BGer 6B_896/2015
 
BGer 6B_896/2015 vom 14.03.2016
{T 0/2}
6B_896/2015
 
Arrêt du 14 mars 2016
 
Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Denys, Président,
Jacquemoud-Rossari et Oberholzer.
Greffière : Mme Bonvin.
Participants à la procédure
X.________, représenté par
Me Jean-Christophe Oberson, avocat,
recourant,
contre
1. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD,
2. A.________, représenté par
Me Christian Favre, avocat,
intimés.
Objet
Tentative d'escroquerie, faux dans les titres, présomption d'innocence,
recours contre le jugement de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 30 avril 2015.
 
Faits :
A. Par jugement du 16 décembre 2014, le Tribunal de police de l'arrondissement de Lausanne a reconnu coupable X.________ de tentative d'escroquerie, de faux dans les titres et d'infraction à la Loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité. Il l'a condamné à une peine pécuniaire de 300 jours-amende à 30 fr., avec sursis pendant quatre ans et à une amende de 1'000 fr., la peine privative de liberté de substitution en cas de non-paiement fautif étant de 10 jours, et mis les frais de procédure à sa charge. Il l'a aussi astreint à verser 5'000 fr. à A.________ à titre de dépens pénaux.
B. Statuant sur l'appel formé par X.________, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud l'a rejeté par jugement du 30 avril 2015, et a mis les frais et dépens d'appel à sa charge.
Il en ressort les éléments suivants.
A Lausanne, à une date indéterminée, X.________ a contrefait un contrat de travail établi à son intention par son ancien employeur, A.________, en falsifiant la signature de celui-ci et en remplaçant le montant du salaire brut convenu (3'600 fr.) par le montant de 7'600 francs.
Le 26 novembre 2010, X.________ a ouvert action contre A.________ auprès du Tribunal civil de l'arrondissement de Lausanne, sollicitant le paiement de 63'387 fr. 45 et de 26'846 fr. 30. Ses conclusions comprenaient notamment des prétentions en salaire correspondant à la différence entre la rétribution mensuelle de 7'600 fr. prétendument convenue entre les parties et les rémunérations qu'il a effectivement perçues de mars 2009 à février 2010, 13ème salaire inclus. En substance, il lui est reproché d'avoir produit dans le cadre de cette procédure, à l'appui de sa demande, puis de sa réplique, des copies du faux contrat de travail. Il a aussi versé au dossier le prétendu original de ce même contrat à l'audience préliminaire du 26 mars 2012. Ce faisant, il a tenté d'obtenir des arriérés de salaire supérieurs à ceux auxquels il pouvait prétendre. A.________ a déposé plainte séance tenante à l'audience.
Une expertise graphologique a été ordonnée et l'expert a déposé son rapport le 18 novembre 2013. Il en ressort que les résultats des examens effectués soutenaient fortement l'hypothèse selon laquelle la signature figurant sur le contrat de travail produit au cours de la procédure civile n'était pas de la main de A.________. Selon l'expert, il n'était pas possible de déterminer, ni d'exclure si (sic) la signature indiciaire figurant sur cet exemplaire du contrat avait été contrefaite par X.________ ou par une tierce personne. Cet exemplaire du contrat et celui adressé au Service de l'emploi portant la même date provenaient de deux sources différentes. L'expert a émis l'hypothèse que le contrat de travail produit au cours de la procédure civile était une copie de 2ème génération, c'est-à-dire une copie d'une copie, réalisée à partir d'un contrat original identique à celui adressé au Service de l'emploi; le montant de 3'600 fr. avait vraisemblablement été changé en 7'600 fr. sur l'exemplaire de la première copie qui, à son tour, avait été copié pour produire la version finale.
Durant les mois de janvier à août 2008 et de janvier à décembre 2009, X.________, dissimulant qu'il exerçait une activité lucrative pour le compte de divers établissements, a perçu de pleines indemnités de l'assurance-chômage. Le montant des prestations indûment perçues s'élève à 73'738 fr. 40.
C. X.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 30 avril 2015. Il conclut, avec suite de frais et dépens, principalement à sa réforme en ce sens qu'il est acquitté des chefs d'accusation de tentative d'escroquerie et de faux dans les titres, et qu'il est condamné à une peine pécuniaire avec sursis fixée à dire de justice, les frais de procédure de première instance mis à sa charge devant être fixés à 100 fr., l'intégralité des frais d'appel étant mis à la charge de A.________, et les dépens en faveur de celui-ci étant supprimés. Subsidiairement, il sollicite le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouveau jugement.
 
Considérant en droit :
1. Le recourant se plaint d'arbitraire dans l'établissement des faits et de la violation du principe in dubio pro reo.
1.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), sous les réserves découlant des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, soit pour l'essentiel de l'arbitraire dans la constatation des faits. La notion d'arbitraire a été rappelée récemment dans l'ATF 140 I 201 consid. 6.1 p. 205, auquel on peut se référer. En bref, une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable, et cela non seulement dans sa motivation mais aussi dans son résultat. Lorsque l'autorité cantonale a forgé sa conviction quant aux faits sur la base d'un ensemble d'éléments ou d'indices convergents, il ne suffit pas que l'un ou l'autre de ceux-ci ou même chacun d'eux pris isolément soit à lui seul insuffisant. L'appréciation des preuves doit en effet être examinée dans son ensemble. Il n'y a ainsi pas d'arbitraire si l'état de fait retenu pouvait être déduit de manière soutenable du rapprochement de divers éléments ou indices. De même, il n'y a pas d'arbitraire du seul fait qu'un ou plusieurs arguments corroboratifs sont fragiles, si la solution retenue peut être justifiée de façon soutenable par un ou plusieurs arguments de nature à emporter la conviction (arrêt 6B_563/2014 du 10 juillet 2015 consid. 1.1 et l'arrêt cité). La présomption d'innocence, garantie par les art. 10 CPP et 32 al. 1 Cst., ainsi que son corollaire, le principe " in dubio pro reo ", concernent tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves.
Lorsque, comme en l'espèce, l'appréciation des preuves et la constatation des faits sont critiquées en référence au principe " in dubio pro reo ", celui-ci n'a pas de portée plus large que l'interdiction de l'arbitraire (ATF 138 V 74 consid. 7 p. 82).
Le Tribunal fédéral n'examine la violation de droits fondamentaux que si ce moyen est invoqué et motivé par le recourant (art. 106 al. 2 LTF), c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de manière claire et détaillée. Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266).
2. Se référant pour l'essentiel au raisonnement du premier juge, la cour cantonale s'est fondée sur différents éléments pour retenir que le recourant s'est rendu coupable de tentative d'escroquerie et de faux dans les titres.
Elle a retenu, en bref, qu'il avait falsifié le contrat de travail conclu avec l'intimé, avant de le produire devant le tribunal civil. Il avait pour cela utilisé un projet de contrat de travail que l'intimé lui avait envoyé quelques jours avant la signature du contrat. Selon le recourant, rien n'indiquerait qu'il serait l'auteur du faux contrat de travail, qu'il n'aurait du reste pas eu la possibilité de confectionner, puisqu'aucun projet de contrat ne lui aurait été remis. La cour cantonale a souligné que l'exemplaire non signé du contrat envoyé au Service de l'emploi par la fiduciaire de l'intimé, puis par son conseiller juridique, mentionne un salaire de 3'600 fr., et que, de fait, le travailleur a perçu un salaire de 3'800 fr. pour tenir compte de la patente dont il était titulaire et, le cas échéant, également du 13ème salaire. Le montant de base convenu de la rémunération était confirmé par les dépositions concordantes des témoins. B.________, ex-collègue du recourant, avait indiqué que le recourant et lui-même avaient discuté de leur contrat de travail avec l'intimé le même jour, et que le contrat du recourant stipulait un salaire de 3'600 fr., qui correspondait au salaire qu'il perçevait lui-même. Il avait entendu que l'employeur " donnerait [au recourant] un petit quelque chose à côté pour la patente ", étant précisé que la patente du restaurant était au nom du recourant. Selon lui, il était inimaginable qu'un salaire de 7'600 fr. par mois lui ait été promis, un tel revenu correspondant à celui d'un chef de cuisine d'un restaurant gastronomique étoilé. C.________, qui établissait pour l'intimé les récapitulatifs à l'attention de l'AVS, avait déclaré ne jamais avoir vu l'intimé verser un salaire mensuel de 7'600 fr. à l'un de ses employés. Vu ces éléments, la cour cantonale a retenu que le salaire revendiqué par le recourant était exorbitant. Par ailleurs, même si l'expert n'affirmait pas que le document contrefait produit dans la procédure civile ait été le fait du recourant, on ne voyait pas qui aurait eu intérêt à falsifier le contrat puis à le remettre à l'intéressé, le recourant ne donnant d'ailleurs aucune explication à ce sujet. Celui-ci ne prétendait d'ailleurs pas que sa propre signature figurant sur le contrat produit en audience civile ait été falsifiée; or, si le document avait été falsifié par l'intimé, la signature de celui-ci serait authentique et celle du recourant falsifiée. Aucun élément ne permettait en définitive de soutenir que ce serait l'exemplaire du contrat mentionnant un salaire de 3'600 fr. qui avait été falsifié par l'intimé, vu les salaires effectivement perçus par celui-ci, le plaignant n'ayant d'ailleurs aucun intérêt à falsifier le contrat en sa défaveur.
Selon la cour cantonale, la culpabilité du recourant était encore étayée par la déclaration de sinistre LAA qu'il a adressée à la SWICA, assureur-accidents, annonçant un salaire de base contractuel brut de 5'000 francs. Ce montant, qui ne correspondait à aucune des deux versions, ne plaidait pas en faveur de sa probité, ni de sa bonne foi. Les explications fournies par le recourant à cet égard étaient invraisemblables, notamment celle tendant à prétendre que son médecin lui aurait dit de ne déclarer que 80% de son salaire; en effet, le 80% de 7'600 fr. correspond à 6'080 fr., non pas à 5'000 francs. Il était en outre exclu que la différence d'avec la rémunération de 3'600 fr. représente la plus-value issue de la patente, puisque l'employeur s'était limité à verser " parfois " un supplément mensuel compris entre 100 et 150 fr. Enfin, l'infraction à la Loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, incontestée, et l'antécédent pénal du recourant, témoignaient de ce qu'il n'hésite pas à tenter d'obtenir des avantages pécuniaires indus, ce qui était encore confirmé par le fait qu'il ait admis avoir accepté une part de rémunération versée " au noir " de son employeur actuel.
En définitive, le seul fait qu'il n'ait pas été prouvé que l'intimé ait remis au recourant un exemplaire du contrat de travail avant la négociation de leur accord ne suffisait pas à faire naître un doute sérieux quant à sa culpabilité, vu les autres éléments qui ont pu être établis, qui constituent un faisceau d'indices de culpabilité suffisant.
3. En substance, le recourant conteste que le contrat produit dans le cadre de la procédure civile ait été falsifié, affirmant pour le surplus ne pas avoir eu la possibilité matérielle d'élaborer un faux, puisqu'il n'aurait jamais reçu de projet de contrat. Il estime que l'autorité cantonale aurait dû requérir de l'intimé la preuve qu'il lui avait adressé un tel projet. En outre, elle ne pouvait pas se fonder sur les seules déclarations du témoin C.________ pour en conclure qu'un salaire de 7'600 fr. n'avait pas pu être prévu conventionnellement. En définitive, l'autorité d'appel n'aurait pas dû se contenter d'un faisceau d'indices pour établir sa culpabilité, mais au contraire expliquer comment il aurait pu, concrètement, modifier le document litigieux.
Dans une grande mesure, le recourant se contente de reproduire les griefs présentés devant l'autorité précédente, sans démontrer en quoi l'appréciation des preuves effectuée par celle-ci serait arbitraire. Pour le surplus, il se borne à opposer sa propre appréciation à celle de la cour cantonale, toujours sans indiquer en quoi celle-ci serait manifestement insoutenable. Au demeurant, contrairement à ce qu'il affirme, la constatation selon laquelle le montant du salaire prévu d'entente entre les parties ne pouvait pas être de 7'600 fr. ne se fonde pas uniquement sur les déclarations du témoin C.________, mais aussi sur un ensemble d'autres indices, tels que le témoignage de B.________ selon lequel le contrat du recourant prévoyait un salaire de 3'600 fr., l'exemplaire du contrat adressé au Service de l'emploi par la fiduciaire de l'intimé, ou encore la déclaration de sinistre LAA du recourant. Quant aux remarques du recourant sur sa prétendue impossibilité matérielle de falsifier le contrat, elles n'ont quoi qu'il en soit pas d'influence sur l'issue du litige. En effet, il ne conteste pas avoir produit, au cours du procès civil, le contrat stipulant un salaire de 7'600 fr., dont il ne pouvait ignorer qu'il s'agissait d'un faux puisqu'il avait convenu avec l'intimé d'un salaire de 3'600 francs. Peu importe s'il a lui-même falsifié ce document ou si cette falsification est le fait d'un tiers, dès lors que le simple usage d'un faux dans le but de tromper autrui suffit pour que l'infraction de faux dans les titres soit réalisée (art. 251 ch. 1 CP). En définitive, la motivation du recourant n'est pas susceptible de faire apparaître arbitraire le fait selon lequel le document a été falsifié. Ses critiques sont infondées dans la mesure où elles sont recevables.
Il n'y a pas lieu de remettre en cause la condamnation du recourant pour tentative d'escroquerie et faux dans les titres, puisqu'il ne fait pas valoir de violation du droit fédéral à cet égard. Cela rend sans objet l'examen des conclusions relatives à sa condamnation aux frais et dépens de la procédure de première et de deuxième instance, dans la mesure où elles sont toutes liées à une éventuelle libération du chef des infractions précitées.
4. Le recourant, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens, les intimés n'ayant pas été amenés à procéder (art. 68 al. 1 LTF).
La cause étant ainsi jugée, la requête d'effet suspensif est sans objet.
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 14 mars 2016
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Denys
La Greffière : Bonvin