BGer 1B_402/2011
 
BGer 1B_402/2011 vom 24.08.2011
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
{T 0/2}
1B_402/2011
Arrêt du 24 août 2011
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Fonjallaz, Président, Reeb et Raselli.
Greffier: M. Kurz.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Maître Romain Jordan, avocat,
recourant,
contre
Ministère public du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3.
Objet
détention provisoire,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 28 juillet 2011.
Faits:
A.
A.________, ressortissant jamaïcain né en 1984, se trouve en détention provisoire depuis le 4 mai 2011 sous la prévention de viol aggravé. Le 9 juin 2011, le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Genève (Tmc) a rejeté une demande de mise en liberté en raison des charges existantes et du risque de fuite. Cette décision a été confirmée par arrêt du 24 juin 2011 de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise. Par arrêt du 14 juillet 2011, le Tribunal fédéral a admis le recours formé par A.________, annulé l'arrêt du 24 juin 2011 et renvoyé le dossier à la cour cantonale afin qu'elle statue à nouveau après avoir permis au recourant de répliquer aux observations faites sur le recours cantonal par le Ministère public.
B.
Statuant à nouveau le 28 juillet 2011, la Chambre pénale de recours a derechef rejeté le recours. Ni la transmission tardive de la première demande de mise en liberté au Tmc, ni le retard de ce dernier à notifier sa décision ne constituaient des motifs de mise en liberté. Le Tmc avait statué dans un délai compatible avec le principe de célérité. Les charges étaient suffisantes car les constatations médicales permettaient d'envisager sérieusement l'existence de relations sexuelles, ce que le prévenu contestait. L'amie de la plaignante, présente sur les lieux, avait déclaré avoir été empêchée de se rendre dans la chambre et avait vu en sortir successivement les deux prévenus; un autre témoin avait confirmé l'existence de relations sexuelles. Le prévenu n'avait que peu de liens avec la Suisse où il était sans travail ni domicile fixes. Il ne paraissait s'occuper sérieusement ni de sa fille de 16 mois, ni de la mère de celle-ci. La question des risques de réitération et de collusion a été laissée indécise à ce stade.
C.
Par acte du 4 août 2011, A.________ forme un recours en matière pénale avec une demande d'assistance judiciaire. Il conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et à sa mise en liberté immédiate, subsidiairement au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
La Chambre pénale de recours se réfère à son arrêt. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Le recourant a répliqué le 17 août 2011 et a persisté dans ses conclusions.
Considérant en droit:
1.
Selon l'art. 78 LTF, le recours en matière pénale est ouvert contre les décisions rendues en matière pénale, notamment les décisions relatives à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP.
Selon l'art. 81 al. 1 let. a et let. b ch. 1 LTF, l'accusé a qualité pour agir. Le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF.
2.
Invoquant l'art. 29 al. 1 Cst. et se plaignant d'un déni de justice formel, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir indûment restreint son pouvoir d'examen à l'arbitraire et de n'avoir pas traité le grief de violation de la présomption d'innocence, soulevé en réplique.
2.1 Les considérants de l'arrêt cantonal relatifs au risque de fuite font certes référence par deux fois à l'arbitraire. Il s'agit là toutefois d'une simple clause de style, certes erronée, mais qui n'implique pas une restriction inadmissible du pouvoir d'examen. Il ressort en effet clairement du considérant 5.2 de l'arrêt attaqué que la cour cantonale a examiné librement en fait et en droit la question du risque de fuite, en se fondant sur les éléments du dossier et en relevant que le recourant n'apportait pas de démonstration contraire. Matériellement, elle s'est livrée à un libre examen, comme l'exige l'art. 393 al. 2 CPP.
2.2 En réplique aux observations du Ministère public, le recourant reprochait à ce dernier une violation de la présomption d'innocence pour avoir affirmé que le recourant avait commis les infractions qui lui sont reprochées. Il demandait à la cour cantonale de constater cette violation, mais l'arrêt attaqué serait muet sur cette question. Point n'est besoin de rechercher si le recourant disposait d'un droit à ce que la cour cantonale, saisie d'un recours en matière de détention préventive, procède à une telle constatation qui n'aurait aucune incidence sur la mise en liberté du prévenu. Le grief, soulevé en réplique par le recourant, se rapportait au risque de réitération; or, il ressort de l'arrêt attaqué que cette question a été laissée indécise, raison pour laquelle la cour cantonale n'a pas statué sur la demande en constatation formulée à ce sujet. Il n'y a pas de déni de justice dans un tel cas.
L'existence d'un risque de réitération repose sur la prémisse de la commission de l'infraction, de sorte que, même si la tournure utilisée par le Ministère public dans sa réponse au recours cantonal peut paraître catégorique, l'argument était difficile à formuler autrement. Au demeurant, le Ministère public évoque expressément "les infractions qui [...] sont reprochées" au recourant, ce qui fait clairement ressortir que la culpabilité de ce dernier n'est pas établie à ce stade. Dès lors, même s'il ne se prononce pas expressément sur la question, l'arrêt cantonal ne viole pas la présomption d'innocence.
3.
Sur le fond, une mesure de détention provisoire n'est compatible avec la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH) que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par les besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de réitération (cf. art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP). Le Tribunal fédéral examine librement ces questions, sous réserve toutefois de l'appréciation des faits, revue sous l'angle restreint des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF (ATF 135 I 71 consid. 2.5 p. 73 s. et les références).
4.
Renonçant à contester à ce stade l'existence de charges suffisantes, le recourant estime que le risque de fuite aurait été admis à tort, en violation des art. 5 CEDH et 10 Cst. La cour cantonale aurait retenu des faits manifestement inexacts en évoquant une procédure parallèle pour meurtre, alors que le recourant n'est prévenu que d'entrave à l'action pénale. Il serait aussi erroné de prétendre que le recourant ne s'occupe pas de sa fille alors que le contraire ressort du dossier. Le risque de fuite ne pourrait être retenu sur la seule base de la nationalité du prévenu et de la gravité des charges. Le recourant s'est présenté à tous les actes d'instruction dans la procédure parallèle et n'aurait aucun intérêt à retourner en Jamaïque alors que sa fiancée et sa fille se trouvent en Suisse. Il propose diverses mesures alternatives à la détention, sur lesquelles la cour cantonale aurait omis de se prononcer en violation de son droit d'être entendu.
4.1 Le risque de fuite doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'Etat qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître le risque de fuite non seulement possible, mais également probable (ATF 117 Ia 69 consid. 4a p. 70 et la jurisprudence citée). La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62, 117 Ia 69 consid. 4a p. 70, 108 Ia 64 consid. 3 p. 67).
4.2 De nationalité jamaïcaine, le recourant demeurait en Suisse de façon irrégulière lors de son arrestation. Il ne dispose ni d'un travail, ni même d'un domicile fixe en Suisse. Il a certes une fille âgée de seize mois, mais n'a aucun lien officiel avec la mère de celle-ci. Selon la cour cantonale, le recourant ne paraissait pas se "préoccuper sérieusement" de sa fille, dans la mesure où il ne démontrait notamment pas qu'il contribuait à son entretien. Le recourant ne conteste pas cette dernière considération, se contentant d'affirmer qu'il voit régulièrement sa fille. Il ajoute que sa fiancée vit en Suisse, sans donner de précisions sur le sérieux de cette relation. Selon ses propres déclarations, le recourant aurait également deux enfants en Grande-Bretagne. Dans ces conditions, l'absence de liens suffisamment forts avec la Suisse et la gravité des charges (indépendamment de la qualification juridique retenue dans la procédure parallèle) font clairement redouter une fuite en cas de mise en liberté.
4.3 L'intensité du risque de fuite n'autorise pas d'envisager une ou plusieurs des mesures de substitution mentionnées à l'art. 237 al. 2 CPP. La cour cantonale a pertinemment relevé que le port d'un bracelet électronique ne permet en principe pas d'empêcher une fuite. Compte tenu de l'absence de ressources du recourant et des incertitudes sur la provenance de l'argent qu'il détenait lors de son arrestation, la cour cantonale pouvait également rejeter la possibilité d'une mise en liberté sous caution (art. 238 CPP). L'arrêt attaqué est suffisamment motivé sur ces points.
5.
Le recourant invoque ensuite les art. 5 CEDH, 10 Cst. et 5 CPP. Il reproche au Ministère public d'avoir attendu neuf jours pour statuer sur sa demande de mise en liberté du 25 mai 2011. Il fait également grief à la cour cantonale de ne pas lui avoir communiqué immédiatement sa décision, ne la notifiant par écrit que le 14 juin 2011. Il n'en déduit pas qu'il devrait être remis en liberté, mais demande au Tribunal fédéral de constater cette violation, et de mettre les frais et dépens de la cause à la charge du l'Etat de Genève.
5.1 Selon l'art. 228 CPP, le prévenu peut demander en tout temps sa mise en liberté au ministère public. La demande doit être brièvement motivée (al. 1). Si le Ministère public n'y donne pas suite, il transmet la demande au Tmc, dans les trois jours qui en suivent la réception, avec sa prise de position. Le Tmc doit pour sa part statuer dans les cinq jours après la fin de l'échange d'écritures (al. 4).
5.2 Le recourant s'est adressé le 25 mai 2011 au Ministère public, en ces termes: "Mon client est détenu depuis le 4 mai 2011. A ce jour, il n'a toujours pas eu accès au dossier. Il sollicite en conséquence sa mise en liberté". Il apparaît que le seul motif invoqué est le refus d'accéder au dossier, la demande ne contenant aucun grief ayant trait aux motifs de détention proprement dits, de sorte qu'elle apparaissait manifestement irrecevable s'il avait fallu la traiter comme demande de mise en liberté. Dans ces circonstances, le Ministère public pouvait légitimement penser que le litige était limité à l'accès au dossier. Lors de l'audience du 3 juin 2011, il a accordé un accès partiel au dossier. A cette occasion, l'avocat du recourant a demandé si une décision relative à la mise en liberté avait été prise. Il lui fut répondu qu'aucune décision n'avait été prise, la question de l'accès au dossier faisant l'objet d'une contestation distincte. L'avocat a alors demandé sur le champ la mise en liberté de son client.
Il apparaît ainsi que la demande formelle de mise en liberté datait du 3 juin 2011 et que le Ministère public a statué immédiatement à ce sujet. Compte tenu de l'ambiguïté de la démarche initiale du recourant, l'on ne saurait reprocher au Ministère public d'avoir tardé à statuer.
5.3 Saisi le 3 juin 2011 par le Ministère public, le Tmc a recueilli les observations du recourant le 6 juin suivant. Il a entendu personnellement le recourant lors d'une audience du 8 juin 2011, à l'issue de laquelle les parties ont été informées que la décision serait rendue dans les cinq jours, soit au plus tard le 13 juin 2011. Le recourant ne s'est pas opposé à cette manière de faire. La décision du Tmc a finalement été rendue le 9 juin 2011, en l'absence des parties. Elle a été immédiatement notifiée, comme l'exige l'art. 226 al. 2 CPP, mais n'est parvenue au recourant que le 14 juin 2011, en raison du week-end de Pentecôte. Cela étant, le Tmc n'avait pas à communiquer sa décision immédiatement et verbalement, comme le prétend le recourant. Le grief doit lui aussi être rejeté.
5.4 Le recourant invoque aussi le principe de la célérité en ce sens que la durée de la procédure relative à la détention serait excessive dans son ensemble; le Tmc n'aurait notifié sa décision que le 14 juin 2011, soit vingt jours après le dépôt de la demande de mise en liberté. en raison de la procédure de recours, la Chambre pénale n'a finalement rendu sa décision que plus de deux mois après la demande de mise en liberté.
5.4.1 Le principe de célérité en matière de détention (art. 5 par. 4 CEDH, 31 al. 4 et 5 CPP) s'applique tant à la procédure de première instance qu'à celle de recours (ATF 2C_745/2010 du 31 mai 2011, consid. 3.4). Les tribunaux chargés de contrôler la légalité d'une détention doivent ainsi tous statuer à bref délai au sens de cette disposition. La question du respect de ce délai doit être appréciée à la lumière de chaque cas particulier.
5.4.2 Comme cela est relevé ci-dessus, la demande de mise en liberté n'a été valablement formulée que le 3 juin 2011, et immédiatement transmise au Tmc. Celui-ci a statué le 9 juin suivant, soit dans le respect des délais fixés aux art. 228 al. 3 et 4 CPP et dans un laps de temps parfaitement compatible avec l'art. 5 par. 4 CEDH. La cause a ensuite été portée à la Chambre d'appel pénale dont l'arrêt, du 24 juin 2011, a été annulé par arrêt du Tribunal fédéral du 14 juillet 2011, reçu par les parties le 18 juillet 2011. La cour cantonale a statué à nouveau le 28 juillet 2011, après avoir donné au recourant l'occasion de répliquer. L'allongement de la procédure est ainsi dû à une procédure de recours et à un renvoi de la cause à l'instance cantonale. Chacune des instances saisies a statué dans un délai admissible au regard de l'art. 5 par. 4 CEDH de sorte que, considérée dans son ensemble, la durée de la procédure respecte les exigences de célérité.
6.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté. Le recourant a demandé l'assistance judiciaire et les conditions en paraissent réunies. Me Romain Jordan est désigné comme avocat d'office du recourant, rétribué par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Romain Jordan est désigné comme défenseur d'office du recourant et une indemnité de 1'500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à verser par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours.
Lausanne, le 24 août 2011
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Fonjallaz
Le Greffier: Kurz