BGer 1B_62/2014
 
BGer 1B_62/2014 vom 04.04.2014
{T 0/2}
1B_62/2014
 
Arrêt du 4 avril 2014
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Karlen et Chaix.
Greffière: Mme Tornay Schaller.
Participants à la procédure
A.________,
recourant,
contre
Ministère public du canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
Objet
Levée de scellés; violation de l'obligation de motiver,
recours contre l'ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte du Tribunal pénal du canton de Genève, du 15 janvier 2014.
 
Faits:
A. Depuis juin 2012, le Ministère public du canton de Genève (ci-après: le Ministère public) instruit une enquête pour abus de confiance, escroquerie et gestion déloyale, notamment à l'encontre de B.________, à la suite d'une plainte pénale déposée à son encontre le 24 juin 2012.
Le 5 décembre 2013, le Ministère public a adressé un ordre de dépôt à la banque X.________ (ci-après: la banque) concernant les documents d'ouverture de compte et les relevés des transactions pour la période du 1 er janvier 2004 au 31 décembre 2012 relatifs au compte ouvert au nom de "Z.________" auprès de cet établissement, compte dont le titulaire est l'étude d'avocats C.________, au sein de laquelle A.________ est associé.
Le 16 décembre 2013, le Ministère public a informé A.________ de la réception, à la suite d'un ordre de dépôt, de plusieurs avis de transferts de fonds effectués depuis le compte de la société D.________ sur le compte "Y.________" précité: il lui a demandé s'il souhaitait la mise sous scellés de ces documents. Le 17 décembre 2013, A.________ a demandé la mise sous scellés des documents bancaires en question, relevant qu'il ne voyait pas de quoi il s'agissait et n'arrivait pas à comprendre le lien qu'il pourrait y avoir entre lesdits documents et la procédure pénale dirigée contre B.________. Le 18 décembre 2013, le Ministère public a mis sous scellés les documents transmis par la banque, soit une lettre de la banque X.________ du 12 décembre 2013 mentionnant des ordres de transferts effectués par le débit de la relation enregistrée au nom de D.________ et constatant que la relation bancaire "Y.________" n'est pas maintenue auprès de cet établissement mais auprès du Crédit Suisse ainsi que la photocopie de douze avis de débits concernant le compte de D.________ en faveur du compte "Y.________" pour la période du 16 mai 2007 au 13 décembre 2007.
B. Le 19 décembre 2013, le Ministère public a requis la levée des scellés auprès du Tribunal des mesures de contrainte du canton de Genève (Tmc).
Par ordonnance du 8 janvier 2014, le Ministère public a limité la consultation du dossier par A.________ aux pièces bancaires mises sous scellés et à la demande de levée de scellés du 19 décembre 2013 (art. 102 CPP).
Le 10 janvier 2014, le Tmc a procédé à l'ouverture des pièces mises sous scellés, en présence de A.________ et a auditionné celui-ci. Le 15 janvier 2014, A.________ a présenté des déterminations complémentaires et conclu au rejet de la demande de levée de scellés. Par ordonnance du 15 janvier 2014, le Tmc a autorisé la levée des scellés et la restitution au Ministère public de la documentation issue de l'ordre de dépôt adressé à la banque X.________ le 5 décembre 2013. Il a cependant précisé que le procès-verbal de l'audition du 10 janvier 2014 et les observations du conseil de Me A.________ du 15 janvier 2014 restaient en possession du Tmc et n'étaient pas consultables, sous réserve des magistrats du Tmc, de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève et du Tribunal fédéral.
C. Agissant par la voie du recours en matière pénale, Me A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'ordonnance du Tmc du 15 janvier 2014 et de rejeter la demande de levée des scellés du Ministère public. Il se plaint en particulier d'une violation de l'obligation de motiver (art. 29 al. 2 Cst.).
Le Tmc et le Ministère public renoncent à formuler des observations et maintiennent les termes de l'ordonnance attaquée.
Par ordonnance du 28 février 2014, le Président de la Ire Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif présentée par le recourant.
 
Considérant en droit:
1. Conformément à l'art. 248 al. 3 du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP; RS 312.0), le Tmc statue définitivement sur la demande de levée des scellés. Le recours en matière pénale au Tribunal fédéral est ainsi directement ouvert (art. 80 al. 2 LTF).
1.1. L'ordonnance attaquée ne met pas un terme à la procédure pénale ouverte à l'encontre des prévenus et doit dès lors être qualifiée de décision incidente. Cependant, pour le recourant, qui n'est pas prévenu, la décision de levée des scellés met fin à la procédure en ce qui le concerne, de sorte qu'elle constitue une décision partielle au sens de l'art. 91 let. b LTF (arrêts 1B_314/2013 du 9 janvier 2014 consid. 1.2 et 1B_206/2007 du 7 janvier 2008 consid. 3.3).
1.2. Le recourant intervient dans la procédure en tant que tiers touché par un acte de procédure au sens de l'art. 105 al. 1 let. f CPP. Il a pris part à la procédure de levée des scellés devant l'autorité précédente (art. 81 al. 1 let. a LTF). Comme associé au sein de l'étude d'avocats titulaire de la relation bancaire dont la documentation a été mise sous scellés, il dispose d'un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de l'ordonnance attaquée qui lève lesdits scellés (art. 81 al. 1 let. b LTF et 382 al. 1 CPP).
1.3. Pour le surplus, le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et les conclusions présentées sont recevables (art. 107 al. 2 LTF). La procédure relative à une demande de levée des scellés ne saurait être assimilée à une procédure de mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF et le recourant n'est donc pas limité dans ses griefs, qui peuvent se rapporter au droit fédéral, constitutionnel et/ou international (art. 95 let. a et b LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2. Le recourant a admis avoir agi en tant qu'intermédiaire financier et ne conteste pas que les documents bancaires saisis ne sont pas protégés par le secret professionnel de l'avocat. Il soutient en revanche que la documentation mise sous scellés est sans lien avec les infractions dénoncées. Il reproche à l'instance précédente de ne pas avoir analysé si les conditions de la perquisition et celles de la levée de scellés étaient réalisées, notamment si les soupçons d'une infraction d'abus de confiance ou d'escroquerie étaient suffisants et si les documents saisis étaient pertinents pour l'instruction en cours. Il se plaint d'une violation de son droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), faisant valoir un accès insuffisant au dossier et une motivation insuffisante de la décision attaquée. Il fait aussi valoir une application arbitraire (art. 9 Cst.) de l'art. 248 CPP.
2.1. Si le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) comprend notamment le droit pour l'intéressé de prendre connaissance du dossier avant le prononcé d'une décision (ATF 136 V 415 consid. 6.3.1 p. 418; 135 I 187 consid. 2.2 p. 190), le recourant ne motive pas son grief de manière conforme aux exigences posées par l'art. 42 al. 2 LTF et, en matière de droits constitutionnels, par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 138 I 171 consid. 1.4 p. 176 et les arrêts cités). En effet, il n'indique pas quelles constatations de l'ordonnance attaquée seraient fondées sur des pièces qui ne figureraient pas dans le dossier de procédure de levée des scellés, auquel il a eu accès. Il a de surcroît indiqué au Tmc avoir eu accès à la plainte pénale déposée contre le prévenu. Pour le reste, il n'a pas recouru contre l'ordonnance du Ministère public du 8 janvier 2014 lui donnant un accès partiel du dossier (art. 102 CPP). Enfin, il ne peut reprocher au Tmc d'avoir violé son droit de consulter le dossier, dans la mesure où il n'appartient pas à cette autorité de statuer sur la consultation du dossier (cf. notamment l'art. 101 al. 1 CPP) ou sur un éventuel refus du Ministère public à ce sujet (art. 393 al. 1 let. a CPP). En conséquence, le grief d'accès insuffisant au dossier doit être écarté.
2.2. La jurisprudence a aussi déduit du droit d'être entendu le devoir pour le juge de motiver sa décision, afin que le justiciable puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et exercer son droit de recours à bon escient. Pour répondre à ces exigences, le juge doit mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 138 I 232 consid. 5.1 p. 237).
2.2.1. Pour que le Tribunal fédéral soit en mesure de vérifier si le droit fédéral a été correctement appliqué en relation avec les questions soulevées, il est nécessaire que le jugement de l'instance précédente fasse clairement ressortir les motifs déterminants de fait et de droit (art. 112 al. 1 let. b LTF). Il résulte de cette norme que les décisions attaquées doivent indiquer clairement les faits qui sont établis et les déductions juridiques qui sont tirées de l'état de fait déterminant (ATF 135 II 145 consid. 8.2 et les références citées). Savoir quels sont les faits déterminants revêt une importance particulière dans la mesure où le Tribunal fédéral est en principe lié par ceux arrêtés par l'instance précédente en vertu de l'art. 105 al. 1 LTF. Un état de fait insuffisant empêche l'application des règles de droit pertinentes à la cause. Un tel manquement constitue donc une violation du droit que le Tribunal fédéral peut constater d'office (cf. ATF 135 II 145 consid. 8.2 précité).
2.2.2. En l'espèce, la décision attaquée ordonne la levée des scellés, en retenant uniquement qu'il ne peut être exclu que "les crédits intervenus sur la période pénale des faits dénoncés par les plaignants soient bien en lien avec les faits instruits par le Ministère public, faits pouvant être constitutifs d'infractions contre le patrimoine". Elle ne précise en aucune manière quels sont ces "faits instruits par le Ministère public". Elle n'expose pas quels sont les soupçons de l'existence d'une infraction d'escroquerie ou d'abus de confiance. Elle ne décrit pas non plus quel est le lien entre les documents saisis et l'instruction pénale ouverte en juin 2012, en particulier quelles sont les relations entre l'avocat recourant, la société D.________ et le prévenu. Or, la personne visée par la mise sous scellés peut non seulement faire valoir un droit de refuser de déposer ou de témoigner en raison d'un secret professionnel, mais également avancer d'autres motifs (art. 248 al. 1 CPP), par exemple l'absence de pertinence des informations dans le contexte de la procédure (Message du Conseil fédéral relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 p. 1221). Saisi d'une demande de levée de scellés, le Tmc devait donc examiner, sous l'angle de la vraisemblance, d'une part s'il existe des soupçons suffisants d'une infraction et d'autre part si les documents présentent apparemment une pertinence pour l'instruction en cours (cf. art. 197 al. 1 let. b-d CPP; arrêt 1B_322/2013 du 20 décembre 2013 consid. 3.1). Cela s'impose d'autant plus en l'espèce que le recourant a soulevé ces points dans ses déterminations.
La décision entreprise ne contient pas d'état de fait exposant brièvement la procédure en cours et décrivant les liens entre l'avocat recourant, le prévenu et la société D.________; elle ne donne pas non plus de renseignements qui permettraient de justifier la mesure litigieuse; enfin, et surtout, elle est dépourvue de motivation topique. Le Tribunal fédéral se trouve dès lors dans l'impossibilité de vérifier si les conditions de la levée des scellés sont réalisées. Cette absence de motivation ne satisfait ainsi pas aux exigences minimales des art. 29 al. 2 Cst. et 112 al. 1 let. b LTF.
2.3. Lorsque le Tribunal fédéral constate que la procédure de levée des scellés n'est pas conforme aux garanties constitutionnelles ou conventionnelles en cause, il n'en résulte pas que la demande de levée des scellés doit être rejetée (cf. ATF 116 Ia 60 consid. 3b p. 64; 115 Ia 293 consid. 5g p. 308). Tel est le cas en particulier lorsque, comme en l'espèce, la décision attaquée est partiellement annulée pour des raisons formelles liées à l'absence d'une motivation suffisante et que l'existence de motifs fondés de lever les scellés n'est pas d'emblée exclue. La conclusion prise en ce sens par le recourant doit donc être rejetée. Pour rétablir une situation conforme au droit, il appartiendra donc au Tmc de statuer à nouveau sur la demande de levée des scellés, à bref délai (art. 5 al. 1 CPP) et dans le respect des garanties découlant des art. 29 al. 2 Cst. et 112 al. 1 LTF.
3. Le recours doit par conséquent être partiellement admis pour ce motif d'ordre formel. Il appartiendra au Tmc de statuer à nouveau sur la demande de levée des scellés.
Il n'y a pas lieu de percevoir de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). C'est à bon droit que le recourant, qui agit en son nom propre, ne réclame pas de dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF; ATF 133 III 439 consid. 4 p. 446).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours est admis partiellement. L'ordonnance attaquée est annulée et la cause est renvoyée au Tmc pour nouvelle décision dans le sens des considérants. La mesure de mise sous scellés est maintenue jusqu'à la nouvelle décision du Tmc.
2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3. Le présent arrêt est communiqué au recourant, au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte du Tribunal pénal du canton de Genève.
Lausanne, le 4 avril 2014
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Fonjallaz
La Greffière: Tornay Schaller