BGer 4P.142/2004
 
BGer 4P.142/2004 vom 13.09.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
4P.142/2004 /ech
Arrêt du 13 septembre 2004
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Rottenberg Liatowitsch et Favre.
Greffière: Mme Krauskopf.
Parties
X.________ SA,
recourante, représentée par Me Christophe Schwarb,
contre
A.________,
intimé, représenté par Me Jean-Pierre Huguenin,
Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, IIe Cour civile, rue du Pommier 1, case postale 3174,
2001 Neuchâtel 1.
Objet
art. 9 Cst. (appréciation arbitraire des preuves en procédure civile),
recours de droit public contre le jugement du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, IIe Cour civile, du 10 mai 2004.
Faits:
A.
A.________ a été engagé le 15 novembre 1997 comme technicien-commercial par X.________ SA, société dont le siège se trouve à ... et qui fournit des services dans le domaine des télécommunications, de la commercialisation de produits de bureautique et de l'informatique. Le 1er mai 1998, A.________ a été nommé responsable de la succursale nouvellement créée de X.________ SA à .... Son salaire brut s'élevait à 4'000 fr. auquel venait s'ajouter une commission sur le résultat de la succursale, représentant 50% de la marge nette obtenue, mais ne dépassant pas 4'000 fr. par mois. Le 25 janvier 1999, X.________ SA a licencié son employé. Celui-ci a contesté le congé par courrier du 2 février 1999, auquel était annexé un certificat médical attestant d'une incapacité de travail à 50% à partir du 25 janvier 1999.
B.
Par jugement du 10 mai 2004, la IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, statuant en première instance, a retenu que X.________ SA a licencié son employé avec effet immédiat sans juste motif et l'a condamnée à lui verser les montants de 46'761 fr. 50 brut et de 18'842 fr. net avec intérêts à 5% dès le 9 mai 2001. Elle a par ailleurs débouté X.________ SA de sa demande reconventionnelle.
C.
Se plaignant d'arbitraire dans l'établissement des faits et l'appréciation des preuves, X.________ SA interjette un recours de droit public contre ce jugement dont elle demande l'annulation. A.________ propose le rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale (ATF 119 II 449 consid. 1, non publié), le recours est recevable au regard des art. 87 et 89 al. 1 OJ.
1.1 Une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction évidente avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 I 81 consid. 2 p. 86, 177 consid. 2.1 p. 182).
1.2 Aux termes de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit, sous peine d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. Le justiciable qui se plaint d'arbitraire doit démontrer, par une argumentation précise, que la décision attaquée repose sur une application de la loi ou une appréciation des preuves manifestement insoutenables (ATF 129 I 113 consid. 2.1 p. 120; 120 Ia 369 consid. 3a p. 373 et les arrêts cités).
1.3 Dans un recours de droit public pour arbitraire, les moyens de fait ou de droit nouveaux sont prohibés (ATF 124 I 208 consid. 4b p. 212). Le Tribunal fédéral s'en tient dès lors aux faits constatés par l'autorité cantonale, à moins que le recourant ne démontre que ces constatations sont arbitrairement fausses ou lacunaires (ATF 126 I 95 consid. 4b p. 96; 118 Ia 20 consid. 5a p. 26). Lorsque la recourante allègue en l'espèce que l'intimé aurait, pendant le délai de congé, bénéficié de prestations d'assurance et exercé une activité lucrative, elle introduit des faits, qui ne ressortent pas du jugement attaqué. Dès lors qu'elle ne démontre pas que leur omission serait arbitraire, il n'y a donc pas lieu d'en tenir compte.
2.
La recourante reproche aux juges cantonaux d'avoir retenu arbitrairement qu'elle aurait résilié le contrat de l'intimé avec effet immédiat. La cour cantonale serait parvenue à cette conclusion en omettant de tenir compte de ses courriers des 5 février et 12 mars 1999 et de la réunion entre les parties ayant eu lieu le 8 mars 1999. Ces éléments démontreraient qu'il s'agirait d'un congé ordinaire, et que l'intimé aurait été dispensé de fournir sa prestation de travail pendant le délai de congé.
2.1 L'autorité cantonale a considéré que le contrat a manifestement été résilié avec effet immédiat lors de l'entrevue du 25 janvier 1999. Cela ressortirait des courriers des 26 janvier, 2 et 5 février 1999 ainsi que du témoignage de B.________, qui avait assisté à l'entretien du 25 janvier 1999.
2.2 Dans la lettre du 26 janvier 1999, la recourante parle d'un licenciement abrupt et pour justes motifs et établit une longue liste de griefs le justifiant selon elle. Elle expose ensuite avoir envisagé "dans un but de générosité extrême" la possibilité d'un congé ordinaire, tout en renonçant aux services de l'intimé pendant la "période de dédite", mais que l'attitude de ce dernier lors de l'entretien du 25 janvier 1999 ne lui avait laissé aucun choix. Le témoin C.________, qui a assisté à cet entretien, a expliqué que l'idée de départ avait été de compenser les deux mois de congé avec les avances de commissions déjà perçues par l'intimé, que celui-ci s'était fâché en cours de discussion et que la recourante lui avait alors demandé de mettre un terme immédiat à son activité. Pour le témoin B.________, également présent lors de l'entretien du 25 janvier 1999, il s'agissait d'un licenciement immédiat. Par courrier du 2 février 1999, l'intimé a contesté le licenciement avec effet immédiat. Dans sa réponse du 5 février 1999, la recourante n'a pas mentionné qu'il s'agirait d'un congé ordinaire et a confirmé les motifs indiqués dans le courrier du 26 janvier 1999. Le 12 mars 1999, elle a réitéré une proposition faite lors d'une réunion le 8 mars 1999, à savoir d'accorder à l'intimé un délai de congé de deux mois et de compenser son salaire pour cette période avec les commissions perçues en trop.
Au vu de ces éléments, il n'était pas insoutenable de considérer que la recourante avait licencié l'intimé avec effet immédiat. Au contraire, rien ne permet d'affirmer qu'elle voulait lui signifier un congé ordinaire. Comme le retient pour le surplus l'autorité cantonale à juste titre, la recourante ne pouvait ensuite transformer, sans le consentement de l'intimé, le licenciement avec effet immédiat en un congé ordinaire; ayant opté pour la résiliation extraordinaire, elle a perdu le droit à un congé ordinaire (cf. ATF 123 III 246 consid. 3 p. 248; Wyler, Droit du travail, p. 365, cf. aussi Streiff/von Kaenel, Arbeitsvertrag, n. 14 ad art. 337).
3.
La recourante reproche par ailleurs aux premiers juges d'avoir arbitrairement écarté l'existence d'un abus de droit. Compte tenu des circonstances, l'intimé aurait agi abusivement en produisant un certificat médical.
La question de savoir si une partie commet un abus de droit relève de l'application du droit fédéral au sens de l'art. 43 al. 1 OJ (cf. au sujet de l'abus de droit ATF 129 III 493 consid. 5.1 p. 497 et les références). Elle peut être soumise à la Cour de céans dans le cadre d'un recours en réforme. En raison de la règle de la subsidiarité du recours de droit public (art. 84 al. 2 OJ), elle ne peut cependant être examinée dans cette voie de recours; le grief est donc irrecevable. Au demeurant, dans la mesure où la recourante explique, à l'appui de son grief, ne pas contester le contenu du certificat médical, tout en affirmant que l'incapacité de travail aurait été inexistante, son argumentation souffre d'une certaine contradiction, ce qui la rend irrecevable.
4.
Elle reproche ensuite aux juges cantonaux de l'avoir condamnée à payer deux fois le montant se rapportant aux commissions: une fois en intégrant les acomptes sur commissions dans le salaire et une seconde fois à titre de commission.
La cour cantonale a retenu que, pour la période allant du 1er mai 1998 au 31 janvier 1999, la moitié de la marge nette du résultat de la succursale due à l'intimé s'élevait à 50'223 fr. 30, montant qui devait être réduit à 36'000 fr. compte tenu du plafonnement convenu à 4'000 fr. par mois. Contrairement à ce que soutient la recourante, elle a ensuite déduit les sommes déjà perçues par l'intimé à titre d'acomptes sur les commissions, à savoir au total 13'500 fr. (= 9 x 1'500 fr.). Le grief est donc manifestement infondé.
5.
La recourante allègue par ailleurs que l'intimé aurait commis un abus de droit en contestant avoir reçu les décomptes de commissions et en ne réagissant pas aux propositions qu'elle lui aurait faites après la cessation des rapports de travail. Ce grief est irrecevable, dès lors que l'existence d'un abus de droit ne peut être examinée dans la procédure du recours de droit public (cf. consid. 3). La recourante ne démontre au demeurant pas en quoi il était arbitraire de retenir que l'intimé n'avait pas reçu ces décomptes pendant qu'il était employé. Son grief est à cet égard purement appellatoire (ATF 117 Ia 10 consid. 4b p. 11/12).
6.
La recourante se plaint en outre du fait que sa demande de faire procéder à une expertise aurait été écartée sans motivation. Une expertise aurait permis de déterminer la marge nette sur les ventes et les honoraires. Il serait en particulier arbitraire d'avoir pris en compte l'intégralité des honoraires de la succursale, alors que l'intimé n'aurait pas été seul à les générer. En partant d'une marge brute erronée, la marge nette le serait également.
6.1 De jurisprudence constante, il est admis que l'autorité peut renoncer à faire administrer certaines preuves lorsque, au vu des éléments déjà en sa possession, elle est convaincue de l'inutilité du moyen proposé (ATF 124 I 208 consid. 4a p. 211 et les références). L'appréciation anticipée des preuves à laquelle elle procède alors et qui ne constitue pas une atteinte au droit d'être entendu (ATF 125 I 127 consid.6c/cc in fine p. 135), est soumise à l'interdiction de l'arbitraire au même titre que toute autre appréciation des preuves (ATF 124 I 274 consid. 5b p. 285).
6.2 Contrairement à ce que soutient la recourante, le juge instructeur a indiqué dans son ordonnance de preuves du 14 août 2002 les raisons motivant le refus d'ordonner une expertise. Il y a notamment expliqué qu'un exposé général et abstrait des notions de marge brute et nette tel que le demandait la recourante ne serait d'aucune utilité et que la cour cantonale pouvait se prononcer en se fondant sur le dossier et, le cas échéant, à la lumière d'ouvrages comptables. L'autorité cantonale a donc clairement procédé à une appréciation anticipée des preuves pour justifier le refus d'administrer le moyen de preuve sollicité.
6.3 Dans son jugement, elle a d'abord déterminé la marge brute des ventes, arrêtée à 12%, pourcentage que la recourante ne conteste pas. La cour cantonale a estimé que ce taux s'appliquait également aux autres prestations s'élevant à 2'804 fr. 35, fait que la recourante ne conteste également pas. Elle a ensuite considéré que l'intégralité (100%) des honoraires devaient être pris en considération. Les taux variant entre 0 et 60% figurant sur les décomptes remis après la cessation des rapports de travail par la recourante à l'intimé n'auraient pas de justification logique, puisque les charges étaient ensuite déduites des honoraires perçus par la succursale. La recourante ne s'en prend pas à cette motivation, se bornant à affirmer que la justification de la logique démontrerait l'arbitraire du raisonnement. Elle n'expose en particulier pas en quoi il était arbitraire d'avoir expliqué la prise en compte de l'intégralité des honoraires par la déduction de l'intégralité des frais y relatifs. Insuffisamment motivé, le grief est donc, sur ce point, irrecevable (consid. 1.2). Selon le contrat de travail, la commission est au demeurant calculée sur le résultat de la succursale, et non uniquement de l'intimé, comme semble le soutenir la recourante. Il ne ressort en outre pas du dossier quelles affaires auraient été générées par les autres collaborateurs de la succursale; la recourante ne le précise pas non plus.
Une fois la marge brute déterminée, l'autorité cantonale a déduit le salaire de l'intimé, les charges sociales, le loyer, les frais de téléphone, certains frais divers et ajouté les frais de déplacement, mécanisme que la recourante aurait expressément admis dans son mémoire-réponse. Celle-ci ne démontre à nouveau pas en quoi il était arbitraire d'avoir retenu qu'elle avait admis ce mécanisme; elle se borne en effet à affirmer que les charges devraient être calculées différemment. Son grief est donc également irrecevable sur ce point, faute d'une motivation suffisante. La recourante n'a en conclusion démontré sur aucun point que l'appréciation des preuves à laquelle a procédé l'autorité cantonale pour conclure qu'elle était suffisamment renseignée et pouvait ainsi refuser d'ordonner une expertise relative aux marges brutes et nettes des ventes et honoraires était arbitraire. Le grief est donc irrecevable au regard de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (consid. 1.2).
7.
Le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais de son auteur (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 3'500 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 4'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, IIe Cour civile.
Lausanne, le 13 septembre 2004
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: