BGer 6S.359/2004
 
BGer 6S.359/2004 vom 22.10.2004
 
Arrêt du 22 octobre 2004
 
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Kolly.
Greffière: Mme Kistler.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Jacques Michod, avocat,
contre
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.
Objet
Assassinat (art. 112 CP); fixation de la peine (art. 63 CP),
pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale, du 7 juin 2004.
 
Faits:
A. Par jugement du 9 février 2004, X.________, ressortissant français, né le 18 novembre 1980 au Maroc, a été reconnu coupable de meurtre, d'actes d'ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance, d'infraction grave et de contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants ainsi que de diverses autres infractions relatives à des actes de violence (art. 181, 183, 129, 140 ch. 2, 123 ch. 2., 193, 285 CP; art. 33 al. 1 let. a LARM; art. 23 LSEE). En conséquence, le Tribunal criminel de l'arrondissement de Lausanne a condamné X.________ à la peine de quatorze ans de réclusion, sous déduction de la détention préventive, et a ordonné son expulsion du territoire suisse pour une durée de quinze ans.
B. La condamnation pour assassinat, qui est seule contestée, repose sur les faits suivants:
C. Contre l'arrêt cantonal, X.________ forme un pourvoi en nullité au Tribunal fédéral. Invoquant une fausse application de l'art. 112 CP ainsi que de l'art. 63 CP, il conclut à l'annulation de la décision attaquée. En outre, il sollicite l'assistance judiciaire.
 
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1. Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base exclusive de l'état de fait définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 277biset 273 al. 1 let. b PPF). Le raisonnement juridique doit se fonder sur les faits retenus dans la décision attaquée, dont le recourant ne peut s'écarter. Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Celles-ci, qui doivent être interprétées à la lumière de leur motivation, circonscrivent les points litigieux (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66).
2. Le recourant fait valoir qu'il aurait dû être condamné non pour assassinat (art. 112 CP), mais pour meurtre au sens de l'art. 111 CP. Il soutient que l'homicide a été commis alors qu'il était sous l'emprise de la cocaïne, sans aucune préméditation et lors d'une violente bagarre. Selon lui, il aurait agi alors que les événements s'enchaînaient dans le cadre d'un affrontement physique et alors qu'il pouvait légitimement craindre l'intervention de tiers.
2.1. Selon l'art. 112 CP, il y a assassinat si le délinquant a tué avec une absence particulière de scrupules, notamment si son mobile, son but ou sa façon d'agir est particulièrement odieux.
L'assassinat est une forme qualifiée d'homicide intentionnel, qui se distingue du meurtre ordinaire (art. 111 CP) par l'absence particulière de scrupules. L'art. 112 CP évoque l'hypothèse où les mobiles, le but ou la façon d'agir de l'auteur sont hautement répréhensibles, mais l'énoncé n'est pas exhaustif (ATF 118 IV 122 consid. 2b p. 125). L'absence particulière de scrupules suppose une faute particulièrement lourde, déduite de l'acte lui-même ou des circonstances qui l'entourent directement (FF 1985 II 1034). Un mobile, un but ou une façon d'agir particulièrement odieux n'emportent pas à eux seuls la qualification juridique d'assassinat. Seule une appréciation globale de l'acte et de son contexte permet une telle conclusion (ATF 120 IV 265 consid. 3a p. 274). Il faut ainsi procéder à une appréciation d'ensemble pour dire si l'acte, examiné sous toutes ses facettes, donne à l'auteur les traits caractéristiques de l'assassin (ATF 118 IV 122 consid. 2b p. 126).
2.2. Selon les constatations cantonales, le recourant a poignardé la victime pour récupérer l'argent et la drogue, mais aussi et surtout pour assurer sa réputation de caïd, qui lui imposait de gagner la bagarre. Le mobile du recourant était donc double. D'une part, il entendait conserver le bénéfice de son vol à l'astuce. On est dans l'hypothèse typique de l'assassinat où l'auteur tue pour s'octroyer un avantage patrimonial indu ou pour conserver le produit de son vol. D'autre part, le recourant a blessé mortellement son adversaire pour marquer sa supériorité et justifier sa réputation de chef du milieu des toxicomanes et des dealers. Ces mobiles ne peuvent être qualifiés que de futiles, de dérisoires et, partant, d'odieux.
Dans la mesure où le recourant prétend qu'il craignait l'intervention de tiers, il s'écarte de l'état de fait cantonal, et son grief est dès lors irrecevable. Rien n'indique en effet dans l'arrêt attaqué que le recourant a été menacé par les autres Africains; au contraire, tout démontre qu'il a agi avec un grand sang froid. En effet, le recourant n'a pas pris la fuite après avoir asséné son coup de couteau dans la bagarre. Après le coup de couteau, il a eu la présence d'esprit de faire cracher les boulettes de cocaïne que sa victime gardait dans la bouche, a vérifié s'il y avait du sang sur le couteau avant de le mettre dans sa poche et a quitté les lieux tranquillement. Il a même admis avoir plaisanté avec des policiers croisés dans la rue quelques minutes après la commission de l'acte.
2.3. Au vu de ce qui précède, force est d'admettre que l'ensemble des circonstances présentes avant, pendant et après l'acte incriminé conduisent à retenir une absence particulière de scrupules au sens de l'art. 112 CP. C'est donc à juste titre que l'autorité cantonale a condamné le recourant pour assassinat et non seulement pour meurtre. Le moyen tiré de la violation de l'art. 112 CP doit dès lors être rejeté dans la mesure où il est recevable.
3. Le recourant considère que la peine de quinze ans qui lui a été infligée est excessivement sévère.
 
3.1.
3.1.1. Aux termes de l'art. 63 CP, le juge fixera la peine d'après la culpabilité du délinquant, en tenant compte des mobiles, des antécédents et de la situation personnelle de ce dernier. Le critère essentiel est celui de la gravité de la faute. Le juge doit prendre en considération, en premier lieu, les éléments qui portent sur l'acte lui-même, à savoir sur le résultat de l'activité illicite, sur le mode et l'exécution et, du point de vue subjectif, sur l'intensité de la volonté délictueuse ainsi que sur les mobiles. L'importance de la faute dépend aussi de la liberté de décision dont disposait l'auteur; plus il lui aurait été facile de respecter la norme qu'il a enfreinte, plus lourdement pèse sa décision de l'avoir transgressée et, partant, sa faute (ATF 127 IV 101 consid. 2a p. 103). Les autres éléments concernent la personne de l'auteur, soit ses antécédents, sa situation personnelle, familiale et professionnelle, l'éducation reçue, la formation suivie, son intégration sociale et, d'une manière générale, sa réputation (ATF 118 IV 21 consid. 2b p. 25).
3.1.2. Selon l'art. 11 CP (responsabilité restreinte), "le juge pourra atténuer librement la peine (art. 66), si, par suite d'un trouble dans sa santé mentale ou dans sa conscience, ou par suite d'un développement mental incomplet, le délinquant, au moment d'agir, ne possédait pas pleinement la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d'après cette appréciation". Lorsqu'il admet une responsabilité restreinte, le juge doit réduire la peine en conséquence, sans être tenu toutefois d'opérer une réduction linéaire (ATF 123 IV 49 consid. 2c p. 51). Selon la jurisprudence, il ne s'agit pas d'appliquer un tarif ou une relation mathématique, mais de tirer des conséquences raisonnables de la situation. Une diminution légère, respectivement moyenne ou forte, de la responsabilité n'entraîne donc pas nécessairement une réduction de 25%, respectivement de 50% ou de 75%, de la peine. Toutefois, il doit exister une certaine corrélation entre la diminution de responsabilité constatée et ses conséquences sur la peine (ATF 129 IV 22 consid. 6.2 p. 35).
3.1.3. En vertu de l'art. 68 ch. 1 al. 1 CP (concours), lorsqu'un délinquant, par plusieurs actes, aura encouru plusieurs peines privatives de liberté, le juge le condamnera à la peine de l'infraction la plus grave et en augmentera la durée d'après les circonstances, mais pas au-delà de la moitié en sus du maximum de la peine prévue pour cette infraction; il sera, en outre, lié par le maximum légal du genre de peine. Pour satisfaire cette règle, le juge, dans un premier temps, fixera donc la peine pour l'infraction abstraitement la plus grave, en tenant compte de tous les éléments pertinents, parmi lesquels les circonstances aggravantes ou atténuantes ou une éventuelle diminution de la responsabilité pénale. Dans un second temps, il augmentera cette peine pour sanctionner les autres infractions, en tenant là aussi compte de toutes les circonstances y relatives (ATF 116 IV 300 consid. 2c/dd p. 305).
3.2. En l'occurrence, l'infraction la plus grave selon l'art. 68 CP est l'assassinat, passible de la réclusion à vie ou de la réclusion pour dix ans au moins. En relation avec cette infraction, l'autorité cantonale a tenu compte du jeune âge du recourant ainsi que de ses regrets sincères.
3.3. Au vu de l'ensemble de ces éléments, force est d'admettre que, même compte tenu de la diminution de sa responsabilité, la culpabilité du recourant est très lourde, en particulier en raison de l'usage quasi systématique des menaces et de la violence, du mépris pour l'intégrité corporelle, la santé et la vie d'autrui, et de la volonté de marquer sa supériorité et de passer pour un caïd. Le recourant a fait systématiquement passer son égoïsme et ses envies avant toutes autres considérations et a voulu gagner à tous les coups. En conséquence, la peine de quinze ans de réclusion qui lui a été infligée n'apparaît pas sévère à un point tel qu'il faille conclure à un abus du large pouvoir d'appréciation accordé à l'autorité cantonale. Cette dernière a motivé de manière suffisante la peine, et le recourant n'invoque aucun élément, propre à la modifier, qu'elle aurait omis ou pris en considération à tort. Le grief de violation de l'art. 63 CP est dès lors infondé et doit être rejeté.
4. Au vu de ce qui précède, le pourvoi doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
3. Un émolument judiciaire de 800 francs est mis à la charge du recourant.
4. Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal cantonal vaudois, Cour de cassation pénale.
Lausanne, le 22 octobre 2004
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président:
La greffière: