BGer 1B_67/2014
 
BGer 1B_67/2014 vom 31.03.2014
{T 1/2}
1B_67/2014
 
Arrêt du 31 mars 2014
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Juge présidant, Aemisegger, Karlen, Eusebio et Chaix.
Greffière: Mme Kropf.
Participants à la procédure
Laurent  Ségalat, représenté par Me Stefan Disch, avocat,
recourant,
contre
1. Marc  Pellet, p.a. Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Palais de Justice de l'Hermitage, 1014 Lausanne,
2. Philippe  Colelough, p.a. Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Palais de Justice de l'Hermitage, 1014 Lausanne,
3. Blaise  Battistolo, p.a. Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Palais de Justice de l'Hermitage, 1014 Lausanne,
intimés,
Procureur général du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens.
Objet
Récusation,
recours contre le prononcé de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 9 janvier 2014.
 
Faits:
A. Le 1 er juin 2012, le Tribunal criminel de l'arrondissement de la Côte a acquitté Laurent Ségalat du chef de prévention de meurtre. Sur appels des parties plaignantes et du Ministère public du canton de Vaud, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois (ci-après: la Cour d'appel pénale) - composée du Président Pellet et des Juges Battistolo et Colelough - a reconnu le prévenu coupable de meurtre par arrêt du 29 novembre 2012 et l'a condamné à une peine privative de liberté de seize ans. Le 26 septembre 2013, le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours déposé par Laurent Ségalat à l'encontre de cette décision; il l'a annulée en tant qu'elle arrêtait la durée de la privation de liberté à seize ans et a renvoyé la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision (cause 6B_200/2013).
B. A la suite de l'avis du 4 novembre 2013 du Président Pellet relatif à la reprise de la procédure, Laurent Ségalat a demandé le 2 décembre 2013 la récusation des juges qui avaient siégé le 29 novembre 2012. Cette requête a été rejetée par arrêt du 9 janvier 2014 de la Cour d'appel pénale, composée alors des Juges Winzap, Favrod et Bendani.
C. Par acte du 14 février 2014, Laurent Ségalat forme un recours en matière pénale contre cette décision, concluant à sa réforme en ce sens que sa requête de récusation soit admise. Il demande également l'effet suspensif au recours et l'octroi de l'assistance judiciaire.
Invités à se déterminer, le Président Pellet s'est référé à la décision attaquée, précisant que si la composition de la Cour d'appel pénale n'avait pas été indiquée, c'était parce qu'elle demeurait inchangée et que cette pratique était connue des avocats; quant aux Juges Colelough et Battistolo, ils ont indiqué n'avoir aucune observation à formuler. Le Procureur général vaudois a conclu au rejet du recours et l'autorité précédente a renoncé à se déterminer, renvoyant aux considérants de sa décision. Le recourant n'a pas déposé de déterminations complémentaires.
Le 3 mars 2014, le Juge fédéral présidant de la Ire Cour de droit public a rejeté la requête d'effet suspensif.
 
Considérant en droit:
1. Conformément aux art. 78 et 92 al. 1 LTF, une décision prise en dernière instance cantonale relative à la récusation d'un magistrat dans une procédure pénale peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière pénale, malgré son caractère incident. L'auteur de la demande de récusation débouté a qualité pour agir en vertu de l'art. 81 al. 1 LTF. Le recours a été déposé en temps utile et la conclusion qui y est prise est recevable (art. 107 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2. Le recourant reproche à l'autorité précédente une violation des art. 56 let. b et f CPP, 30 Cst. et 6 CEDH. Il soutient en substance que si les juges cantonaux appelés à statuer sur sa cause à la suite du renvoi par le Tribunal fédéral devaient être les mêmes que ceux ayant siégé le 29 novembre 2012, sa requête de récusation devrait être admise. Selon lui, ces magistrats auraient déjà clairement forgé leur opinion sur sa culpabilité - qu'ils considéraient comme lourde - et le cadre indiqué par le Tribunal fédéral pour la fixation de la peine ne permettrait pas de faire abstraction de l'apparence de prévention qui en résulterait.
2.1. La garantie d'un tribunal indépendant et impartial découlant des art. 30 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH - qui ont, de ce point de vue, en principe la même portée - permet d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Cependant, seuls les éléments objectivement constatés doivent être pris en considération; les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 139 I 121 consid. 5.1 p. 125 s.; 139 III 433 consid. 2.1.2 p. 435 s.; 138 IV 142 consid. 2.1 p. 144 s. et les arrêts cités). Les motifs de récusation mentionnés à l'art. 56 CPP concrétisent ces garanties. Conformément à cette disposition, hormis les autres cas qui n'apparaissent pas devoir entrer en considération en l'espèce (art. 56 let. a et c à e CPP), toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser, notamment, lorsqu'elle a agi à un autre titre dans la même cause, en particulier comme membre d'une autorité, conseil juridique d'une partie, expert ou témoin (let. b) ou lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention (let. f). Cette dernière lettre a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres susmentionnées (ATF 138 IV 142 consid. 2.1 p. 144).
En cas de renvoi à l'autorité précédente - voire après plusieurs renvois (arrêt 4A_381/2009 du 16 octobre 2009 consid. 3.2.2 publié in Pra 2010 N° 35 p. 253) -, la participation à la nouvelle décision d'un juge ayant déjà statué sur celle qui a été annulée ne prête pas le flanc à la critique sous l'angle des garanties constitutionnelles (ATF 131 I 113 consid. 3.6 p. 120; 116 Ia 28 consid. 2a p. 30 et les arrêts cités; parmi d'autres: Moreillon/Parein-Reymond, Petit commentaire, Code de procédure pénale, 2013, no 12 ad art. 56 CPP; Markus Boog, in BSK StPO, 2011, no 28 ad art. 56 CPP). Ainsi, la jurisprudence considère que le magistrat appelé à statuer à nouveau après l'annulation d'une de ses décisions est en général à même de tenir compte de l'avis exprimé par l'instance supérieure et de s'adapter aux injonctions qui lui sont faites. Seules des circonstances exceptionnelles permettent dès lors de justifier une récusation dans de tels cas, par exemple lorsque, par son attitude et ses déclarations précédentes, le magistrat a clairement fait apparaître qu'il ne sera pas capable de revoir sa position et de reprendre la cause en faisant abstraction des opinions qu'il a précédemment émises (ATF 138 IV 142 consid. 2.3 p. 146).
2.2. En l'occurrence, il y a tout d'abord lieu de constater que la composition de l'autorité cantonale appelée à statuer à nouveau sur la cause du recourant est la même que celle qui s'était prononcée le 29 novembre 2012 vu les observations déposées par le Président de ladite autorité.
Cependant, comme l'a retenu à juste titre la juridiction précédente, la participation à la première décision cantonale ne suffit pas pour retenir l'existence d'une apparence de prévention de la part des trois juges intimés. Le recourant ne fait pourtant valoir aucun autre grief à l'encontre des magistrats afin d'appuyer sa requête de récusation. En particulier, l'appréciation sur la culpabilité du prévenu ("lourde") retenue par les juges dans l'arrêt de novembre 2012 ne peut être considérée comme la manifestation claire et définitive de leur opinion. En effet, dans son arrêt de renvoi de septembre 2013, le Tribunal fédéral a estimé que cette motivation était insuffisante et ne permettait pas de comprendre le raisonnement tenu par la cour cantonale. Il a ensuite fixé le cadre de la peine applicable en l'espèce (entre 10 et 15 ans), appréciation qui lie l'autorité cantonale appelée à statuer à nouveau sur cette question; la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral a encore précisé que les juges cantonaux ne devraient pas s'écarter d'une peine se situant vers le milieu de cet intervalle.
2.3. Contrairement à ce que prétend le recourant, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH) ne lui est d'aucune aide.
Dans une affaire  Mancel et Branquart contre France (arrêt de la CourEDH du 24 juin 2010, requête n o 22349/06), la Cour de Strasbourg a certes estimé que les condamnés pouvaient objectivement craindre que la Cour de cassation française ait fait preuve d'un parti pris et de préjugés quant à la décision à rendre, dans la mesure où les juges de cette juridiction devaient statuer à plusieurs reprises sur les mêmes questions, dont les éléments constitutifs de l'infraction (cf. § 39 dudit arrêt). Dans un arrêt ultérieur, ce principe a été rappelé pour constater que, en l'espèce, le juge prétendument prévenu n'avait pas à résoudre successivement les mêmes questions (arrêt de la CourEDH  Steulet contre Suisse du 26 avril 2011, requête n° 313351/06, § 42, également in PJA 2012 p. 546, ainsi que résumé in Plaidoyer 2011/3 p. 56 et Plädoyer 2011/3 p. 75). La question de l'impartialité objective - ou fonctionnelle selon la terminologie de la Cour (cf. l'arrêt CourEDH  Steulet contre Suisse susmentionné § 37) - ne se pose pas ici comme dans l'affaire  Mancel et Branquart déjà citée ou l'affaire  Cardona Serrat contre Espagne (arrêt CourEDH du 26 octobre 2010, requête n° 38715/06) : dans la première de ces affaires, le principe même de la culpabilité était en cause (cf. § 36); dans la seconde affaire, deux des juges appelés à statuer au fond avaient retenu l'existence de motifs suffisants pour placer l'intéressé en détention, estimant qu'un délit avait été commis et qu'il était pénalement imputable au détenu (cf. § 33-35). Dans la présente cause, en revanche, les juges cantonaux concernés sont uniquement appelés à fixer une nouvelle peine, dans un cadre délimité précisément par le Tribunal fédéral. En outre, on ne saurait raisonnablement déduire de l'absence de motivation suffisante sur la quotité de la peine dans la première décision - grief qui a conduit à l'admission partielle du recours devant le Tribunal fédéral - un parti pris de la cour cantonale, l'empêchant à l'avenir de fixer la nouvelle peine de manière impartiale.
2.4. Partant, la Cour d'appel pénale n'a pas violé le droit fédéral ou conventionnel en rejetant la demande de récusation déposée le 2 décembre 2013 par le recourant.
3. Il s'ensuit que le recours doit être rejeté.
Le recourant a demandé l'assistance judiciaire, indiquant que son mandataire avait été désigné comme avocat d'office dans la procédure pénale le 19 novembre 2013. Sur le vu de ce qui précède, le recours ne présentait toutefois pas de chances de succès (art. 64 al. 1 LTF) et cette requête doit donc être rejetée. Les frais judiciaires sont dès lors mis à la charge du recourant (art. 66 al. 1 LTF), leur montant étant cependant fixé en tenant compte de sa situation financière (art. 65 al. 2 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 1 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours est rejeté.
2. La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
3. Il n'est pas alloué de dépens.
4. Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge du recourant.
5. Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, aux intimés, au Procureur général du canton de Vaud et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 31 mars 2014
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant: Merkli
La Greffière: Kropf