CO; PIERRE WIDMER, in Münch/Geiser, Schaden-Haftung-Versicherung, no 2.13; ALFRED KELLER, Haftpflicht im Privatrecht, I, 5ème éd., p. 161).
Le détenteur ne peut être amené à répondre du fait de son animal que si l'on parvient à la conclusion, à la suite d'une analyse purement objective, qu'il n'a pas déployé toute la diligence commandée par les circonstances. Il faut donc pouvoir indiquer ce qu'il devait faire ou ne pas faire. Par exemple, s'agissant d'un chien, le détenteur doit prendre les mesures adéquates pour que l'animal ne puisse pas sortir d'une propriété et s'engager sur la route toute proche (cf.
ATF 110 II 136 consid. 2b) ou il doit interdire clairement au public l'accès à un jardin où se trouve un animal dangereux (ATF non publié du 25 septembre 1984 dans la cause 4C.210/1984, consid. 2c).
La diligence due se détermine au regard de l'ensemble des circonstances concrètes. Ainsi, on peut exiger davantage d'un détenteur qui sait, en raison d'un précédent, que son animal est agressif (cf.
ATF 81 II 512 consid. 3).
Comme il résulte implicitement de l'argumentation des recourants qui se réfèrent à la jurisprudence en matière de risque d'avalanche (cf.
ATF 122 IV 193 consid. 2a;
ATF 117 IV 415 consid. 5a et 6a;
ATF 115 IV 189 consid. 3a), la détermination de la diligence due a donné lieu à une jurisprudence abondante dans le domaine pénal, qui peut être largement transposée ici.
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Pour déterminer concrètement quels sont les devoirs de la prudence, on peut se référer à des normes édictées en vue d'assurer la sécurité et d'éviter des accidents (
ATF 122 IV 17 consid. 2b/aa, 61 consid. 2a/bb, 133 consid. 2a, 145 consid. 3b/aa, 225 consid. 2a;
ATF 121 IV 207 consid. 2a, 249 consid. 3a/aa). A défaut de dispositions légales ou réglementaires, on peut aussi se référer à des règles analogues qui émanent d'associations privées ou semi-publiques, lorsqu'elles sont généralement reconnues (
ATF 122 IV 17 consid. 2b/aa, 145 consid. 3b/aa;
ATF 121 IV 207 consid. 2a).
Si aucune norme de sécurité imposant ou interdisant un comportement n'a été transgressée, il faut encore se demander si le défendeur a respecté les principes généraux de la prudence (
ATF 122 IV 17 consid. 2b/aa, 145 consid. 3b/aa;
121 IV 207 consid. 2a).
Si des mesures de sécurité non imposées par une réglementation étaient envisageables, on recherchera, en procédant à une pesée des intérêts en présence, ce qui pouvait être raisonnablement exigé (BREHM, op. cit., no 53 ad art. 56 CO). On tiendra compte, d'une part, du degré d'efficacité de la mesure, de son coût et de ses inconvénients et, d'autre part, du degré de probabilité du risque et de l'importance du dommage envisagé.
Il appartient au détenteur de prouver qu'il a déployé la diligence commandée par les circonstances (
art. 56 al. 1 CO); en cas de doute quant à la réalité des faits invoqués par le détenteur pour se libérer, ce dernier ne saurait être exonéré de sa responsabilité (
ATF 110 II 136 consid. 2a).
c) En l'espèce, le pâturage était clôturé par un fil de fer barbelé. Les promeneurs qui souhaitaient s'y engager devaient se glisser par un étroit passage, qui ne laissait aucun doute sur le fait qu'ils pénétraient dans un pâturage. Les animaux étaient bien visibles. Un berger expérimenté inspectait deux fois par jour le troupeau.
Il n'apparaît pas que le détenteur ait violé une norme de sécurité imposée par l'ordre juridique. Il n'est pas établi non plus qu'il ait transgressé une directive généralement reconnue d'une association professionnelle. Il faut par conséquent se demander s'il s'est conformé aux devoirs de la prudence, tels qu'on peut les déduire de l'ensemble des circonstances.
Les vaches qui paissent dans un pâturage, même si elles sont allaitantes, ne sont en principe pas des animaux dangereux pour l'être humain. Les animaux en cause n'avaient donné lieu à aucun problème précédemment, de sorte que l'on ne saurait exiger des précautions inhabituelles.
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On a déjà relevé que la responsabilité du détenteur suppose que l'on puisse dire ce qu'il aurait dû faire ou ne pas faire pour éviter l'accident (cf.
ATF 117 IV 130 consid. 2a et 2d). En l'occurrence, la question de savoir dans quelle mesure des améliorations auraient éventuellement dû être apportées à la clôture du pâturage - les demandeurs tirent en effet argument du fait qu'une vache aurait réussi à s'échapper - est sans pertinence; en effet, est seule déterminante une violation du devoir de diligence qui soit en rapport de causalité avec le dommage (cf.
ATF 117 IV 130 consid. 2b et 2c); or, le dommage invoqué par les demandeurs n'a pas été causé par une vache qui se serait échappée en raison d'une clôture insuffisante ou mal entretenue.
Exiger la présence constante d'un berger pour garder 25 vaches entraînerait des frais disproportionnés, compte tenu de la faible probabilité d'un accident du genre de celui qui s'est produit. Les demandeurs ne tentent d'ailleurs pas de démontrer le contraire.
On pourrait imaginer de fermer complètement le pâturage par des barrières et des cadenas. Il en résulterait des inconvénients notables pour l'exploitation rurale et même pour les promeneurs, auxquels le législateur a voulu garantir en principe un libre accès aux pâturages (art. 699 al. 1 CC). Compte tenu de la faible probabilité d'un accident du type de celui en cause, une telle exigence serait disproportionnée. Les demandeurs ne soutiennent au reste pas le contraire.
Il reste à déterminer si, comme le prétendent les demandeurs, le détenteur aurait dû placer un panneau indiquant le danger.
Il faut observer tout d'abord que l'efficacité d'une telle mesure n'est pas garantie, puisqu'il serait toujours possible que des promeneurs, faisant confiance aux animaux, traversent néanmoins le pâturage. On peut d'autre part penser que presque tous les pâturages reçoivent, de temps à autre, des vaches allaitantes avec leurs veaux. Les panneaux devraient donc être apposés sur un très grand nombre de pâturages du pays; comme il est probable que les exploitants ne les enlèveraient pas lorsqu'il n'y a plus de vaches allaitantes, on peut craindre que des panneaux aussi généralisés n'aient qu'un faible effet dissuasif.
L'essentiel réside cependant dans la probabilité d'un dommage sérieux. Des panneaux de danger ont été exigés en matière d'avalanches, parce qu'il s'agit d'un phénomène naturel qui tue chaque année de nombreuses personnes. En l'espèce, la situation est fort différente. Certes, les vaches ont peur des chiens, et des vaches allaitantes peuvent se montrer agressives; les parties en tirent des conclusions
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différentes: les demandeurs soutiennent qu'il s'agit d'un danger suffisamment évident pour justifier des panneaux, tandis que le défendeur estime que le danger est notoire pour les détenteurs de chiens, de sorte que des panneaux sont superflus. Mais la question est ailleurs. Si les vaches ont peur des chiens, on peut redouter que des chiens ne poursuivent des vaches ou que celles-ci, faisant front, ne réussissent à les mettre en fuite. Dans le pire des cas, on peut imaginer qu'un animal soit blessé, ce qui est un dommage sans rapport avec celui causé par les avalanches. En revanche, la vache n'étant pas agressive à l'égard de l'être humain, on ne peut guère s'attendre à ce que des gens soient piétinés dans un affrontement entre vaches et chiens. Seules des circonstances extraordinaires ont pu provoquer une telle situation. Il est à cet égard symptomatique qu'aucun précédent n'ait pu être cité. Le risque d'un accident grave apparaît donc si faible qu'il n'est pas raisonnable d'exiger de couvrir d'écriteaux les pâturages suisses.
En considérant en l'espèce que le détenteur s'était conformé aux devoirs de la prudence imposés par les circonstances et que l'on ne pouvait pas exiger raisonnablement d'autres mesures de sa part, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral. C'est donc à juste titre que l'action fondée sur l'art. 56 CO a été rejetée.