BGE 147 IV 55
 
7. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause Etat de Vaud contre A. (recours en matière pénale)
 
6B_117/2020 du 13 novembre 2020
 
Regeste
Art. 3 EMRK, Art. 431 StPO, Art. 125 Ziff. 2 OR; Entschädigung für rechtswidrige Haftbedingungen im Anschluss an die strafrechtliche Beurteilung; Verpflichtung besonderer Natur; Ausnahme vom Grundsatz der Verrechnung mit den Kosten des Strafverfahrens.
 
Sachverhalt


BGE 147 IV 55 (55):

A. Par ordonnance du 3 novembre 2017, le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud (ci-après: TMC) a constaté que les conditions dans lesquelles se sont déroulés les 27 jours de détention provisoire de A. (du 22 mai au 17 juin 2014 inclus) au centre de Gendarmerie B. étaient illicites. Le TMC a déclaré irrecevable la demande en réparation déposée par A. et a renvoyé ce dernier à agir au moyen d'une action en responsabilité contre l'Etat devant l'autorité judiciaire compétente.


BGE 147 IV 55 (56):

Par demande du 31 mai 2018 déposée devant le Juge de paix des districts du Jura-Nord vaudois et du Gros-de-Vaud (ci-après: Juge de paix), A. a notamment conclu à ce que l'Etat de Vaud soit condamné à lui verser la somme de 5'400 fr., avec intérêts compensatoires à 5 % l'an dès le 22 mai 2014, au titre d'indemnisation fondée sur l'art. 431 CPP.
B. Par décision du 4 décembre 2018, le Juge de paix a condamné l'Etat de Vaud à verser à A. la somme de 1'350 fr., avec intérêts à 5 % l'an dès le 4 juin 2014, au titre d'indemnisation pour les 27 jours de détention subis dans des conditions illicites. Le Juge de paix a exclu la compensation de cette dette, requise par l'Etat de Vaud, avec sa créance correspondant aux frais de procédure dus par A.
C. Statuant sur les recours formés par A. (portant sur le montant de l'indemnité) et par l'Etat de Vaud (portant sur la compensation), la Chambre des recours civile du Tribunal cantonal vaudois les a rejetés par arrêt du 14 novembre 2019.
D. L'Etat de Vaud forme un recours en matière civile et un recours constitutionnel subsidiaire auprès du Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal. Il conclut, avec suite de frais, à titre principal, à ce que la demande en paiement de A. du 31 mai 2018 est rejetée dans toutes ses conclusions, les frais des trois instances étant mis à la charge de ce dernier, et à sa libération de tout dépens en faveur de A. Subsidiairement, l'Etat de Vaud conclut à l'annulation de l'arrêt du 14 novembre 2019 et au renvoi de la cause à l'autorité intimée pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Invités à se déterminer sur le mémoire de recours, le Tribunal cantonal a déclaré se référer aux considérants de l'arrêt entrepris alors que l'intimé n'a pas formulé d'observation dans le délai imparti.
 
Extrait des considérants:


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La cour cantonale a considéré que l'indemnité litigieuse ne peut, de par sa nature, être compensée avec les frais de justice mis à la charge du prévenu. Se référant à l'art. 92 ch. 9 LP, elle a relevé que la prétention en réparation du tort moral peut s'interpréter largement comme étant de nature spéciale dont le paiement devrait intervenir en mains du créancier conformément à l'art. 125 ch. 2 CO, de sorte qu'elle n'est en tout cas pas exigible au sens des art. 75 et 120 CO contre la volonté du créancier. Elle s'est fondée notamment sur la jurisprudence pénale interdisant de compenser la réparation du tort moral pour détention injustifiée prévue à l'art. 429 al. 1 let. c CPP et pour l'indemnité déduite de l'art. 431 al. 1 CPP (en référence aux ATF 139 IV 243 consid. 5.1 p. 244 s. et ATF 140 I 246 consid. 2.6.1 p. 251).
 
Erwägung 2.2
Si l'indemnisation de conditions de détention illicites avant jugement n'est pas prévue expressément par le CPP, le Tribunal fédéral a admis qu'elle pouvait trouver son fondement dans l'art. 431 CPP (ATF 141 IV 349 consid. 4.3 p. 359 s.; ATF 140 I 246 consid. 2.5.1 p. 250 et 2.6 p. 251; cf. également ATF 140 I 125 consid. 2.1 p. 128; ATF 139 IV 41 consid. 3.4 p. 45). Selon la jurisprudence, l'indemnisation des conditions de détention après jugement relève quant à elle des normes ordinaires en matière de responsabilité de l'Etat (ATF 141 IV 349 consid. 4.3 p. 359 s.).
Dans un arrêt de principe portant sur l'indemnisation d'une détention injustifiée, dans le cadre d'une procédure pénale, le Tribunal fédéral a considéré qu'en application de l'art. 442 al. 4 CPP, la prétention

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en réparation du tort moral du prévenu libéré (art. 429 al. 1 let. c CPP) ne pouvait pas être éteinte par compensation avec la créance de l'Etat portant sur les frais de procédure (ATF 139 IV 243 consid. 5 p. 244 s.).
S'agissant de l'indemnisation des conditions de détention illicites, dans le cadre de la procédure pénale, le Tribunal fédéral a jugé qu'à l'instar de ce qui prévaut pour la réparation du tort moral prévue à l'art. 429 al. 1 let. c CPP, l'indemnité déduite de l'art. 431 al. 1 CPP n'est pas compensable avec les frais de justice mis à la charge du prévenu (cf. ATF 140 I 246 consid. 2.6.1 p. 251). Il n'y est alors pas fait expressément référence à l'art. 442 al. 4 CPP.
Selon la jurisprudence, le principe de la compensation prévu à l'art. 120 CO est une institution reconnue pour être générale, mais qui peut être exclue par le législateur (ATF 144 IV 212 consid. 2.2 p. 214; ATF 139 IV 243 consid. 5.1 p. 245). Les dispositions des art. 120 ss CO sur la compensation sont applicables en droit public, en cas de silence de celui-ci et sous réserve d'incompatibilité (ATF 144 IV 212 consid. 2.2 p. 214; ATF 132 V 127 consid. 6.1 p. 135; arrêts 2C_451/2018 du 27 septembre 2019 consid. 6.4; 2C_432/2010 du 9 novembre 2010 consid. 4.2).
L'art. 125 CO prévoit une exception au principe de la compensation. En vertu de l'art. 125 ch. 2 CO, ne peuvent être éteintes par compensation contre la volonté du créancier les créances dont la nature spéciale exige le paiement effectif entre les mains du créancier, telles que des aliments et le salaire absolument nécessaire à l'entretien du débiteur (recte: créancier) et de sa famille.
Comme cela ressort du texte légal, l'énumération des créances qui ne peuvent être éteintes par compensation n'est pas exhaustive (ATF 126 V 314 consid. 3b.aa p. 316). Le juge peut reconnaître à d'autres créances la nature spéciale exigée par l'art. 125 ch. 2 CO, en examinant si l'exigence d'une prestation effective se justifie, ce sans perdre

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de vue ce qui sous-tend cette disposition, à savoir la nécessité de protéger la partie économiquement faible (NICOLAS JEANDIN, in Commentaire romand, Code des obligations, vol. I, 2e éd. 2012, n° 6 ad art. 125 CO; cf. ANDREAS MÜLLER, in Basler Kommentar, Obligationenrecht, vol. I, 7e éd. 2019, n° 11 ad art. 125 CO; CORINNE ZELLWEGER-GUTKNECHT, in Berner Kommentar, Art. 120-126 OR, Das Erlöschen der Obligation, Verrechnung, 2012, nos 73 et 79 ad art. 125 CO).
L'art. 3 CEDH impose à l'Etat de s'assurer que les modalités de détention ne soumettent pas la personne détenue à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (cf. arrêt ATF 140 I 125 consid. 3.5 p. 135 s. et les références citées).
De jurisprudence constante, la CourEDH relève que, pour qu'un système de protection des droits des détenus garantis par l'art. 3 CEDH soit effectif, les remèdes préventifs et compensatoires doivent coexister de façon complémentaire. Le recours préventif doit être de nature à empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre une amélioration des conditions matérielles de détention. Une fois que la situation dénoncée a cessé, la personne doit disposer d'un recours indemnitaire. À défaut d'un tel mécanisme, combinant ces deux recours, la perspective d'une possible indemnisation risquerait de légitimer des souffrances incompatibles avec l'art. 3 CEDH et d'affaiblir sérieusement l'obligation des Etats de mettre leurs normes en accord avec les exigences de la Convention (arrêts de la

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CourEDH J.M.B. et autres contre France du 30 janvier 2020 [requêten° 9671/15 et 31 autres], § 167; Ananyev et autres contre Russie du 10 janvier 2012 [requêtes nos 42525/07 et 60800/08], § 98; Neshkov et autres contre Bulgarie du 27 janvier 2015 [requête n° 36925/10 et 5 autres], § 181; Ulemek contre Croatie du 31 octobre 2019 [requête n° 21613/16], § 71-72).
Il résulte des principes conventionnels en la matière que l'indemnisation des conditions de détention contraires à l'art. 3 CEDH exige, de par sa nature, une prestation effective, comme l'entend l'art. 125 ch. 2 CO. Admettre la possibilité pour l'Etat d'éteindre, par compensation, l'indemnité octroyée au titre de réparation d'une détention subie dans des conditions illicites avec les frais de procédure auxquels le prévenu a été condamné, n'est pas de nature à inciter l'Etat à faire cesser ces conditions (cf. arrêt J.M.B. et autres contre France, précité, § 167 et 195).
Ainsi, l'exigence conventionnelle de l'effectivité du recours indemnitaire tend à exclure la possibilité d'éteindre par compensation une créance en indemnisation des conditions de détention illicites fondée sur l'art. 3 CEDH.
Le sort de l'initiative parlementaire "Compensation des frais de justice avec les indemnités pour tort moral allouées en raison des mesures de contrainte illicites" (n° 13.466), déposée par la Commission des affaires juridiques du Conseil national le 3 octobre 2013, tend au même constat. Il ressort du Message sur la modification du CPP qu'une majorité de participants à la consultation a rejeté la proposition de l'initiative parlementaire, au motif que ces indemnités sont un signe de réparation des injustices subies et qu'il incombe à l'Etat de prendre ses responsabilités. Le Conseil fédéral s'est rallié à cette interprétation. Il a donc été renoncé à étendre la

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compensation autorisée par l'art. 442 al. 4 CPP aux indemnités accordées en réparation du tort moral (Message du 28 août 2019 concernant la modification du code de procédure pénale, FF 2019 6374 ad art. 442).
Ces considérations législatives récentes relatives au CPP tendent à reconnaître une nature spéciale à la créance en réparation du tort moral résultant des conditions de détention illicites, nécessitant un paiement effectif en mains du créancier. Une telle approche permet de tenir compte de l'aspect réparateur que consacre l'indemnité découlant de l'incapacité de l'Etat d'offrir des conditions de détention conformes aux standards minimaux. Une approche cohérente de la volonté du législateur conduit ainsi à ne pas distinguer le mode d'exécution de la prestation selon qu'elle est due en cours de procédure pénale ou après la clôture de celle-ci. Sa nature demeure inchangée quel que soit le stade auquel l'Etat doit s'exécuter. Sous cet angle également, la prestation doit être effective.
En effet, les détenus obtenant une réparation du tort moral du fait de leurs conditions de détention illicites, par le biais d'une réduction de peine, bénéficient d'une réparation effective, en nature. Les intéressés qui ne peuvent plus bénéficier d'une réduction de peine mais qui font valoir une indemnité financière dans le cadre de la procédure pénale, bénéficient des principes déduits de l'art. 442 al. 4 CPP qui interdisent la compensation avec les frais de procédure, de sorte qu'ils reçoivent une prestation effective. Au regard du principe de l'égalité de traitement, les personnes qui n'ont pas, respectivement, pas pu faire valoir leur prétention en réparation financière dans le cadre de la procédure pénale, doivent pouvoir bénéficier d'une prestation effective de l'Etat et ne sauraient se voir opposer l'extinction de leur créance par compensation avec les frais de procédure.


BGE 147 IV 55 (62):

Dans l' ATF 88 II 299 (consid. 6b p. 311), rendu en matière de responsabilité civile, le Tribunal fédéral a considéré, sans autre développement, que l'art. 125 ch. 2 CO ne visait pas l'indemnité à titre de réparation du tort moral à laquelle avait droit la fille d'une personne décédée, dans le cadre d'une procédure contre l'assurance responsabilité civile. Cette jurisprudence ne saurait s'appliquer au cas d'espèce, au vu du caractère particulier du tort moral dû par l'Etat résultant de conditions de détention inhumaines et dégradantes et de la nécessité d'imposer à l'Etat l'exécution d'une telle prestation pour faire cesser les conditions de détention contraires à l'art. 3 CEDH (cf. consid. 2.5.1 supra). La jurisprudence l'a du reste déjà formulé à propos de l'indemnité due pour des conditions de détention illicites lorsqu'elle trouve son fondement dans l'art. 431 CPP (ATF 140 I 246 consid. 2.6.1). A cela s'ajoute que, dès lors que la réparation morale a pour but d'indemniser les souffrances subies en permettant au destinataire d'augmenter d'une autre manière son bien-être ou de rendre l'atteinte plus supportable, et dans la mesure où le paiement de cette somme doit pouvoir calmer notablement les souffrances physiques ou morales de la personne lésée, une simple réduction des passifs n'est pas apte à réparer son atteinte. Son paiement doit être effectif (ZELLWEGER-GUTKNECHT, op. cit., n° 77 ad art. 125 CO; cf. en ce sens également: NICOLAS ROUILLER, Droit suisse des obligations et principes du droit européen des contrats, 2007, p. 73).
Il en résulte que c'est en conformité avec le droit fédéral (dût-il s'appliquer à titre de droit cantonal supplétif, cf. art. 8 de la loi vaudoise du 16 mai 1961 sur la responsabilité de l'Etat, des communes et de leurs agents [LRECA/VD; RSV 170.11]; cf. toutefois ATF 144 I 318 consid. 5.3 p. 325 s.), que la cour cantonale a reconnu la nature spéciale de l'indemnisation en réparation des conditions de détention illicites.
Cela étant, il n'y a pas lieu d'examiner la question de l'insaisissabilité de cette créance au sens de l'art. 92 al. 1 ch. 9 LP.