BGer 1A.70/2004
 
BGer 1A.70/2004 vom 07.07.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
1A.70/2004/fzc
Arrêt du 7 juillet 2004
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Féraud et Fonjallaz.
Greffier: M. Parmelin.
Parties
X.________,
recourant,
représenté par Me Jérôme Fer, avocat,
contre
Département des finances et des affaires sociales du canton de Neuchâtel, Service juridique, Château,
2001 Neuchâtel 1,
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel,
case postale 3174, 2001 Neuchâtel 1.
Objet
indemnisation et réparation morale dans le cadre de la
loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions.
recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Neuchâtel du 17 février 2004.
Faits:
A.
Le 15 mars 1996, Y.________et son épouse ont été agressés à leur domicile, puis ligotés et bâillonnés par deux inconnus qui ont emporté divers objets de valeur pour un montant total estimé entre 760'000 et 815'000 fr. En janvier 1999, Y.________a désigné X.________ comme l'un des coauteurs du brigandage commis à son préjudice. Entendu comme témoin le 4 février 1999, Z.________ a affirmé avoir vu celui-ci quitter les lieux du crime au volant de la voiture d'Y.________, immédiatement après le brigandage; il a confirmé ses dires en date du 8 juin 1999. Interrogé le 24 mars 1999, X.________ a déclaré se trouver à un camp d'entraînement à Saignelégier le soir du crime, avec la première équipe de football du club, dont il était l'entraîneur. C.________ a confirmé ce fait lors de son audition par la police le 29 septembre 1999. Z.________ s'est rétracté lors de la confrontation avec X.________ tenue le même jour. Malgré cela, le conseil d' Y.________a maintenu sa plainte en sollicitant sans succès diverses mesures d'instruction destinées à vérifier l'alibi de X.________. Interrogé à nouveau le 8 février 2000, Z.________ a reconnu avoir été incité par Y.________à commettre un faux témoignage. Le 21 février 2000, le Ministère public du canton de Neuchâtel a ordonné le classement de la plainte pour brigandage déposée par Y.________contre X.________.
Z.________ a été condamné le 14 novembre 2000 par le Tribunal correctionnel du district de La Chaux-de-Fonds à une peine de douze mois d'emprisonnement avec sursis pendant quatre ans des chefs de dénonciation calomnieuse et de faux témoignage. Il a été astreint à verser une indemnité de dépens de 1'000 fr. à X.________. Quant à Y.________, jugé irresponsable, il a bénéficié d'un non-lieu prononcé le 22 février 2001; il a cependant été condamné à verser au lésé une indemnité de dépens de 2'000 fr.
B.
Le 28 septembre 2001, X.________ a déposé une demande d'indemnisation et de réparation morale fondée sur les art. 11 et suivants de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI; RS 312.5) auprès du Département des finances et des affaires sociales du canton de Neuchâtel. Il sollicitait l'octroi d'une somme de 15'000 fr. en réparation du tort moral et de 4'354.50 fr., au titre du dommage matériel, correspondant à la perte de gain subie et à ses honoraires d'avocat. Il a produit un certificat médical établi le 8 novembre 2000, attestant qu'il avait consulté son médecin-traitant à plusieurs reprises dès le mois de mars 1999 à la suite de troubles anxieux en relation avec les faits incriminés, suffisamment importants pour qu'un traitement médicamenteux soit instauré durant plusieurs semaines. Il a également déposé un extrait du registre des poursuites certifiant que Z.________ et Y.________font tous deux l'objet de poursuites et sont insolvables.
Au terme d'une décision prise le 9 janvier 2002, le Département cantonal des finances et des affaires sociales a déclaré la demande d'indemnisation irrecevable au motif que le requérant n'avait pas la qualité de victime au sens de l'art. 2 al. 1 LAVI. Par arrêt du 17 février 2004, le Tribunal administratif du canton de Neuchâtel (ci-après: le Tribunal administratif ou la cour cantonale) a rejeté le recours interjeté par X.________ contre cette décision.
C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, X.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et de lui allouer 4'354.50 fr. à titre de dommages-intérêts et 15'000 fr. à titre d'indemnité pour tort moral ou, le cas échéant, de renvoyer l'affaire au Tribunal administratif pour nouvelle décision au sens des considérants. Il reproche aux autorités cantonales d'avoir violé les art. 2 al. 1 et 12 LAVI en considérant que l'atteinte à l'intégrité psychique subie du fait de la procédure pénale n'était pas suffisamment grave pour admettre sa qualité de victime et justifier l'octroi d'une indemnité fondée sur cette dernière disposition.
Le Tribunal administratif et le Département des finances et des affaires sociales du canton de Neuchâtel concluent au rejet du recours. Invité à se déterminer, l'Office fédéral de la justice a renoncé à déposer des observations.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recours de droit administratif au Tribunal fédéral est recevable contre les décisions cantonales de dernière instance fondées sur la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions, concernant les demandes de réparation du dommage ou de réparation morale (ATF 126 II 237 consid. 1a p. 239) et, plus particulièrement, contre les décisions rejetant de telles demandes faute de légitimation active (arrêt 1A.196/2000 du 7 décembre 2000, paru à la ZBl 102/2001 p. 492).
2.
2.1 Aux termes des art. 2 al. 1 et 11 al. 1 LAVI, celle ou celui qui est victime d'une infraction pénale et subit, de ce fait, une atteinte directe à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique, peut demander une indemnisation ou une réparation morale dans le canton où l'infraction a été commise. L'indemnité, qui ne peut excéder 100'000 fr., est fixée en fonction du montant du dommage subi et des revenus de la victime (art. 13 al. 1, 2 et 3 LAVI). La réparation morale est due, elle, indépendamment du revenu de la victime, lorsque celle-ci subit une atteinte grave et que des circonstances particulières justifient cette réparation (art. 12 al. 2 LAVI).
En l'occurrence, le Tribunal administratif a refusé toute indemnité au motif que le recourant ne pouvait se prévaloir de la qualité de victime au sens des dispositions précitées. Il s'agit d'une question que le Tribunal fédéral examine librement (ATF 126 IV 147 consid. 1 p. 149 et l'arrêt cité).
2.2 Il n'existe pas de liste exhaustive des infractions relevant du champ d'application de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (arrêt 6S.333/2002 du 20 août 2002, consid. 2.2, publié in Pra 2003 n° 19 p. 91). La qualité de victime se détermine principalement en fonction des conséquences engendrées par l'atteinte subie. Le recourant doit avoir subi une atteinte directe à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique du fait de l'infraction dénoncée. En présence d'infractions contre la réputation et l'administration de la justice, telle la dénonciation calomnieuse, qui protège également la personne accusée faussement (ATF 115 IV 1 consid. 2b p. 3), l'admission de la qualité de victime n'entre en considération que si les circonstances étaient suffisamment graves pour entraîner une atteinte directe à l'intégrité psychique du lésé (ATF 120 Ia 157 consid. 2d/aa p. 163; Cédric Mizel, La qualité de victime LAVI et la mesure actuelle des droits qui en découlent, JT 2003 IV 38, spéc. ch. 47, p. 62); par ailleurs, la lésion subie doit être significative; à cet égard, il faut se placer d'un point de vue objectif et non en fonction de la sensibilité personnelle et subjective du lésé (arrêt 1A.459/2003 du 21 août 2003 consid. 1.3 cité par Mizel, op. cit., note 143 ad ch. 66, p. 68; ATF 120 Ia 157 consid. 2d/cc p. 164; du même avis, Peter Gomm, Der Opferbegriff gemäss OHG, Plädoyer, 2/1995, p. 31; cf. ATF 129 V 177 consid. 4.1 p. 183, 402 consid. 4.4.1 p. 407).
2.3 En l'occurrence, X.________ était mis en cause par Z.________ et Y.________pour avoir participé en tant que coauteur à un brigandage qualifié. Les circonstances dans lesquelles cette infraction a été commise étaient particulièrement graves. Y.________ a été neutralisé sous la menace d'une arme et frappé de coups de pied sur tout le corps, avant d'être attaché et bâillonné au moyen de bandes adhésives, comme son épouse; les auteurs du brigandage ont dérobé des biens pour plusieurs centaines de milliers de francs. X.________ était exposé en conséquence à une peine privative de liberté très importante. De plus, alors même qu'il pouvait se prévaloir d'un alibi solide, Z.________ et Y.________ont maintenu leurs fausses accusations une année durant, allant jusqu'à solliciter diverses mesures d'instruction complémentaires visant à vérifier ses dires, avant que le premier cité ne reconnaisse finalement avoir commis un faux témoignage; enfin, X.________ a été pris à partie, insulté et traité de menteur par l'épouse d'Y.________alors qu'il se trouvait dans un établissement public en compagnie des joueurs de l'équipe de football dont il était l'entraîneur. Dans les circonstances particulières du cas d'espèce, appréciées objectivement, la dénonciation calomnieuse dont le recourant a fait l'objet était propre à entraîner une atteinte directe à son intégrité psychique, suffisante pour lui reconnaître exceptionnellement la qualité de victime au sens de l'art. 2 al. 1 LAVI, puisque celui-ci a dû consulter à plusieurs reprises son médecin traitant pour des troubles anxieux et suivre un traitement médicamenteux pendant plusieurs semaines sans que l'on puisse imputer l'origine et l'ampleur de ces troubles à une prédisposition ou à une sensibilité personnelle particulières.
2.4 L'arrêt attaqué qui refuse toute indemnisation pour ce seul motif viole par conséquent le droit fédéral et doit être annulé; il en va de même de la décision prise le 9 janvier 2002 par le Département des finances et des affaires sociales du canton de Neuchâtel, la cause étant renvoyée à cette dernière autorité pour qu'elle examine si les autres conditions posées à l'octroi d'une indemnisation fondée sur les art. 11 et suivants LAVI, et notamment celle relative à la gravité de l'atteinte nécessaire, selon l'art. 12 al. 2 LAVI, pour justifier l'octroi d'une indemnité à titre de réparation morale (cf. arrêt 1A.235/2000 du 21 février 2001 consid. 5), sont réunies. Il se justifie également de renvoyer la cause au Tribunal administratif afin de régler le sort des frais et dépens de la procédure cantonale.
3.
Le recours doit par conséquent être admis. Le canton de Neuchâtel est dispensé des frais de justice (art. 156 al. 2 OJ). Il versera en revanche une indemnité de dépens au recourant qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé, ainsi que la décision prise le 9 janvier 2002 par le Département des finances et des affaires sociales du canton de Neuchâtel.
2.
La cause est renvoyée au Département des finances et des affaires sociales du canton de Neuchâtel pour nouvelle décision sur le fond au sens des considérants, et au Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, pour nouvelle décision sur les frais et les dépens de la procédure cantonale de recours.
3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
4.
Une indemnité de 2'000 fr. est allouée au recourant à titre de dépens, à la charge du canton de Neuchâtel.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Département des finances et des affaires sociales et au Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice.
Lausanne, le 7 juillet 2004
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: