BGer 4A_598/2016 |
BGer 4A_598/2016 vom 16.11.2016 |
{T 0/2}
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4A_598/2016
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Arrêt du 16 novembre 2016 |
Ire Cour de droit civil |
Composition
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Mmes et M. les Juges fédéraux Kiss, Présidente,
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Klett et Kolly.
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Greffière : Mme Reitze-Page.
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Participants à la procédure
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X.________ SA, en liquidation, représentée par Me Michel Bergmann,
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recourante,
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contre
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Y.________, représenté par Me Dante Canonica,
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intimé,
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Z.________ SA, représentée par Me Jacques Roulet,
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Objet
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appel en cause,
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recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile, du 9 septembre 2016.
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Faits : |
A.
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A.a. Le 12 mai 2015, Z.________ SA (demanderesse principale) a ouvert action contre la X.________ SA, en liquidation (défenderesse) et A.________, devant le Tribunal de première instance du canton de Genève, concluant notamment à leur condamnation solidaire au paiement d'un montant de 2'382'440 fr. avec intérêts.
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Par mémoire de réponse du 15 octobre 2015, la défenderesse a conclu au rejet de la demande en paiement formée par la demanderesse principale. Elle a en outre déposé un appel en cause à l'encontre de Y.________ (appelé), concluant à ce que son appel en cause soit déclaré recevable et à ce que l'appelé soit condamné à la relever de toute condamnation dont elle pourrait faire l'objet consécutivement à la demande en paiement.
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A.b. En date du 10 février 2016, le Tribunal de première instance du canton de Genève a rendu son jugement, au terme duquel il a déclaré irrecevable l'appel en cause. En substance, le Tribunal a considéré que les conditions d'admissibilité de l'appel en cause n'étaient pas réunies au motif qu'il n'existait aucun lien de connexité entre la prétention soulevée dans cet appel en cause (enrichissement illégitime au sens de l'art. 62 al. 1 CO) et la prétention objet de la demande principale (responsabilité du mandataire au sens de l'art. 398 CO), que ces deux prétentions n'étaient pas soumises à la même compétence matérielle et que la défenderesse n'avait pas rendu vraisemblable qu'elle disposait de conclusions récursoires à l'encontre de l'appelé en cause.
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A.c. Statuant sur recours de la défenderesse contre la décision susmentionnée, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, l'a rejeté par arrêt du 9 septembre 2016, la décision attaquée étant ainsi confirmée.
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B. Agissant par la voie du recours en matière civile, la défenderesse (ci-après: la recourante) demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal, de déclarer recevable l'appel en cause, de condamner l'appelé (ci-après: l'intimé) à lui payer un montant de 2'382'440 fr. avec intérêts, de débouter l'intimé et tout opposant de toutes leurs conclusions et de condamner l'intimé en tous frais et dépens. Subsidiairement, elle requiert d'astreindre l'intimé à relever la recourante de toute condamnation dont elle pourrait faire l'objet par suite de la demande formée par la demanderesse principale en date du 12 mai 2015 et à payer à la recourante un montant pouvant aller jusqu'à 2'382'440 fr. avec intérêts. Plus subsidiairement, elle demande de condamner l'intimé à relever la recourante de toute condamnation dont elle pourrait faire l'objet par suite de la demande formée par la demanderesse principale en date du 12 mai 2015.
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Des déterminations n'ont pas été requises.
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Considérant en droit : |
1. Le recours est dirigé contre un refus d'appel en cause. Il s'agit là d'une décision partielle susceptible de recours en application de l'art. 91 let. b LTF (ATF 134 III 379 consid. 1.1 p. 382; consid. 1.1 non publié de l'ATF 142 III 102). L'arrêt attaqué a été rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par un tribunal supérieur d'un canton, qui a statué sur recours (art. 75 LTF). La cause atteint la valeur litigieuse de 30'000 fr. ouvrant le recours en matière civile dans les affaires pécuniaires qui ne relèvent ni du droit du travail, ni du droit du bail à loyer (art. 74 al. 1 let. b LTF). Au surplus, le recours est exercé par la partie qui a succombé dans sa demande d'admission de l'appel en cause et qui a donc qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF); il a été déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il convient d'entrer en matière sur le recours, sous réserve de la motivation suffisante des griefs particuliers (art. 42 al. 2 et art. 106 al. 2 LTF).
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2. La recourante reproche à la cour cantonale une violation de l'art. 81 al. 1 CPC. A son sens, les conditions d'admission d'un appel en cause sont réunies; il existerait un lien de connexité entre la prétention qu'elle estime avoir contre l'intimé en cas de perte du procès et la prétention élevée par la demanderesse principale dans sa demande en paiement.
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2.1. Aux termes de l'art. 81 al. 1 CPC, le dénonçant peut appeler en cause le dénoncé devant le tribunal saisi de la demande principale en faisant valoir les prétentions qu'il estime avoir contre lui pour le cas où il succomberait. Les prétentions invoquées par le dénonçant doivent se trouver dans un lien de connexité avec la demande principale. Par l'appel en cause, il ne peut être exercé que des prétentions qui dépendent de l'existence des prétentions formulées dans l'action principale. Tel sera le cas de prétentions récursoires ou en garantie. S'il fait valoir de telles prétentions contre le dénoncé, le dénonçant dispose par là-même d'un intérêt à agir au sens de l'art. 59 al. 2 let. a CPC (ATF 139 III 67 consid. 2.4.3 p. 74; 142 III 102 consid. 3.1 p. 104).
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2.2. L'autorité cantonale a retenu que les premiers juges avaient à juste titre déclaré irrecevable l'appel en cause formé par la recourante en raison de l'inexistence d'un lien de connexité entre la prétention principale et celle invoquée dans l'appel en cause: Le procès principal a pour objet une action en responsabilité dirigée contre la recourante et un second mandataire pour des manquements qu'ils auraient prétendument commis dans le cadre d'un mandat que leur avait confié la demanderesse principale. Or, relève la Cour de justice, l'existence de la prétention invoquée par la recourante dans son appel en cause ne dépend pas, selon les propres allégués de la recourante, de la reconnaissance de sa responsabilité dans le dommage allégué par la demanderesse principale, mais de l'invalidation de la convention de cession d'actions pour vices de consentement, question qui ne fait pas l'objet du procès principal. Par ailleurs, la recourante n'a pas soutenu que l'intimé serait coresponsable du dommage allégué par la demanderesse principale et qu'elle disposerait en conséquence, en cas de perte du procès, d'une action en enrichissement illégitime à son encontre fondée sur le droit de recours prévu à l'art. 51 CO.
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Au vu de cette issue, la cour cantonale a laissé ouverte la question de savoir si l'appel en cause devait être déclaré irrecevable du fait que les conclusions initialement formées par la recourante n'étaient pas chiffrées, tout comme la question de savoir si la recourante était autorisée, au stade du recours, à chiffrer lesdites conclusions.
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2.3. La question peut néanmoins être examinée dans la présente procédure. En effet, le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Dès qu'une question est discutée, il n'est lié ni par les motifs invoqués par les parties, ni par l'argumentation juridique retenue par l'autorité précédente; en particulier, il peut rejeter le recours en opérant une substitution de motifs (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 89).
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2.4. Dans un arrêt publié récemment, la cour de céans a rappelé que l'appel en cause était soumis aux conditions de recevabilité valables pour toutes les actions (art. 59 CPC), dont celle du chiffrement des conclusions lorsque l'action tend au paiement d'une somme d'argent (art. 84 al. 2 CPC), sous réserve de l'application de l'art. 85 al. 1 CPC (ATF 142 III 102 consid. 3 p. 103 s.; confirmé dans l'arrêt 4A_164/2016 du 18 octobre 2016 consid. 3.2). Selon cette disposition, le demandeur peut intenter une action non chiffrée s'il est dans l'impossibilité d'articuler d'entrée de cause le montant de sa prétention ou si cette indication ne peut être exigée d'emblée. Le Tribunal fédéral a jugé que le dénonçant ne pouvait pas renoncer à chiffrer les conclusions formulées dans sa demande d'admission de l'appel en cause au seul motif qu'il ignore si et, le cas échéant, quel montant il sera condamné à payer (ATF 142 III 102 consid. 3.3 p. 104 s., consid. 4-5 p. 105 ss, consid. 6 p. 110). En revanche, des conclusions en paiement non chiffrées sont admissibles si la demande principale ou l'appel en cause lui-même remplissent les conditions posées à l'art. 85 CPC. Ainsi, si le demandeur principal ne peut pas chiffrer ses prétentions parce qu'elles dépendent de l'administration des preuves ou des informations à fournir par le défendeur (art. 85 al. 2 CPC), le dénonçant sera de même dispensé de chiffrer les conclusions à énoncer dans l'appel en cause (même arrêt consid. 3.1 p. 104). Le dénonçant ne sera pas non plus tenu de chiffrer d'emblée son action en paiement lorsque, indépendamment du sort de la procédure principale, l'administration de preuves est nécessaire pour établir l'ampleur des prétentions élevées contre le dénoncé (même arrêt consid. 3.2 p. 104; arrêt 4A_164/2016 du 18 octobre 2016 consid. 3.2).
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2.5. En l'espèce, la recourante, dans son appel en cause du 15 octobre 2015, a conclu à ce que l'intimé soit condamné à relever la recourante de toute condamnation dont elle pourrait faire l'objet par suite de la demande principale du 12 mai 2015. De telles conclusions ne sont pas chiffrées. C'est seulement au stade du recours, plus précisément dans sa réplique adressée à la Cour de justice que la recourante a chiffré ses conclusions en se basant sur le montant requis par la demanderesse principale dans sa demande du 12 mai 2015.
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2.6. Dans son mémoire de recours adressé au Tribunal fédéral, la recourante plaide qu'elle était parfaitement en droit de modifier ses conclusions devant l'autorité précédente. Elle soutient qu'une modification des conclusions pouvait avoir lieu jusqu'aux débats principaux; comme, en l'espèce, les débats principaux n'avaient pas encore été ouverts, il lui était encore possible de modifier ses conclusions. Ce faisant, la recourante n'expose d'aucune manière pour quelles raisons elle n'était pas en mesure de chiffrer ses conclusions en première instance déjà. La demande principale, sur laquelle la recourante se base pour chiffrer ses conclusions en deuxième instance, a toujours été chiffrée. Il ne s'agit donc pas d'un cas où le demandeur principal n'aurait pas été en mesure de chiffrer son action en paiement, ni d'un cas où l'appel en cause lui-même remplirait les conditions d'une action non chiffrée (cf. consid. 2.4 ci-dessus). Il suit de ce qui précède que les conclusions en paiement, telles que formulées dans la demande d'appel en cause, ne sont pas recevables.
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2.7. En définitive, le refus de l'appel en cause doit être confirmé par substitution de motifs, ce qui conduit au rejet du recours. Cela étant, le point de savoir s'il existe un lien de connexité entre la prétention exercée par l'appel en cause et la demande principale peut rester indécis.
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3. A titre de partie qui succombe, la recourante doit acquitter l'émolument à percevoir par le Tribunal fédéral (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à l'adverse partie ni aux autres participants à la procédure qui n'ont pas été invités à procéder.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
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2. Les frais judiciaires, arrêtés à 10'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
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3. Il n'est pas alloué de dépens.
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4. Le présent arrêt est communiqué aux parties, à Z.________ SA, à A.________, Paris et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
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Lausanne, le 16 novembre 2016
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Au nom de la Ire Cour de droit civil
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du Tribunal fédéral suisse
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La Présidente : Kiss
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La Greffière : Reitze-Page
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