BGer 1B_72/2018
 
BGer 1B_72/2018 vom 23.03.2018
 
1B_72/2018
 
Arrêt du 23 mars 2018
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
Karlen et Fonjallaz.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
recourant,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy,
Objet
Procédure pénale, refus de révoquer un mandat d'arrêt,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale
de recours, du 12 janvier 2018 (ACPR/19/2018).
 
Faits :
A. Dans le cadre d'une procédure pénale pour faux dans les titres, le Ministère public genevois a convoqué A.________ - domicilié à Londres - à une audience du 21 décembre 2016. L'intéressé n'ayant pas donné suite à cette convocation, un mandat d'arrêt a été décerné à son encontre le même jour et une demande d'extradition a été présentée par le biais de l'Office fédéral de la justice (OFJ). A.________ a été entendu par commission rogatoire au mois de juillet 2017 et a été prévenu de faux dans les titres. Il a ensuite demandé au Ministère public de lever le mandat d'arrêt international, alléguant avoir des raisons légitimes de ne pas quitter le territoire britannique. Par décision du 21 juillet 2017, le Procureur a maintenu son mandat d'arrêt; les charges étaient suffisantes et l'intéressé refusait de se rendre en Suisse, même sous sauf-conduit. Par arrêt du 19 septembre 2017, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève a déclaré irrecevable le recours formé contre le refus de révoquer le mandat d'arrêt, considérant qu'il ne s'agissait pas d'une décision attaquable. Par arrêt du 7 décembre 2017 (1B_451/2017), le Tribunal fédéral a annulé cette décision et renvoyé la cause à la Chambre pénale de recours pour nouvelle décision sur le fond, considérant que le mandat d'arrêt (ou d'amener) pouvait faire l'objet d'un recours tant qu'il n'avait pas été exécuté.
B. Par arrêt du 12 janvier 2018, la Chambre pénale de recours a rejeté le recours. Les raisons invoquées pour ne pas quitter le territoire britannique n'affectaient pas la proportionnalité du mandat d'amener. La nécessité de confronter le recourant aux autres prévenus résidant à Genève n'était pas contestable; l'interrogatoire à Londres avait eu lieu sans la présence des autres parties. Le Procureur genevois avait indiqué à quelles conditions il pourrait révoquer le mandat, et le recourant n'avait jamais fourni d'engagement dans ce sens. L'écoulement du temps ne rendait non plus pas la mesure disproportionnée.
C. Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal et de prononcer la levée immédiate du mandat d'arrêt du 21 décembre 2016, subsidiairement de renvoyer la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants en enjoignant la cour cantonale à statuer à très bref délai.
La cour cantonale a renoncé à présenter des observations. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Dans ses dernières déterminations, le recourant persiste dans ses motifs et conclusions, et s'oppose aux faits nouveaux dont le Ministère public fait état dans sa réponse.
 
Considérant en droit :
1. Selon l'art. 78 LTF, le recours en matière pénale est ouvert contre les décisions rendues en matière pénale. Cette notion comprend toutes les décisions qui se fondent sur le droit pénal matériel ou le droit de procédure pénale. Elle s'étend donc à un prononcé relatif à un mandat d'arrêt ou d'amener. En tant que mesure de contrainte susceptible de porter atteinte à la liberté de la personne concernée, un tel mandat est est susceptible de causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 LTF. Pour le surplus, le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et les conclusions présentées (y compris en réforme) sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF.
2. Le recourant se plaint d'établissement inexact et incomplet des faits. Il reproche à la cour cantonale d'avoir statué directement à réception de l'arrêt du Tribunal fédéral, sans lui donner l'occasion de s'exprimer et sans prendre en compte les faits intervenus depuis sa première décision du 4 août 2017, alors qu'elle dispose d'un plein pouvoir d'examen.
2.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles n'aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, à savoir, pour l'essentiel, de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation mais aussi dans son résultat (ATF 143 IV 241 consid. 2.3.1 p. 244). En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des conclusions insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266 et les références citées). Le Tribunal fédéral n'entre ainsi pas en matière sur les critiques de nature appellatoire (ATF 142 III 364 consid. 2.4 p. 368). Quant aux faits évoqués pour la première fois devant le Tribunal fédéral - en particulier les faits postérieurs à la décision attaquée -, ils sont irrecevables en vertu de l'art. 99 LTF.
2.2. Selon le recourant, la cour cantonale se serait à nouveau trompée sur l'objet du litige en considérant qu'il s'agissait d'un mandat d'amener au lieu d'un refus de lever le mandat d'arrêt du 21 décembre 2016. La cour de céans a déjà relevé cette confusion dans son arrêt précédent, ajoutant toutefois qu'elle était sans conséquence puisque les considérations relatives au mandat d'amener devaient s'appliquer a fortiori à un mandat d'arrêt.
Le recourant conteste ensuite avoir refusé de se déplacer à Genève pour être entendu. Il affirme avoir expliqué au Ministère public les raisons légitimes qui l'empêchaient de quitter le territoire du Royaume-Uni, soit le risque que sa demande d'asile déposée dans cet Etat soit considérée comme définitivement retirée. Comme on le verra ci-dessous (consid. 3.1), les conséquences de l'exécution du mandat d'arrêt sur la situation juridique du prévenu à l'étranger n'avaient pas à être examinées lors de la délivrance, respectivement le refus de révoquer le mandat. Les faits allégués dans ce cadre sont donc sans pertinence. Pour le surplus, le recourant ne conteste pas qu'il n'a pas donné suite à l'offre du Ministère public de comparaître sous sauf-conduit et qu'il n'a pas satisfait aux conditions posées pour la révocation du mandat. Il n'y a donc pas arbitraire sur ce point également.
L'arrêt attaqué passerait également sous silence, selon le recourant, les démarches entreprises par celui-ci afin d'être entendu auprès de l'Ambassade Suisse et afin de pouvoir se rendre en Suisse; il ne s'interrogerait pas non plus sur la nécessité d'entendre le recourant et sur le fait que les autres prévenus n'ont pas fait l'objet de mandat d'arrêt alors même qu'ils ont été entendus dans l'intervalle par commission rogatoire et mis en prévention. L'arrêt attaqué rappelle que le recourant a pu être entendu une première fois par commission rogatoire - ce qui suppose qu'il avait consenti et effectué les démarches nécessaires à cette audition - et qu'il avait invoqué des "raisons légitimes" l'empêchant de se rendre en Suisse. Même si ces raisons ne sont pas explicitées, la cour cantonale rappelle - à juste titre comme on le verra - que celles-ci ne tiennent pas au mandat d'arrêt proprement dit. Quant au refus de tenir compte d'une différence de traitement avec d'autres prévenus à l'étranger, de même que l'impossibilité de déposer une demande d'asile en Suisse, il ne s'agit pas d'une question de fait mais de droit.
2.3. Dans un second grief, d'ordre formel, le recourant invoque les art. 29 Cst., 6 CEDH et 6 CPP et reproche à la cour cantonale de ne pas avoir exercé son plein pouvoir d'examen en statuant sans échange d'écritures ni débats après réception de l'arrêt du Tribunal fédéral du 7 décembre 2017. Les faits de l'arrêt attaqué seraient repris quasiment tels quels du premier arrêt et aucune pesée d'intérêts n'aurait été effectuée; la cour cantonale n'aurait pas non plus statué sur le grief relatif à l'égalité de traitement.
L'arrêt du Tribunal fédéral du 7 décembre 2017 considère que le recours est ouvert contre un mandat d'arrêt, respectivement le refus de le révoquer et renvoie la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision sur le fond. Dans sa nouvelle décision, la cour cantonale a retenu que l'existence de charges suffisantes n'était pas contestable, que l'empêchement invoqué par le recourant n'était pas inhérent au mandat lui-même et que les besoins de l'instruction justifiaient une comparution à Genève. La mesure de contrainte était justifiée par la gravité des faits. Ces considérations satisfont à l'obligation formelle de motiver telle qu'elle découle du droit d'être entendu. Appelée à rendre une nouvelle décision sur le fond, la cour cantonale devait le faire dans le respect du principe de célérité, un mandat d'amener ou d'arrêt étant par nature destiné à une exécution aussi rapide que possible. Le recourant avait déjà largement pu s'exprimer durant la première procédure de recours sur les motifs qui pouvaient faire obstacle à sa venue en Suisse. Le 22 décembre 2017, il s'est d'ailleurs spontanément adressé à la Chambre pénale de recours afin de demander une décision rapide; il n'a pas tenté, à cette occasion, de faire valoir des faits selon lui pertinents qui seraient intervenus depuis le premier prononcé cantonal. Dans ces conditions, la cour cantonale n'avait pas à rechercher d'office si de nouveaux éléments pouvaient faire obstacle à la mesure de contrainte. Elle a au demeurant tenu compte du temps écoulé en considérant qu'il n'en résultait pas une violation du principe de la proportionnalité.
Les griefs relatifs à l'établissement des faits et les arguments d'ordre formel doivent ainsi être écartés.
3. Sur le fond, le recourant estime que la cour cantonale ne se serait pas livrée à la pesée d'intérêts commandée par les art. 36 Cst. et 197 CPP. Elle aurait ainsi méconnu que le recourant n'est pas en possession d'un passeport, celui-ci ayant été remis aux autorités anglaises à l'appui de sa demande d'asile; l'existence de cette même procédure (antérieure aux convocations de la justice suisse) l'empêcherait de se rendre en Suisse - même sous sauf-conduit -, car sa demande d'asile serait alors considérée comme retirée et le dépôt d'une nouvelle demande en Suisse serait problématique au vu de l'art. 31a LAsi. La nécessité d'une confrontation ne serait pas démontrée et celle-ci pourrait avoir lieu par d'autres moyens (audition à l'Ambassade, vidéoconférence), ou après décision sur sa demande d'asile.
3.1. L'autorité qui ordonne une mesure de contrainte telle qu'un mandat d'arrêt ou d'amener doit s'assurer que celle-ci est prévue par la loi, que les soupçons sont suffisants, que les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères et qu'elle apparaît justifiée au regard de la gravité de l'infraction (art. 197 al. 1 CPP). Elle n'a pas en revanche à s'interroger sur l'ensemble des conséquences qu'une telle mesure peut revêtir pour la personne concernée dès lors qu'au moment de rendre sa décision, elle ne dispose en principe pas des renseignements sur la situation personnelle de l'intéressé.
3.2. Le recourant ne conteste pas en l'occurrence que les soupçons à son égard sont suffisants et qu'au vu de la gravité et de la complexité des faits, il est nécessaire d'obtenir sa présence en vue d'une confrontation directe avec les autres prévenus. Les conditions pour la délivrance d'un mandat d'amener, respectivement pour un mandat d'arrêt sont dès lors réunies. L'écoulement du temps vient encore renforcer cette nécessité puisque selon le Ministère public, la fin de l'instruction et le renvoi en jugement approchent. Dans cette perspective, la présence du recourant aux débats serait obligatoire au sens de l'art. 336 CPP. Il ne serait manifestement pas conforme au principe de célérité de surseoir à une comparution personnelle en attendant l'issue de la demande d'asile du recourant en Angleterre.
L'essentiel de l'objection du recourant se rapporte à la procédure d'asile. Toutefois, dès lors que les autorités britanniques sont saisies simultanément d'une demande d'asile et d'une demande d'extradition, c'est à elles - et non au Ministère public, auteur d'un simple mandat - qu'il appartiendra de coordonner les deux procédures et de déterminer si l'exécution de la demande d'extradition est susceptible de compromettre le sort de la demande d'asile. C'est dès lors à juste titre que la cour cantonale n'a pas tenu compte de cet élément dans sa pesée des intérêts.
3.3. L'argument tiré de l'égalité de traitement n'est pas mieux fondé. Le recourant se contente d'évoquer le cas de deux autres prévenus qui ont été entendus en Ukraine et pour lesquels aucun mandat d'arrêt n'a été prononcé. Le recourant ne tente toutefois pas de démontrer que la situation de ces deux prévenus serait en tous points comparable à la sienne au regard notamment des faits qui leur sont concrètement reprochés. S'agissant d'un grief de nature constitutionnelle, il apparaît insuffisamment motivé (art. 106 al. 2 LTF).
4. Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant qui succombe.
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3. Le présent arrêt est communiqué à la mandataire du recourant, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours.
Lausanne, le 23 mars 2018
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Merkli
Le Greffier : Kurz