BGer 2C_777/2015 |
BGer 2C_777/2015 vom 26.05.2016 |
2C_777/2015
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{T 0/2}
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Arrêt du 26 mai 2016 |
IIe Cour de droit public |
Composition
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MM. et Mme les Juges fédéraux Seiler, Président,
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Zünd, Aubry Girardin, Donzallaz et Haag.
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Greffier : M. Chatton.
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Participants à la procédure
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A.X.________,
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représentée par Me Jérôme Campart, avocat,
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recourante,
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contre
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Service de la population du canton de Vaud.
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Objet
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Caducité de l'autorisation de séjour et renvoi de Suisse; violences conjugales,
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recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 13 juillet 2015.
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Faits : |
A. |
A.a. Le 6 juillet 2009, A.X.________, ressortissante tunisienne née en 1981 et diplômée universitaire de technologie en informatique, a épousé en Tunisie B.X.________, ressortissant tunisien titulaire d'une autorisation d'établissement en Suisse. Arrivée en Suisse le 24 décembre 2009, elle s'est vu délivrer une autorisation de séjour par regroupement familial, qui a été régulièrement prolongée jusqu'au 23 décembre 2012.
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A.b. Le 3 juin 2011, B.X.________ a annoncé au bureau du contrôle des habitants, sans en avoir été autorisé par son épouse, que celle-ci avait quitté la Suisse pour retourner en Tunisie. Les époux se sont séparés dans ce pays en novembre 2011. Revenue en Suisse le 15 juin 2012, A.X.________ a requis une nouvelle autorisation de séjour le 5 juillet 2012, avant d'annoncer son arrivée au bureau des étrangers le 10 juillet 2012. Le 25 juillet 2012, elle a saisi le Tribunal d'arrondissement de la Côte d'une requête de mesures protectrices de l'union conjugale, qui ont été accordées par prononcé du 21 mars 2013, les époux étant autorisés à vivre séparés pour une durée indéterminée.
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Entendue par le Service de la population du canton de Vaud (ci-après: le Service cantonal) dans le cadre de sa demande d'autorisation de séjour, A.X.________ a affirmé ne jamais avoir voulu quitter la Suisse, que son époux avait signalé son départ aux autorités et qu'elle avait été victime de violences conjugales.
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B. |
B.a. Par décision du 29 mai 2013, le Service cantonal a prononcé la caducité de l'autorisation de séjour de A.X.________ et son renvoi de Suisse. Cette dernière a recouru contre cette décision auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal cantonal).
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B.b. Au cours d'une audience tenue le 16 décembre 2013 devant le Tribunal cantonal, A.X.________ a exposé qu'en 2009, sa famille et celle de son futur conjoint avaient arrangé leur rencontre et qu'ils avaient accepté de se marier. Ayant quitté son travail de spécialiste en dépannage informatique en Tunisie, elle s'était alors installée auprès de son époux en Suisse. Des difficultés étaient apparues au sein du couple du fait, en particulier, que son époux prenait toutes les décisions à sa place et menaçait de la frapper si elle ne lui obéissait pas. Elle n'avait pas su que son mari avait signalé son départ de Suisse aux autorités, qui était dû au fait qu'il l'avait priée d'aider sa mère pendant deux à trois mois, ce qu'elle avait accepté. Lorsque son époux l'avait rejointe, ils s'étaient disputés et il l'avait frappée, ce qu'un médecin avait constaté. Elle s'était alors réfugiée auprès de sa propre famille et avait ouvert une action en séparation en Tunisie pour se plaindre de cette situation. En juin 2012, elle s'était installée en Suisse auprès d'un ami de son époux, espérant mettre un terme à leurs difficultés conjugales. Elle avait trouvé un emploi en tant qu'ouvrière en décembre 2013.
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Entendu en qualité de témoin lors de la même audience, B.X.________ a notamment déclaré que lui et son épouse n'avaient pas rencontré de difficultés durant la première année de leur ménage commun en Suisse. Il a nié avoir empêché son épouse de travailler, lui ayant même trouvé un emploi au sein de l'entreprise C.________, et lui avoir proposé d'aller vivre chez sa mère, son épouse ayant plutôt souhaité assister aux préparatifs du mariage de la soeur de B.X.________ en s'installant dans l'appartement séparé de celui-ci en Tunisie. Lorsqu'il était allé la rejoindre en novembre 2011, son épouse lui avait annoncé sa volonté de divorcer dans le but de faire venir un amant en Suisse; il ne l'avait jamais frappée. Il avait introduit une demande de divorce en Tunisie.
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Le 12 mars 2014, A.X.________ a informé le Tribunal cantonal qu'elle avait signé un contrat de travail de durée indéterminée; elle a été engagée le 2 décembre 2013 par la société D.________ SA et occupe, après avoir suivi une formation interne confirmée par son employeur, le poste de responsable de l'emballage final des articles vendus par l'entreprise dans le domaine médical et pharmaceutique. Par jugement du 7 avril 2014, la justice tunisienne a prononcé le divorce des époux.
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B.c. Par arrêt du 13 juillet 2015, le Tribunal cantonal a rejeté le recours formé par A.X.________ contre la décision du Service cantonal du 29 mai 2013, qu'il a confirmée.
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C. A l'encontre de l'arrêt du 13 juillet 2015, A.X.________ interjette un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. A titre principal, elle sollicite l'admission de son recours et sa mise au bénéfice d'une autorisation de séjour; à titre subsidiaire, elle demande l'annulation de l'arrêt entrepris et le renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
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Le Tribunal cantonal a renoncé à se déterminer sur le recours. Le Service cantonal s'en est rapporté à justice. Le Secrétariat d'Etat aux migrations a proposé le rejet du recours.
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La requête d'octroi de l'effet suspensif présentée par la recourante a été admise par ordonnance présidentielle du 15 octobre 2015.
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Considérant en droit : |
1. D'après l'art. 83 let. c ch. 2 LTF (RS 173.110), le recours en matière de droit public est irrecevable contre les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit. En l'espèce, la vie conjugale de la recourante avec le titulaire d'une autorisation d'établissement ayant cessé d'exister, elle ne peut pas déduire un droit à une autorisation de séjour de l'art. 43 al. 1 LEtr (RS 142.20). La négation par les autorités cantonales de la condition de l'art. 50 al. 1 let. a LEtr relative à la durée de la vie commune des époux n'est pas remise en cause par la recourante. Reste l'art. 50 al. 1 let. b LEtr, qui subordonne la prolongation de l'autorisation de séjour respectivement l'octroi d'une nouvelle autorisation par suite du constat de caducité du titre de séjour (cf. arrêts 2C_1224/2013 du 12 décembre 2014 consid. 4.2; 2C_876/2013 du 18 novembre 2013 consid. 3.1) à certaines conditions, dont la recourante se prévaut. Dans cette mesure, il convient d'admettre un droit de recourir sous l'angle de l'art. 83 let. c ch. 2 LTF. Le point de savoir si c'est à juste titre que les autorités cantonales ont nié la réalisation des conditions de l'art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr relève du droit de fond et non de la recevabilité.
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Le recours a été au surplus déposé en temps utile compte tenu des féries (art. 46 al. 1 let. b et 100 al. 1 LTF), et dans les formes prescrites (art. 42 LTF) par la destinataire de l'arrêt entrepris qui a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (art. 89 al. 1 LTF). Il y a partant lieu d'entrer en matière sur le recours.
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2. Le Tribunal fédéral, qui est un juge du droit, conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire (ATF 136 II 304 consid. 2.4 p. 313 s.) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). La partie recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées. A défaut d'une telle motivation, il n'est pas possible de prendre en considération un état de fait qui diverge de celui contenu dans la décision attaquée, ni des faits qui n'y sont pas constatés (ATF 136 I 184 consid. 1.2 p. 187).
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3. Le litige revient à se demander si, en regard des faits retenus, le Tribunal cantonal a nié à juste titre le droit pour la recourante de séjourner en Suisse sur la base de l'art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr.
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3.1. Selon l'art. 50 al. 1 let. b LEtr, après dissolution de la famille, le droit du conjoint et des enfants à l'octroi d'une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité en vertu des art. 42 et 43 LEtr subsiste si la poursuite du séjour en Suisse s'impose pour des raisons personnelles majeures. Les raisons personnelles majeures visées à l'al. 1 let. b, sont notamment données lorsque le conjoint est victime de violence conjugale, que le mariage a été conclu en violation de la libre volonté d'un des époux ou que la réintégration sociale dans le pays de provenance semble fortement compromise (art. 50 al. 2 LEtr). L'art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr vise à régler les situations qui échappent aux dispositions de l'art. 50 al. 1 let. a LEtr, soit parce que le séjour en Suisse durant le mariage n'a pas duré trois ans ou parce que l'intégration n'est pas suffisamment accomplie ou encore parce que ces deux aspects font défaut mais que - eu égard à l'ensemble des circonstances - l'étranger se trouve dans un cas de rigueur après la dissolution de la famille (ATF 138 II 393 consid. 3 p. 393 ss; 137 II 345 consid. 3.2.1 p. 348). A cet égard, c'est la situation personnelle de l'intéressé qui est décisive et non l'intérêt public que revêt une politique migratoire restrictive. Il s'agit par conséquent uniquement de décider du contenu de la notion juridique indéterminée "raisons personnelles majeures" et de l'appliquer au cas d'espèce, en gardant à l'esprit que l'art. 50 al. 1 let. b LEtr confère un droit à la poursuite du séjour en Suisse, contrairement à l'art. 30 al. 1 let. b LEtr (ATF 138 II 393 consid. 3 p. 393 ss; 137 II 345 consid. 3.2.1 p. 348). Comme il s'agit de cas de rigueur survenant à la suite de la dissolution de la famille, en relation avec l'autorisation de séjour découlant du mariage, les raisons qui ont conduit à sa dissolution revêtent par conséquent de l'importance. L'admission d'un cas de rigueur personnel survenant après la dissolution de la communauté conjugale suppose que, sur la base des circonstances d'espèce, les conséquences pour la vie privée et familiale de la personne étrangère liées à ses conditions de vie après la perte du droit de séjour découlant de la communauté conjugale (art. 42 al. 1 et 43 al. 1 LEtr) soient d'une intensité considérable (ATF 138 II 393 consid. 3 p. 393 ss; 137 II 345 consid. 3.2.3 p. 350).
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Le Tribunal fédéral a mis en lumière un certain nombre de situations dans lesquelles la poursuite du séjour en Suisse peut s'imposer. Celles-ci ne sont pas exhaustives (ATF 136 II 1 consid. 5.2 p. 3 s.). Parmi elles figurent notamment les violences conjugales (art. 50 al. 2 LEtr et 77 al. 2 de l'ordonnance du 24 octobre 2007 relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative [OASA; RS 142.201]), qui doivent revêtir une certaine intensité (ATF 136 II 1 consid. 5.3 p. 4), la réintégration fortement compromise dans le pays d'origine et le cas dans lequel le conjoint duquel dépend le droit de séjour de l'étranger décède (ATF 138 II 393 consid. 3 p. 393 ss; 137 II 345 consid. 3.2.2 p. 349; 136 II 1 consid. 5.3 p. 4). Les critères énumérés par l'art. 31 al. 1 de l'ordonnance du 24 octobre 2007 relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative peuvent également entrer en ligne de compte, même si, considérés individuellement, ils ne suffisent pas à fonder un cas de rigueur (ATF 137 II 345 consid. 3.2.3 p. 349; 137 II 1 consid. 4.1 p. 7 s). La jurisprudence a en outre précisé que violence conjugale et réintégration fortement compromise peuvent, selon les circonstances et au regard de leur gravité, chacune - pour elle-même - constituer une raison personnelle majeure, ajoutant que, lorsqu'elles se conjuguent, elles justifient le maintien du droit de séjour du conjoint et des enfants. S'agissant de la violence conjugale, il faut qu'il soit établi que l'on ne peut exiger plus longtemps de la personne admise dans le cadre du regroupement familial qu'elle poursuive l'union conjugale, parce que cette situation risque de la perturber gravement (ATF 136 II 1 consid. 4 et 5 p. 2 ss; arrêt 2C_649/2015 du 1er avril 2016 consid. 4.1).
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3.2. Sur mandat du Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes, un rapport du mois de juin 2012 intitulé "Evaluation du degré de gravité de la violence domestique - Rapport de base du point de vue des sciences sociales", tend à définir les formes de violences et la manière dont peuvent être établis les effets et retombées sur la victime et ses enfants (rapport cité, p. 24). Il en ressort que les formes de violence domestique et de contrôle subies dans le cadre des relations intimes ne sont pas faciles à classer dans des catégories déterminées, raison pour laquelle les investigations doivent prendre en compte les actes commis, l'expérience de violence vécue par la victime ainsi que la dangerosité et les répercussions sur sa personnalité (santé, restrictions dans sa vie quotidienne). La jurisprudence a considéré que c'est en ce sens qu'il faut comprendre la notion de violence conjugale d'une certaine intensité ("effets et retombées") au sens de l'art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr (cf. arrêts 2C_649/2015 du 1er avril 2016 consid. 4.2; 2C_1125/2015 du 18 janvier 2016 consid. 4).
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3.3. L'étranger qui se prétend victime de violences conjugales sous l'angle de l'art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr est soumis à un devoir de coopération accru (cf. art. 90 LEtr; ATF 138 II 229 consid. 3.2.3 p. 235; arrêt 2C_968/2012 du 22 mars 2013 consid. 3.2). Lorsque des contraintes psychiques sont invoquées, il incombe à la personne d'illustrer de façon concrète et objective, ainsi que d'établir par preuves le caractère systématique de la maltraitance, respectivement sa durée, ainsi que les pressions subjectives qui en résultent. Les mêmes devoirs s'appliquent à la personne qui se prévaut, en lien avec l'oppression domestique alléguée, de difficultés de réintégration sociale insurmontables dans son Etat d'origine. Des affirmations d'ordre général ou des indices faisant état de tensions ponctuelles sont insuffisants (ATF 138 II 229 consid. 3.2.3 p. 235; arrêt 2C_968/2012 du 22 mars 2013 consid. 3.2).
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Erwägung 4 |
La recourante soutient que le Tribunal cantonal aurait dû admettre l'existence de raisons personnelles majeures, au sens de l'art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr, en raison, d'une part, d'une réintégration compromise dans son pays de provenance (consid. 5 infra) et, d'autre part, des violences physiques et psychiques graves que son époux lui aurait infligées (consid. 6 infra).
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5. La recourante reproche au Tribunal cantonal d'avoir excédé son pouvoir d'appréciation et violé le droit fédéral en ne tenant pas compte, en particulier, de plusieurs éléments qui, selon elle, compromettaient fortement toute réintégration en Tunisie. Résidant en Suisse depuis décembre 2009 avec une interruption de huit mois indépendante de sa volonté, n'ayant fait l'objet d'aucune condamnation pénale et n'émargeant pas à l'aide sociale, financièrement indépendante, maîtrisant le français et disposant d'une formation universitaire, qui plus est soutenue par de nombreux amis et s'étant considérablement investie pour faire face à son mari, elle devait être considérée comme parfaitement intégrée en Suisse.
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5.1. Cette argumentation, qui revient en réalité à affirmer le caractère réussi de l'intégration de la recourante en Suisse, ne peut être suivie. La question qui se pose en relation avec le critère de l'intégration fortement compromise n'est en effet pas de savoir s'il est plus facile, pour la personne concernée, de vivre en Suisse, mais uniquement d'examiner si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de sa situation personnelle, professionnelle et familiale, seraient gravement compromises (cf. arrêts 2C_861/2015 du 11 février 2016 consid. 4.3; 2C_1003/2015 du 7 janvier 2016 consid. 4.1). Le critère de l'intégration réussie au sens de l'art. 50 al. 1 let. a LEtr ne suffit pas en lui-même pour remplir les conditions de l'autorisation de l'art. 50 al. 1 let. b LEtr (arrêts 2C_362/2014 du 1er mai 2014 consid. 5.2; 2C_826/2011 du 17 janvier 2012 consid. 5.2).
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5.2. Au demeurant, le Tribunal cantonal a nié le critère de la réintégration compromise à l'issue d'une prise en considération correcte de tous les éléments en jeu, notamment du fait qu'âgée aujourd'hui de 34 ans, sans enfant et en bonne santé, la recourante, qui avait certes " Ce grief de la recourante sera partant écarté.
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6. La recourante reproche en outre à l'instance précédente d'avoir excédé son pouvoir d'appréciation et violé le droit fédéral en jugeant que les violences conjugales alléguées n'avaient pas été prouvées par les documents que demandait la jurisprudence du Tribunal fédéral, tout en admettant que l'intéressée avait subi de telles violences graves durant sa vie commune avec son conjoint. D'une part, la recourante avait attesté des violences physiques subies en produisant un certificat médical établi en Tunisie et utilisé dans le cadre de la procédure judiciaire menée dans ce pays, ainsi qu'en déposant des preuves du comportement contradictoire et destructeur de son époux. D'autre part, le droit des étrangers exigeait que les violences subies fussent rendues vraisemblables par des moyens appropriés, les indices documentaires figurant à l'art. 77 al. 6 OASA n'étant donc pas exhaustifs comme l'avaient erronément laissé entendre les juges cantonaux.
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6.1. Dans son arrêt du 13 juillet 2015 (p. 12 par. 2), le Tribunal cantonal a retenu que la description donnée par la recourante concernant la situation du couple en Suisse, à savoir l'interdiction de sortir, le refus de tout argent de poche, les contraintes mises en place par son mari pour l'empêcher de trouver du travail, les cris et menaces de violences physiques, correspondait à des violences psychiques graves, c'est-à-dire à une situation de maltraitance systématique ayant pour but d'exercer pouvoir et contrôle sur la victime. Bien que la recourante n'eût pas produit de documents attestant de ces violences psychiques, ses allégations n'en étaient pas moins ponctuées de confirmations non contestées, en particulier le fait que c'était son mari qui l'avait emmenée en Tunisie, lui avait demandé de rester aider sa mère, l'avait frappée lors de leur rencontre en Tunisie en novembre 2011, lui avait demandé de retourner dans sa famille après leur dispute et avait, à son insu, annoncé son départ définitif de Suisse aux autorités, dénotant par là son mépris.
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Par ailleurs, la Cour cantonale a jugé que le mari avait, lors de son audition, menti sur l'existence d'un appartement conjugal séparé de celui de sa mère en Tunisie, ce qui rendait crédibles les autres allégués de la recourante et démontrait que son mari avait tenté de cacher la situation réelle, à savoir que l'intéressée avait été tenue de rester contre son gré dans l'appartement de sa belle-mère pour aider celle-ci aux tâches du ménage et que le mari avait élaboré une stratégie pour se "débarrasser" de son épouse en refusant de la ramener en Suisse lors de leurs retrouvailles en Tunisie, ce que corroborait l'annonce du départ définitif de Suisse qu'il avait faite pour son compte et sans son consentement.
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Après avoir qualifié de crédibles les allégations de la recourante relatives au comportement tyrannique de son mari, le Tribunal cantonal a considéré que ces violences psychiques graves n'avaient été étayées par aucun document au sens des " exigences de la jurisprudence fédérale concernant la preuve ", de sorte que leur existence ne pouvait pas être reconnue et que le recours devait être rejeté.
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6.2. L'arrêt attaqué procède sur ce point à une interprétation erronée du droit fédéral en lien avec le degré de la preuve requis pour établir l'existence de violences conjugales d'une intensité suffisante, ainsi que de la jurisprudence rendue à son propos.
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Tel que l'a indiqué pertinemment la recourante, l'art. 77 OASA, qui concrétise l'art. 50 al. 1 LEtr, dispose à son al. 6 que les certificats médicaux, rapports de police, plaintes pénales, mesures au sens de l'art. 28b CC (RS 210) et jugements pénaux, auxquels s'est référée la précédente instance pour interpréter le degré de la preuve requis, sont notamment considérés comme des indices de violence conjugale. L'al. 6bis de l'art. 77 OASA, qui traite de la prise en considération des indications et des renseignements fournis par des services spécialisés, confirme le caractère non exhaustif des indices mentionnés, en même temps qu'il invalide la thèse apparemment défendue par le Tribunal cantonal selon laquelle seuls des documents (écrits) permettraient de démontrer l'existence de violences conjugales graves.
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La jurisprudence citée à l'appui de l'interprétation de la Cour cantonale ne restreint pas la nature des indices admissibles. Ainsi, l'arrêt 2C_968/2012 exhorte la victime alléguée de violences à " illustrer de façon concrète et objective ainsi qu['à] établir par preuves le caractère systématique de la maltraitance, respectivement sa durée, ainsi que les pressions subjectives qui en résultent " (consid. 3.2), tandis que l'ATF 138 II 229 exige que la situation de violence ou d'oppression domestique soit rendue vraisemblable d'une manière appropriée, notamment à l'aide de rapports divers mais aussi d'avis d'experts ou de témoignages crédibles (consid. 3.2.3 p. 235).
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Certes, l'existence de violences conjugales, physiques et/ou psychiques, ne saurait être admise trop facilement, notamment pour des motifs de contrôle des flux migratoires. Cela explique pourquoi, en dépit de la possibilité ("peuvent") qu'ont les autorités compétentes de demander d'office des preuves des violences alléguées (cf. art. 77 al. 5 OASA), la prétendue victime est en tout état soumise à un devoir de coopération accru et doit étayer par preuves ses allégués de maltraitance (cf. ATF 138 II 229 consid. 3.2.3 p. 235). Il n'en reste pas moins, d'une part, que ces preuves pourront être apportées de différentes manières et à la faveur d'un faisceau d'indices convergents (cf. supra). D'autre part, l'autorité ne saurait rendre vaine l'obligation de l'Etat de protéger la dignité humaine ainsi que l'intégrité de l'époux étranger malmené par son conjoint (cf. ATF 138 II 229 consid. 3.2.3 p. 235; arrêt 2C_1072/2014 du 9 juillet 2015 consid. 2.3; art. 35 al. 1 et 3 Cst. [RS 101] cum art. 7, 10 al. 2 et 13 al. 1 Cst., resp. art. 3 et 8 CEDH [RS 0.101]; Recommandation générale n° 19/1992 sur la violence à l'égard des femmes du Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes [A/47/38], par. 24, adoptée dans le cadre du processus de contrôle de la CEDEF (RS 0.108); voir aussi art. 59 ["Statut de résident"] de la Convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe du 12 avril 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, que la Suisse a signée et dont le projet de ratification a été mis en consultation en 2015 [http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Treaties /Html/210.htm; cf. interpellation CN Gilly du 21 mars 2014, n° 14.3257]; JAQUIÉRY/VAERINI JENSEN, La violence domestique à l'égard des femmes en droit international, européen et suisse, in Les droits de l'Homme au centre [Besson/Hottelier/Werro (éd.)], 2006, p. 422 ss). Une fois qu'elle a forgé sa conviction intime que le conjoint étranger a été victime de violences conjugales graves, l'autorité ne peut donc lui imposer des conditions disproportionnées pour demeurer en Suisse de ce fait (cf. ATF 138 II 229 consid. 3.2.2 p. 234; THOMAS HUGI YAR, Von Trennungen, Härtefällen und Delikten, in Annuaire du droit de la migration 2012/2013, p. 31 ss, 85; MARC SPESCHA, ad art. 50 LEtr, in Migrationsrecht - Kommentar, 4e éd., 2015, n. 10 p. 197 s.).
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Contrairement à ce qu'a impliqué l'instance précédente, elle ne pouvait partant nier l'existence de violences psychiques graves, tout en les considérant comme avérées, au seul motif que celles-ci n'avaient pas été établies à l'aide de preuves documentaires.
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6.3. Sur la base des prémisses juridiques relatives au degré de la preuve (consid. 6.2 supra), force est de relever que le Tribunal cantonal a versé dans une appréciation contradictoire (art. 9 Cst.) des éléments de preuve à sa disposition.
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6.3.1. Le Tribunal cantonal a d'abord pu s'assurer de la véracité des violences physiques alléguées par la recourante en lien avec sa dispute conjugale du mois de novembre 2011 en Tunisie, au travers du certificat médical établi le 11 novembre 2011 par un médecin de Zarzis (Tunisie). Ce dernier a en effet attesté, de manière à convaincre les juges cantonaux (arrêt attaqué, p. 10: "
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6.3.2. S''agissant des violences psychiques alléguées par la recourante, le Tribunal cantonal a confronté le récit contenu dans le mémoire de recours cantonal de celle-ci (qui, si avéré, correspondait en tous points aux critères d'une maltraitance psychique systématique motivée par la volonté de contrôler le conjoint; cf. aussi ATF 138 II 229 consid. 3.2.2 p. 233 s.) aux différents éléments recueillis en cours de procédure.
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Dans ce cadre, les précédents juges ont constaté que l'époux leur avait menti ou avait tenté de dissimuler des faits, notamment au sujet de la prolongation et des conditions du séjour de la recourante auprès de la mère de son mari, ce qui rendait crédible les allégués de l'intéressée quant au caractère involontaire dudit séjour en Tunisie.
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La Cour cantonale a par ailleurs déduit du fait, documenté par le Service cantonal, que le mari avait annoncé le départ définitif de Suisse de la recourante le 3 juin 2011 (et annulé ses couvertures d'assurance) sans l'en informer, ce qu'il n'avait d'ailleurs pas contesté lors de son audition ultérieure, qu'il avait ourdi une " stratégie de violences psychiques " et tenté de se " débarrasser " de son épouse, ce qui coïncidait de plus avec l'allégué de la recourante selon lequel son mari aurait refusé de la ramener en Suisse lors de leurs retrouvailles en Tunisie en novembre 2011. Il y a lieu de constater que cette appréciation trouve un autre appui dans le courrier de l'époux au Service cantonal du 14 août 2012; dans celui-ci, le mari s'émouvait qu'en dépit de s'être " assuré par mon annonce à la commune qu'elle ne pourrait pas retourn[er] en Suisse afin d'éviter qu'elle obtienne au fil des an-nées un permis d'établissement ou autres avantages ", son épouse était revenue en Suisse en juin 2012 pour s'installer chez des " pseudo-amis " (art. 105 al. 2 LTF).
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Sur la base de son appréciation des preuves de la cause, le Tribunal cantonal s'est finalement déclaré convaincu que, bien que la recourante n'ait pas produit de documents attestant des violences psychiques alléguées, " ses allégations sont ponctuées de confirmations non contestées ", et qu'elles étaient tant " précises " que " crédibles " (cf. arrêt attaqueé, p. 12 s.).
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6.4. Or, compte tenu de l'épisode de violence physique (certes d'une gravité relative) documenté, mais aussi des diverses pièces au dossier témoignant de la volonté du mari d'éloigner de Suisse contre son gré et de nuire à son épouse, ainsi que de l'appréciation minutieuse des déclarations et versions des faits forgeant l'intime conviction des juges cantonaux que la recourante avait été soumise, durant sa vie commune avec son époux, à des violences conjugales psychiques systématiques et graves, le Tribunal cantonal ne pouvait, sans commettre d'arbitraire et verser dans un raisonnement incohérent, ne pas admettre l'existence de ces violences en reprochant à l'intéressée de ne pas avoir adéquatement documenté celles-ci.
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6.5. Par conséquent, c'est à tort que le Tribunal cantonal a confirmé la décision du Service cantonal refusant d'accorder une autorisation de séjour à la recourante, au motif que la situation de celle-ci ne répondrait pas aux conditions de l'art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr. L'arrêt attaqué a donc violé cette dernière disposition, ce qui doit conduire à l'admission du recours, ainsi qu'à l'annulation de l'arrêt attaqué. La cause sera partant renvoyée au Service cantonal pour qu'il octroie une nouvelle autorisation de séjour à la recourante.
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7. Bien qu'il succombe, le canton de Vaud, qui ne défend pas d'intérêt patrimonial, ne peut se voir imposer les frais de justice (art. 66 al. 1 et 4 LTF). La recourante, qui a obtenu gain de cause avec l'aide d'un avocat, a droit à des dépens, qui seront mis à charge du canton de Vaud (art. 68 al. 1 et 2 LTF). L'affaire sera également renvoyée au Tribunal cantonal pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est admis. L'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 13 juillet 2015 est annulé.
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2. La cause est renvoyée au Service de la population du canton de Vaud pour qu'il décerne une autorisation de séjour à la recourante.
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3. Il n'est pas perçu de frais de justice.
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4. Une indemnité de dépens, arrêtée à 2'000 fr., est allouée à la recourante, à charge du canton de Vaud.
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5. La cause est renvoyée au Tribunal cantonal du canton de Vaud afin qu'il statue à nouveau sur le sort des frais et dépens de la procédure devant lui.
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6. Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Service de la population et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, ainsi qu'au Secrétariat d'Etat aux migrations.
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Lausanne, le 26 mai 2016
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Au nom de la IIe Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : Seiler
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Le Greffier : Chatton
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