BGer 4C.295/2001
 
BGer 4C.295/2001 vom 24.01.2002
[AZA 0/2]
4C.295/2001
Ie COUR CIVILE
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24 janvier 2002
Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz et
Mme Klett, juges. Greffier: M. Carruzzo.
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Dans la cause civile pendante
entre
P.________, défendeur et recourant, représenté par Me Jean-Marie Faivre, avocat à Genève,
et
X.________ S.A., demanderesse et intimée, représentée par Me David Lachat, avocat à Genève,
(évacuation; défaut de paiement du loyer; compensation)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Dès 1974, la Société Immobilière Y.________ S.A. a remis à bail à P.________ des locaux destinés à un commerce de véhicules automobiles avec atelier de réparation.
Pendant de nombreuses années, P.________ fut l'un des administrateurs et actionnaires de la SI Y.________ S.A.
Le 11 janvier 2000, X.________ S.A., qui était devenue l'actionnaire unique de la SI Y.________ S.A., a acquis la propriété de l'immeuble; à cette occasion, il fut précisé que X.________ S.A. se substituait à la SI Y.________ S.A.
(alors en liquidation) pour tous droits et obligations résultant des baux en cours.
Par avis comminatoire du 20 mars 2000 établi au nom de la SI Y.________ S.A., P.________ fut mis en demeure de payer, dans les trente jours, la somme de 25 505 fr.50 avec intérêt à 5 % dès le 30 avril 1997, à titre d'arriéré sur les frais de chauffage et d'eau chaude pour les saisons de 1995 à 1999, ceci sous menace de résiliation du bail, conformément à l'art. 257d CO. Par courrier du 12 avril 2000, l'avis comminatoire fut rectifié, en ce sens que le créancier et bailleur était désormais X.________ S.A. (et non pas la SI Y.________ S.A.); un nouveau délai de grâce de trente jours fut alors accordé à P.________ pour régler l'arriéré de 25 505 fr.50 en capital.
En date du 12 mai 2000, P.________ a versé la somme de 15 701 fr.70 avec la mention "solde décompte chauffage Y.________".
Bien qu'invité à expliquer pour quelles raisons il n'avait pas payé l'intégralité du montant réclamé, P.________ ne fournit aucune réponse.
Le 7 juin 2000, X.________ S.A. lui notifia la résiliation du bail pour le 31 juillet 2000. P.________ n'a pas contesté le congé dans les trente jours suivant sa réception.
B.- Le 21 août 2000, X.________ S.A. déposa devant les tribunaux genevois une requête en évacuation dirigée contre P.________.
Ce dernier a soutenu que la différence avait été réglée grâce à une créance relative au bail, de 9804 fr.30, qu'il avait à l'encontre de la SI Y.________ S.A. en 1996.
Cette compensation fut entièrement contestée par la partie adverse.
Estimant qu'il n'était pas en mesure de déterminer si le locataire était en demeure ou non, le Tribunal des baux et loyers du canton de Genève, par jugement du 22 janvier 2001, rejeta la requête en évacuation.
Saisie par X.________ S.A., la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève, par arrêt du 22 juin 2001, a annulé ce jugement et condamné P.________ à évacuer les locaux. Elle a constaté en fait que le locataire n'avait pas excipé de la compensation avant l'expiration du délai comminatoire. Comme il avait soutenu que les parties étaient en compte courant, la cour cantonale a constaté qu'il y avait effectivement, dans les documents comptables de la SI Y.________ S.A., un compte au nom de P.________, mais que celui-ci révélait constamment un débit de cette personne, du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1999, malgré la prise en compte, en 1996, de différents postes à son crédit représentant un total de 9804 fr.30.
C.- P.________ interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Invoquant diverses violations du droit fédéral, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au rejet de la requête en évacuation, subsidiairement au renvoi de la cause à la cour cantonale.
L'intimée propose le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt attaqué.
Considérant en droit :
1.- a) Le jugement prononçant l'évacuation du locataire pour défaut de paiement du loyer selon les règles de la procédure genevoise doit être considéré comme une décision finale au sens de l'art. 48 al. 1 OJ, ouvrant la voie du recours en réforme (arrêt non publié du 27 février 1997 reproduit in SJ 1997 p. 540 s. consid. 1b).
Le recourant allègue - sans être contredit - que le loyer mensuel a été fixé à 8000 fr. et qu'un bail pour une durée de quinze ans a été conclu à partir du 25 mars 1997. Il n'est donc pas douteux que la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. requis par l'art. 46 OJ (sur la détermination de la valeur litigieuse en cas de contestation d'une résiliation, cf. ATF 119 II 147 consid. 1; 111 II 384 consid. 1; 109 II 153 consid. 1a).
Interjeté par la partie condamnée à évacuer les locaux qu'elle avait loués et dirigé ainsi contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ), le recours en réforme est recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 et 34 al. 1 let. b OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).
b) Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ) ou pour violation du droit cantonal (art. 127 III 248 consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a, 370 consid. 5).
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a). Dans la mesure où le recourant présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est pas ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent (ATF 126 III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a; 122 III 26 consid. 4a/aa, 61 consid. 2c/cc p. 66, 73 consid. 6b/bb p. 80).
Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties, mais il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a; 123 III 246 consid. 2).
2.- a) Le locataire conteste que les conditions légales aient été remplies pour une résiliation anticipée du bail motivée par la demeure du locataire. Une telle objection doit être examinée au stade de l'évacuation, quand bien même le locataire n'a pas contesté le congé dans le délai fixé par l'art. 273 al. 1 CO (ATF 121 III 156 consid. 1c/aa p. 161).
Comme l'art. 257d al. 1 CO mentionne expressément le retard pour s'acquitter de frais accessoires échus, il n'est pas douteux qu'un tel retard peut entraîner une résiliation du bail en application de cette disposition.
Il n'est pas contesté que la manière de procéder prévue par l'art. 257d CO a été suivie et que le locataire n'a pas versé intégralement le montant réclamé dans le délai de grâce légal qui lui a été imparti avec menace de résiliation.
La résiliation qui s'en est suivie a respecté le délai et le terme prévus par l'art. 257d al. 2 CO.
Le locataire ne conteste pas les décomptes de chauffage invoqués par sa partie adverse et admet qu'il est débiteur de ce chef. Il invoque cependant la compensation avec une créance qu'il serait en droit de faire valoir à l'encontre de l'intimée.
Il appartient au débiteur qui prétend s'être libéré d'en apporter la preuve (Pierre Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 650; Urs Leu, Commentaire bâlois, n. 1 ad art. 88 CO; Rolf H. Weber, Commentaire bernois, n. 7 ad art. 88 CO). Contrairement à une allusion du recourant, on ne discerne aucune violation des règles du droit fédéral en matière de preuve.
b) Le recourant se prévaut de la maxime inquisitoire sociale instituée par l'art. 274d al. 3 CO (sur cette notion, cf. ATF 125 III 231 consid. 4a).
Lorsqu'une partie invoque la compensation, le juge ne sait rien a priori de la créance compensatoire; il incombe donc à la partie de présenter les faits permettant de constater que les conditions de la compensation sont réunies; si elle détient des moyens de preuve, on peut attendre d'elle qu'elle les produise. En l'espèce, on ne voit pas ce que le juge aurait pu faire de plus et en quoi le recourant aurait été empêché d'apporter ses preuves. Quant au rapport d'une fiduciaire mentionné par la cour cantonale et dont le recourant se plaint, il ne joue de toute manière - comme on le verra - aucun rôle décisif. On ne parvient donc pas à discerner en quoi l'art. 274d al. 3 CO aurait été violé, de sorte que ce grief est dépourvu de tout fondement.
c) L'effet extinctif de la compensation n'a lieu que si le débiteur fait connaître au créancier son intention de l'invoquer (art. 124 al. 1 CO).
Il a été constaté en fait - d'une manière qui lie le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ) - que le recourant n'a pas manifesté cette volonté avant l'expiration du délai de grâce.
Dans une telle situation, la créance n'a en principe pas été éteinte par voie de compensation en temps utile, de sorte que la résiliation du bail en application de l'art. 257d al. 2 CO ne peut plus être remise en cause (ATF 119 II 241 consid. 6b/bb et cc).
d) Le recourant soutient toutefois qu'il n'était pas tenu de faire une telle déclaration, parce que les parties avaient conclu un contrat de compte courant.
Dans un contrat de compte courant (sur cette figure juridique, cf. ATF 100 III 79 consid. 3 p. 83; Engel, op.
cit. , p. 773 s.), les prétentions et contre-prétentions portées en compte s'éteignent par compensation et une nouvelle créance prend naissance à concurrence du solde (cf. ATF 104 II 190 consid. 2a p. 192; arrêt non publié du 23 décembre 1993 reproduit in SJ 1994 p. 269 ss consid. 4a/bb). Il y a novation lorsque le solde a été arrêté et reconnu (art. 117 al. 2 CO).
Il est certes établi en l'espèce que la bailleresse tenait un décompte au sujet du locataire. Il n'est cependant pas établi que les parties fussent convenues d'un contrat de compte courant, c'est-à-dire d'une compensation automatique réciproque dans l'attente d'un solde qui devrait être reconnu.
On ne sait même pas si le solde était envoyé au locataire en vue d'être reconnu. Qu'une partie tienne un décompte ne permet pas encore de déduire que les parties ont eu la volonté de conclure un contrat de compte courant.
Même si l'on admettait l'existence d'un contrat de compte courant, il ressort des constatations de fait cantonales - qui lient le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ) - que la créance compensatoire invoquée a été prise en considération et que, malgré celle-ci, le compte du recourant a été constamment fortement déficitaire. Il ne résulte pas de ce compte que le recourant aurait une créance encore existante qu'il pourrait offrir en compensation.
Le recourant soutient qu'il faudrait faire des comptes courants séparés, l'un pour les opérations relevant du contrat de bail et l'autre pour les autres opérations (celles relevant de son activité antérieure en tant qu'actionnaire et administrateur). La cour cantonale n'a pas constaté que deux comptes ainsi séparés aient été tenus par la bailleresse ou par le locataire. Le recourant semble d'ailleurs admettre lui-même qu'il n'y avait qu'un seul compte mélangeant les postes.
Ainsi, il n'est pas parvenu à prouver que les parties fussent convenues d'un contrat de compte courant qui porterait exclusivement sur les montants relatifs au contrat de bail. Il n'est donc pas parvenu à prouver des circonstances qui permettraient de constater qu'il s'est libéré en temps utile, indépendamment de toutes déclarations de compensation, du solde qui lui est réclamé.
Admettre en pareilles circonstances la validité de la résiliation est conforme aux règles du droit fédéral sur la preuve.
Il n'est donc pas nécessaire d'examiner si - comme le soutient l'intimée - le recourant a été déchu du droit de provoquer cette discussion, parce qu'il n'avait pas expliqué en temps utile les raisons de son refus de payer le solde (hypothèse prévue par l'ATF 121 III 156 consid. 1c/bb p. 162).
e) Le recourant soutient que le congé contreviendrait aux règles de la bonne foi (cf. art. 271 al. 1 CO).
Il est cependant déchu du droit d'invoquer cet argument, dès lors qu'il n'a pas agi dans le délai prévu par l'art. 273 al. 1 CO (ATF 121 III 156 consid. 1c/aa p. 161).
f) Le recourant soutient que la bailleresse aurait récemment vendu l'immeuble et n'aurait plus intérêt à agir.
Il invoque ainsi un fait nouveau, ce qui n'est pas admissible dans un recours en réforme (art. 55 al. 1 let. c OJ). Au demeurant, l'aliénation de l'objet du litige en cours de procédure devant le Tribunal fédéral n'influence pas la qualité pour agir ou pour défendre (art. 21 al. 2 PCF, applicable par le renvoi de l'art. 40 OJ; Bernard Corboz, Le recours en réforme au Tribunal fédéral, in SJ 2000 II p. 29 note 230); le droit cantonal, qui ne peut être examiné dans un recours en réforme, ne semble pas exiger une solution différente (cf. Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile du canton de Genève, n. 7 ad art. 1).
3.- Les frais et dépens doivent être mis à la charge du recourant qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;
2. Met un émolument judiciaire de 7000 fr. à la charge du recourant;
3. Dit que le recourant versera à l'intimée une indemnité de 8000 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.
__________
Lausanne, le 24 janvier 2002 ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,