BGer 1B_278/2014
 
BGer 1B_278/2014 vom 18.11.2014
{T 0/2}
1B_278/2014
 
Arrêt du 18 novembre 2014
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Karlen et Chaix.
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Alain Vuithier, avocat,
recourant,
contre
B.________, représentée par Me Isabelle Jaques, avocate,
intimée,
Ministère public de l'arrondissement de la Côte,
C.________, représenté par Me Olivier Carré, avocat.
Objet
Procédure pénale, réquisition de preuve,
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 19 mai 2014.
 
Faits :
A. Agissant au nom de sa fille, B.________ (ci-après: l'intimée) a déposé le 18 novembre 2010 plainte pénale contre le père de son enfant, C.________, pour actes d'ordre sexuel avec des enfants, viol, inceste et violation du devoir d'assistance ou d'éducation, ainsi qu'à l'encontre de A.________ pour actes d'ordre sexuel avec des enfants et viol.
Les 23 août 2011 et 28 février 2014, B.________ s'est opposée aux requêtes des deux prévenus tendant à la production de son dossier d'assurance-invalidité. Par ordonnance du 10 mars 2014, le Ministère public de l'arrondissement de la Côte a ordonné à l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Vaud de produire l'intégralité dudit dossier. A la suite du recours déposé par B.________, cette décision a été annulée le 15 juillet 2014 par la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois.
B. Par acte du 13 août 2014, A.________ forme un recours en matière pénale contre ce jugement, concluant à sa réforme en ce sens que l'ordonnance du 10 mars 2014 soit confirmée et que les frais, ainsi que les indemnités des conseils des parties soient mis à la charge de B.________. A titre subsidiaire, il demande l'annulation de l'arrêt cantonal et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Il sollicite également l'octroi de l'assistance judiciaire.
L'autorité précédente et le Ministère public ont renoncé à formuler des observations. C.________ a appuyé le recours, sollicitant de plus le bénéfice de l'assistance judiciaire. Quant à B.________, elle a conclu à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours; elle a également déposé une requête tendant à l'octroi de l'assistance judiciaire, demande complétée le 9 octobre 2014. Par courriers subséquents des 10 et 24 octobre 2014, le recourant, C.________ et B.________ ont persisté dans leurs conclusions respectives. Invités à se déterminer d'ici au 10 novembre 2014, les parties - formellement s'agissant de l'intimée - n'ont pas fait usage de cette possibilité.
 
Considérant en droit :
1. Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement les conditions de recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 139 III 133 consid. 1 p. 133).
1.1. La décision attaquée a été rendue par une autorité cantonale statuant en dernière instance (art. 80 LTF) dans le cadre d'une procédure pénale. Le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et le recourant, prévenu dans l'instruction en cours et qui succombe devant l'autorité précédente, a qualité pour recourir (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF). Le recours en matière pénale au sens des art. 78 ss LTF est donc en principe ouvert.
1.2. Cependant, le jugement entrepris, qui refuse l'administration d'un moyen de preuve, ne met pas fin à la procédure pénale ouverte contre le recourant et revêt par conséquent un caractère incident. Le recours en matière pénale n'est dès lors recevable qu'aux conditions de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, soit en présence d'un préjudice irréparable; la condition posée à l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'entre pas en considération en l'espèce.
En matière pénale, un préjudice irréparable se rapporte à un dommage de nature juridique qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (ATF 137 IV 172 consid. 2.1 p. 173 s.). Selon une jurisprudence bien établie, les décisions relatives à l'administration des preuves ne sont en principe pas de nature à causer un tel dommage puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir la mise en oeuvre des preuves refusées à tort si elles devaient avoir été écartées pour des raisons non pertinentes ou en violation des droits fondamentaux du recourant (ATF 134 III 188 consid. 2.3 p. 191). La règle comporte toutefois des exceptions, notamment lorsque le refus d'instruire porte sur des moyens de preuve qui risquent de disparaître et qui visent des faits décisifs non encore élucidés, ou encore quand la sauvegarde de secrets est en jeu (arrêt 1B_240/2013 du 16 juillet 2013 consid. 2 et l'arrêt cité). La doctrine évoque en lien avec la première hypothèse la nécessité d'entendre un témoin très âgé, gravement malade ou qui s'apprête à partir dans un pays lointain définitivement ou pour une longue durée, ou encore celle de procéder à une expertise en raison des possibles altérations ou modifications de son objet (arrêt 1B_189/2012 du 17 août 2012 consid. 2.1 in SJ 2013 I 93).
1.3. En l'espèce, le refus d'ordonner la production du dossier de l'assurance-invalidité de l'intimée ne cause, à ce stade de la procédure, aucun dommage irréparable au recourant. Celui-ci pourra en effet renouveler cette requête au moment de la clôture de l'instruction (cf. art. 318 al. 1 et 2 CPP) et/ou lors de la préparation des débats, ainsi qu'à l'ouverture de ceux-ci (cf. art. 331 al. 2 et 3 CPP). En cas de rejet, le recourant peut contester cette décision dans le cadre de la procédure d'appel, le jugement y relatif pouvant, cas échéant, être ensuite remis en cause devant le Tribunal fédéral.
Un préjudice irréparable ne résulte en particulier pas de la possible évolution d'un dossier médical, contrairement à ce que soutient le recourant. En effet, les éventuels compléments et/ou évolutions d'un dossier ne font pas disparaître les éléments préexistants et ne les rendent pas caducs par rapport à l'appréciation des circonstances qui prévalait au moment où ils ont été recueillis. Il ne résulte pas non plus du refus prononcé par l'autorité précédente que le recourant serait privé de requérir d'autres moyens de preuve auprès du Ministère public, notamment une expertise de crédibilité de la victime.
Partant, le recours est irrecevable, faute de préjudice irréparable.
1.4. Le recourant, qui n'a pas qualité pour recourir au fond, peut faire valoir la violation de ses droits de partie équivalant à un déni de justice formel. Mais il ne doit alors pas invoquer par ce biais, même indirectement, des moyens qui ne peuvent être séparés du fond (ATF 138 IV 248 consid. 2 p. 250; 136 IV 41 consid. 1.4 p. 44; 133 I 185 consid. 6.2 p. 198 s.). Seuls les griefs de nature formelle qui sont séparés de l'examen de la cause au fond peuvent donc être présentés. En revanche, les griefs qui reviennent de facto à critiquer l'arrêt attaqué sur le plan matériel sont exclus (ATF 136 IV 41 consid. 1.4 p. 44; 136 I 323 consid. 1.2 p. 326 et les arrêts cités).
A cet égard, le recourant se prévaut d'une violation de son droit à une décision motivée, l'une des composantes du droit d'être entendu au sens de l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 138 IV 81 consid. 2.2 p. 84). Si cela permet l'entrée en matière sur son recours dans cette mesure, ce grief doit cependant être rejeté.
En effet, contrairement à ce que prétend le recourant, la cour cantonale ne s'est pas limitée à conclure que la pièce requise n'était pas propre à établir la vérité, mais elle a également expliqué, certes brièvement, les motifs l'ayant conduite à cette appréciation. Elle a ainsi considéré que l'éclairage - que pourrait procurer la consultation du dossier de l'assurance-invalidité - sur la personnalité et sur les prétendus problèmes psychologiques de la mère de la victime ne saurait apporter la preuve d'une éventuelle manipulation de la seconde par la première. Ce faisant, l'autorité précédente a procédé, ainsi qu'elle est en droit de le faire, à une appréciation anticipée de la pertinence des moyens de preuve demandés (ATF 136 I 229 consid. 5.3 p. 236); il est au demeurant rappelé qu'elle n'est pas non plus tenue de discuter tous les arguments soulevés (ATF 136 I 229 consid. 5.2 p. 236).
2. Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
Le recourant a demandé l'assistance judiciaire. Cependant, ses conclusions étaient manifestement dénuées de chances de succès (art. 64 al. 1 LTF) et cette requête doit être rejetée. Il en va de même de celle déposée par C.________, qui demandait l'admission du recours. Les frais judiciaires sont mis pour deux tiers à la charge du recourant, ainsi que pour un tiers à celle de C.________ (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée, assistée par une avocate, obtient gain de cause et elle a droit à des dépens, répartis selon la même proportion qu'indiquée ci-dessus, à la charge du recourant et de C.________ (art. 68 al. 1 LTF); sa requête d'assistance judiciaire est dès lors sans objet.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
2. Les requêtes d'assistance judiciaire déposées par le recourant et par C.________ sont rejetées.
3. Une indemnité de dépens de 1'500 fr. est allouée à la mandataire deB.________ pour deux tiers à la charge du recourant et pour un tiers à celle de C.________.
4. Les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., sont mis pour deux tiers à la charge du recourant et pour un tiers à celle de C.________.
5. Le présent arrêt est communiqué aux mandataires du recourant, de B.________ et de C.________, ainsi qu'au Ministère public de l'arrondissement de la Côte et à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 18 novembre 2014
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Fonjallaz
La Greffière : Kropf