Urteilskopf
140 III 591
87. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause Caisse A. contre A.B. et B.B. (recours en matière civile)
4A_271/2014 du 19 novembre 2014
Regeste
Kündigung des Mietverhältnisses wegen Zahlungsrückstands des Mieters (
Art. 257d OR); gegen Treu und Glauben verstossende Kündigung (
Art. 271 OR).
Anfechtbarkeit einer Kündigung, die den Anforderungen von Art. 257d OR entspricht, aber gegen Treu und Glauben verstösst (Zusammenfassung der Rechtsprechung; E. 1). Ein Zahlungsrückstand von Fr. 164.- ist nicht unbedeutend (E. 2). Art. 257d OR setzt nicht voraus, dass die Mietzins- oder Nebenkostenforderung unbestritten ist oder gerichtlich festgestellt wurde, sondern lediglich, dass sie fällig ist (E. 3.2). Missbräuchliche Kündigung im konkreten Fall verneint (E. 3-5).
A. A.B. est depuis 1974 locataire d'un appartement de quatre pièces et demie qu'il occupe avec son épouse B.B., dans le canton de Neuchâtel; le loyer mensuel s'élève en dernier lieu à 710 fr., charges non comprises. Le 11 décembre 2009, la bailleresse Caisse A. a adressé au locataire le décompte des frais de chauffage pour la période du 1
er juillet 2008 au 30 juin 2009, présentant un solde à payer de 329 fr. 25. Il s'en est suivi un différend, notamment sur le lieu de consultation des justificatifs; le locataire a saisi la Commission de conciliation. Les parties ont convenu d'une suspension de la procédure jusqu'au 31 mars 2010. Le procès-verbal de la séance précisait qu'à défaut d'entente dans ce délai, la partie qui persisterait dans sa demande devrait saisir l'autorité judiciaire compétente dans les trente jours. Bien qu'aucun accord ne soit intervenu, le juge n'a pas été saisi.
Le 5 août 2010, la bailleresse a intenté des poursuites contre le locataire et l'épouse de celui-ci; les commandements de payer, portant sur la somme de 329 fr. 25, ont été frappés d'opposition. Par plis séparés du 3 septembre 2010, la bailleresse a sommé ces mêmes personnes de payer le montant précité dans les trente jours, faute de quoi le bail serait résilié. Celles-ci ont répondu qu'elles verseraient la moitié du montant réclamé à titre de mesure provisoire et ont demandé une nouvelle fois la rectification du décompte. Le 11 octobre 2010, la bailleresse a adressé à chaque conjoint un avis de résiliation de bail pour le 30 novembre 2010, motivé par le fait que seul
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un montant de 164 fr. 60 avait été versé sur le solde réclamé de 329 fr. 25.
B.a Le 12 novembre 2010 les époux ont déposé devant la Commission de conciliation une requête en constatation de l'inefficacité du congé, subsidiairement en annulation de celui-ci. La Commission a fait droit à cette conclusion subsidiaire. Elle a reproché à la bailleresse d'avoir saisi la première occasion pour notifier un congé alors que les parties se livraient depuis trois décennies à une véritable bataille de tranchées, chaque question donnant lieu à de nouvelles procédures dans lesquelles le locataire, pointilleux voire procédurier, avait cependant obtenu le plus souvent totalement ou partiellement gain de cause.
La bailleresse a porté la cause devant le Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers qui, par jugement du 25 février 2013, a rejeté la requête en validation du congé. En substance, cette autorité a jugé que le congé contrevenait aux règles de la bonne foi en raison d'une flagrante disproportion des intérêts en présence, soit d'un côté celui du locataire et de son épouse à conserver l'usage de l'appartement qu'ils occupaient depuis quarante ans et dont ils payaient le loyer ponctuellement, de l'autre côté celui de la bailleresse à obtenir le paiement d'une somme dont ne dépendait pas le respect de ses propres engagements. La bailleresse, qui affirmait qu'elle aurait donné le congé de la même manière à tout autre locataire, avait méconnu son devoir de faire une approche différenciée des cas d'impayés pouvant se présenter à elle.
B.b La Cour d'appel civile du Tribunal cantonal neuchâtelois a confirmé ce jugement.
C. Par arrêt du 19 novembre 2014, le Tribunal fédéral a admis le recours en matière civile formé par la bailleresse. Il a annulé l'arrêt attaqué et constaté la validité du congé.
(résumé)
Extrait des considérants:
1. A teneur de l'
art. 257d al. 1 CO, lorsque le locataire, après réception de la chose, a du retard pour s'acquitter d'un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail. Le délai doit être d'au moins trente jours pour les baux
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d'habitations ou de locaux commerciaux. L'
art. 257d al. 2 CO dispose qu'à défaut de paiement dans le délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d'habitations ou de locaux commerciaux peuvent être résiliés moyennant un délai de congé minimum de trente jours pour la fin d'un mois.
La jurisprudence admet que le congé prononcé conformément à l'
art. 257d CO peut, à titre très exceptionnel, contrevenir aux règles de la bonne foi; la notion doit être interprétée très restrictivement, afin de ne pas mettre en question le droit du bailleur à recevoir le loyer à l'échéance. L'annulation entre en considération notamment dans les cas suivants: le bailleur a réclamé au locataire, avec menace de résiliation du bail, une somme largement supérieure à celle en souffrance, alors qu'il n'était pas certain du montant effectivement dû; ou encore, l'arriéré est insignifiant, ou a été réglé très peu de temps après l'expiration du délai comminatoire, alors que le locataire s'était jusque-là toujours acquitté du loyer à temps; ou enfin, le bailleur ne résilie le contrat que longtemps après l'expiration de ce même délai (
ATF 120 II 31 consid. 4; arrêts 4A_549/2013 du 7 novembre 2013 consid. 4, in SJ 2014 I p. 105; 4A_641/2011 du 27 janvier 2012 consid. 7; 4C.430/2004 du 8 février 2005 consid. 3.1, résumé in SJ 2005 I p. 310). Le fardeau de la preuve d'un congé contraire à la bonne foi incombe au demandeur à l'action en annulation (
ATF 120 II 105 consid. 3c).
En l'espèce, il est incontesté que les conditions objectives pour une résiliation en vertu de l'
art. 257d CO étaient remplies (cf. aussi infra consid. 3.2). Le litige porte uniquement sur la question de l'abus de droit dont la recourante se serait rendue coupable. Il sera examiné sur la base des seuls faits ressortant de l'arrêt attaqué, qui lient le Tribunal fédéral, faute pour les parties d'alléguer et de démontrer que la Cour d'appel a établi les faits de façon arbitraire, ou contraire au droit (
art. 105 al. 1 LTF;
ATF 137 II 353 consid. 5.1;
ATF 133 II 249 consid. 1.4.3); il ne sera donc pas tenu compte des nombreux faits invoqués par les intimés qui ne ressortent pas de l'arrêt de la Cour d'appel.
2. Les intimés continuent à soutenir que le montant non payé à temps, à savoir 164 francs 65 centimes, est un montant insignifiant au sens de la jurisprudence précitée.
Il a été jugé qu'un montant de 286 fr. ne peut pas être qualifié d'insignifiant, comme le seraient, par exemple, des intérêts dus sur un
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terme arriéré (
ATF 120 II 31 consid. 4b p. 33). Il y a lieu d'en rester à une notion très restrictive. Car dès le moment où un montant est considéré comme insignifiant, le locataire peut décider de ne pas le payer sans risquer un congé et donc spéculer sur le fait que le bailleur renoncera peut-être à entreprendre des démarches qui lui coûteraient plus en temps et en frais que ne lui rapporterait l'encaissement du montant impayé (cf. TERCIER/FAVRE, Les contrats spéciaux, 4
e éd. 2009, n. 2391). Offrir une telle opportunité n'est pas compatible avec le but de la procédure de l'
art. 257d CO, qui doit permettre au bailleur d'obtenir rapidement et sans complications particulières le paiement de la totalité du loyer et des charges, ou alors de mettre immédiatement fin au contrat.
Le caractère insignifiant se détermine en tant que tel, et non pas par rapport au loyer mensuel ou par rapport au montant déjà versé à titre de loyer depuis le début du bail. Il se détermine en outre objectivement, et non par rapport à la situation subjective des parties. Les moyens financiers du bailleur importent peu, la procédure de l'art. 257d CO étant ouverte à tous les bailleurs, impécunieux ou aisés. Le fait que la recourante n'avait pas besoin du montant impayé pour assumer les charges liées à l'objet loué est dénué de pertinence, tout comme l'allégation selon laquelle elle encaisserait, en tant qu'institution de prévoyance, des loyers pour un montant avoisinant 300 millions de francs.
En l'espèce, c'est à bon droit que la Cour d'appel n'a pas qualifié d'insignifiant le montant de 164 fr. 65.
3.1 Les intimés continuent à soutenir qu'au moment de la mise en demeure, la recourante n'était pas certaine que le montant réclamé lui était bien dû. Ce faisant, ils s'écartent de la constatation faite par la Cour d'appel qui lie le Tribunal fédéral. La critique n'est pas recevable.
3.2 Les intimés persistent aussi à plaider que le bien-fondé de la créance n'était de loin pas établi au moment de la mise en demeure.
Pour certains auteurs, le bail ne saurait être résilié en vertu de l'
art. 257d CO lorsque le solde annuel du décompte de chauffage est contesté. Plus précisément, le locataire recevant l'avis comminatoire de payer un solde qu'il estime erroné devrait payer l'éventuelle part non contestée, et saisir pour le surplus l'autorité de conciliation; le bailleur ne pourrait alors pas résilier le contrat pendant la durée de
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la procédure (DAVID LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p. 348 et 664, auquel renvoie PIERRE WESSNER, in Droit du bail à loyer, 2010, n° 11 ad
art. 257d CO). L'exigibilité du solde "résulte[rait] de la présentation annuelle du décompte au locataire, respectivement de la reconnaissance du solde par ce dernier" (ISABELLE BIERI, in Droit du bail à loyer, 2010, n° 15 ad
art. 257c CO). Cette opinion ne saurait être suivie.
L'art. 257d al. 1 CO n'exige pas que la créance de loyer ou frais accessoires soit incontestée ou judiciairement constatée, mais uniquement qu'elle soit exigible. Le locataire doit disposer du temps nécessaire pour consulter les pièces justificatives originales (cf. art. 8 OBLF; RS 221.213.11) et contrôler l'exactitude du décompte, respectivement effectuer le paiement requis (cf. arrêt du 30 septembre 1969 consid. 4, in ZR 68/1969 n° 89 p. 247 ss; arrêt 4C.479/1997 du 24 juin 1998 consid. 3a, in mp 1999 p. 83, précisant que la doctrine recommande un délai de 30 jours). En l'occurrence, il est patent que les intimés ont eu suffisamment de temps entre l'envoi du décompte en décembre 2009 et l'avis comminatoire en septembre 2010.
Lorsqu'il est mis en demeure, le locataire qui estime la créance infondée doit décider s'il veut s'exécuter ou s'il refuse de le faire, auquel cas il prend le risque que la créance du bailleur se révèle finalement bien fondée et s'expose ainsi à une éventuelle résiliation du bail. Quant au bailleur qui résilie le bail en sachant que le locataire conteste le décompte, il devra tolérer que la procédure en contestation du congé soit éventuellement prolongée en raison du conflit relatif aux frais accessoires; cette situation est inhérente au fait que la créance litigieuse n'a pas été convenue à l'avance, contrairement au loyer ou à l'acompte concernant les frais accessoires.
3.3 Les intimés soutiennent qu'ils n'ont pas compris correctement le procès-verbal de la Commission de conciliation selon lequel, à défaut d'entente, la partie persistant dans sa demande devrait porter l'affaire devant le juge. Une telle erreur de compréhension n'a pas été constatée par la Cour d'appel. Quant au Tribunal civil, il a uniquement émis l'avis que les intimés avaient "de bonnes raisons de supposer" qu'il appartenait à la recourante de faire constater judiciairement le bien-fondé de sa créance avant de pouvoir prétendre résilier le bail, qu'il était "possible" que les intimés aient été amenés à conclure que l'initiative d'une action ne leur appartenait pas. Il ne s'agit pas d'une constatation, mais uniquement d'une hypothèse, émise en dépit
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du fait que le locataire avait manifesté dans une lettre l'intention de saisir le juge; au demeurant, on ne comprend pas pourquoi les intimés ont finalement versé la moitié du montant s'ils pensaient que l'avis comminatoire n'était pas valable. Quoi qu'il en soit, les intimés ne sauraient se prévaloir d'une opinion juridique erronée, non provoquée par la recourante, pour fonder une mauvaise foi de cette dernière.
4. Les intimés soutiennent que la recourante voulait absolument résilier le contrat de bail à cause des nombreuses procédures qui les ont divisés. Or, la Cour d'appel n'a pas retenu que la recourante voulait saisir l'occasion pour exercer des représailles, et l'autorité de céans est liée par l'arrêt attaqué sur cette question de fait. Cela étant, pour reprendre les termes de la Commission de conciliation, les intimés se sont livrés durant trois décennies à une guerre de tranchées contre la recourante, déclenchant à chaque question de nouvelles procédures; on ne discerne pas en quoi la recourante aurait dû montrer des égards particuliers envers les intimés, ce d'autant moins que dans le cas d'une demeure du locataire, la loi exclut l'annulation du congé au motif qu'il est consécutif à une procédure de conciliation ou judiciaire (cf.
art. 271a al. 3 let. b CO). Il faut du reste se garder de contourner les exigences strictes quant à l'admission d'un montant "insignifiant" en considérant qu'il y a eu rigueur excessive de la part du bailleur.
5. A lire l'arrêt attaqué, il semble que la Cour d'appel ait jugé le congé abusif au motif que la recourante n'avait pas suffisamment tenu compte de la durée du bail de quarante ans, du paiement régulier du loyer et de la faiblesse du montant impayé; ces éléments pris dans leur ensemble commandaient à son avis une réaction plus nuancée, à tout le moins sous forme d'un dernier et bref rappel.
L'art. 257d CO permet de résilier immédiatement le contrat de bail à l'échéance du délai comminatoire si le montant exigé n'est pas payé. Il n'exige ni une seconde mise en demeure, ni même un simple rappel, quelles que soient les circonstances du cas particulier. Or, ne pas procéder à une démarche que la loi n'exige pas ne saurait être constitutif d'un abus de droit. Quoi qu'il en soit, la nécessité d'un rappel ne saurait en tout état de cause se concevoir dans un cas où le locataire a sciemment décidé de renoncer à verser tout ou partie du montant faisant l'objet de l'avis comminatoire.