BGer 1P.629/2004
 
BGer 1P.629/2004 vom 02.12.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
1P.629/2004 /fzc
Arrêt du 2 décembre 2004
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, juge présidant,
Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Zimmermann.
Parties
D.________, recourant, représenté par
Me Hrant Hovagemyan, avocat,
contre
M.________ Limited et O.________ Export Ltd,
intimées, représentées par Philippe Cottier,
Etude Pestalozzi Lachenal Patry,
Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève,
case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
révision de l'arrêt 1P.515/2004 du 6 octobre 2004,
Faits:
A.
Le 9 octobre 2002, les sociétés britanniques M.________ Ltd (ci-après: M.________) et O.________ ont déposé plainte pénale auprès du Procureur général du canton de Genève, pour abus de confiance, vol et recel. Elles ont exposé, en bref, avoir mis à disposition d'un programme des Nations Unies des médicaments contre le virus HIV qu'elles fabriquent, à un prix rabattu de 90%, afin qu'ils soient distribués à des malades en Afrique, par l'entremise d'organisations non gouvernementales. Or, il était apparu qu'une partie de ces produits pharmaceutiques avait été détournée pour être acheminée sur le marché européen. La Société P.________ S.A. (ci-après: P.________), serait impliquée dans l'affaire.
Le 21 novembre 2002, le Juge d'instruction du canton de Genève a inculpé D.________, dirigeant de P.________ notamment d'escroquerie et de recel. Le 16 avril 2004, il a admis les sociétés M.________ et O.________ Export Ltd (ci-après: O.________) comme parties civiles à la procédure.
D.________ a recouru auprès de la Chambre d'accusation du canton de Genève, qui l'a débouté le 5 juillet 2004.
Par arrêt du 6 octobre 2004 (cause 1P.515/2004), le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable au regard de l'art. 87 al. 2 OJ le recours de droit public formé par D.________ contre cette décision.
B.
Le 1er novembre 2004, D.________ a présenté une demande de révision de l'arrêt du 6 octobre 2004. Invoquant le motif de l'art. 136 let. d OJ, il demande l'annulation et la suspension de cet arrêt, ainsi que l'admission du recours de droit public dans la cause 1P.515/2004.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Pour que le Tribunal fédéral puisse entrer en matière sur une demande de révision fondée sur l'art. 136 OJ, il n'est pas nécessaire que les conditions posées par cette disposition soient réalisées, car il s'agit d'une condition d'admissibilité et non de recevabilité (ATF 96 I 279 consid. 1 p. 279). Il suffit que le requérant prétende que la condition de révision est réalisée et que la requête satisfasse aux exigences formelles posées par la loi (cf. art. 140 et 141 OJ), ce qui est le cas en l'espèce.
2.
Aux termes de l'art. 136 let. d OJ, la demande de révision est recevable lorsque le Tribunal fédéral n'a, par inadvertance, pas apprécié des faits importants résultant du dossier. Le verbe « apprécier », utilisé dans le texte français, est ambigu (de même, dans le texte italien, le verbe « apprezzare »); le terme allemand « berücksichtigen », correspondant à « prendre en considération », rend mieux le sens de la loi (ATF 122 II 17 consid. 3 p. 18; 96 I 279 consid. 3 p. 280). L'inadvertance, au sens de cette disposition, suppose que le juge ait omis de prendre en considération une pièce déterminée, versée au dossier, ou l'ait mal lue, s'écartant par mégarde de sa teneur exacte, en particulier de son véritable sens littéral; elle se distingue de la fausse appréciation des preuves administrées devant le Tribunal fédéral, soit la portée juridique des faits établis. L'inadvertance doit se rapporter au contenu même du fait, à sa perception par le tribunal, mais non à son appréciation juridique; elle consiste soit à méconnaître, soit à déformer un fait ou une pièce (ATF 122 II 17 consid. 3 p. 18/19; 115 II 399 consid. 2a p. 399/400; 101 Ib 220 consid. 1 p. 222; 96 I 279 consid. 3 in fine p. 280, et les références citées).
2.1 Le 16 avril 2004, le Juge d'instruction a admis M.________ et O.________ comme parties civiles à la procédure pénale. Dans son recours du 29 avril 2004 adressé à la Chambre d'accusation, le demandeur avait contesté que ces sociétés puissent être assimilées à des plaignantes ou lésées au sens de l'art. 25 CPP/GE. Le 5 juillet 2004, la Chambre d'accusation a considéré que M.________ et O.________ avaient, à ce stade de la procédure, établi avec une vraisemblance suffisante un dommage économique direct, lié au fait que des médicaments destinés initialement à des organisations non-gouvernementales africaines engagées dans la lutte contre le virus HIV, aient été illicitement réexportés en Europe et distribués à des filières parallèles, à des prix défiant toute concurrence (cause 1P.515/2004, consid. 4.4, p. 9/10). A l'appui du recours de droit public dirigé contre cette décision, le demandeur s'était plaint de la violation de la présomption d'innocence, du principe de l'égalité des armes et du droit au procès équitable, ainsi que de la violation arbitraire de l'art. 25 CPP/GE. Il avait soutenu, en bref, qu'aucun élément de la procédure n'étayait le soupçon du caractère illicite de la réexportation en Europe des médicaments en question. Dans l'arrêt du 6 octobre 2004 qui fait l'objet de la demande de révision, le Tribunal fédéral a jugé que la décision relative à l'admission de la qualité de partie civile au procès pénal est de nature incidente. Elle ne causait en l'occurrence aucun dommage irréparable au sens de l'art. 87 al. 2 OJ au demandeur, lequel serait libre de demander au Juge d'instruction de restreindre le droit des parties civiles de consulter le dossier et à en lever des pièces. Il était douteux pour le surplus que la Chambre d'accusation puisse être liée quant à son appréciation des faits retenus à la charge du demandeur, au stade du renvoi en jugement. Au demeurant, le juge du fond resterait libre dans son appréciation. Quant au demandeur, il disposerait en outre du droit de proposer des investigations à décharge. Enfin, pour le cas où un jugement défavorable serait rendu contre lui, il aurait encore la faculté d'emprunter la voie du recours de droit public contre les éventuelles violations de ses droits constitutionnels qui résulteraient, selon lui, de la décision incidente portant sur l'admission de la qualité de partie civile au procès (art. 87 al. 3 OJ).
2.2 Le demandeur reproche au Tribunal fédéral de s'être fondé sur un état de fait « incomplet, erroné et irrelevant ». Sous cet aspect, il fait valoir notamment que le Tribunal fédéral n'aurait pas tenu compte du fait que la procédure pénale ne concernait pas M.________ et O.________, mais d'autres sociétés du même groupe et méconnu le dommage irréparable lié au fait que des témoins pourraient avoir accès au dossier de la procédure, en violation des garanties du procès équitable. En outre, le Tribunal fédéral n'aurait pas correctement apprécié le caractère de la décision de la Chambre d'accusation, qui présentait les traits d'une décision préjudicielle, en ce sens qu'elle équivalait à un renvoi en jugement. Ces éléments étaient pourtant déterminants pour décider de la recevabilité du recours de droit public. En n'entrant pas en matière sur celui-ci pour les motifs indiqués dans l'arrêt du 6 octobre 2004, le Tribunal fédéral aurait entériné une violation des droits de la défense commis au stade de l'instruction et, partant, violé le droit au recours effectif, garanti notamment par l'art. 13 CEDH. Il aurait en outre privé le demandeur de la possibilité de requérir un non-lieu.
2.3 Aucun de ces arguments n'est propre à justifier la révision de l'arrêt du 6 octobre 2004.
Comme rappelé dans l'arrêt attaqué, le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 130 II 249 consid. 2 p. 250, 302 consid. 3 p. 303/304, 306 consid. 1.1 p. 308, 321 consid. 1 p. 324, 388 consid. 1 p. 389 et les arrêts cités). Il n'est pas lié par les conclusions des parties, ni par les moyens qu'elles ont - ou n'ont pas - fait valoir à ce sujet (ATF 110 Ib 63 consid. 1 p. 65; 109 Ia 61 consid. 1 p. 64; 106 Ia 229 consid. 1 p. 230). En l'occurrence, la décision de la Chambre d'accusation présentait les traits d'une décision incidente au sens de l'art. 87 OJ, puisqu'elle n'a pas mis fin à la procédure pénale. Partant, la seule question à trancher était celle de savoir si cette décision causait au demandeur un préjudice irréparable. A supposer, avec le demandeur, que la décision du 5 juillet 2004 équivaille à un renvoi en jugement - ce qui est pour le moins contestable - cela ne prêterait de toute manière pas à conséquence, puisqu'une telle décision incidente ne cause elle-même pas de dommage irréparable au sens de l'art. 87 OJ à l'accusé qui reste, à ce stade de la procédure, présumé innocent (ATF 115 Ia 311). Pour le surplus, le Tribunal fédéral a indiqué clairement dans l'arrêt attaqué, en confirmation de sa jurisprudence constante, en quoi la condition du préjudice irréparable n'était pas remplie en l'espèce. Le demandeur se borne sur ce point à répéter ce qu'il avait déjà dit dans la procédure précédente. Sous couvert de la révision, il cherche à remettre en cause l'appréciation juridique des faits retenus par le Tribunal fédéral, en présentant des arguments qui n'ont pas trait à l'établissement du préjudice irréparable, mais au fond de l'affaire. Ce procédé, qui s'apparente à un appel déguisé de l'arrêt du 6 octobre 2004, n'est pas compatible avec la nature de la révision et ne constitue pas un motif visé à l'art. 136 let. d OJ.
Pour le surplus, le demandeur disposera de toutes les garanties du procès équitable au stade du jugement, y compris pour redresser des violations éventuelles des règles de procédure (notamment l'art. 25 CPP/GE), qui auraient été commises pendant l'instruction de la cause pénale. Le droit à un recours effectif au sens de l'art. 13 CEDH est garanti à cet égard, puisque la décision du 5 juillet 2004 pourrait encore être attaquée par la voie du recours de droit public, avec la décision finale, dans l'hypothèse où celle-ci serait défavorable au demandeur (art. 87 al. 3 OJ).
2.4 La demande doit ainsi être rejetée, aux frais de son auteur (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 159 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
La demande est rejetée.
2.
Un émolument de 3'000 fr. est mis à la charge du demandeur.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, ainsi qu'au Juge d'instruction, au Procureur général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.
Lausanne, le 2 décembre 2004
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le juge présidant: Le greffier: