BGE 133 III 81 |
8. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. contre Y. AG (recours en réforme) |
4C.298/2006 du 19 décembre 2006 |
Regeste |
Produktehaftpflicht; Mangel (Art. 4 PrHG); Beweis. |
Der Geschädigte hat nicht die Ursache des Mangels zu beweisen, sondern es genügt, wenn er aufzeigt, dass das Produkt die berechtigten Sicherheitserwartungen des durchschnittlichen Konsumenten nicht erfüllte. Kommt es im Zusammenhang mit dem Gebrauch eines Produktes zu einem Unfall, beurteilt sich der Beweis des Geschehensablaufs, der zum Unfall geführt hat, im Prinzip nach dem Gesichtspunkt der überwiegenden Wahrscheinlichkeit (E. 4). |
Sachverhalt |
En 1999, Y. AG avait importé en Suisse environ 15'000 cafetières du même modèle auprès de B. Ltd, à Hong-Kong. Le mode d'emploi joint à l'appareil contenait les "consignes de sécurité et avis importants" suivants:
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"Evitez de faire tomber l'appareil ou de l'exposer à des chocs violents. Ne posez jamais la carafe sur une surface froide ou mouillée lorsqu'elle est encore chaude, car le verre risquerait de se briser. Lorsque la poignée commence à se détacher de la carafe - ou si le verre est endommagé - remplacez la carafe immédiatement par un modèle équivalent."
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Avant son exportation, le modèle U. avait subi avec succès des contrôles de qualité.
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Le 8 juin 2001, X. a invité à dîner E. ainsi que les époux D. A la fin du repas, elle s'est rendue à la cuisine pour préparer du café au moyen de la cafetière précitée; les invités sont restés dans la salle à manger. Selon ses explications, elle a posé la carafe en verre contenant le café tiré sur le plan de travail en stratifié et y a placé le couvercle; le pot a alors explosé et elle a été sérieusement blessée à la main gauche. Conduite immédiatement à l'Hôpital cantonal de Genève, X. a subi une intervention chirurgicale. De retour chez elle le lendemain, elle a constaté que les invités avaient nettoyé la cuisine et jeté les débris de verre à la poubelle.
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Le compte-rendu opératoire fait état d'une plaie par verre de la paume de la main gauche avec section sub-totale du muscle fléchisseur profond et section du nerf collatéral radial de l'annulaire entraînant des troubles de la sensibilité au niveau de ce doigt. Par la suite, la patiente, qui est gauchère, a consulté plusieurs médecins pour tenter de remédier aux douleurs et handicaps ressentis lors de l'usage de sa main gauche.
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B. Le 17 novembre 2003, X. a assigné Y. AG, producteur de la cafetière, en paiement de 720'948 fr. 70, plus intérêts, soit 66'634 fr. 15 à titre d'indemnisation du dommage concret, 7'876 fr. 80 en réparation du tort moral et 646'437 fr. 75 à titre de compensation du dommage futur capitalisé. L'action était fondée sur la loi fédérale du 18 juin 1993 sur la responsabilité du fait des produits (LRFP; RS 221.112.944).
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Statuant le 23 juin 2006 sur appel de X., la Chambre civile de la Cour de justice a confirmé le jugement de première instance.
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C. X. a interjeté un recours en réforme contre l'arrêt cantonal.
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Le Tribunal fédéral a admis le recours, annulé la décision entreprise et renvoyé la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.
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Extrait des considérants: |
3.1 Aux termes de l'art. 4 al. 1 LRFP, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances, et notamment de sa présentation (let. a), de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu (let. b) et du moment de sa mise en circulation (let. c). Cette définition a été reprise, quasiment mot pour mot, de l'art. 6 al. 1 de la directive 85/374/CE. Comme les considérants introductifs à cette directive le précisent, la responsabilité du fait des produits tend à protéger le "consommateur contre les dommages causés à sa santé et à ses biens par un produit défectueux" (considérant 1). Par conséquent, le défaut se détermine "en fonction non pas de l'inaptitude du produit à l'usage, mais du défaut de sécurité à laquelle le grand public peut légitimement s'attendre", avec la précision que "cette sécurité s'apprécie en excluant tout usage abusif du produit, déraisonnable dans les circonstances" (considérant 6); il s'agit en effet également d'instaurer "une juste répartition des risques entre la victime et le producteur" (considérant 7). Vu l'analogie évidente entre la directive européenne et la loi suisse, ces considérations sont également valables pour déterminer le but visé par la LRFP. |
L'absence de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre est une notion juridique indéterminée. Il appartient au juge de fixer dans chaque cas particulier le degré de sécurité qu'un produit doit offrir, en fonction de toutes les circonstances (FELLMANN, Basler Kommentar, 3e éd., n. 2 ad art. 4 LRFP; REY, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, 3e éd., n. 1190, p. 266/267; ANDREAS E. BORSARI, Schadensabwälzung nach dem schweizerischen Produktehaftpflichtgesetz, thèse Zurich 1998, p. 110; HANS-JOACHIM HESS, Kommentar zum Produktehaftpflichtgesetz, 2e éd., n. 4 ad art. 4 LRFP, p. 240; LUKAS WYSS, Der Fehlerbegriff im schweizerischen Produktehaftpflichtgesetz, in recht 14/1996 p. 119; FELLMANN/VON BÜREN-VON MOOS, op. cit., n. 185, p. 76). Le pronom "on" figurant à l'art. 4 al. 1 LRFP renvoie aux expectatives de sécurité du consommateur moyen, et non à celles du lésé ou d'un groupe déterminé d'usagers particulièrement qualifiés ou, à l'inverse, inexpérimentés. La sécurité attendue dans un cas donné s'apprécie ainsi de manière objective (ERDEM BÜYÜKSAGIS, La notion de défaut dans la responsabilité du fait des produits, thèse Fribourg 2005, p. 248-250; WERRO, op. cit., n. 749, p. 194; REY, op. cit., n. 1190, p. 266; HESS, op. cit., n. 7 ss ad art. 4 LRFP, p. 241 ss; FELLMANN/VON BÜREN-VON MOOS, op. cit., n. 182/183, p. 75).
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Pour le surplus, le juge doit tenir compte de "toutes les circonstances". L'art. 4 al. 1 LRFP en mentionne expressément trois, qui revêtent une importance particulière (REY, op. cit., n. 1190, p. 267; BORSARI, op. cit., p. 119; FELLMANN/VON BÜREN-VON MOOS, op. cit., n. 207, p. 82).
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La présentation du produit (let. a) comprend notamment les instructions fournies par le producteur. A cet égard, l'attention du consommateur doit être clairement attirée sur les dangers prévisibles liés à l'utilisation du produit, ainsi que sur la manière de prévenir tout dommage (REY, op. cit., n. 1192, p. 267; BORSARI, op. cit., p. 127; HESS, op. cit., n. 66-68, p. 265/266; FELLMANN/VON BÜREN-VON MOOS, op. cit., n. 240-245, p. 91/92). Ce devoir d'information ne constitue toutefois pas une alternative à l'obligation du producteur de concevoir et de fabriquer des produits sûrs (FELLMANN, op. cit., n. 15 ad art. 4 LRFP; BORSARI, op. cit., p. 132; WYSS, op. cit., p. 114; FELLMANN/VON BÜREN-VON MOOS, op. cit., n. 247, p. 93; cf. également WERRO, op. cit., n. 762, p. 197). Ainsi, pour les produits d'usage courant dont le public attend une sécurité de base déterminée, le producteur ne pourra par avance se libérer de sa responsabilité en apposant sur le produit un avertissement sur un danger précis (cf. art. 8 LRFP; FELLMANN, op. cit., n. 15 ad art. 4 LRFP; BORSARI, op. cit., p. 132); que l'on songe par exemple au risque d'explosion d'une bouteille en verre contenant de l'eau minérale gazeuse (FELLMANN/VON BÜREN-VON MOOS, op. cit., n. 248, p. 93/94). |
Un autre critère à appliquer par le juge est celui de l'usage qui peut être raisonnablement attendu du produit (art. 4 al. 1 let. b LRFP). Cette notion recouvre non seulement l'utilisation conforme au but du produit, mais également un autre usage (" Fehlgebrauch "), avec lequel le producteur doit raisonnablement compter (par exemple, l'emploi d'une chaise comme un escabeau). En revanche, la responsabilité du fait des produits n'entre pas en ligne de compte en cas d'usage abusif ( Missbrauch ; par exemple, le séchage d'un chien dans un four à micro-ondes) (REY, op. cit., n. 1194 et n. 1195, p. 267/268; BORSARI, op. cit., p. 139 ss; FELLMANN/VON BÜREN-VON MOOS, op. cit., n. 257 à 264, p. 96-98).
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La troisième circonstance citée à l'art. 4 al. 1 LRFP est le moment de la mise en circulation du produit (let. c). Si un produit défectueux a causé un dommage, la loi présume toutefois que le défaut existait déjà lors de la mise en circulation (cf. art. 5 al. 1 let. b LRFP; REY, op. cit., n. 1211, p. 272).
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Parmi les critères non mentionnés expressément à l'art. 4 al. 1 LRFP, les normes techniques et les prescriptions de sécurité pourront également jouer un rôle dans l'appréciation du défaut; en effet, le consommateur moyen peut s'attendre à ce que le producteur applique ces normes et assure ainsi au produit concerné une sécurité de base (FELLMANN, op. cit., n. 27 ad art. 4 LRFP; REY, op. cit., n. 1199, p. 268).
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3.2 La doctrine distingue généralement les défauts selon leur origine (cf. également arrêt 4C.307/2005 du 25 janvier 2006, consid. 3). Il y a défaut de fabrication (Fabrikationsfehler) lorsqu'une erreur intervient dans le processus de fabrication d'un produit en soi bien conçu (WERRO, op. cit., n. 755, p. 196; SEILER, op. cit., n. 19.6, p. 940; HESS, op. cit., n. 37, p. 253). Tel est le cas de la micro-fissure dans le verre d'une bouteille d'eau minérale gazeuse, même si cette conséquence est statistiquement inévitable sur un certain nombre d'unités (" Ausreisser "; BGH allemand, jugement du 9 mai 1995, in NJW 1995 p. 2162; BÜYÜKSAGIS, op. cit., p. 285/286). Un autre exemple de défaut de fabrication est celui de la rupture d'un anneau de suspension inséré dans l'armature d'une dalle en béton préfabriquée, alors qu'une grande quantité de dalles identiques avait déjà été fabriquée et que les anneaux de suspension n'avaient jamais posé problème (cf. ATF 110 II 456). |
Le défaut de conception ( Konstruktionsfehler ) réside dans la façon dont le produit a été pensé (WERRO, op. cit., n. 757, p. 196); tel qu'il a été conçu, le produit comporte une propriété qui le rend dangereux en cas d'utilisation conforme à son but ou en cas d'un autre usage auquel le producteur devait raisonnablement s'attendre (SEILER, op. cit., n. 19.26, p. 949; HESS, op. cit., n. 22, p. 248). Un exemple de défaut de conception ressort de l'arrêt C.564/1984 du 14 mai 1985: une chaise de dentiste avait cédé sous le poids d'un patient parce que les rivets utilisés pour fixer les parties mobiles de la chaise étaient composés d'un métal n'offrant pas une résistance mécanique suffisante à l'usure.
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Le défaut de présentation ( Instruktionsfehler ) affecte le produit qui n'est pas assorti d'une information appropriée sur les risques qu'il fait courir au consommateur (WERRO, op. cit., n. 759, p. 197; PLÜSS/ JETZER, Die Produktehaftpflicht, n. 120, p. 46/47).
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La LRFP n'opère aucune distinction selon la cause du défaut. C'est dire que les différentes catégories de défaut susmentionnées n'ont pas de valeur normative (REY, op. cit., n. 1202, p. 269; FELLMANN, op. cit., n. 4 ad art. 4 LRFP; FELLMANN/VON BÜREN-VON MOOS, op. cit., n. 202, p. 81; d'un autre avis: HESS, op. cit., n. 21, p. 247). Elles n'en sont pas pour autant inutiles, car elles peuvent permettre au juge de mieux appréhender l'état de fait qui lui est soumis (PLÜSS/JETZER, op. cit., n. 115, p. 45).
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3.3 Contrairement à la directive 85/374/CE (cf. art. 4), la LRFP ne contient pas une disposition qui met la preuve du défaut à la charge de la victime. En droit suisse de la responsabilité du fait des produits, cette répartition du fardeau de la preuve résulte toutefois du principe général posé à l'art. 8 CC (PIERRE WESSNER, Quelques propos erratiques sur des questions liées à la responsabilité du fait des produits défectueux, in Responsabilités objectives, Journée de la responsabilité civile 2002, p. 68; FELLMANN/VON BÜREN-VON MOOS, op. cit., n. 176, p. 73). En soi, le dommage ne prouve pas le défaut du produit (WYSS, op. cit., p. 111). Il n'en demeure pas moins que s'il établit que le produit a joué un rôle dans la survenance du dommage, le lésé aura apporté un indice significatif de l'existence d'un défaut, en vertu de l'adage "res ipsa loquitur" (WESSNER, op. cit., p. 68 in fine; cf. également FELLMANN/VON BÜREN-VON MOOS, op. cit., n. 178, p. 73/74). Ainsi, une bouteille d'eau minérale gazeuse qui explose ou une voiture dont les freins lâchent sont certainement des produits défectueux (HESS, op. cit., n. 24, p. 249). Appliquant la loi nationale adoptée à la suite de la directive 85/374/CE, un tribunal français a également admis qu'une vitre de cheminée qui explose est affectée d'un défaut, indépendamment du tirage ou de la ventilation de la pièce (jugement rapporté in Recueil Le Dalloz 2001 n° 38 p. 3092). |
Erwägung 4 |
4.2.1 Au moment de l'accident, la demanderesse utilisait la cafetière depuis un peu plus d'une année. Il s'agissait donc d'un appareil récent. Le modèle avait subi avec succès des tests de qualité, ce qui ne permet toutefois pas d'exclure d'emblée tout défaut au sens de l'art. 4 LRFP. Lors de l'explosion du récipient en verre, la demanderesse préparait du café. Par conséquent, elle utilisait l'appareil conformément à sa destination. Contrairement aux cas précités de la bouteille d'eau minérale gazeuse ou de la vitre pare-feu, l'explosion est intervenue alors que la demanderesse manipulait le produit. La question se pose dès lors de savoir si la victime a fait un usage approprié de la cafetière, en particulier si elle a respecté les instructions de sécurité du fabricant, pour autant que celles-ci n'apparaissent pas comme des restrictions inadmissibles de la responsabilité du producteur. |
L'arrêt attaqué ne contient pas de constatations sur le déroulement même de l'accident. En effet, la cour cantonale a considéré que les causes de l'explosion ne pouvaient être déterminées avec certitude. Pour sa part, la demanderesse, qui était seule à la cuisine à ce moment-là, a déclaré avoir posé la carafe remplie de café chaud sur le plan de travail en stratifié imitation marbre, puis avoir placé le couvercle; c'est alors que le récipient a explosé.
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En principe, un fait est tenu pour établi lorsque le juge a pu se convaincre de la vérité d'une allégation. La loi, la doctrine et la jurisprudence ont apporté des exceptions à cette règle d'appréciation des preuves. L'allégement de la preuve est alors justifié par un "état de nécessité en matière de preuve" (Beweisnot), qui se rencontre lorsque, par la nature même de l'affaire, une preuve stricte n'est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée, en particulier si les faits allégués par la partie qui supporte le fardeau de la preuve ne peuvent être établis qu'indirectement et par des indices (ATF 132 III 715 consid. 3.1 p. 720; ATF 130 III 321 consid. 3.2 p. 324 et les références). Tel peut être le cas de la survenance d'un sinistre en matière d'assurance-vol (ATF 130 III 321 consid. 3.2 p. 325 et les arrêts cités) ou de l'existence d'un lien de causalité naturelle, respectivement hypothétique (ATF 132 III 715 consid. 3.2 p. 720 et les arrêts cités). Le degré de preuve requis se limite alors à la vraisemblance prépondérante (die überwiegende Wahrscheinlichkeit), qui est soumise à des exigences plus élevées que la simple vraisemblance (die Glaubhaftmachung). La vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération (ATF 132 III 715 consid. 3.1 p. 720; ATF 130 III 321 consid. 3.3 p. 325). |
En vertu de l'art. 8 CC, la partie qui n'a pas la charge de la preuve a le droit d'apporter une contre-preuve. Elle cherchera ainsi à démontrer des circonstances propres à faire naître chez le juge des doutes sérieux sur l'exactitude des allégations formant l'objet de la preuve principale. Pour que la contre-preuve aboutisse, il suffit que la preuve principale soit ébranlée, de sorte que les allégations principales n'apparaissent plus comme les plus vraisemblables (ATF 130 III 321 consid. 3.4 p. 326).
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Cela signifie en l'espèce que la cour cantonale a méconnu le droit fédéral en imposant à la demanderesse d'établir les faits avec certitude. Par conséquent, il y a lieu d'admettre le recours, d'annuler l'arrêt attaqué et de renvoyer l'affaire à la Cour de justice afin qu'elle procède à une nouvelle appréciation des preuves sous l'angle de la vraisemblance prépondérante. Pour ce faire, elle disposera des déclarations de la demanderesse sur la survenance du dommage, ainsi que des témoignages - en partie indirects - des époux D. et de E. Pour sa part, la défenderesse pourra exercer son droit à la contre-preuve et chercher ainsi à démontrer que la version des faits présentée par la victime n'apparaît pas comme la plus vraisemblable.
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