BGer 4A_392/2015 |
BGer 4A_392/2015 vom 10.12.2015 |
{T 0/2}
|
4A_392/2015
|
Arrêt du 10 décembre 2015 |
Ire Cour de droit civil |
Composition
|
Mmes les Juges Kiss, présidente, Klett et Hohl.
|
Greffier: M. Carruzzo.
|
Participants à la procédure
|
A.________, représenté par Mes Nicolas C. Ulmer et
|
Sylvie Horowitz-Challande, avocats,
|
recourant,
|
contre
|
B.________,
|
représenté par Me Franz X. Stirnimann, avocat,
|
et Me Vanessa Alarcón Duvanel, avocate,
|
intimé.
|
Objet
|
arbitrage international,
|
recours en matière civile contre la sentence finale
|
rendue le 10 juin 2015 par l'arbitre unique ad hoc.
|
Faits: |
A. A.________ et B.________, deux hommes d'affaires expérimentés domiciliés respectivement en Suisse et en Israël, ont noué des liens d'amitié en 1973 alors qu'ils étaient tous deux étudiants à l'Institut européen d'administration des affaires (INSEAD) de Fontainebleau (France). Ils sont restés en contact jusqu'en 1976, puis se sont perdus de vue avant que le second ne reprenne contact avec le premier en 1991. Depuis lors et jusqu'en 1996, les deux hommes ont entretenu des rapports contractuels et ont développé des activités en commun. La nature et les modalités de celles-ci ne sont pas déterminantes pour la solution du cas soumis à la Cour de céans.
|
B. Longtemps après l'extinction de ces rapports contractuels, un différend s'est fait jour entre les anciens partenaires. A l'initiative de A.________, ceux-ci ont décidé de le soumettre à un arbitre unique (ci-après: l'arbitre) en la personne d'un avocat genevois qui avait défendu les intérêts de B.________ dans des affaires n'ayant aucun rapport avec celle qui les divisait. A cette fin, chacun d'eux a signé, le 14 mars 2006, une procuration, sur papier à en-tête de l'Ordre des avocats de Genève, par laquelle il confiait à cet avocat le mandat d'intervenir en qualité d'arbitre unique dans le différend l'opposant à son ex-partenaire.
|
Le même jour, l'arbitre a adressé à chacune des parties une lettre semblable définissant les grandes lignes de sa mission. Sur la base de leurs explications respectives, il a ensuite établi un document, intitulé "Exposé préliminaire des faits", daté du 20 septembre 2006.
|
Le 22 septembre 2006, les parties ont signé une "Convention d'arbitrage (Compromis arbitral) ", dont le préambule renvoyait au document précité. Entre autres dispositions, elles y ont indiqué le siège et la langue de l'arbitrage (Genève, resp. le français), confirmé la désignation de l'arbitre, choisi le droit de fond applicable (le droit matériel suisse), autorisé l'arbitre à statuer en équité et réglé la procédure à suivre. Elles y ont encore renoncé à soulever l'exception de prescription, à réclamer des mesures provisoires, à déposer toute demande reconventionnelle ou additionnelle, attribuant par ailleurs à la sentence à venir "un caractère définitif et exécutoire, non susceptible d'appel". La convention d'arbitrage constate et prend acte, en outre, que les parties ont déclaré, avant sa signature, vouloir renoncer à la nomination ou à l'assistance d'un avocat; elle précise, toutefois, que chacune d'elles conservera le droit de se faire assister par tout conseil de son choix, qui pourra participer ou non aux débats, et ce jusqu'à la reddition de la sentence arbitrale.
|
En date du 15 août 2008, B.________ a déposé une "Demande introductive d'instance". Ses conclusions, qu'il a modifiées ultérieurement, tendaient, dans leur dernier état, à ce que A.________ fût condamné à lui payer la somme de 7'318'728,90 USD, intérêts en sus.
|
Dans un unique et bref mémoire du 26 janvier 2011, qu'il n'a pas jugé bon de compléter en dépit d'une injonction de l'arbitre, le défendeur a conclu au rejet de la demande. Il a fait défaut aux audiences de comparution personnelle des 11 et 13 novembre 2013.
|
Par sentence finale du 10 juin 2015, l'arbitre a condamné A.________ à payer à B.________ un total de 2'322'759,50 USD, à différents titres, ainsi que la somme de 132'397,30 USD représentant les intérêts moratoires ayant couru depuis le 1er juillet 1996.
|
C. Le 14 août 2015, A.________ (ci-après: le recourant) a formé un recours en matière civile, pour violation de l'art. 190 al. 2 let. b et e LDIP, en vue d'obtenir l'annulation de la sentence du 10 juin 2015.
|
L'arbitre a indiqué, dans une lettre du 21 septembre 2015, qu'il ne voyait pas le fondement de ce recours. Le 10 octobre 2015, il a produit le dossier de l'arbitrage.
|
Dans sa réponse du 22 septembre 2015, B.________ a conclu principalement à l'irrecevabilité et, subsidiairement, au rejet du recours.
|
Le recourant n'a pas déposé de réplique.
|
Considérant en droit: |
1. Le recours en matière civile est recevable contre les sentences touchant l'arbitrage international aux conditions fixées par les art. 190 à 192 LDIP (art. 77 al. 1 let. a LTF). Qu'il s'agisse de l'objet du recours, de la qualité pour recourir, des conclusions prises par le recourant ou encore des griefs soulevés dans le mémoire de recours, aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème en l'espèce.
|
2. Le respect du délai de recours, en revanche, est un point contesté par l'intimé.
|
2.1. Conformément à l'art. 100 al. 1 LTF, disposition qui régit aussi le recours en matière d'arbitrage international (art. 77 al. 2 LTF a contrario), le recours doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète. En l'espèce, le pli recommandé contenant la sentence attaquée a été remis à la poste le 10 juin 2015 par l'arbitre à qui il a été retourné, avec la mention "non réclamé", après que le délai de garde de sept jours, dont l'échéance avait été fixée au 18 juin 2015, eut expiré. Selon une jurisprudence constante, un envoi recommandé est réputé notifié à la date à laquelle son destinataire le reçoit effectivement. Lorsque ce dernier ne peut pas être atteint et qu'une invitation à retirer l'envoi est déposée dans sa boîte aux lettres ou dans sa case postale, la date du retrait de l'envoi est déterminante; si le pli n'est pas retiré dans le délai de garde de sept jours, il est réputé avoir été communiqué le dernier jour de ce délai (arrêt 4A_215/2015 du 2 octobre 2015 consid. 3.2 avec une référence à l'art. 138 al. 3 let. a CPC pour le droit de procédure civile suisse). En application de cette jurisprudence et de l'art. 44 al. 2 LTF, la sentence arbitrale est réputée avoir été communiquée le 18 juin 2015 au recourant. Le délai de recours, qui a commencé à courir le lendemain de cette date (art. 44 al. 1 LTF), arrivait donc à échéance le 19 août 2015, compte tenu de sa suspension du 15 juillet au 15 août 2015 (cf. art. 46 al. 1 let. b LTF). Remis a un bureau de poste le 14 août 2015, l'acte de recours l'a ainsi été en temps utile.
|
2.2. Selon l'intimé, le recourant, qui emploierait une aide de maison chargée notamment de relever le courrier, aurait dû retirer le pli recommandé immédiatement après la tentative infructueuse de distribution effectuée le 11 juin 2015. Au lieu de quoi, par une attitude contraire aux règles de la bonne foi, il se serait abstenu de le retirer avant l'expiration du délai de garde afin de pouvoir bénéficier d'une prolongation d'un mois du délai de recours, eu égard à la suspension de celui-ci pendant les féries d'été. Du reste, toujours selon l'intimé, d'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, une communication doit être considérée comme ayant été valablement notifiée dès qu'elle atteint la sphère d'influence (
|
L'argumentation de l'intimé, qui repose sur des allégations ne correspondant pas à des constatations de l'arbitre et sur un mélange de différentes théories juridiques, ne saurait être suivie. En particulier, la référence à l'arrêt non publié susmentionné est hors de propos, dès lors que le passage extrait de ce précédent a trait à la question de savoir quand une résiliation de bail est réputée parvenir à son destinataire, question spécifique que la jurisprudence résout par l'application de la théorie de la réception absolue (sur cette notion, voir ATF 140 III 244 consid. 5.1 et l'arrêt 4A_350/2014 du 16 septembre 2014 consid. 2.2). Quant à l'arrêt publié, sus-indiqué, qu'invoque l'intimé, il est également sans intérêt pour la solution du cas concret car il se borne à souligner que la circonstance décisive pour fixer le dies a quo d'un délai d'action ou de recours n'est pas la remise à la poste, mais bien la réception de la décision faisant courir ce délai. Pour le surplus, on ne voit pas que l'on puisse imputer à faute à une partie le fait de ne pas avoir retiré un pli recommandé avant l'expiration du délai de garde, sauf à remettre en cause tout le système de la notification fictive, en ouvrant la porte à d'interminables discussions quant au respect des délais judiciaires, et à porter atteinte à la sécurité du droit en ce domaine. L'intimé, du reste, ne cite aucun précédent qui aurait posé le principe préconisé par lui.
|
Cela étant, il y a lieu d'admettre que l'acte de recours a été déposé dans le délai légal et, partant, que toutes les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées en l'espèce.
|
3. Dans un premier moyen, fondé sur l'art. 190 al. 2 let. b LDIP, le recourant soutient que l'arbitre s'est déclaré à tort compétent pour connaître de la demande qui lui était soumise. Selon lui, en effet, l'objet du litige ne serait ni déterminé ni déterminable sur le vu des déclarations de volonté faites par les parties dans les procurations croisées du 14 mars 2006 et la convention d'arbitrage du 22 septembre 2006. Cet élément essentiel de toute convention d'arbitrage ferait donc défaut en l'espèce, entraînant ainsi la nullité de l'accord litigieux.
|
3.1. Saisi du grief d'incompétence, le Tribunal fédéral examine librement les questions de droit, y compris les questions préalables, qui déterminent la compétence ou l'incompétence du tribunal arbitral. Il n'en devient pas pour autant une cour d'appel. Aussi ne lui incombe-t-il pas de rechercher lui-même, dans la sentence attaquée, les arguments juridiques qui pourraient justifier l'admission du grief fondé sur l'art. 190 al. 2 let. b LDIP. C'est bien plutôt à la partie recourante qu'il appartient d'attirer son attention sur eux, pour se conformer aux exigences de l'art. 77 al. 3 LTF (ATF 134 III 565 consid. 3.1 et les arrêts cités).
|
En revanche, le Tribunal fédéral ne revoit les constatations de fait que dans les limites usuelles, même lorsqu'il statue sur le moyen pris de l'incompétence du Tribunal arbitral (arrêt 4A_676/2014 du 3 juin 2015 consid. 3.1).
|
3.2.
|
3.2.1. Le recours pour le motif prévu à l'art. 190 al. 2 let. b LDIP est ouvert lorsque le tribunal arbitral a statué sur des prétentions qu'il n'avait pas la compétence d'examiner, soit qu'il n'existât point de convention d'arbitrage, soit que celle-ci fût restreinte à certaines questions ne comprenant pas les prétentions en cause (
|
Aux termes de l'art. 186 al. 2 LDIP, l'exception d'incompétence doit être soulevée préalablement à toute défense au fond. Il s'agit là d'un cas d'application du principe de la bonne foi, ancré à l'art. 2 al. 1 CC, qui régit l'ensemble des domaines du droit, y compris la procédure civile. Enoncée différemment, la règle posée à l'art. 186 al. 2 LDIP implique que le tribunal arbitral devant lequel le défendeur procède au fond sans faire de réserve est compétent de ce seul fait. Dès lors, celui qui entre en matière sans réserve sur le fond dans une procédure arbitrale contradictoire portant sur une cause arbitrable reconnaît, par cet acte concluant, la compétence du tribunal arbitral et perd définitivement le droit d'exciper de l'incompétence dudit tribunal. Toutefois, le défendeur peut se déterminer à titre éventuel sur le fond, pour le cas où l'exception d'incompétence ne serait pas admise, sans que pareil comportement vaille acceptation tacite de la compétence du tribunal arbitral (ATF 128 III 50 consid. 2c/aa p. 57 s. et les références).
|
3.2.2. En l'espèce, le recourant, bien qu'il s'en défende, est forclos à remettre en cause la compétence de l'arbitre. Il aurait dû soulever l'exception d'incompétence au plus tard dans son mémoire du 26 janvier 2011, intitulé "
|
4. |
4.1. En second lieu, le recourant, invoquant l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, reproche à l'arbitre d'avoir violé l'ordre public procédural, non seulement pour s'être arrogé une compétence qu'il ne possédait point, mais encore pour avoir édicté des dispositions de procédure ne correspondant pas aux règles en usage dans les arbitrages internationaux et, de surcroît, pour s'en être écarté.
|
4.2. Le grief fondé sur la violation de l'ordre public procédural fait manifestement double emploi avec celui tiré de l'incompétence de l'arbitre, puisqu'aussi bien l'ordre public procédural ne constitue qu'une garantie subsidiaire (ATF 138 III 270 consid. 2.3). Dans cette mesure, il partage le sort réservé à cet autre moyen.
|
Au demeurant, toute violation, même arbitraire, d'une règle procédurale convenue par les parties ne constitue pas une violation de l'ordre public procédural (ATF 126 III 249 consid. 3b). Encore faut-il qu'il s'agisse d'une règle essentielle pour assurer la loyauté de la procédure (ATF 129 III 445 consid. 4.2.1). Or, dans les critiques formulées par le recourant aux pages 38 et 39 de son mémoire, on ne discerne pas l'existence d'une telle règle, d'autant moins que les deux parties étaient conscientes du caractère atypique de l'arbitrage dans lequel elles s'engageaient, et ce dès la signature de la convention d'arbitrage en septembre 2006.
|
Quoi qu'il en soit, c'est le lieu de rappeler, ici aussi, que la partie qui s'estime victime d'une violation de son droit d'être entendue ou d'un autre vice de procédure doit l'invoquer d'emblée dans la procédure arbitrale, sous peine de forclusion. En effet, il est contraire à la bonne foi de n'invoquer un vice de procédure que dans le cadre du recours dirigé contre la sentence arbitrale, alors que le vice aurait pu être signalé en cours de procédure (arrêt 4A_70/2015 du 29 avril 2015 consid. 3.2.1). Or, il va de soi que le recourant aurait eu tout loisir de se plaindre, pendente lite, des prétendues irrégularités de procédure, de manière à ce que l'arbitre les rectifiât en temps utile, au lieu d'attendre plus de neuf ans avant de venir les dénoncer, une fois connu le sort du litige.
|
Le second moyen qu'il soulève est, dès lors, lui aussi voué à l'échec.
|
5. Le recourant, qui succombe, devra payer les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et verser des dépens à l'intimé (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
|
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: |
1. Le recours est rejeté.
|
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 18'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
|
3. Le recourant versera à l'intimé une indemnité de 20'000 fr. à titre de dépens.
|
4. Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à l'arbitre unique.
|
Lausanne, le 10 décembre 2015
|
Au nom de la Ire Cour de droit civil
|
du Tribunal fédéral suisse
|
La Présidente: Kiss
|
Le Greffier: Carruzzo
|