BGE 92 IV 99
 
26. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 27 mai 1966 dans la cause Morisod et Kyburz contre Zermatten et Iten.
 
Regeste
Art. 173 und 177 StGB: Schutzbereich dieser Bestimmungen, insbesondere im Falle von Kritik an Architekten.
 
Sachverhalt


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A.- Le Conseil communal et le Conseil général de Sion adoptèrent, les 14 décembre 1962 et 30 janvier 1963, un nouveau règlement des constructions, qui fut homologué le 31 mai 1963 par le Conseil d'Etat. Au moment de l'imprimer, le président de la ville de Sion invita Maurice Zermatten, président de la Commission cantonale des constructions, à écrire un des articles destinée à figurer en tête de la brochure contenant le nouveau règlement. Zermatten refusa, expliquant qu'il ne partageait pas les conceptions de la commune de Sion au sujet de constructions édifiées sur le coteau. L'architecte de la ville, Iten, ayant insisté et déclaré "Ecrivez ce que vous voulez; vos observations seront utiles pour la Commune", il rédigea le texte suivant, intitulé "Architecture et paysage":
"On prête à l'un de nos grands architectes suisses - celui-là même qui assuma la responsabilité, dans son domaine, de l'Exposition Nationale de Zurich, M. Meili - des propos qui m'ont toujours paru remarquables de bon sens. Il aurait dit à des auditeurs de Saint-Luc, dans notre Val d'Anniviers: Dans vos villages, si vous voyez poindre les oreilles de l'architecte, chassez-le! Continuez à construire selon vos propres formules, parce que vos chalets s'adaptent admirablement à votre paysage...
Je n'ai pas entendu ces propos; je les cite tels qu'ils m'ont été rapportés...
J'entends bien que l'architecte rendra service même lorsqu'il s'agira de construire un chalet. Toutes sortes de questions d'aménagement intérieur recevront de lui des solutions sans doute mieux étudiées que les solutions du charpentier. Pour ce qui est de "l'architecture" elle-même, que l'on me permette de préfèrer l'artisan local. Parce qu'il est humble et se soumet à une tradition. Ce que je veux dire, c'est que la plupart de nos jeunes architectes se moquent du paysage dans lequel ils vont inscrire une maison comme un poisson se moque

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d'une pomme. Deux ou trois villas du coteau sédunois suffisent à le prouver. On transporte dans nos vignes, le long de nos murs de pierres sèches, là même où nos paysans dressaient des guérites d'un goût si sûr, des monstres issus tout droit de quelques revues japonaises ou suédoises, américaines ou germaniques. Le coteau sédunois, la présence de la vigne, l'insistance d'un passé qui s'acharne à nous ouvrir les yeux: fariboles que tout cela! Nous sommes de notre temps, nous voulons être de notre temps, le reste ne nous regarde pas... Or, notre temps passera si vite!
Cette prétention est naturellement le fait de petits jeunes gens incultes comme nos "vaques"; elle ferait rire si leurs oeuvres ne venaient offenser justement ces paysages que nous aimons. Ces articles d'importation qu'ils posent çà et là sont si bien bétonnés qu'il faut perdre l'espoir de les voir jamais disparaître. Ils dureront ce que durent les fortifications. La mode qui les a inspirés aura disparu depuis des siècles que ces immeubles apatrides seront encore là, insolents et ridicules.
C'est ce qu'ils ne veulent pas comprendre, certains de nos jeunes architectes: c'est qu'ils n'ont pas le droit, pas moralement le droit, de nous imposer leur consentement à toutes les recherches quotidiennes; ils oublient que ce qu'ils construisent est appelé à durer.
Il nous importe bien peu que les robes d'un printemps fassent rire, que les chapeaux de l'été ressemblent à des tourtes. On n'en parlera plus dès le seuil de l'automne. Mais nous devrons subir à jamais les offenses faites à nos coteaux, à nos vallées. Et c'est en cela que la légèreté de quelques-uns de nos fabricants de boîtes à habiter - et de ceux qui les approuvent - nous paraît indéfendable."
Deux photographies de villas illustraient ce texte. La première était accompagné de la légende: "Maison du vignoble: des yeux qui ont su voir"; au-dessous de la seconde, prise sur l'ordre d'Iten et représentant la villa Veuillet, on pouvait lire: "Forteresse ou article d'importation". Les légendes émanent d'Iten.
Dans la première quinzaine de décembre 1963, l'imprimeur livra aux services techniques de la ville environ 50 exemplaires de la brochure, dont une vingtaine furent distribués.
Les architectes Morisod et Kyburz, auteurs des plans de la villa Veuillet, demandèrent le 13 décembre 1963 au président de la ville d'ordonner l'arrêt immédiat de la distribution de la brochure, de faire retirer les exemplaires déjà distribués et de supprimer l'article de Zermatten et son illustration avant toute nouvelle distribution. Invité à se prononcer, Zermatten ne s'opposa pas au retrait de son article. Ce dernier et la photographie de la villa Veuillet furent effectivement supprimés dans la nouvelle édition; les exemplaires de la première livraison qui avaient été distribués furent presque tous récupérés.


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B.- Sur plainte de Morisod et Kyburz, le Juge-instructeur II des districts de Sierre et de Sion, statuant le 15 juillet 1965, a déclaré Zermatten et Iten coupables de diffamation et d'injure et leur a infligé, à chacun, une amende de 200 fr.
C.- Saisi de recours des condamnés, le Tribunal cantonal les a libérés, le 22 mars 1966. A son avis, les allégations incriminées n'ont pas atteint les plaignants dans leur honneur personnel.
D.- Contre cet arrêt, Morisod et Kyburz se pourvoient en nullité au Tribunal fédéral. Ils réclament la condamnation de Zermatten et d'Iten pour diffamation et injure.
 
Considérant en droit:
2. Bien que l'art. 173 CP concerne uniquement l'honneur externe - "Ruf" - et l'art. 177 surtout l'honneur interne - "Ehrgefühl" - (RO 77 IV 98), tous deux ne protègent que l'honneur personnel, la réputation et le sentiment d'être un homme honorable, c'est-à-dire de se comporter comme l'imposent les convenances généralement reçues; en revanche, des allégations propres à entamer la considération dont un individu jouit - ou le sentiment qu'il a de sa propre valeur - en qualité d'artiste, de commerçant, de politicien etc. ne sont pas attentatoires à l'honneur au sens de ces dispositions (RO 80 IV 164 consid. 2 et les références). Toutefois il serait faux d'en déduire qu'aucun reproche relatif par exemple à l'activité professionnelle d'un individu n'est réprimé par les art. 173 ss. CP. On peut se comporter en malhonnête homme dans l'exercice de sa profession; accuser quelqu'un d'un tel comportement, c'est le diffamer. Les art. 173 ss. protègent aussi la réputation d'un commerçant, d'un artiste, d'un homme politique, de même que le sentiment qu'ils ont de leur propre dignité, en tant que cette réputation et ce sentiment reposent sur des qualités morales (RO 80 IV 165 consid. 2; arrêts Krafft du 20 mai 1952 consid. 3, Martinoni, du 21 juin 1957 consid. 3).
Zermatten a critiqué les jeunes architectes qui ne se soucient pas du paysage dans lequel ils vont édifier une maison. Telle est l'idée centrale de son article. Fondé ou non, le reproche - quoi que prétende le pourvoi - laisse intactes les qualités morales des plaignants. L'architecte qui dresse des plans sans tenir

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compte des rapports entre l'édifice et son cadre naturel ne cesse évidemment pas d'être un homme honorable. Il s'ensuit que l'idée essentielle de l'article ne touche pas les plaignants dans leur honneur personnel.
a) A propos de maisons telles que la villa Veuillet, l'auteur oppose aux "guérites d'un goût si sûr" que les paysans élevaient dans les vignes, les "monstres issus tout droit de quelques revues japonaises ou suédoises, américaines ou germaniques". Les recourants discernent là le reproche d'avoir pris à d'autres une maison déjà toute réalisée, d'avoir "volé le maître de l'ouvrage à qui ils ont fait croire qu'ils exécutaient une oeuvre originale pour laquelle ils se sont fait payer, alors qu'ils l'ont volée à un architecte étranger". Tel n'est pas le sens du passage indiqué. Les plaignants n'y sont nullement accusés de plagiat ni de tromperie. Zermatten ne prétend pas qu'ils auraient imité servilement une villa d'après des photographies parues dans une revue étrangère. Il déplore seulement qu'ils aient construit une maison d'un style exotique, qui ne s'accorde pas avec le coteau sédunois. Il la qualifie de monstre, parce qu'il la trouve laide. C'est là un jugement de valeur esthétique, qui ne porte aucune atteinte à leur honneur. Au surplus, on ne diffame pas un architecte en déclarant que telle oeuvre l'a influencé (RO 71 IV 230).
b) De ces architectes qui, indifférents au passé, veulent être de leur temps, Zermatten a écrit: "Cette prétention est naturellement le fait de petits jeunes gens incultes comme nos 'vaques'". L'adjectif "inculte" signifie dépourvu de culture intellectuelle; il ne comporte, du moins en l'espèce, aucune référence à des valeurs morales. Or un individu sans culture, voire sans instruction, peut être un homme d'honneur. Sans doute Zermatten a-t-il ajouté: incultes comme des "vaques". Mais cette comparaison avec des terrains non cultivés ou improductifs confirme précisément l'absence de toute appréciation sur le plan moral. L'épithète "petits" ne l'aborde pas davantage. Elle ne met pas en cause l'honorabilité des plaignants; elle révèle seulement que l'auteur ne les tient pas pour de grands architectes. Zermatten a incontestablement le droit de penser ainsi et de l'écrire.


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c) Lorsque l'auteur par le d'"article d'importation" posés çà et là, qui viennent "offenser justement ces paysages que nous aimons", il reprend en termes différents une idée déjà exprimée plus haut. Pour les raisons exposées sous les consid. 2 et 3 litt. a, les termes employés n'entament en rien les qualités morales de Morisod et de Kyburz.
d) De même, en qualifiant certains immeubles d'"apatrides", d'"insolents" et de "ridicules", Zermatten n'en a pas attaqué les architectes dans leur honneur. Innombrables sont les oeuvres d'art modernes, notamment dans la peinture non figurative, que l'immense majorité du public estime ridicules et juge plus sévèrement encore, sans que leurs auteurs aient jamais eu le sentiment que de telles appréciations, même émises à haute voix ou propagées par la presse, les atteignaient dans leur honneur.
e) Morisod et Kyburz se plaignent enfin de la dernière phrase de l'article:
"Et c'est en cela (permanence des offenses faites à nos coteaux, à nos vallées) que la légèreté de quelques-uns de nos fabricants de boîtes à habiter... nous paraît indéfendable."
L'expression fabricant de maisons ou de boîtes à habiter évoque surtout celui qui bâtit en série de grands immeubles locatifs. Elle convient moins pour désigner un architecte spécialisé dans la construction de villas. Mais il n'y a rien de déshonorant à fabriquer des maisons. Les recourants eux-mêmes ne soutiennent pas le contraire. Aussi ne voit-on pas en quoi l'expression citée aurait attenté à leur honneur.
Reste l'accusation de légèreté.
aa) En matière d'atteinte à l'honneur, c'est la procédure pénale cantonale qui détermine s'il suffit d'exposer à grands traits dans la plainte les allégations imputées au prévenu ou si elles doivent au contraire être articulées en détail, avec cette conséquence que le juge n'a pas à connaître de celles que le plaignant n'a pas désignées expressément comme attentatoires à son honneur (arrêt Lavallaz du 4 juillet 1955 consid. 1). En l'espèce, la poursuite ne s'est pas étendue, devant les juridictions valaisannes, aux termes "légèreté ... indéfendable". En effet, Morisod et Kyburz ne s'en sont pas plaints dans la procédure cantonale. Après avoir résumé l'article incriminé, en en citant quelques phrases, leur plainte mentionne sous ch. IV les passages et les termes tenus pour diffamatoires et injurieux.


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Le reproche d'avoir témoigné d'une légèreté coupable n'y figure pas. Et le Tribunal cantonal ne s'en est pas occupé. Aussi le pourvoi n'est-il pas recevable sur ce point.
bb) Il n'est d'ailleurs pas fondé non plus. Certes, le terme "légèreté" peut impliquer un manquement à ses devoirs et, partant, une conduite contraire à l'honneur. Mais le contexte exclut en l'occurrence pareille interprétation. La légèreté dont Zermatten accuse quelques architectes a consisté à avoir abîmé le paysage non pas temporairement, mais irrémédiablement. Or, cette accusation était incluse dans celle - dont on a vu, au considérant 2, qu'elle ne touche pas l'honneur personnel des recourants - d'avoir offensé le paysage en y inscrivant des villas qui ne s'harmonisent pas avec lui. Cette offense, en effet, ne pouvait être temporaire, puisque les villas sont destinées à durer. Il s'ensuit que, n'exprimant pas une idée nouvelle, la dernière phrase de l'article ne se rapporte pas plus que les autres aux qualités morales des plaignants.
Par ces motifs, la Cour de cassation pénale:
Rejette le pourvoi.