BGer 2C_316/2018 |
BGer 2C_316/2018 vom 19.12.2018 |
2C_316/2018 |
Arrêt du 19 décembre 2018 |
IIe Cour de droit public |
Composition
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MM. les Juges fédéraux Seiler, Président,
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Donzallaz et Stadelmann.
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Greffière : Mme Jolidon.
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Participants à la procédure
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A.________,
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représenté par Me Laurent Schuler, avocat,
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recourant,
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contre
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Département de la santé
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et de l'action sociale du canton de Vaud, Service de la Santé publique.
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Objet
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Retrait de l'autorisation de pratiquer comme médecin; effet suspensif,
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recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 14 mars 2018 (RE.2018.0003).
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Faits : |
A.
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A.a. A.________ est chirurgien orthopédiste; il exerce son activité à titre indépendant. A la suite d'une dénonciation pour de sérieux problèmes survenus lors d'une opération le 23 décembre 2013, le Chef du Département de la santé et de l'action sociale du canton de Vaud (ci-après: le Département de la santé) a, par décision du 4 septembre 2014, notamment soumis l'intéressé à un suivi de sa consommation d'alcool pendant deux ans. Selon un rapport du 6 octobre 2016 de l'Unité socio-éducative du Service d'alcoologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (ci-après: le CHUV), le recourant demeurait en difficulté face à sa consommation. Le Chef du Département de la santé l'a alors enjoint, le 13 décembre 2016, à observer une abstinence totale et à se soumettre à des contrôles jusqu'au mois de janvier 2017, faute de quoi son autorisation de pratiquer lui serait retirée. Après une première évaluation en janvier 2017, le CHUV a, le 13 mai 2017, informé le Médecin cantonal du canton de Vaud que le recourant connaissait toujours des problèmes quant à sa consommation d'alcool.
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A la suite de la mise en oeuvre d'une enquête administrative et du préavis du Conseil de santé du canton de Vaud préconisant des mesures provisionnelles à l'encontre de A.________, le Département de la santé lui a, par décision du 4 octobre 2017, retiré son autorisation de pratiquer jusqu'au terme de ladite enquête; cette décision levait également l'effet suspensif à un éventuel recours.
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A.b. Le 3 novembre 2017, A.________ a interjeté recours devant la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal cantonal) à l'encontre de la décision de mesures provisionnelles du 4 octobre 2017 du Département de la santé susmentionnée; il a également requis que l'effet suspensif soit restitué au recours.
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Ledit département a répondu en date du 23 novembre 2017, concluant au rejet du recours et de la requête de restitution d'effet suspensif. A.________ a répliqué le 6 décembre 2017 et ledit département a dupliqué le 12 décembre suivant. A.________ s'est encore exprimé en date du 9 janvier 2018.
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Le juge instructeur a, par décision incidente du 11 janvier 2018, rejeté la demande de restitution d'effet suspensif.
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B. Par arrêt du 14 mars 2018, le Tribunal cantonal a rejeté le recours de A.________ à l'encontre de la décision incidente du 11 janvier 2018. Il a constaté que la duplique du 12 décembre 2017 du Département de la santé n'avait effectivement pas été communiquée à l'intéressé, mais que ce point ne violait pas le droit d'être entendu de celui-ci; il a, en outre, considéré que le droit topique permettait d'ordonner des mesures provisionnelles; finalement, le juge instructeur avait, dans la pesée des intérêts effectuée en statuant sur l'effet suspensif, pris en compte l'intérêt privé de A.________ à exercer son activité de chirurgien; ce juge n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation en retenant que cet intérêt privé devait céder le pas devant les risques que comportait pour le public la poursuite de cette activité.
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C. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, principalement, d'annuler l'arrêt du 14 mars 2018 du Tribunal cantonal en ce sens que l'effet suspensif est restitué au recours déposé devant ce tribunal à l'encontre de la décision du 11 janvier 2018 du juge instructeur de ce même tribunal, subsidiairement, de réformer cet arrêt en ce sens que l'effet suspensif est restitué au recours, que son autorisation de pratiquer lui est restituée à condition qu'il poursuive son traitement à l'Antabus et qu'il fournisse à intervalles réguliers que justice dira la preuve de la prise du médicament d'une manière régulière et qu'il se soumette à des analyses sanguines, encore plus subsidiairement, d'annuler l'arrêt entrepris et de renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour une nouvelle décision dans le sens des considérants.
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Le Service de la santé publique du canton de Vaud conclut au rejet du recours tendant à la restitution de l'effet suspensif et au maintien du caractère exécutoire de la décision du 4 octobre 2017. Le Tribunal cantonal se réfère aux considérants de son arrêt.
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Considérant en droit : |
1. Le recours en matière de droit public a été déposé en temps utile (art. 100 LTF) et en la forme prévue (art. 42 LTF) à l'encontre d'un arrêt rendu par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF) statuant dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) par l'intéressé qui a la qualité pour recourir (art. 89 al. 1 LTF).
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Comme elle porte sur l'effet suspensif, la décision attaquée est une décision incidente, qui ne peut faire l'objet d'un recours qu'aux conditions de l'art. 93 LTF. Il a déjà été jugé qu'une telle décision cause à l'évidence un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (sur cette notion, cf. ATF 140 V 321 consid. 3.6 p. 326; 137 V 314 consid. 2.2.1 p. 317 et les arrêts cités), lorsqu'elle a pour effet d'interdire au médecin d'exercer sa profession avec effet immédiat pendant toute la procédure cantonale, alors qu'une éventuelle admission du recours par la suite ne lui permettra pas de remédier à l'absence d'activité (arrêts 2C_630/2016 du 6 septembre 2016 consid. 2.4; 2C_631/2010 du 8 septembre 2010 consid. 1). Partant, il y a lieu d'entrer en matière sur le recours.
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2. La décision portant sur l'effet suspensif est une mesure provisionnelle au sens de l'art. 98 LTF (ATF 137 III 475 consid. 2). Seule peut donc être invoquée la violation des droits constitutionnels.
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3. Lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur l'effet suspensif ou d'autres mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit (examen prima facie), en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 p. 91; 131 III 473 consid. 2.3 p. 476). Elle dispose à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation et peut tenir compte de l'issue prévisible de la procédure au fond, pour autant que celle-ci soit claire (ATF 130 II 149 consid. 2.2 p. 155; 129 II 286 consid. 3 p. 289; arrêt 2C_293/2013 du 21 juin 2013 consid. 4.2 non publié in ATF 139 I 189). Le Tribunal fédéral n'examine qu'avec retenue l'appréciation à laquelle a procédé l'instance précédente. Il n'annule une décision sur mesures provisionnelles que si la pesée des intérêts à son origine est dépourvue de justification adéquate et ne peut être suivie, soit en définitive si elle paraît insoutenable (arrêts 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 3; 2C_1034/2015 du 23 novembre 2015 consid. 3.1; 2C_567/2015 du 24 juillet 2015 consid. 2.2).
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4. Dans un premier grief de nature formelle, le recourant se plaint de la violation de son droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.). Le juge instructeur de la cause sur le fond a rejeté, par décision incidente du 11 janvier 2018, la demande d'octroi d'effet suspensif au recours interjeté le 3 novembre 2017 devant le Tribunal cantonal. Le recourant reproche à ce juge de ne pas lui avoir transmis la duplique du 12 décembre 2017 du Département de la santé et de l'avoir ainsi privé de l'opportunité de se déterminer sur cette écriture.
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4.1. Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable au sens de l'art. 29 Cst., le droit d'être entendu garantit notamment au justiciable le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, dans la mesure où elle l'estime nécessaire, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre (ATF 138 I 154 consid. 2.3.3 p. 157; 137 I 195 consid. 2.3.1 p. 197). Il appartient aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 139 I 189 consid. 3.2 p. 192 et les références; cf. en outre les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme dans les causes Schaller-Bossert contre Suisse du 28 octobre 2010 § 39 s. et Nideröst-Huber contre Suisse du 18 février 1997, Recueil CourEDH 1997-I p. 101 § 24). Dans les procédures judiciaires, ce droit existe que la cause soit ou non soumise à l'art. 6 par. 1 CEDH, l'art. 29 Cst. devant, sous cet angle, être interprété de la même manière (ATF 138 I 154 consid. 2.3.3 p. 157).
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Toutefois, dans le cadre d'une procédure concernant des mesures provisoires ayant un caractère d'urgence, l'art. 29 al. 2 Cst. n'a pas la même portée que s'agissant de la procédure au fond. Ainsi, les décisions judiciaires concernant l'effet suspensif doivent par nature être rendues rapidement et sans de longues investigations complémentaires. L'autorité qui statue peut donc, sauf circonstances spécifiques, se dispenser d'entendre de manière détaillée les intéressés ou de procéder à un second échange d'écritures. Tant la jurisprudence du Tribunal fédéral que celle de la Cour européenne des droits de l'homme reconnaissent que, si elles ont une portée étendue s'agissant des procédures au fond, les garanties découlant du droit d'être entendu peuvent connaître quelques aménagements dans le cas d'une procédure concernant des mesures provisoires, compte tenu du caractère d'urgence de celles-ci. En d'autres termes, il ne peut être question, dans le cadre de mesures provisoires, d'un droit absolu à une réplique découlant du droit d'être entendu. Le cas échéant, si la réponse de l'autorité précédente contient des éléments nouveaux décisifs sur lesquels le juge entend se fonder, un droit de réplique peut alors se justifier. Cette solution constitue une mise en oeuvre pragmatique de l'art. 6 CEDH (ATF 132 I 42 consid. 3.3.2 p. 47). Le droit d'être entendu du requérant est donc, en principe, déjà garanti par le dépôt de sa demande d'effet suspensif (ATF 139 I 189 consid. 3.3 p. 192 et les références).
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4.2. En l'espèce, une fois que les parties eurent, après que le recourant eut déposé son écriture le 3 novembre 2017, répondu le 23 novembre 2017 par le Département de la santé, répliqué le 6 décembre 2017, puis dupliqué le 12 décembre 2017, la requête de restitution d'effet suspensif a été rejetée le 11 janvier 2018. Le juge instructeur n'a pas transmis la duplique du 12 décembre 2017 du Département de la santé au recourant avant de rendre sa décision sur l'effet suspensif du 11 janvier 2018 (décision par laquelle le recourant a appris le dépôt de cette écriture); au demeurant, le recourant avait demandé à cette autorité, le 9 janvier précédent, de rendre rapidement une décision à cet égard.
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La procédure en cause porte sur l'effet suspensif retiré au recours déposé le 3 novembre 2017 devant le Tribunal cantonal à l'encontre des mesures provisionnelles tendant au retrait de l'autorisation de pratiquer du recourant pendant l'enquête diligentée à son égard. Dès lors que la jurisprudence ne reconnaît pas de droit absolu à la réplique s'agissant de mesures provisionnelles, on ne saurait à plus forte raison reconnaître dans ce cadre un droit à une triplique, le recourant ayant largement pu s'exprimer s'agissant de l'effet suspensif.
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En outre, pour justifier le retrait de l'effet suspensif, le juge instructeur s'est fondé sur des rapports du CHUV des 6 octobre 2016 et 6 février 2017, ainsi que sur le procès-verbal d'une audition du 16 août 2017 du recourant tenue dans le cadre de l'enquête administrative ouverte le 20 juin 2017. Il en a conclu que l'abstinence durable du recourant n'était pas établie. Le recourant, dans sa réplique du 6 décembre 2017, avait produit des résultats d'analyses sanguines effectuées le 24 novembre précédent sur lesquelles le Département de la santé ne s'est pas prononcé dans sa duplique du 12 décembre 2017, puisqu'il s'y borne à renvoyer à ses déterminations du 23 novembre 2017. De plus, le juge instructeur n'a pas pris en considération ces faits nouveaux dans sa décision sur effet suspensif du 11 janvier 2018. Le recourant a de plus largement pu s'exprimer dans le cadre de la procédure relative à son recours du 22 janvier 2018 devant la section des recours de la Cour de droit administratif du Tribunal cantonal qui a un plein pouvoir d'examen (cf. art. 98 de la loi vaudoise du 28 octobre 2008 sur la procédure administrative [ci-après: loi vaudoise sur la procédure administrative ou LPA-VD; RS/VD 173.36]), ce qui aurait guéri une violation du droit d'être entendu. Partant, au regard de la jurisprudence susmentionnée, on ne saurait considérer que le droit d'être entendu du recourant a été violé et le grief y relatif est rejeté.
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5. Selon le recourant, l'autorité intimée a commis un abus de son pouvoir d'appréciation dans le cadre de la pesée des intérêts qu'elle a effectuée en examinant si la décision de refus de restitution d'effet suspensif était compatible avec la liberté économique (art. 27 Cst.). Il avance que la décision de mesures provisionnelles consistant à lui retirer son autorisation de pratiquer ne repose sur aucune base légale (art. 36 al. 1 Cst.).
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5.1. Le champ d'application matériel de la loi fédérale du 23 juin 2006 sur les professions médicales universitaires (loi fédérale sur les professions médicales, LPMéd; RS 811.11) ressort de l'art. 1 al. 3 let. e LPMéd selon lequel ladite loi réglemente de manière exhaustive l'exercice des professions médicales énumérées à l'art. 2 al. 1 LPMéd (médecins, dentistes, chiropraticiens, pharmaciens et vétérinaires) à titre indépendant (Message du 3 décembre 2004 concernant la loi fédérale sur les professions médicales universitaires, FF 2005 p. 160 et ad art. 1 p. 185).
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Quant à la loi vaudoise du 29 mai 1985 sur la santé publique (ci-après: loi vaudoise sur la santé publique, LSP; RS/VD 800.01), elle ne peut s'appliquer aux professions médicales susmentionnées que si celles-ci ne sont pas pratiquées à titre indépendant et, dans les cas où ces professions sont exercées à titre indépendant, que dans la mesure où la loi fédérale sur les professions médicales déléguerait aux cantons d'éventuelles compétences ou ne réglementerait pas un aspect de l'exercice à titre indépendant de façon exhaustif (ATF 143 I 352 consid. 3.1 p. 355; cf. sur la répartition des compétences en la matière entre la Confédération et les cantons: SPRUMONT/GUINCHARD/SCHORNO, in: Ayer/Kieser/Poledna/Sprumont, Commentaire de la loi sur les professions médicales [LPMéd], 2009 (cité ci-après: Commentaire), n° 1 ss, p. 57).
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Les cantons sont compétents pour délivrer l'autorisation d'exercer sur leur territoire (art. 34 LPMéd). Cependant, les conditions professionnelles et personnelles pour l'octroi de l'autorisation de pratiquer sont réglées exhaustivement à l'art. 36 LPMéd et les cantons ne sont pas habilités à en ajouter d'autres (FF 2005 ad art. 36, p. 209). Les cantons peuvent préciser la condition personnelle de l'art. 36 al. 1 let. b LPMéd qui exige que le requérant soit digne de confiance (sur cette notion, cf. arrêt 2C_853/2013 du 17 juin 2014 consid. 5.4 et 5.5) et présente, tant physiquement que psychiquement, les garanties nécessaires à un exercice irréprochable de la profession (FF 2005 ad art. 43 p. 213); compte tenu de la volonté du législateur d'unifier les conditions d'exercice à titre indépendant sur tout le territoire de la Confédération et du fait que l'art. 36 al. 1 let. b LPMéd décrit de manière exhaustive les conditions personnelles requises pour obtenir une autorisation (FF 2005 ad art. 36 p. 209), il faut considérer que la possibilité laissée aux cantons quant à ces conditions personnelles concerne uniquement les moyens de preuve auxquels il est possible de recourir, afin de prouver que la personne requérante est " digne de confiance et présente, tant physiquement que psychiquement, les garanties nécessaires à un exercice irréprochable de la profession " (attestation de moralité, certificat médical, etc. [FF 2005 ad art. 43 p. 213]). Des dispositions cantonales peuvent être édictées dans le cadre de l'art. 37 LPMéd (FF 2005 ad art. 43, p. 212), à savoir les restrictions et les charges imposées à l'autorisation de pratiquer. Si une des conditions à l'octroi de l'autorisation de pratiquer n'est plus remplie, cette autorisation est retirée (art. 38 LPMéd). Il s'agit là d'une mesure administrative, d'un retrait " de sécurité " (JEAN-FRANÇOIS DUMOULIN, Commentaire, n° 4 ad art. 38, p. 328). Elle est à distinguer de la sanction disciplinaire de l'art. 43 LPMéd (auquel correspond l'art. 191 LSP au niveau cantonal), sanction qui n'est pas en cause dans la présente affaire (cf., sur la distinction entre ces deux procédures pour les avocats, ATF 137 II 425 consid. 7.2 p. 429, cf. également consid. 3.2 non publié).
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5.2. Sur le fond, le présent cas relève de l'art. 38 LPMéd, selon lequel l'autorisation de pratiquer est retirée si les conditions de l'octroi ne sont plus remplies ou si l'autorité compétente constate, sur la base d'événements survenus après l'octroi de l'autorisation, que celle-ci n'aurait pas dû être délivrée (al. 1). La condition qui fait l'objet de la procédure administrative diligentée est celle de l'art. 36 al. 1 let. b LPMéd qui prévoit que le requérant doit être digne de confiance et présente, tant physiquement que psychiquement, les garanties nécessaires à un exercice irréprochable de la profession. L'existence d'un empêchement doit faire l'objet d'une évaluation objective, généralement résultant d'une expertise médicale (JEAN-FRANÇOIS DUMOULIN, op. cit., n° 13 ss ad art. 38, p. 330). Le Message souligne que, dans ce cadre, les principes généraux du droit administratif, en particulier le respect du principe de la proportionnalité et du droit d'être entendu, sont applicables (FF 2005 ad art. 38 p. 211).
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Les cantons se voient donc attribuer par la loi fédérale sur les professions médicales des compétences résiduelles de nature exécutive (SPRUMONT/GUINCHARD/SCHORNO, op. cit., n° 6 p. 58). Ils sont ainsi, comme susmentionné, compétents pour délivrer l'autorisation d'exercer sur leur territoire (art. 34 LPMéd). Partant, en vertu du principe du parallélisme des formes, ils le sont également pour retirer celle-ci lorsque les conditions de l'art. 36 LPMéd ne sont plus remplies (SPRUMONT/GUINCHARD/SCHORNO, op. cit., n° 21 p. 61). Le règlement vaudois du 26 janvier 2011 sur l'exercice des professions de la santé (REPS; RS/VD 811.01.1) traite de l'octroi (art. 2 ss REPS) et du retrait (art. 66 ss REPS) de l'autorisation de pratiquer des médecins notamment (art. 2 al. 1 REPS). Or, l'art. 72 al. 1 REPS prévoit précisément que, dans le cadre d'une procédure de retrait d'autorisation par le Département de la santé, en cas d'urgence, celui-ci peut préalablement à toute mesure d'instruction décider d'une mesure provisionnelle au sens de l'art. 191a LSP. Selon cette disposition, en cas d'urgence, ledit département peut en tout temps prendre les mesures propres à prévenir ou faire cesser un état de fait contraire à la loi vaudoise sur la santé publique ou menaçant la sécurité des patients ou le respect de leurs droits fondamentaux; il peut notamment suspendre ou retirer provisoirement à son titulaire une autorisation de pratiquer, de diriger ou d'exploiter ou la qualité de responsable. Peu importe, à cet égard, que l'art. 38 LPMéd ne précise pas que de telles mesures peuvent être édictées, dès lors que les cantons sont compétents quant aux dispositions d'exécution relativement au retrait de l'autorisation de pratiquer et qu'une disposition légale cantonale les prévoit. Comme le relèvent les juges précédents, il serait insupportable de ne pas pouvoir prendre des mesures provisionnelles pendant une procédure administrative lorsqu'il y a un sérieux doute quant aux capacités d'un médecin d'exercer sa profession. Ces mesures permettent, en effet, de protéger des intérêts juridiques menacés et, notamment, de mettre fin à des situations dangereuses (JEAN-FRANÇOIS DUMOULIN, op. cit., n° 30 ad art. 38, p. 333). Ainsi, la possibilité de prendre des mesures provisionnelles doit être rattachée à l'art. 72 al. 1 REPS cum art. 191a LSP. Contrairement, par exemple, au retrait du permis de conduire à titre préventif qui trouve une base légale dans une ordonnance fédérale (cf. art. 30 de l'ordonnance fédérale du 27 octobre 1976 réglant l'admission des personnes et des véhicules à la circulation routière [ordonnance réglant l'admission à la circulation routière, OAC; RS 741.51]), le retrait à titre préventif de l'autorisation de pratiquer la médecine a la sienne dans le droit cantonal, avec ce que cela implique en matière de pouvoir de cognition du Tribunal fédéral.
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Il découle de ces considérations que, contrairement à ce que soutient le recourant, la base légale (cf. art. 36 al. 1 Cst.) nécessaire pour restreindre sa liberté économique existe à l'art. 72 al. 1 REPS cum art. 191a LSP.
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6. Le recourant se plaint d'une application arbitraire (art. 9 Cst.; sur cette notion, cf. ATF 142 II 369 consid. 4.3 p. 380; 141 III 564 consid. 4.1 p. 566; 141 I 49 consid. 3.4 p. 53) de l'art. 80 LPA-VD relatif à l'effet suspensif. Le retrait de cet effet serait une règle exceptionnelle. L'incident du 23 décembre 2013 en salle d'opération serait resté un événement unique et aucun élément postérieur à cette date serait de nature à justifier le refus de restituer l'effet suspensif. Le recourant se serait spontanément engagé à prendre de l'Antabus, ce qui confirmerait une abstinence totale à l'alcool, abstinence qui serait attestée par les résultats de prises de sang.
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Le recourant estime encore qu'il n'y aurait pas d'intérêt public justifiant le refus de restituer l'effet suspensif au recours et que cette mesure viole le principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.).
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6.1. L'art. 80 LPA-VD prévoit:
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" 1 Le recours administratif a effet suspensif.
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2 L'autorité administrative ou l'autorité de recours peuvent, d'office ou sur requête, lever l'effet suspensif, si un intérêt public prépondérant le commande. (...) "
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6.2. Le recourant allègue qu'il n'a jamais fait l'objet d'une plainte et que les faits survenus en décembre 2013 sont trop anciens pour justifier une menace pour " l'ordre public ". En cela, il oublie que deux mesures plus douces ont été initialement prises par le Chef du Département de la santé à son égard. Ainsi, le 4 septembre 2014, il a été soumis à un suivi de sa consommation d'alcool pour une durée de deux ans, la mesure pouvant être levée après douze mois; puis, le 13 décembre 2016, il a été enjoint à observer une abstinence totale et à se soumettre à des contrôles jusqu'à janvier 2017, faute de quoi son autorisation de pratiquer lui serait retirée. Dès lors, l'ouverture de l'enquête administrative n'est que la conséquence de l'incapacité du recourant à maîtriser son alcoolisme avant l'automne 2017. De plus, le rapport d'expertise du CHUV du 5 février 2018, s'il recommande de poursuivre le traitement aversif à l'alcool pendant une année au moins, fait également état de " résultats inquiétants des examens neuropsychologiques " et recommande une investigation plus poussée de l'aptitude de l'intéressé à continuer d'exercer sa profession. Ainsi, contrairement à ce que prétend le recourant, il existe un intérêt public au retrait de son autorisation de pratiquer et on ne voit pas qu'en le prenant en compte les juges précédents auraient abusé de leur pouvoir d'appréciation.
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6.3. Le Tribunal cantonal a retenu que le Département de la santé avait rendu une décision à l'encontre du recourant en date du 4 septembre 2014, à la suite des complications survenues lors de l'opération de 2013. Celui-ci avait alors été soumis à un suivi de sa consommation d'alcool pour une durée de deux ans. Le rapport du CHUV établi à l'échéance de ces deux ans, à savoir le 6 octobre 2016, relevait que l'intéressé demeurait en difficulté face à sa consommation. Il en allait de même du rapport du 23 mai 2017 du CHUV. A cet égard, contrairement à ce que soutient le recourant, ces rapports médicaux sont pertinents dans le cadre de la présente procédure: il est avéré que celui-ci a des problèmes d'alcool depuis de longues années et le retrait de l'autorisation de pratiquer, à titre de mesure provisionnelle, dans l'attente de la clôture de l'enquête administrative et le refus de restituer l'effet suspensif dans ce cadre en sont la conséquence. L'évolution de cette dépendance est donc importante pour la présente procédure et c'est sans arbitraire que les juges précédents ont pris les rapports médicaux susmentionnés en considération pour rendre leur arrêt. Le recourant avait d'ailleurs lui-même admis, lors de son audition du 16 août 2017, qu'il lui était difficile d'observer une abstinence totale. Les juges précédents ont relevé que le recourant avait finalement entrepris un traitement contre l'alcoolisme, qui semblait fructueux. Ils ont cependant également souligné que, d'une part, ce traitement n'avait débuté qu'au début de l'automne 2017 et que, d'autre part, l'intéressé avait échoué dans ses précédentes tentatives d'arrêter de boire de l'alcool. Il n'est dès lors pas insoutenable de considérer que quelques mois d'abstinence ne suffisent pas à démontrer une abstinence durable de la consommation d'alcool, ce d'autant plus que la dépendance dure depuis de longues années. Il a de plus été souligné par les juges précédents, comme cela est mentionné ci-dessus, que le rapport d'expertise psychiatrique du 5 février 2018 du CHUV fait état de résultats inquiétants quant aux examens neuropsychologiques qui rendent indispensable une investigation plus poussée des capacités du recourant d'exercer sa profession de chirurgien orthopédiste. Il est vrai que l'interdiction de pratiquer est une mesure sévère et que les conséquences économiques sont importantes pour la personne concernée. L'intérêt public est toutefois, en l'espèce, primordial puisqu'il s'agit de la santé et de l'intégrité physique, voire de la vie, des patients et il n'est pas insoutenable de le faire primer sur l'intérêt privé du recourant à exercer son activité lucrative durant l'enquête administrative.
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6.4. Le recourant requiert une mesure moins incisive, à savoir que son autorisation de pratiquer lui soit restituée à condition qu'il poursuive son traitement à l'Antabus et fournisse à intervalles réguliers la preuve de la prise du médicament et qu'il se soumette à des analyses sanguines. A ce propos, contrairement à ce qu'il prétend en invoquant une violation du droit à une décision motivée (art. 29 al. 2 Cst.), le Tribunal cantonal a évoqué cette mesure (traitement et surveillance) et l'a jugée insuffisante (arrêt attaqué p. 12).
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A nouveau, les juges précédents n'ont pas abusé de leur pouvoir d'appréciation en estimant que cette proposition ne pouvait être suivie. En effet, au regard des conclusions du rapport du CHUV du 5 février 2018 susmentionné, une telle mesure ne saurait être adaptée à la situation: les résultats inquiétants des examens neuropsychologiques que ce document mentionne doivent faire l'objet d'un approfondissement, étant souligné que l'abstinence d'alcool n'est pas forcément à même de résoudre les problèmes évoqués. Dans ces conditions, on ne voit pas qu'en l'état une charge ou qu'une condition suffise à protéger la santé publique.
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6.5. En conséquence, le refus du Tribunal cantonal de restituer l'effet suspensif est le seul moyen de supprimer le danger pour la santé publique et ne dénote pas une application arbitraire de l'art. 80 LPA-VD; il constitue une restriction admissible à la liberté économique du recourant et respecte le principe de proportionnalité.
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7. Au regard de ce qui précède, le recours est rejeté.
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Succombant, le recourant doit supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est rejeté.
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2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
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3. Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Département de la santé et de l'action sociale du canton de Vaud, Service de la Santé publique, ainsi qu'au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public.
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Lausanne, le 19 décembre 2018
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Au nom de la IIe Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : Seiler
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La Greffière : Jolidon
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