7. Arrêt du 6 avril 1976 dans la cause Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents contre Houlmann et Cour de justice civile du canton de Genève
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Regeste
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Art. 98 Abs. 3 KUVG.
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Sachverhalt
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BGE 102 V 23 (23):
A.- Jean Houlmann, né en 1931, roulait le matin du 30 septembre 1972, par temps beau et sec, sur la route principale des Franches-Montagnes conduisant des Sairins à Saint-Brais, au volant de sa voiture Ford Capri 2600 GT. Ce véhicule était pratiquement neuf, n'ayant roulé que 1080 km. Son allure était d'au moins 105 km/h, une vitesse supérieure n'étant pas établie. Arrivé sur un petit dos d'âne, le prénommé aperçut en face de lui, à une distance qui a été évaluée à 108 m, une voiture Opel venant en sens inverse et débouchant d'une BGE 102 V 23 (24):
courbe masquée, suivie d'une voiture Renault qui déboîtait comme pour doubler la première. Craignant une collision frontale, Jean Houlmann freina à fond. Mais son véhicule, après un chemin de freinage rectiligne de 30 m, dévia sur la gauche et heurta la voiture Opel, dont le conducteur fut tué sur le coup. Pivotant sur lui-même, il toucha ensuite légèrement la voiture Renault, qui emboutit à son tour la machine derrière laquelle elle venait de se rabattre.
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La déviation sur la gauche de la voiture Ford Capri a été provoquée, à dire d'expert, par un blocage des seules roues arrière imputable à un défaut de conception du système des freins de ce modèle de véhicule.
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Renvoyé devant le juge pénal, le prénommé a finalement été condamné à 15 jours d'arrêts avec sursis, par jugement du 27 novembre 1974 de la Cour suprême du canton de Berne, jugement confirmé par le Tribunal fédéral en date du 25 février 1975, pour infraction aux art. 32 al. 1 et 34 al. 1 LCR, sur la base des art. 90 al. 1 LCR et 117 CPS.
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B.- Avisée de l'accident, la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents - qui assurait Jean Houlmann, lequel avait été grièvement blessé - a pris le cas en charge. Mais elle a décidé d'opérer une réduction de 20% sur ses prestations en application de l'art. 98 al. 3 LAMA. Selon elle, l'intéressé avait en effet commis une faute grave "pour avoir circulé à une vitesse inadaptée aux conditions de la route et avoir ainsi perdu la maîtrise de son véhicule".
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C.- Jean Houlmann a recouru contre la décision de réduction prise par la Caisse nationale le 8 décembre 1972, en concluant à son annulation. Il contestait avoir commis une faute grave. La Cour de justice civile du canton de Genève lui a donné raison par jugement du 12 septembre 1975. Les premiers juges ont considéré en bref que la cause principale de l'accident n'avait pas résidé dans l'inobservation des règles de prudence élémentaire, mais dans un défaut technique du système de freinage du véhicule du recourant, et que, si la vitesse du prénommé pouvait être qualifiée d'excessive, cette circonstance ne suffisait pas à faire admettre l'existence d'une faute grave justifiant réduction des prestations.
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D.- La Caisse nationale interjette recours de droit administratif, en concluant au rétablissement de sa décision.
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Jean Houlmann conclut au rejet du recours.
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BGE 102 V 23 (25): Considérant en droit:
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1. Selon la jurisprudence bien établie, constitue une faute grave au sens de l'art. 98 al. 3 LAMA la violation des règles de prudence élémentaire que tout homme raisonnable eût observées, dans la même situation et les mêmes circonstances, pour éviter des conséquences dommageables prévisibles dans le cours naturel des choses. Il faut relever, à l'instar du juge cantonal, que la notion de faute grave selon la disposition susmentionnée est plus large que celle de violation grave d'une règle de circulation au sens de l'art. 90 al. 2 LCR, laquelle suppose un comportement sans scrupules ou du moins lourdement contraire aux règles de la circulation, c'est-à-dire une faute particulièrement caractérisée (voir RO 92 IV 145). Mais il faut relever aussi que, si les règles de circulation figurant dans la LCR et ses dispositions d'exécution sont déterminantes, toute violation d'une telle règle n'implique pas une faute grave; pour admettre semblable faute, il faut qu'il y ait eu violation d'une règle élémentaire ou de plusieurs règles importantes de circulation (voir p.ex. l'arrêt non publié Rinaldi du 15 mai 1972). Il y a lieu de s'en tenir à ce principe.
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En effet, on doit relever tout d'abord que, si la vitesse de 105 km/h (la limitation générale à 100 km/h n'était pas encore en vigueur à l'époque) a certes été l'une des causes de l'accident, elle n'était pas en soi propre à provoquer un accident. Après avoir procédé lui-même à des essais, l'expert mis en oeuvre par le juge pénal a déclaré dans son rapport du 10 novembre 1973 qu'une vitesse de 110 km/h à l'endroit de l'accident ne pouvait être qualifiée de dangereuse, même s'il pensait personnellement qu'une allure de 80 km/h aurait été mieux adaptée. Jean Houlmann n'a d'ailleurs pas perdu la maîtrise de son véhicule, et la déviation subséquente à gauche est due à un défaut technique dont il n'avait et ne pouvait avoir connaissance.
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BGE 102 V 23 (26):
Toute comparaison est ainsi exclue avec le cas du motocycliste qui, sur une machine prêtée, se lance à 130 km/h dans un virage connu pour dangereux et perd la maîtrise du véhicule (arrêt non publié Chavaillaz du 27 décembre 1973). Ou encore avec l'automobiliste qui descend à quelque 50-55 km/h une route présentant une déclivité de 4% et recouverte d'une couche de neige verglacée, d'autant plus que la voiture était équipée de pneus mal adaptés (RO 97 V 210).
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La Caisse nationale insiste sur la similitude avec l'arrêt non publié Crottaz du 27 février 1964. Il y a certes quelque analogie avec cette dernière affaire: la vitesse à laquelle roulait l'intéressé et le brusque coup de frein donné en apercevant, venant en sens contraire, une voiture qui déboîtait pour doubler. Mais là s'arrêtent les ressemblances. Tandis que l'assuré Crottaz roulait par temps de pluie, sur une route mouillée et glissante, débouchant d'un dos d'âne qui lui coupait toute visibilité, et se trouvait dans l'impossibilité de s'arrêter sur le tronçon de route qu'il pouvait apercevoir, l'intimé Houlmann circulait par temps beau et sec, passait un léger dos d'âne qui ne lui coupait aucunement la vue sur le tronçon de route allant jusqu'au virage dont devait surgir inopinément une voiture s'écartant sur la gauche. De plus, la déviation de son véhicule n'a pas été due à une perte de maîtrise, mais à un défaut technique.
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On ne saurait enfin guère reprocher à l'assuré de connaître encore insuffisamment son automobile. Si toutefois, comme l'a admis le juge pénal, l'intimé devait encourir un tel blâme, il n'en résulterait pas encore pour autant l'existence d'une faute grave. Car, conduisant depuis 1956, apparemment sans le moindre incident (hormis une amende pour faute de parcage en 1959), Jean Houlmann pouvait raisonnablement se sentir sûr après plus de 1000 km au volant d'une voiture dont seul un expert a pu déceler les défauts.
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Il n'est pas sans intérêt de rappeler que le juge pénal lui-même n'a pas retenu en l'occurrence une faute grave au sens de l'art. 90 al. 2 LCR. Certes, on l'a vu plus haut, la notion de faute grave de l'art. 98 al. 3 LAMA est plus large que celle de la disposition susmentionnée de la LCR. Il n'en reste pas moins qu'en ne qualifiant pas de grave la faute commise par l'intimé, la Cour de justice a correctement apprécié les circonstances du cas d'espèce. Le recours de la Caisse nationale BGE 102 V 23 (27):
doit donc être rejeté, sans pour autant que soit justifiée la remarque de cette dernière selon laquelle "si, dans les circonstances de l'espèce, on ne peut pas conclure au bien-fondé d'une réduction selon l'art. 98 LAMA, on ne voit décidément plus quelles conditions devraient être remplies pour que cette disposition fût encore applicable": il existe nombre de situations dans lesquelles une réduction sera admissible, ainsi que cela ressort des trois exemples rappelés ci-dessus.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:
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