BGer 4A_100/2010
 
BGer 4A_100/2010 vom 31.01.2011
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
{T 0/2}
4A_100/2010
Arrêt du 31 janvier 2011
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges Klett, Présidente, Kolly et Kiss.
Greffière: Mme Monti.
Participants à la procédure
X.________ SA, représentée par Me Laurent Maire et Me Nicolas Rouiller,
recourante,
contre
Y.________ SA, représentée par
Me Ivan Cherpillod,
intimée.
Objet
obligations contractuelles; dommages-intérêts,
recours en matière civile contre le jugement rendu le 22 avril 2009 par la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud et contre l'arrêt rendu le 17 mai 2010 par la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Faits:
A.
A.a La société V.________ SA (V.________), avec siège à ..., exploitait une manufacture d'horlogerie dans dite localité. Elle fabriquait notamment le calibre ..., un mouvement d'horlogerie bon marché. Afin de réduire les coûts, elle a décidé d'en délocaliser la production en Chine.
V.________ s'est adressée à X.________ SA (X.________), une société avec siège à ... active dans les échanges commerciaux entre la Suisse et la République populaire de Chine. X.________ s'est assuré le concours de la fabrique W.________, une entreprise d'État sise à Canton.
A.b Le 4 octobre 1988, V.________ et X.________ ont signé une convention dans laquelle la première déclarait être disposée à céder et la seconde à acquérir "une licence d'exploitation, de fabrication et de commercialisation des calibres ...", voire d'autres calibres. V.________ s'engageait à fournir une assistance technique ainsi que les machines nécessaires à la fabrication dans la mesure où celles-ci n'étaient plus en activité chez elle. X.________ s'engageait pour sa part à exploiter la commercialisation de ces calibres uniquement sur le marché interne de la Chine et à livrer une partie de la production à V.________ aux prix du marché chinois à concurrence de quotas fixés annuellement par V.________. L'accord retenait que les brevets de ces calibres étaient tous dans le domaine public et que le droit suisse était applicable en cas de litige.
La convention a été précisée par une lettre de V.________ du 22 décembre 1988 contresignée par X.________. Il y était notamment dit que la décision de transfert de technologie du calibre ... se finaliserait dans le courant de janvier 1989 et que ce calibre servirait de test.
Par contrat du 27 décembre 1988, X.________ a commandé à W.________ 300'000 calibres ... au prix de quatre dollars américains l'unité. Le contrat était conclu pour une année à partir du 1er janvier 1989. Il y était prévu que X.________ fournissait à W.________ les matières premières, matières secondaires, emballages et pièces ainsi que les équipements et outils de production; W.________ devait en contrepartie transformer ces pièces en calibres ....
A.c Le 15 septembre 1989, V.________ a adressé à X.________ une commande portant sur 300'000 mouvements de calibre ... provenant de W.________, à livrer dans le courant de 1990. Il ne s'agissait toutefois que d'une commande cadre pro forma, faite à la demande expresse de X.________. Elle était nécessaire pour obtenir l'appui des autorités chinoises.
A.d Le 23 mars 1990, V.________ et X.________ ont signé une nouvelle convention qui, selon son préambule, précisait les accords du 4 octobre 1988 et du 22 décembre 1988. La nouvelle convention prévoyait notamment que V.________ concédait à X.________, pour être transmis à W.________, le droit exclusif de fabriquer par étapes, d'abord sous forme de pièces détachées à titre d'essai, puis dans leur intégralité sous forme de mouvements, les calibres ..., et qu'elle s'engageait notamment à fournir à ses frais son assistance technique à W.________ en vue du lancement de la production. A titre de rémunération des services fournis par V.________, X.________ s'engageait à obtenir de W.________ l'assurance formelle et écrite que W.________ ne vendrait aucun calibre ou partie de calibre à des acheteurs ayant leur domicile ou siège en dehors de la République populaire de Chine. La convention était soumise au droit suisse; elle était conclue pour dix ans et renouvelable tacitement pour cinq ans à chaque échéance.
Quelques jours plus tard, X.________ rappelait à W.________ les engagements pris; la lettre a été contresignée par W.________ le 18 avril 1990. Il y était notamment dit que W.________ devait limiter l'utilisation des technologies transmises à la durée de dix ans prévue entre V.________ et X.________, et aux cinq années suivantes si la relation contractuelle entre V.________ et X.________ n'avait pas pris fin après dix ans.
Le 23 avril 1990, W.________ a confirmé à X.________ le renouvellement du contrat signé le 27 décembre 1988 (commande de 300'000 calibres ... à livrer dans le courant d'une année) jusqu'au 23 mars 2000.
A.e L'exécution des obligations par les divers acteurs impliqués a donné lieu à des difficultés. Le 3 novembre 1992, V.________ a informé X.________ qu'elle avait pris la décision de se consacrer à l'avenir à la production de pièces haut de gamme et qu'elle désirait pour cette raison mettre fin à leurs relations contractuelles; à cette époque, W.________ attendait que V.________ lui passe des commandes fermes pour le calibre ..., selon un plan prévu à l'avance, tandis que V.________ n'entendait passer des commandes qu'en fonction des besoins de ses clients.
V.________ et X.________ sont entrées en pourparlers en vue de rechercher les modalités de la rupture de contrat, pourparlers qui ont duré jusqu'en novembre 1993, sans toutefois aboutir; durant cette période, l'exécution des contrats a été suspendue. Le 22 novembre 1993, puis de nouveau ultérieurement, X.________ a mis V.________ en demeure d'exécuter ses obligations découlant de la convention du 23 mars 1990, sans succès.
Le 4 juillet 1994, W.________ a réclamé 6'000'000 dollars américains à X.________. Ce montant était censé correspondre au bénéfice net perdu et au manque à gagner découlant du non-transfert de technologie; il était calculé sur la base d'une production annuelle de 300'000 mouvements à 4 dollars l'unité pendant dix ans.
B.
Le 14 novembre 1994, X.________ a ouvert une action en dommages-intérêts devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois, concluant principalement à ce que V.________ soit condamnée à lui payer la somme de 22'225'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 1995 (subsidiairement: 17'750'000 fr. et 6'000'000 dollars). X.________ invoquait trois postes de dommage: 14'625'000 fr. pour perte du bénéfice qu'elle aurait réalisé par la vente annuelle de 300'000 calibres ... pendant dix ans; 10'000'000 fr. de préjudice découlant du non-transfert de la technologie pour les autres calibres; 9'745'800 fr. correspondant aux 6'000'000 dollars exigés d'elle par W.________. En résumé, X.________ reprochait à V.________ d'avoir violé diverses obligations découlant des conventions signées et des contrats oraux passés entre elles.
V.________ a conclu au rejet de l'action, contestant en particulier toute obligation contractuelle de sa part de commander un nombre déterminé de pièces à W.________. A titre reconventionnel, elle a conclu à la condamnation de X.________ à lui payer un montant finalement réduit à 188'490 fr. 60, à titre de remboursement d'un montant payé par erreur, de remboursement de composants conservés par W.________ et de solde du prix des machines livrées à W.________.
Par lettre du 19 mars 1999 adressée à X.________, V.________ a résilié la convention qui les liait pour la prochaine échéance.
En 2004, V.________ a été dissoute par fusion. Ses actifs et passifs ont été repris par la société Y.________ SA.
La Cour civile a rendu son jugement le 22 avril 2009. Elle a rejeté la demande de X.________ et a admis la demande reconventionnelle de Y.________ SA, condamnant ainsi la première à payer à la seconde le montant de 188'490 fr. 60 avec intérêts à 5% l'an dès le 18 mars 1995. En résumé, elle a retenu que V.________ ne s'était pas engagée à commander 300'000 pièces par année durant dix ans ni à transférer la technologie pour les calibres autres que le calibre ...; elle a en outre jugé que V.________ n'était pas responsable des engagements pris par X.________ à l'égard de W.________; elle a enfin retenu qu'un dommage découlant de la violation du devoir de V.________ de procurer une assistance technique à W.________ et de certains retards imputables à V.________ n'était pas prouvé.
C.
X.________ (ci-après: la recourante) interjette, par mémoire remis à la poste le lundi 8 février 2010, un recours en matière civile contre le jugement de la Cour civile cantonale. Elle requiert que ce jugement soit réformé en ce sens que les conclusions prises par elle dans sa demande du 14 novembre 1994 lui soient allouées et que les conclusions reconventionnelles du 16 mars 1995 soient rejetées.
Parallèlement au recours adressé au Tribunal fédéral, la recourante a également interjeté un recours en nullité cantonal auprès de la Chambre des recours du Tribunal cantonal. Ce recours a été rejeté par arrêt du 17 mai 2010.
La recourante, par mémoire remis à la poste le lundi 16 août 2010, interjette un recours en matière civile ensuite de la notification de l'arrêt de la Chambre des recours le 15 juin 2010. Elle conclut à ce que Y.________ SA (ci-après: l'intimée) soit condamnée à lui payer principalement 25'225'000 fr., subsidiairement 17'750'000 fr. et 6'000'000 dollars américains, avec intérêts à 5% l'an dès le 1er janvier 1995, et à ce que les conclusions reconventionnelles de l'intimée soient rejetées. Indépendamment de ces conclusions en paiement, elle conclut à ce qu'il soit constaté que le principe de célérité a été violé et qu'une indemnité équitable à titre de satisfaction, à charge du canton de Vaud, lui soit allouée.
Le 16 septembre 2010, la Cour civile a produit son dossier et renoncé à déposer une réponse. La Chambre des recours s'est également référée à son arrêt.
Dans sa réponse du 1er novembre 2010, l'intimée conclut au rejet des deux recours dans la mesure où ils sont recevables.
Par la suite, une réplique, une duplique et des observations sur la duplique ont été déposées.
Considérant en droit:
1.
Les arrêts attaqués étant antérieurs au 1er janvier 2011, les modifications de la LTF entrées en vigueur à cette date ne sont pas applicables à la présente procédure de recours (cf. art. 132 al. 1 LTF).
Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 134 III 115 consid. 1 p. 117).
1.1 Si, pour une partie des griefs recevables devant le Tribunal fédéral, la décision d'un tribunal cantonal supérieur peut être déférée à une autre autorité judiciaire cantonale, cette décision n'est pas de dernière instance pour ce qui concerne les questions susceptibles de ce recours cantonal; faute d'épuisement des voies de recours cantonales, ces questions ne peuvent pas être soulevées dans le cadre du recours en matière civile interjeté contre la décision du tribunal cantonal supérieur. Elles doivent d'abord faire l'objet du recours cantonal avant de pouvoir être soumises, le cas échéant, au Tribunal fédéral (cf. ancien art. 100 al. 6 LTF - RO 2006, 1233; arrêt 4A_329/2009 du 1er décembre 2010 consid. 2.1).
Au moment où le jugement attaqué a été rendu, le code de procédure civile du canton de Vaud du 14 décembre 1966 (CPC/VD; RSV 270.11) était encore intégralement en vigueur; la plupart de ses dispositions ont ensuite été abrogées le 1er janvier 2011 (cf. art. 173 du code de droit privé judiciaire vaudois, RSV 211.02). Selon cette ancienne réglementation applicable en l'espèce, le jugement rendu par la Cour civile du Tribunal cantonal pouvait faire l'objet d'un recours en nullité auprès de la Chambre des recours du Tribunal cantonal, en particulier pour violation des règles essentielles de la procédure (ancien art. 444 al. 1 ch. 3 CPC/VD). A teneur de l'art. 444 al. 2 CPC/VD, le recours était toutefois irrecevable pour les griefs qui pouvaient faire l'objet d'un recours en réforme au Tribunal fédéral. La jurisprudence cantonale a constaté que le grief d'arbitraire dans l'appréciation des preuves ne pouvait pas être soulevé dans un recours en réforme (art. 43 OJ) et en a déduit qu'il pouvait l'être dans le recours en nullité cantonal (JdT 2007 III 48).
La loi fédérale sur le Tribunal fédéral, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, a remplacé le recours en réforme par le recours en matière civile (cf. art. 72 ss LTF); dans le cadre de ce nouveau recours, le grief de violation de l'interdiction constitutionnelle de l'arbitraire est recevable (art. 95 LTF). A cette époque-là, l'art. 444 al. 2 CPC/VD n'a pas été adapté à la modification des voies de recours fédérales; il continuait de prévoir l'exclusion des griefs susceptibles de recours en réforme. Il en découlait que le grief d'arbitraire dans l'appréciation des preuves continuait d'être recevable dans le cadre du recours en nullité cantonal (arrêt 4A_531/2007 du 5 mars 2008 consid. 2.2; arrêt 5A_93/2008 du 15 septembre 2008 consid. 1.2, in RSPC 2009 47, avec note de TAPPY).
La recourante n'a pas méconnu cette articulation des voies de recours vaudoises. Elle a introduit un recours en nullité cantonal auprès de la Chambre des recours dans lequel elle se plaignait d'arbitraire dans l'appréciation des preuves. Dans ces circonstances, elle aurait pu attendre l'arrêt de la Chambre des recours pour attaquer, par un seul recours, tant cet arrêt que le jugement de la Cour civile (cf. ancien art. 100 al. 6 LTF). Mais elle a procédé différemment et a immédiatement introduit un premier recours au Tribunal fédéral contre le jugement de la Cour civile, puis ultérieurement un second recours après réception de l'arrêt de la Chambre des recours. Dans ce dernier recours, contrairement à ce que semble soutenir l'intimée, elle était habilitée à critiquer tant l'arrêt de la Chambre des recours que le jugement de la Cour civile; en effet, le délai pour attaquer ce jugement venait à échéance en même temps que celui pour attaquer l'arrêt de la Chambre des recours (cf. ancien art. 100 al. 6 LTF); la recourante était encore en droit de compléter le premier recours déposé antérieurement pour autant qu'elle formule des griefs recevables à l'encontre de ce jugement.
Il en découle ce qui suit pour les critiques relatives à des questions de fait ou de procédure: les critiques soulevées dans le premier recours, dirigé contre le jugement de la Cour civile, sont irrecevables faute d'épuisement des voies de recours cantonales. Les critiques soulevées dans le second recours sont recevables dans la mesure où elles sont dirigées contre l'arrêt de la Chambre des recours, qui constitue l'autorité cantonale de dernière instance pour de tels griefs (art. 75 al. 1 LTF); elles sont en revanche irrecevables en tant qu'elles visent le jugement de la Cour civile, sauf si la Chambre des recours a repris à son compte, au moins implicitement, les considérants de la Cour civile.
1.2 Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est donc limité ni par les arguments soulevés dans le recours ni par la motivation retenue par l'autorité précédente; il peut admettre un recours pour un autre motif que ceux qui ont été invoqués et il peut rejeter un recours en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité précédente (ATF 133 III 545 consid. 2.2).
1.3 Le recours doit être succinctement motivé (art. 42 al. 2 LTF), ce qui suppose que le recourant discute au moins brièvement les considérants de l'arrêt attaqué (ATF 134 II 244 consid. 2.1); cette exigence est une condition de recevabilité (cf. art. 108 al. 1 let. b LTF). Le Tribunal fédéral n'examine donc en principe que les griefs invoqués et suffisamment motivés (ATF 134 II 244 consid. 2.1; 133 III 545 consid. 2.2). La règle est absolue pour les griefs constitutionnels qui doivent être expressément invoqués et motivés (art. 106 al. 2 LTF); pour ces griefs, l'acte de recours doit, sous peine d'irrecevabilité, nécessairement contenir un exposé succinct des droits ou principes constitutionnels violés et expliquer de manière claire et circonstanciée en quoi consiste leur violation (ATF 134 I 83 consid. 3.2).
Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF); en tant que cour suprême, il est instance de révision du droit (Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, ch. 4.1.4.2 ad art. 92, FF 2001 4135). Il peut certes rectifier ou compléter les faits s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte, notion qui correspond à l'arbitraire, ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF, ce pour autant que la correction soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF). Cette exception à la règle selon laquelle le Tribunal fédéral ne revoit pas les faits ne permet toutefois pas aux parties de rediscuter dans leurs mémoires les faits de la cause comme si elles plaidaient devant un juge d'appel. La partie recourante qui entend faire rectifier ou compléter un fait doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions pour le faire seraient réalisées; les exigences de motivation correspondent à celles requises pour le grief de violation de l'interdiction constitutionnelle de l'arbitraire (cf. ATF 135 III 127 consid. 1.5; 133 III 638 consid. 2). En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables, ou encore s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée (ATF 129 I 8 consid. 2.1).
La volumineuse motivation du second recours pose problème à cet égard. Elle consiste pour partie en un exposé prolixe de la thèse soutenue par la recourante; or il ne suffit pas d'invoquer par-ci par-là l'arbitraire pour rendre un tel exposé compatible avec les exigences légales en matière de motivation. Il n'en sera dès lors tenu compte que dans la mesure où la critique est recevable, sans qu'il soit nécessaire de discuter point par point l'argumentation de la recourante.
2.
La recourante demande en premier lieu à être indemnisée pour la perte du bénéfice qu'elle aurait réalisé par la vente annuelle de 300'000 calibres ... durant dix ans.
2.1 La Cour civile a rejeté la conclusion correspondante au motif que les contrats écrits conclus par les parties ne prévoyaient pas l'obligation pour l'intimée de commander 300'000 pièces par année pendant dix ans et qu'il n'existait aucun accord oral sur ce point, si bien que la recourante n'avait pas apporté la preuve d'un préjudice correspondant (jug. p. 104, consid. V.b). Quant à la Chambre des recours, elle a jugé qu'il n'y avait pas eu arbitraire à nier en fait une volonté concordante des parties sur cette question (arrêt, consid. 3).
La recourante objecte à cette motivation qu'il était profondément arbitraire de ne pas retenir en fait qu'un accord oral était intervenu (rec. II, ch. 1.5.1 et 1.5.2, p. 34 - 42). Subsidiairement, bien que déclarant d'abord s'en remettre à justice pour ce qui est de l'application du principe de la confiance (rec. II, ch. 1.5 i.f., p. 33), elle soutient néanmoins qu'un engagement de commander 300'000 pièces par an durant dix ans résulte du principe de la confiance (rec. II, ch. 1.5.3, p. 42 -44; rec. I, ch. II.A.a.5, p. 5).
2.1.1 La Cour civile a constaté que les contrats écrits successifs passés entre les parties ne prévoyaient pas que l'intimée s'engageait à commander une quantité minimale de pièces chaque année; la Chambre des recours a jugé que cette constatation de fait n'était pas arbitraire. La recourante ne conteste pas cette appréciation. Dans les contrats retranscrits in extenso dans le jugement de la Cour civile, on ne trouve d'ailleurs aucune clause dans ce sens. Le défaut d'accord écrit est ainsi acquis.
2.1.2 La Cour civile a également nié un accord oral par lequel l'intimée se serait engagée à commander un nombre déterminé de pièces chaque année; la Chambre des recours n'a pas considéré cette constatation comme étant arbitraire. La recourante soulève plusieurs critiques à ce sujet.
La recourante critique d'abord le fait que la commande que l'intimée lui a adressée le 15 septembre 1989 ait été considérée uniquement comme une "commande cadre pro forma", établie dans le but d'obtenir l'appui des autorités chinoises. Selon les constatations de la Cour civile, l'instruction a permis d'établir que la commande avait été effectuée à la demande expresse de la recourante et qu'une telle commande était nécessaire pour obtenir l'appui des autorités chinoises et le déblocage de fonds en faveur de la fabrique chinoise (jug. p. 86 s.); cette appréciation, précise la Cour civile, est confirmée par l'expert judiciaire A.________, dont la conclusion est notamment fondée sur le fait que la commande ne comporte ni prix, ni précision concernant le calibre, ni plan de livraison, ni conditions de paiement, l'exécution n'ayant par ailleurs été demandée qu'en février 1994 par le conseil de la recourante (jug. p. 56 i.f.-57). La Chambre des recours n'a pas jugé une telle analyse arbitraire. La recourante ne conteste pas avoir demandé expressément une telle commande; elle s'en prend tout au plus à l'appréciation de l'expert en objectant qu'elle n'emporte pas la conviction et ne permet pas d'exclure l'engagement de l'intimée de commander 300'000 pièces (rec. II, p. 39 i.f.). Ce faisant, elle pose mal le problème: il ne s'agit pas de savoir si l'argumentation contestée emporte la conviction, mais bien plutôt si elle est insoutenable; et il ne s'agit pas d'exclure une commande ferme, mais au contraire d'en prouver la réalité. Pour le reste, la recourante, qui ne soutient pas avoir demandé un complément ou une correction de l'expertise sur ce point, énumère les motifs pour lesquels elle ne partage pas l'avis de l'expert. Mais il ne suffit pas de proposer une autre interprétation des faits; il faut démontrer que celle retenue par le juge est insoutenable, c'est-à-dire manifestement erronée. La recourante n'apporte pas cette démonstration. Au demeurant, la commande du 15 septembre 1989 se limite à une livraison unique de 300'000 pièces; on ne saurait de toute façon en déduire un engagement à commander ce nombre de pièces chaque année pendant dix ans.
La recourante critique ensuite le fait que le témoignage de B.________, membre du parlement de la province où W.________ a son siège, ait été écarté. La Cour civile a constaté que cette personne avait établi le contact entre la recourante et W.________, qu'il était un ami de l'administrateur de la recourante et de l'épouse de celui-ci, et que ceux-ci lui avaient parlé des faits faisant l'objet du présent procès (jug. p. 2 et 5); pour ces motifs, elle a décidé de prendre en compte ses déclarations avec retenue, c'est-à-dire pour autant qu'elles fussent corroborées par d'autres éléments de preuve. La Chambre des recours n'y a rien vu de critiquable. Contrairement à ce que plaide la recourante, il n'était pas insoutenable de considérer que ce témoin, qui connaissait de longue date l'épouse de l'administrateur, était aussi ami avec ce dernier, lequel lui avait fait part de la nécessité de témoigner dans le présent litige. La recourante objecte que ce témoin est député d'une province peuplée comme seize fois la Suisse et qu'il assume des responsabilités importantes. Mais le fait d'exercer une fonction politique n'implique pas nécessairement une crédibilité absolue, d'autant moins lorsqu'une entreprise de la province où cette fonction est exercée a un intérêt indirect au sort du litige. En outre, les liens avec une partie relevés par l'autorité cantonale sont un élément dont il est défendable de tenir compte dans l'appréciation d'un témoignage. Le fait que ce témoin n'aurait pas d'intérêt personnel au procès, comme le soutient la recourante, est à cet égard sans pertinence.
Quoi qu'il en soit, les passages du témoignage de B.________ cités par la recourante (rec. II, pp. 35 et 37) ne sont pas péremptoires. Il y est notamment question de ce que l'administrateur de l'intimée aurait "accepté" la "production" de 300'000 mouvements, que le directeur de W.________ aurait déclaré, pour ce qui concerne le chiffre de 300'000, que ses ouvriers étaient "capables de réaliser cet objectif"; ces déclarations peuvent sans autre être comprises comme se rapportant à un simple objectif commun. La recourante ne relève par contre aucune déclaration du témoin de laquelle une commande ferme de l'intimée pour 300'000 pièces par an pendant dix ans devrait nécessairement être déduite.
En fin de compte, la recourante elle-même résume bien sa position comme suit: "En demandant une production de 300'000 pièces par année et en sachant que cela amènerait la recourante et W.________ à d'importants investissements, demande acceptée, le directeur de l'intimée a passé pour elle un engagement verbal de commander 300'000 pièces par année" (rec. II, p. 42 i.m.). Or cette déduction ne s'impose pas. Le fait que l'intimée a demandé à la recourante et à W.________ d'être en mesure de produire 300'000 pièces par an et qu'elle leur a donné la licence correspondante n'impliquait pas automatiquement et nécessairement qu'elle s'obligeait à commander 300'000 pièces par année et s'engageait ainsi à décharger la recourante et W.________ de supporter elles-mêmes le risque de leurs investissements; cela était d'autant moins le cas que l'intimée avait donné à W.________ le droit de commercialiser les pièces pour son propre compte sur le marché interne de la Chine.
La Chambre des recours a émis l'avis que les parties n'auraient pas manqué d'inclure dans leurs contrats écrits, par ailleurs détaillés, une clause aussi importante que celle d'une obligation de commander 300'000 pièces par an pendant dix ans; cela est loin d'être insoutenable. Mais il y a même plus: dans la première convention du 4 octobre 1988 (art. 5 al. 2), il est expressément prévu que la recourante s'engage à livrer à l'intimée une partie de la production au prix du marché chinois à concurrence de quotas fixés annuellement par l'intimée (jug. p. 7); cette clause, relative à des quotas fixés annuellement par la seule intimée, ne se concilie guère avec un accord contractuel sur le nombre de pièces à livrer à l'intimée sur dix ans.
En résumé, la recourante n'a pas démontré qu'il y avait eu arbitraire à ne pas retenir un engagement oral de l'intimée pour une commande de 300'000 pièces par an pendant dix ans.
2.2 La recourante soutient, tout en s'en remettant à justice, qu'un tel engagement résulte, à défaut de volonté réelle entre les parties, du principe de la confiance (rec. II, pp. 33 et 42 i.f.; cf. rec. I, p. 5, ch. 5). Cela sous-entendrait qu'en fonction de l'ensemble des circonstances, la recourante pouvait et devait selon la bonne foi comprendre les déclarations et attitudes de l'intimée dans le sens que celle-ci s'engageait à commander 300'000 pièces par an pendant dix ans.
La démonstration est ténue. La recourante se contente d'invoquer quelques faits pour ensuite affirmer qu'ils créent, selon le principe de la confiance, une obligation de passer commande pour une quantité de pièces correspondant à la capacité de production demandée. Une telle motivation est insuffisante. Mais même si l'on entrait en matière, le grief ne pourrait qu'être rejeté.
La recourante relève que l'art. 10 de la convention du 23 mars 1990 fait référence aux "quantités commandées annuellement". Dans cette clause, la recourante s'engageait à obtenir de W.________ qu'elle mette - au titre de rémunération pour les services fournis par l'intimée - à disposition de cette dernière, en priorité et au prix favorable du marché chinois, le nombre de mouvements que celle-ci commanderait annuellement pour les marchés extérieurs, conformément à l'art. 2 al. 2 de la convention; selon cette disposition, la recourante s'engageait à obtenir de W.________ l'assurance formelle et écrite que la production des calibres prévus serait destinée en priorité à satisfaire les besoins des marchés de l'intimée (jug. p. 21 et 24). On peut tout au plus déduire de ces clauses que la recourante s'engageait à ce que W.________ exécute, en contre-partie pour les licences de savoir-faire, en priorité et à bas prix les commandes de l'intimée et ne vende que le solde de la production non commandé par l'intimée pour son propre compte sur le marché chinois; on ne saurait par contre y voir de bonne foi un engagement, de la part de l'intimée, à commander 300'000 pièces par année pendant dix ans.
Pour le reste, la recourante énumère certains faits déjà invoqués pour fonder un accord oral. En partie, ces éléments ne ressortent pas de l'état de fait cantonal et ne sauraient être pris en considération. Quoi qu'il en soit, la seule constatation que la recourante et l'intimée s'étaient mises d'accord sur un objectif de production à atteindre et que les préparatifs pour le transfert de technologie s'étaient fondés sur un tel objectif ne permettait pas à la recourante de déduire que l'intimée s'était ainsi engagée à commander 300'000 pièces par année pendant dix ans. Quand bien même l'administrateur de l'intimée aurait demandé une production de 300'000 pièces au lieu des 200'000 prévues par W.________, le principe de la confiance ne conduirait pas non plus à déduire l'existence d'un accord sur un engagement de produire, respectivement de commander un tel nombre de pièces, pour les motifs déjà exposés ci-dessus; encore une fois, la recourante ne pouvait de bonne foi tirer une telle déduction alors que non seulement les contrats ne réglaient pas la question du nombre de commandes que l'intimée passerait mais indiquaient de surcroît que celle-ci fixerait elle-même les quotas annuellement.
2.3 Dans le même contexte, la recourante invoque également le principe de la responsabilité fondée sur la confiance déçue (rec. I, p. 5, ch. 6). Une responsabilité de ce chef est toutefois exclue dans les cas où la partie prétendument lésée aurait pu se prémunir par la conclusion d'un contrat (ATF 133 III 449 consid. 4.1). Cela suffit à sceller le sort du grief.
3. La recourante demande à être indemnisée pour la perte de gain découlant de la violation de diverses obligations contractuelles par l'intimée, dommage qui existerait indépendamment de l'obligation pour l'intimée de commander 300'000 pièces par an pendant dix ans.
3.1 La Cour civile a retenu que l'intimée avait violé son obligation d'apporter son assistance technique à W.________ (jug., consid. IV.cb, p. 90 - 93), qu'elle avait exécuté ses obligations contractuelles avec retard (jug., consid. IV.d, p. 96 - 98) et qu'elle avait cessé d'exécuter ses obligations à partir de la fin de l'année 1992 (jug., consid. IV.ee, p. 102). Mais elle a ensuite jugé que la recourante n'avait pas prouvé ni même allégué qu'elle en avait subi un dommage ni, si l'on retenait un dommage, qu'il existait un lien de causalité entre le dommage et la violation des obligations contractuelles par l'intimée; en particulier, la recourante n'avait pas établi que W.________ aurait pu produire et vendre des calibres ... sur le marché chinois si l'assistance technique avait été fournie correctement (jug., consid. V.e, p. 105 - 106).
La Chambre des recours quant à elle a retenu qu'il n'était pas arbitraire de considérer que le dommage n'avait pas été allégué. Elle relève au surplus que les expertises n'établissent pas un tel dommage et que la recourante n'a pas satisfait à son obligation d'indiquer précisément quels éléments des expertises auraient traité et établi un dommage sur ce point (arrêt consid. 4, dernier alinéa).
La recourante objecte que même si une obligation de commander des pièces n'était pas retenue, il n'en demeurerait pas moins qu'elle aurait subi un dommage, déterminable ou à estimer, dû au fait que l'intimée a violé, comme l'a expressément retenu la Cour civile, ses obligations contractuelles; car le défaut de commandes de la part de l'intimée serait le fruit concret de la violation par celle-ci de l'obligation de transférer la technologie (rec. II, ch. 1.2 - 1.4, p. 17 - 33).
L'intimée pour sa part conteste d'abord avoir violé ses obligations. Elle réfute ensuite toute obligation de passer des commandes à W.________. Enfin, elle soutient que le seul dommage envisageable dû à une assistance technique insuffisante de sa part serait le gain manqué sur le marché interne chinois; or rien n'aurait été allégué à ce sujet (rép. p. 49 - 52; dupl. ch. II).
3.2 Selon les conventions entre la recourante et l'intimée, W.________ avait le droit de vendre le calibre ... pour son propre compte sur le marché intérieur chinois. La violation d'obligations contractuelles par l'intimée pouvait empêcher W.________ de produire des pièces pour ce marché et ainsi de réaliser un gain par leur vente pour son propre compte à des clients chinois. En l'espèce, la Cour civile a constaté que la recourante n'avait pas prouvé que W.________ aurait pu vendre des calibres ... sur le marché chinois si l'assistance technique avait été correctement fournie (jug. p. 105 i.f.). Le caractère arbitraire de cette constatation de fait n'est pas démontré ni même allégué à satisfaction de droit. La recourante ne parle simplement pas de ce dommage dans ses longs développements, à l'exception d'une simple évocation, en une demi-phrase, dans le premier recours (rec. I, p. 7 ch. 8 i.f., p. 11 ch. 3 al. 2 i.f.).
Hors du marché interne chinois, la commercialisation des calibres ... produits par W.________ était, toujours selon les conventions passées entre la recourante et l'intimée, du ressort exclusif de l'intimée; une vente à des tiers n'était ainsi pas licite. Un dommage dû au fait de ne pas avoir pu vendre, hors de Chine, de telles pièces à des acheteurs autres que l'intimée n'entre pas en considération.
La perte de gain en question se limite dès lors bien au manque à gagner que la recourante aurait subi ensuite du défaut de commandes de calibres ..., produits par W.________, de la part de l'intimée.
3.3 Selon la recourante, la production des calibres ... aurait pu commencer au plus tard en juillet 1990, date à laquelle le transfert de technologie à W.________ aurait été terminé si l'intimée avait respecté ses obligations. Dans ce cas, elle estime qu'elle aurait produit et livré à l'intimée par an et pendant près de dix ans les 300'000 pièces envisagées, ou au moins 100'000 pièces selon le marché pour ce type de pièces tel qu'estimé par l'expert judiciaire. Ce serait à cause du retard pris dans le transfert de technologie que l'intimée n'aurait pas commandé les pièces qu'elle aurait sinon commandées. La recourante en déduit que l'intimée est responsable de la perte de gain qui en est résulté pour elle, même en l'absence de toute obligation pour l'intimée de lui passer commande.
Savoir si l'intimée aurait commandé des calibres ... à la recourante dès juillet 1990 si W.________ avait été en mesure de les fabriquer, et le cas échéant pendant quelle période de temps et pour quelle quantité, est une question de fait. Or la recourante elle-même, qui parle à ce sujet de "thèses", admet que la Cour civile n'a pas examiné cette question dès lors qu'elle estimait que le dommage n'existait qu'en présence d'une obligation de passer commande (rec. II, p. 19 i.m.). En outre, il ne ressort pas de l'arrêt de la Chambre des recours qu'un grief à ce sujet aurait été élevé dans le recours en nullité cantonal; la recourante ne prétend pas le contraire. Cela scelle le sort de la critique.
Cela étant, on peut relever qu'il a été constaté que le calibre ... était un produit bon marché et que l'intimée avait en 1992 décidé de se consacrer à la production haut de gamme. En outre, il est d'une certaine façon contradictoire d'imputer à l'intimée en même temps l'intention de ne pas transférer la technologie permettant la production des calibres ... par W.________ et l'intention de commander des calibres ... produits par W.________.
3.4 La recourante soutient enfin que l'intimée ne pouvait pas, dans le contexte particulier, abandonner le marché des calibres ... et donc ne plus passer de commandes, cela en vertu des obligations découlant de la bonne foi.
A défaut d'accord écrit ou oral exprès, la recourante est d'avis qu'une obligation de passer des commandes peut se déduire d'une interprétation systématique du contrat passé, certaines clauses créant une "attente très légitime". Elle invoque aussi la bonne foi et la loyauté commerciale, estimant qu'il était déloyal de la part de l'intimée de ne pas passer de commandes au vu de l'objectif commun d'une production annuelle de 300'000 pièces, d'investissements faits par elle pour 812'000 fr., de l'existence d'un marché pour ces pièces et de la possibilité pour toutes les parties d'en tirer un gain.
Ce que la recourante reproche ainsi à l'intimée, c'est d'avoir suscité chez elle un espoir légitime et de l'avoir ensuite déçu d'une manière contraire à la bonne foi. Ce faisant, elle invoque en réalité une responsabilité fondée sur la confiance déçue. Or comme déjà dit, une responsabilité de ce chef est d'emblée exclue dans les cas où la partie prétendument lésée aurait pu se prémunir par la conclusion d'un contrat.
4.
La recourante demande aussi à être indemnisée pour les 6'000'000 dollars américains qui lui sont réclamés par W.________ à titre de perte de gain.
4.1 La Cour civile a laissé indécise la question de savoir si la recourante s'était engagée envers W.________ à passer commande de 300'000 pièces par an. En effet, quand bien même la recourante aurait pris envers W.________ des engagements plus importants que ceux qu'elle avait elle-même obtenus de l'intimée, ce n'était pas à l'intimée d'en supporter les conséquences; même s'il ne faisait pas de doute que la violation de certaines obligations contractuelles par l'intimée avait porté préjudice à W.________, il eût appartenu à la recourante de lier les deux relations contractuelles. La Cour civile en a déduit que la recourante s'était montrée peu prudente et devait en supporter les conséquences, qu'il y avait donc rupture du lien de causalité (jug. p. 104-105, consid. V.d).
La recourante soutient que l'intimée avait connaissance du contrat conclu entre la recourante et W.________ et donc de la responsabilité qu'assumait la recourante envers W.________ en cas d'inexécution du transfert de technologie. Pour le surplus, elle reprend son argumentation quant au nombre de pièces qui auraient été commandées si l'intimée avait procédé correctement au transfert de technologie pour conclure qu'il faut l'évaluer à 300'000 par an pendant dix ans (rec. II, p. 44 - 48; rec. I, p. 13 ch. 5).
L'intimée adhère aux motifs de la Cour civile. Pour le surplus, elle émet des doutes quant à la réalité de la créance de W.________ contre la recourante (rép. p. 33 - 35).
4.2 L'intimée était liée contractuellement à la seule recourante; elle n'était pas partie aux relations contractuelles nouées entre la recourante et W.________. N'étant pas obligée de commander à la recourante un certain nombre de pièces fabriquées par W.________, l'intimée ne saurait lui devoir des dommages-intérêts pour s'être abstenue de passer commande, et ce même si ce défaut de commandes oblige la recourante à indemniser W.________ pour la perte de gain correspondante. Si la recourante a pris envers W.________ des engagements quant à des commandes qui vont plus loin que ceux pris par l'intimée à son égard, elle en supporte seule les conséquences.
Pour ce qui est de la perte de gain sur le marché interne chinois, où W.________ était en droit de vendre les pièces pour son propre compte, il a été constaté que la recourante n'avait pas prouvé que W.________ aurait pu vendre des pièces sur ce marché en cas de transfert correct de technologie. La recourante ne démontre pas que cette constatation de fait serait arbitraire. Une perte de gain de W.________, que la recourante devrait éventuellement prendre en charge, n'est ainsi pas établie.
Cela exclut que l'intimée doive verser des dommages-intérêts à la recourante à ce titre. Il n'y a pas à discuter plus loin les autres arguments invoqués dans ce contexte par les deux parties.
5. La recourante demande à être indemnisée pour le dommage, estimé à 10'000'000 fr., qu'elle aurait subi du fait que la technologie pour d'autres calibres que le calibre ... n'avait pas été transférée à W.________ (rec. II, p. 48 - 50; rec. I, p. 12 - 13, ch. 4).
5.1 La Cour civile a jugé que l'intimée n'avait pas violé d'obligations à cet égard. Elle a relevé que la convention du 23 mars 1990 prévoyait que le transfert de plans et la fourniture d'une assistance concernant la production des autres calibres seraient envisagés dès que W.________ serait en mesure de répondre aux exigences techniques et qualitatives fixées par l'intimée (art. VI.1). Elle a mis en exergue le terme "envisagés", en a conclu qu'il s'agissait d'un projet et a constaté que les exigences techniques et qualitatives dont il était question n'avaient été ni alléguées ni établies, de même que n'avait pas été établi le fait de savoir si W.________ y répondait (jug. p. 93 - 94 consid. IV.cc, p. 104 consid. V.c).
La Chambre des recours ne s'est pas prononcée sur ce point du jugement. Il ne ressort pas de son arrêt que des griefs relatifs aux questions de fait ou de procédure aient été soulevés.
La recourante se réfère à la clause conventionnelle selon laquelle l'intimée concédait à la recourante, pour être transmis à W.________, le droit exclusif de fabriquer par étapes, d'abord sous forme de pièces détachées à titre d'essai, puis dans leur intégralité sous forme de mouvements, ces autres calibres (art. I.1), clause dont elle prétend pouvoir déduire une obligation de transférer la technologie correspondante (rec. I, p. 12 ch. 4). A titre subsidiaire, pour le cas où une obligation de transférer la technologie pour les autres calibres serait niée, elle estime qu'il faut se baser sur l'expérience générale de la vie et se placer dans le cadre de l'art. 42 al. 2 CO pour déterminer si, en cas de transfert correct du calibre ..., les autres calibres auraient aussi été transférés; elle soutient que tel aurait été le cas et procède à une estimation du gain manqué (rec. II, p. 48 - 50).
L'intimée conteste tant une obligation de transfert que l'existence d'un dommage (rép. p. 31 - 33 et 61).
5.2 Du terme "envisager" utilisé dans la convention, la Cour civile a déduit que le transfert de la technologie pour les autres calibres n'était qu'un projet et non pas une obligation. La recourante ne discute pas du tout cette argumentation. Elle se limite à invoquer la clause selon laquelle l'intimée lui cède le droit de fabriquer les autres calibres, clause qui, contrairement à ce que prétend la recourante, ne parle pas de transfert de technologie; or céder le droit de produire un calibre n'implique pas nécessairement l'obligation inconditionnelle de transférer la technologie correspondante. Le grief est irrecevable faute de motivation suffisante. Au demeurant, selon l'accord du 22 décembre 1988 entre la recourante et l'intimée, précisé mais pas remplacé par la convention du 23 mars 1990, d'autres calibres pouvaient être transférés si le test avec le calibre ... était concluant, le choix se faisant de cas en cas; cette clause ne se concilie guère avec une obligation inconditionnelle de transfert des autres calibres.
En outre, dans le recours en nullité cantonal, la recourante n'a pas mis en cause la constatation selon laquelle les exigences techniques et qualitatives fixées par l'intimée n'avaient été ni alléguées ni établies, de même que n'avait pas été établi le fait de savoir si W.________ y répondait. Rien ne ressort du moins à ce sujet de l'arrêt de la Chambre des recours, et la recourante ne prétend pas le contraire. Faute d'avoir été attaquées devant la Chambre des recours, ces constatations sont acquises.
Enfin, la Cour civile n'a pas constaté en fait ce qui serait advenu si la recourante avait précédemment transféré correctement la technologie pour le calibre ...; elle n'a en particulier pas constaté que l'intimée aurait alors, même sans obligation contractuelle, aussi transféré la technologie pour les autres calibres. Cette question de fait, au demeurant à caractère très hypothétique, n'a pas fait l'objet d'un grief dans le cadre du recours en nullité cantonal; elle ne peut donc plus être soulevée en instance fédérale faute d'épuisement des voies de recours cantonales.
Dans ces circonstances, il ne saurait être retenu de violation d'une obligation donnant droit à des dommages-intérêts.
6.
La recourante demande, dans son second recours, réparation pour les investissements à hauteur de 812'762 fr. faits par elle en vue de l'exécution du contrat avec l'intimée. Elle reconnaît elle-même qu'elle n'a "guère développé en première instance ce chef de responsabilité tiré de la culpa in contrahendo", mais estime qu'il peut être retenu d'office et les conclusions allouées, le Tribunal fédéral n'étant lié que par les conclusions et non par les chefs de responsabilité invoqués (rec. II, p. 50 - 52). Dans son premier recours, elle avait encore précisé qu'elle faisait valoir trois dommages, soit le gain manqué correspondant au bénéfice de 14'625'000 fr. qu'elle aurait réalisé par la vente annuelle de 300'000 mouvements de calibre ... pendant dix ans, le préjudice de 10'000'000 fr. subi du fait du non-transfert de technologie des autres calibres et le montant de 6'000'000 dollars réclamé par W.________ (rec. I, p. 10 - 13, en part. ch. 2).
En instance cantonale, la recourante n'a pas demandé de dommages-intérêts pour les investissements qu'elle aurait faits en vue de l'exécution du contrat. Il s'agit d'une conclusion nouvelle et partant irrecevable (art. 99 al. 2 LTF).
7.
La recourante conteste devoir rembourser la somme de 188'490 fr. 60, allouée à l'intimée par admission partielle de la demande reconventionnelle. Elle estime que l'intimée commet un abus de droit en demandant ce remboursement après avoir violé ses obligations contractuelles et finalement avoir décidé de ne pas exécuter le contrat (rec. II, p. 52).
La recourante ne conteste pas être débitrice du montant auquel elle a été condamnée. La validité des diverses créances de l'intimée allouées par la Cour civile est donc définitivement acquise.
L'interdiction de l'abus manifeste d'un droit (art. 2 al. 2 CC) sert à éviter un résultat inadmissible au plan éthique et ne s'applique qu'à titre exceptionnel (cf. ATF 135 III 162 consid. 3.3.1). En l'espèce, la recourante invoque cette règle du fait que l'intimée a violé ses obligations contractuelles. Mais dans un tel cas, la partie lésée par les violations peut demander la réparation du dommage subi de ce fait et compenser avec une éventuelle créance de la partie adverse. Par contre, si elle n'a pas subi de dommage ou n'a pas été en mesure de l'établir et donc n'a pas de créance envers la partie adverse, on ne discerne pas en quoi il serait moralement inadmissible qu'elle doive honorer ses dettes envers cette partie adverse, même si ces dettes ont un lien avec le contrat mal exécuté. Trancher différemment et ne pas allouer à cette partie adverse ce à quoi elle a droit reviendrait en quelque sorte à prononcer contre elle une sanction à caractère punitif à cause d'un comportement sans incidence sur la créance en question.
8.
La recourante se plaint finalement d'une violation du principe de célérité (art. 6 CEDH, art. 29 Cst., art. 27 Cst./VD), au motif que la Cour civile a accordé vingt-sept prolongations de délai à l'expert C.________ pour déposer l'expertise financière, prolongeant le délai ainsi au total de trente-neuf mois, avant de résilier le mandat et mandater un nouvel expert qui a déposé son rapport après huit mois environ. La Cour civile a renoncé à répondre.
8.1 Le principe de la célérité prohibe le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas la décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans un délai que la nature de l'affaire, ainsi que toutes les autres circonstances, font apparaître comme raisonnable. Le caractère raisonnable de la durée de la procédure s'apprécie en fonction des circonstances particulières de la cause, lesquelles commandent généralement une évaluation globale. Entre autres critères sont notamment déterminants le degré de complexité de l'affaire, l'enjeu que revêt le litige pour l'intéressé ainsi que le comportement de ce dernier et celui des autorités compétentes. A cet égard, il appartient au justiciable d'entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence, que ce soit en l'invitant à accélérer la procédure ou en recourant, le cas échéant, pour retard injustifié. Le comportement du justiciable s'apprécie toutefois avec moins de rigueur en procédure pénale et administrative que dans un procès civil, où les parties doivent faire preuve d'une diligence normale pour activer la procédure (ATF 130 I 312 consid. 5.1 et 5.2).
La sanction du dépassement du délai raisonnable ou adéquat consiste d'abord dans la constatation de la violation du principe de célérité, qui constitue une forme de réparation pour celui qui en est la victime. Cette constatation peut également jouer un rôle sur la répartition des frais et dépens dans l'optique d'une réparation morale. Dans certaines circonstances, le paiement de dommages-intérêts pour le retard à statuer peut être envisagé (ATF 130 I 312 consid. 5.3).
8.2 En l'espèce, le seul reproche fait à la Cour civile est d'avoir accordé vingt-sept prolongations de délai à l'expert judiciaire avant de lui retirer le mandat et de désigner un autre expert. Il ne saurait certes être sérieusement contesté, du moins a posteriori, que la Cour civile a tardé à tirer les conséquences des atermoiements de l'expert. Cela étant, on ne peut sans autre la blâmer. Il est compréhensible qu'un juge hésite à retirer le mandat à l'expert qui lui promet de rendre son rapport sous peu, car cela implique qu'il désigne un nouvel expert qu'il n'est pas toujours aisé de trouver, lequel devra reprendre le travail ab ovo; le juge prend ainsi le risque de prolonger la procédure au lieu de la raccourcir, en particulier lorsque la cause est complexe comme dans le cas d'espèce. Quoi qu'il en soit, la Cour civile était saisie d'une cause civile divisant des personnes morales et portant uniquement sur des prétentions pécuniaires en dommages-intérêts; la cause ne présentait donc pas de caractère urgent particulier. En outre, la recourante ne s'est longtemps pas opposée aux prolongations. Alors que l'expert avait été mis en oeuvre le 20 août 2002, la recourante a exigé seulement le 19 janvier 2005 que l'expert soit interpellé sur le stade d'avancement de ses travaux et sur le délai nécessaire au dépôt de son rapport. Elle a requis sa révocation la première fois le 11 juillet 2005; elle a ensuite exigé à plusieurs reprises que le dépassement du délai pour déposer le rapport d'expertise soit sanctionné par une révocation immédiate (cf. art. 224 al. 2 CPC/VD). La révocation est formellement survenue le 23 janvier 2006 - les parties ayant déjà été invitées le 19 décembre 2005 à déposer de nouvelles propositions d'experts - sans que la recourante n'ait exercé un recours pour déni de justice (art. 489 CPC/VD; JdT 1995 III 43 consid. 1b). Au vu de ces circonstances et en particulier de la passivité de la recourante, il n'y a pas lieu de retenir une violation du principe de la célérité ni, a fortiori, d'allouer une indemnité à ce titre.
9.
Il s'ensuit que le recours est infondé dans la mesure où il est recevable. L'administration des moyens de preuve requise par la recourante est dès lors d'emblée inutile; au demeurant, il n'existe pas en l'espèce de situation qui exigerait du Tribunal fédéral qu'il procède lui-même à une telle instruction qui reste tout à fait exceptionnelle dans le cadre d'une procédure de recours (art. 55 LTF; ATF 136 II 101 consid. 2).
La recourante qui succombe dans la présente procédure en supporte les frais et dépens (art. 66 et 68 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Les recours sont rejetés dans la mesure où ils sont recevables.
2.
Les frais judiciaires, fixés à 75'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera 90'000 fr. à l'intimée à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, ainsi qu'à la Cour civile et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 31 janvier 2011
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: La Greffière:
Klett Monti