BGer 5A_856/2017 |
BGer 5A_856/2017 vom 09.03.2018 |
5A_856/2017 |
Arrêt du 9 mars 2018 |
IIe Cour de droit civil |
Composition
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MM. les Juges fédéraux von Werdt, Président,
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Marazzi et Herrmann.
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Greffière : Mme de Poret Bortolaso.
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Participants à la procédure
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1. A.A.________,
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2. B.A.________,
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3. C.A.________,
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recourants,
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contre
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Tribunal de première instance du canton de Genève, Tribunal civil,
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intimé.
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Objet
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récusation (servitude),
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recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 15 septembre 2017 (C/6638/2017 ACJC/1150/2017).
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Considérant en fait et en droit : |
Erwägung 1 |
1.1. Le 23 janvier 2017, A.A.________, B.A.________ et C.A.________ ont déposé devant le Tribunal de première instance de la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal) une demande à l'encontre des époux D.________. Dite demande visait notamment à obtenir des défendeurs la radiation d'une servitude inscrite au registre foncier et l'annotation du caractère mitoyen d'un mur, à ce qu'il leur soit interdit de " déverser leurs eaux pluviales ainsi que les eaux de leur Karcher " sur la parcelle no 12441 et à ce qu'ils soient condamnés à supprimer " tout débordement de leur garage ", à " assainir l'amiante de leur avant-toit par une entreprise spécialisée " et à les indemniser d'un montant de 30'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 20 avril 2000.
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Par ordonnance du 13 février 2017, le Tribunal a transmis la demande et les pièces l'accompagnant aux époux D.________, leur impartissant un délai au 15 mars 2017 pour déposer une réponse écrite.
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Le 9 mars 2017, le conseil des défendeurs a indiqué que ceux-ci estimaient que les demandeurs étaient atteints d'une véritable psychose processive, ne cessant de les harceler depuis de nombreuses années, qu'ils considéraient que la demande était abusive et devait ainsi être renvoyée à ses auteurs en application de l'art. 132 al. 3 CPC, subsidiairement qu'un délai devait être octroyé à ceux-ci en application de l'art. 132 al. 2 CPC; plus subsidiairement, ils sollicitaient une prolongation du délai pour répondre au 15 mai 2017.
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Par ordonnance du 13 mars 2017, le Tribunal a notamment considéré que la demande était incompréhensible et prolixe, que les allégués de fait et le droit étaient mélangés et leur contenu tel qu'il était impossible d'y répondre. Il a imparti aux demandeurs un délai au 28 avril 2017 pour rectifier leur demande en application de l'art. 132 al. 1 CPC.
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1.2. Le 24 mars 2017, les consorts A.________ ont demandé la récusation de la juge en charge de la procédure.
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Leur demande a été rejetée par une délégation du Tribunal le 5 mai 2017.
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Le 15 septembre 2017, la Cour de justice a rejeté le recours formé par les consorts A.________.
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1.3. Agissant le 25 octobre 2017 par la voie du recours en matière civile au Tribunal fédéral, A.A.________, B.A.________ et C.A.________ (ci-après: les recourants) concluent à l'annulation des décisions cantonales rendues dans le cadre de leur demande de récusation ainsi qu'à l'annulation de l'ordonnance du 13 mars 2017 leur impartissant un délai pour rectifier leur demande; cela fait, ils réclament le renvoi de l'affaire à la juridiction cantonale ou la récusation de la juge de première instance, l'autorité cantonale étant invitée à nommer un juge compétent et impartial.
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Des déterminations n'ont pas été demandées.
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L'effet suspensif a été attribué au recours par ordonnance présidentielle du 17 novembre 2017.
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Erwägung 2 |
2.1. Le recours a été déposé à temps (art. 100 al. 1 LTF), contre une décision notifiée séparément, portant sur la récusation d'un magistrat de première instance: le recours immédiat au Tribunal fédéral est donc ouvert (art. 92 al. 1 LTF). Les conclusions du litige principal, de nature civile (art. 72 al. 1 LTF), sont supérieures à 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF) et les recourants ont qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF).
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2.2. Le recours n'est néanmoins recevable qu'en tant qu'il s'en prend à l'arrêt de la Cour de justice du 15 septembre 2017; il est en revanche irrecevable contre l'ordonnance de la délégation du Tribunal du 5 mai 2017 et contre l'ordonnance rendue le 13 mars 2017 par la magistrate dont la récusation est demandée (art. 75 al. 1 LTF).
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Erwägung 3 |
3.1. Le recourant peut former son recours en matière civile pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 s. LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). L'art. 42 al. 2 LTF exige toutefois que le recourant discute les motifs de la décision entreprise et indique précisément en quoi il estime que l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 142 III 364 consid. 2.4 et la référence). En outre, le Tribunal fédéral ne connaît de la violation de droits fondamentaux que si un tel grief a été invoqué et motivé par le recourant ("principe d'allégation", art. 106 al. 2 LTF; ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les références), c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de façon claire et détaillée (ATF 135 III 232 consid. 1.2; ATF 133 II 249 consid. 1.4.2). Si le recourant se plaint d'arbitraire, il ne peut se contenter de critiquer la décision attaquée comme il le ferait en instance d'appel, où la juridiction supérieure jouit d'une libre cognition; en particulier, il ne saurait se limiter à opposer son opinion à celle de l'autorité cantonale, mais il doit démontrer par une argumentation précise que cette décision se fonde sur une application de la loi ou une appréciation des preuves manifestement insoutenables (cf. ATF 133 II 396 consid. 3.2).
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La violation du droit cantonal ne constitue pas un motif de recours en tant que tel (cf. art. 95 LTF); la partie recourante peut uniquement se plaindre de ce que l'application du droit cantonal par l'autorité précédente consacre une violation du droit fédéral au sens de l'art. 95 let. a LTF, en particulier qu'elle est arbitraire (art. 9 Cst.).
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3.2. Les critiques développées par les recourants sont particulièrement confuses, mêlant faits, droit et appréciations personnelles sur plus d'une vingtaine de pages; il n'en sera en conséquence tenu compte que dans la mesure où elles sont compréhensibles.
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Erwägung 4 |
4.1. La cour cantonale a en substance considéré qu'aucun élément ne permettait de retenir l'existence d'un arrangement entre la magistrate et les défendeurs au fond: le fait que, suite au courrier du conseil des époux D.________, l'intéressée eût révoqué son ordonnance du 13 février 2017 pour impartir aux recourants un délai afin de rectifier leur demande ou que celle-ci n'eût pas préalablement examiné le caractère prolixe ou incompréhensible de la demande ne permettait pas d'établir son manque d'impartialité ou l'existence d'une faute de procédure d'une gravité telle que sa récusation serait justifiée. La juridiction cantonale a par ailleurs relevé que les recourants n'expliquaient aucunement en quoi la juge mise en cause ne pouvait retenir le caractère prolixe ou confus de leur demande, le fait qu'ils ne soient pas représentés par un avocat ne les dispensant pas de respecter les exigences de forme prévues par le Code de procédure civile. L'on ne pouvait du reste retenir de la fixation d'un délai raisonnable pour rectifier les manquements de leur écriture une volonté de restreindre le droit des recourants au fond. Ceux-ci ne démontraient enfin nullement en quoi les différentes dispositions constitutionnelles fédérales et cantonales dont ils invoquaient la violation seraient de nature à établir la réalisation d'un motif de récusation et disposeraient d'une portée plus large que l'art. 47 CPC.
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4.2. La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH - qui ont, de ce point de vue, la même portée, et que l'art. 47 CPC concrétise en procédure civile - permet de demander la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à la cause puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie (ATF 139 III 120 consid. 3.2.1). L'art. 30 al. 1 Cst. doit contribuer à assurer dans chaque cas la transparence nécessaire à un procès correct et équitable, et ainsi, permettre un jugement juste. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, car une disposition interne de la part du juge ne peut être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence d'une prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat; cependant, seules les circonstances objectivement constatées doivent être prises en compte, les impressions purement individuelles n'étant pas décisives (ATF 140 III 221 consid. 4.1 et les références).
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Des décisions ou des actes de procédure viciés, voire arbitraires, ne créent pas en soi une apparence objective de prévention. En raison de son activité, le juge est contraint de se prononcer sur des questions contestées et délicates; même si elles se révèlent ensuite erronées, des mesures inhérentes à l'exercice normal de sa charge ne permettent pas encore de le suspecter d'un parti pris; en décider autrement reviendrait à affirmer que tout jugement inexact, voire arbitraire, serait imputable à la partialité du juge, ce qui serait inadmissible. Les erreurs éventuellement commises doivent ainsi être constatées et redressées dans le cadre des procédures de recours prévues par la loi; il n'appartient pas au juge de la récusation d'examiner la conduite du procès à la façon d'un organe de surveillance (ATF 116 Ia 135 consid. 3a et la référence; arrêt 5A_750/2016 du 15 novembre 2016 consid. 3.1). Seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent ainsi justifier une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances corroborent à tout le moins objectivement l'apparence de prévention (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 et les références).
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4.3. L'essentiel de l'argumentation des recourants consiste à soutenir l'existence d'un arrangement entre les époux D.________ et la magistrate mise en cause, les intéressés prétendant que celle-ci serait soumise aux instructions de ceux-là. Leurs critiques se fondent sur différents éléments factuels qui ressortent toutefois principalement d'impressions subjectives, sans que l'on puisse induire une prévention objective de la part de magistrate dont la récusation est réclamée (ainsi, prétendument: existence d'une amitié entre la magistrate et les défendeurs; direction de la procédure par les défendeurs; déclarations injurieuses du conseil sus-cité quant à leur soi-disant psychose processive; strictes exigences de forme imposées à leur égard par opposition à celles requises dudit conseil; absence de réponse de la partie adverse au fond, nécessairement justifiée par sa certitude de l'annulation du délai imparti à cet égard; caractère tardif de l'ordonnance constatant le caractère confus de leur demande ou encore erreurs dans le référencement de la procédure). Le seul reproche que l'on peut certes opposer à la magistrate consiste en l'absence de contrôle préalable de la demande au fond avant d'inviter les défendeurs à y répondre (cf. STAEHELIN, in Sutter-Somm et al. (éd.), Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 3e éd. 2016, n. 4 s. ad art. 132 CPC; FREI, in Berner Kommentar, 2012, n. 20 ad art. 132 CPC). Ainsi que l'ont constaté à juste titre les instances cantonales précédentes, cette omission n'est toutefois pas suffisante pour retenir sa partialité ou l'existence d'une faute particulièrement grave justifiant son retrait.
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Les recourants mêlent également à leur critique une argumentation au fond, sans apparemment saisir que le bien-fondé de leur demande de récusation ne dépend pourtant nullement de celui de la demande déposée à l'encontre des époux D.________, ni du contenu de procédures antérieures opposant les parties.
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Quant aux différentes dispositions constitutionnelles fédérales (art. 7, 8, 36, 35, 40 Cst.) et cantonales (art. 40, 41 et 43 Cst. genevoise) invoquées, les recourants ne démontrent, pas plus que dans leur recours cantonal, en quoi celles-ci fonderaient un motif de récusation.
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4.4. Les recourants érigent ensuite en " question juridique de principe " les exigences de forme que peuvent se voir imposer les parties n'agissant pas par l'intermédiaire d'un mandataire professionnel. Ce faisant, les recourants se méprennent sur cette notion, pertinente dans le cadre de la recevabilité formelle du recours en matière civile (art. 74 al. 2 let. a LTF), laquelle n'est pas litigieuse en l'espèce. Cette question n'est du reste en elle-même pas déterminante pour fonder le soupçon de partialité que les intéressés émettent à l'encontre de la magistrate, étant précisé que le fait qu'ils ne soient pas représentés par un mandataire professionnel ne saurait les libérer des exigences de forme que doit remplir une demande en justice, ainsi que l'a d'ailleurs justement relevé la Cour de justice.
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4.5. Les recourants invoquent également régulièrement la violation de l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.), sans toutefois relier ce grief à l'application de dispositions législatives fédérales ou cantonales, voire à une appréciation des preuves qui serait insoutenable (consid. 3.1 supra). Il n'y a donc pas lieu d'examiner plus avant cette critique.
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4.6. Les recourants se plaignent encore du montant des dépens alloués aux époux D.________ pour leur détermination sur leur demande de récusation devant la délégation du Tribunal. Ils invoquent à cet égard les art. 19, 86 et 87 du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile (RTFMC; RS GE E 1 05.10) sans cependant en invoquer ni en démontrer l'application arbitraire (consid. 3.1 supra); ils affirment également que l'art. 106 al. 1 CPC ne s'appliquerait pas en l'espèce, remarque qui procède toutefois manifestement d'une incompréhension de cette dernière disposition.
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4.7. Quant au prononcé d'une amende disciplinaire à l'encontre de l'avocat des époux D.________ pour " diffamations, injures et calomnies ", il ne ressort pas de la compétence du Tribunal de céans.
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5. En définitive, le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité. Les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux (art. 66 al. 1 et 5 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
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2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des recourants solidairement entre eux.
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3. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
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Lausanne, le 9 mars 2018
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Au nom de la IIe Cour de droit civil
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : von Werdt
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La Greffière : de Poret Bortolaso
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