BGer 1C_265/2009
 
BGer 1C_265/2009 vom 07.10.2009
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
{T 0/2}
1C_265/2009
Arrêt du 7 octobre 2009
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger et Fonjallaz.
Greffier: M. Parmelin.
Parties
A.________, représentée par Mes Peter Reetz, David Dussy et Blaise Carron,
recourante,
contre
Préfecture du district de la Gruyère, Le Château, case postale 192, 1630 Bulle,
Commune de Bulle, Grand-Rue 7,
case postale 32, 1630 Bulle.
Objet
révocation d'autorisations de construire,
recours contre l'arrêt de la IIe Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 8 mai 2009.
Faits:
A.
Le 24 février 2006, le Préfet du district de la Gruyère a accordé à A.________ l'autorisation de démolir une halle existante et de construire en lieu et place un magasin d'alimentation sur les parcelles nos 322 et 324 du registre foncier de la commune de Bulle, sises dans la zone péricentrale I du plan d'aménagement local.
A.________ a apporté diverses modifications au projet que le Préfet du district de la Gruyère a autorisées à la faveur d'un permis de construire délivré le 6 mai 2008.
Le 28 octobre 2008, la société a sollicité une prolongation d'une année de la validité du permis de construire délivré le 6 mai 2008.
Par courrier du 18 novembre 2008, le Conseil communal de la Ville de Bulle a émis un préavis négatif au motif que le bâtiment autorisé contrevenait à la nouvelle réglementation concernant notamment la zone péricentrale I relative aux surfaces affectées au commerce de détail, telle que mise à l'enquête publique du 22 août au 22 septembre 2008. Le Service des constructions et de l'aménagement du canton de Fribourg s'est rallié au préavis défavorable de la commune dans ses déterminations du 12 décembre 2008.
Par décision du 16 décembre 2008, le Préfet du district de la Gruyère a rejeté la demande de prolongation sollicitée et déclaré caducs les permis de construire délivrés à la requérante les 24 février 2006 et 6 mai 2008. La IIe Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Fribourg (ci-après: le Tribunal cantonal) a rejeté le recours interjeté par A.________ contre cette décision au terme d'un arrêt rendu le 8 mai 2009.
B.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt ainsi que la décision du Préfet du district de la Gruyère du 16 décembre 2008.
Le Préfet du district de la Gruyère, le Tribunal cantonal et la Commune de Bulle concluent au rejet du recours.
C.
Par ordonnance du 3 juillet 2009, le Président de la Ire Cour de droit public a admis la requête de mesures provisionnelles présentée par la recourante tendant à ce que la validité des permis de construire des 24 février 2006 et 6 mai 2008 soit suspendue à partir du prononcé préfectoral du 16 décembre 2008 jusqu'à droit connu sur le recours.
Considérant en droit:
1.
Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale dans le domaine du droit public des constructions et de l'aménagement du territoire, le recours est recevable comme recours en matière de droit public au sens des art. 82 ss LTF et de l'art. 34 al. 1 LAT dans sa teneur actuelle selon le ch. 64 de l'annexe à la loi sur le Tribunal administratif fédéral (ATF 133 II 400 consid. 2 p. 403). La recourante a pris part à la procédure cantonale de recours. Elle est particulièrement touchée par l'arrêt attaqué qui confirme le refus du Préfet du district de la Gruyère de prolonger la validité des permis de construire que la Ville de Bulle lui avait délivrés les 24 février 2006 et 6 mai 2008 et leur révocation. Sa qualité pour agir est à l'évidence donnée. Les autres conditions de recevabilité du recours étant réunies, il convient d'entrer en matière.
2.
La recourante reproche au Tribunal cantonal d'avoir méconnu les principes déduits de l'art. 29 al. 2 Cst. en considérant que la violation grave de son droit d'être entendue commise par le Préfet du district de la Gruyère avait été réparée dans la procédure cantonale de recours et ne devait pas conduire à l'annulation de la décision prise par ce magistrat.
2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu comprend notamment le droit de prendre connaissance de toute prise de position soumise au tribunal et de se déterminer à ce propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux arguments de fait ou de droit et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement (ATF 133 I 100 consid. 4.3 p. 102). L'autorité qui verse au dossier de nouvelles pièces dont elle entend se prévaloir dans son jugement est tenue d'en aviser les parties et de leur donner l'occasion de se déterminer à leur sujet (ATF 132 V 387 consid. 3.1 p. 388; 124 II 132 consid. 2b p. 137 et les arrêts cités). Il en va de même lorsqu'elle entend retenir une argumentation juridique inédite dont les parties ne s'étaient pas prévalues et ne pouvaient guère discerner la pertinence en l'espèce (ATF 128 V 272 consid. 5b/bb p. 278 et les arrêts cités).
2.2 Dans le cas présent, le Préfet du district de la Gruyère n'a pas respecté ces garanties en statuant sur la demande de prolongation du permis de construire délivré le 6 mai 2008 à la recourante sans lui avoir communiqué au moins pour information les déterminations du Service cantonal des constructions et de l'aménagement à ce propos, puis en constatant d'office la caducité des permis de construire, sans lui avoir donné l'occasion de prendre préalablement position sur cette question exorbitante à la demande. Dans ces conditions, le Tribunal cantonal a à juste titre retenu que le droit d'être entendue de la recourante avait été violé. Il a néanmoins estimé que l'annulation pour ce motif de la décision attaquée et le renvoi de la cause au préfet pour qu'il statue à nouveau après avoir recueilli les déterminations de la recourante n'auraient aucun sens et seraient incompatibles avec le principe de l'économie de la procédure vu les prises de position des intervenants.
2.3 Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de nature formelle dont la violation doit en principe entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 135 I 187 consid. 2.2 p. 190; 132 V 387 consid. 5.1 p. 390). Toutefois, la jurisprudence admet qu'une violation de ce droit en instance inférieure puisse être réparée lorsque l'intéressé a eu la faculté de se faire entendre en instance supérieure par une autorité disposant d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (ATF 134 I 331 consid. 3.1 p. 335; 133 I 201 consid. 2.2 p. 204; 130 II 530 consid. 7.3 p. 562 et les arrêts cités). Une telle réparation dépend de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72 et les arrêts cités). Elle peut également se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 133 I 201 consid. 2.2 p. 204).
2.4 La recourante ne prétend pas que le pouvoir d'examen du Tribunal cantonal concernant les questions sur lesquelles porte la violation du droit d'être entendu serait moins étendu que celui du préfet et qu'une réparation du vice serait exclue pour ce motif. Elle soutient en revanche que s'agissant d'un vice grave, la cour cantonale n'était pas autorisée à admettre que celui-ci avait été réparé pour des raisons d'économie de procédure mais qu'elle aurait dû considérer la décision préfectorale comme nulle ou, à tout le moins, l'annuler.
2.5 Selon la jurisprudence, la nullité absolue ne frappe que les décisions affectées des vices les plus graves, manifestes ou particulièrement reconnaissables, et pour autant que la constatation de la nullité ne mette pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Hormis dans les cas expressément prévus par la loi, il n'y a lieu d'admettre la nullité qu'à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire. Des vices de fond n'entraînent qu'à de rares exceptions la nullité d'une décision. De graves vices de procédure, tels que l'incompétence qualifiée de l'autorité qui a rendu la décision, sont en revanche des motifs de nullité (ATF 133 III 430 consid. 3.3 p. 434; 132 II 21 consid. 3.1 p. 27; 129 I 361 consid. 2.1 p. 363 et les références citées).
Contrairement à ce que retient l'arrêt attaqué, le Préfet du district de la Gruyère a communiqué le préavis négatif de la Commune de Bulle pour détermination à la recourante qui a pris position à son propos en déposant une écriture le 25 novembre 2008. En revanche, il n'en a pas fait de même s'agissant des déterminations du Service cantonal des constructions et de l'aménagement. Ce dernier se borne toutefois à adhérer au préavis de la Commune de Bulle sur lequel la recourante s'est déterminée avant que le préfet ne statue. Le vice n'est donc pas particulièrement grave au point qu'il devait impérativement amener le Tribunal cantonal à constater la nullité de la décision préfectorale pour ce motif. Le préfet ne s'est toutefois pas limité à refuser de prolonger la validité des permis de construire, mais il les a déclarés caducs sans pour autant donner l'occasion à la recourante de se prononcer sur cette argumentation inédite, la privant ainsi de la possibilité de retirer sa demande et de réaliser la construction autorisée jusqu'à l'échéance du permis de construire. La question de savoir si cette violation du droit d'être entendu revêtait une gravité telle qu'elle excluait toute réparation dans la procédure de recours devant le Tribunal cantonal peut demeurer indécise, car le recours doit de toute façon être admis pour une autre raison.
2.6 Le Préfet du district de la Gruyère a déclaré caducs les permis de construire accordés à la recourante les 24 février 2006 et 6 mai 2008. Le droit cantonal sanctionne de la déchéance les permis de construire qui n'ont pas été utilisés dans les douze mois qui suivent leur délivrance (art. 177 al. 1 de la loi sur l'aménagement du territoire et les constructions du 9 mai 1983 [LATeC/FR; RSF 710.1]). En revanche, il ne prévoit pas la faculté pour le préfet de déclarer caducs des permis de construire non échus, qui se révéleraient non conformes à une réglementation nouvelle mise à l'enquête ou entrée en vigueur postérieurement à leur octroi. Seule leur révocation est envisageable aux conditions fixées à l'art. 178 LATeC. C'est d'ailleurs en ce sens que la cour cantonale a interprété la décision préfectorale. Selon cette disposition, un permis peut être révoqué par le préfet, sur requête de la commune ou de la Direction, si des circonstances particulières le justifient. Cette disposition est claire. S'il est compétent pour révoquer un permis de construire qu'il a lui-même délivré, le préfet ne peut le faire d'office, mais uniquement s'il est saisi d'une requête en ce sens de la commune concernée ou de la Direction. On cherche en vain une telle requête dans le cas particulier. La Commune de Bulle s'est en effet bornée à rendre le préavis requis par l'art. 177 al. 2 LATeC lorsque le préfet est saisi d'une demande de prolongation d'un permis de construire. Il importe peu qu'elle ait déclaré vouloir solliciter la révocation des permis de construire accordés à la recourante si le préfet n'avait pas prononcé d'office leur caducité. En ordonnant leur révocation sans avoir été saisi d'une demande en ce sens, le préfet a clairement contrevenu à l'art. 178 al. 1 LATeC. En considérant que cette irrégularité, relevée par la recourante dans ses observations finales, n'était pas suffisamment grave pour conduire à l'annulation de la décision préfectorale sur ce point et en confirmant la révocation des permis de construire, la cour cantonale a versé dans l'arbitraire.
Pour le surplus, la recourante ne conteste pas l'arrêt attaqué en tant qu'il confirme le refus du préfet de prolonger le permis de construire que la Commune de Bulle lui a délivré le 6 mai 2008. Elle ne cherche en particulier pas à démontrer en quoi la cour cantonale aurait fait une application arbitraire de l'art. 177 al. 2 LATeC, mais elle se borne à évoquer les raisons pour lesquelles elle considère qu'une révocation fondée sur l'art. 178 al. 1 LATeC n'entre pas en ligne de compte. Or, les conditions posées pour ordonner une telle mesure ne sont pas les mêmes que celles posées pour refuser de prolonger un permis de construire. Sur ce point, l'arrêt du Tribunal cantonal doit être confirmé.
3.
Les considérants qui précèdent conduisent à l'admission partielle du recours. L'arrêt attaqué sera annulé en tant qu'il confirme la révocation des permis de construire délivrés à la recourante en date des 24 février 2006 et 6 mai 2008. Il sera en revanche confirmé en tant qu'il porte sur le refus du préfet de les prolonger. L'admission partielle du recours implique une autre répartition des dépens devant l'instance inférieure étant donné que les motifs qui ont amené la cour cantonale à renoncer à mettre des frais à la charge de la recourante peuvent subsister. S'agissant d'apprécier par qui et dans quelle mesure il se justifie de faire supporter ceux-ci, la cour de céans renoncera à la faculté offerte par les art. 67 et 68 al. 5 LTF et renverra l'affaire au Tribunal cantonal pour qu'il statue sur ce point.
En ce qui concerne les frais de la procédure fédérale, le canton de Fribourg, qui succombe, est dispensé des frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF); en revanche, il versera une indemnité de dépens réduite à la recourante qui obtient partiellement gain de cause avec l'assistance de mandataires professionnels (art. 68 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est partiellement admis. L'arrêt attaqué est annulé en tant qu'il confirme la révocation des permis de construire litigieux. Il est confirmé pour le surplus.
2.
La cause est renvoyée à la IIe Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Fribourg pour nouvelle décision sur les dépens de la procédure cantonale.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Une indemnité de 1'500 fr. à payer à la recourante à titre de dépens est mise à la charge du canton de Fribourg.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires de la recourante, à la Commune de Bulle, au Préfet du district de la Gruyère et au Tribunal cantonal du canton de Fribourg.
Lausanne, le 7 octobre 2009
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Féraud Parmelin