BGer 8C_619/2018
 
BGer 8C_619/2018 vom 07.03.2019
 
8C_619/2018
 
Arrêt du 7 mars 2019
 
Ire Cour de droit social
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Frésard, Juge présidant,
Wirthlin et Viscione.
Greffière : Mme Paris.
Participants à la procédure
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne,
recourante,
contre
A.________,
intimé.
Objet
Assurance-accidents (délai d'opposition; chose jugée),
recours contre le jugement de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la
République et canton de Genève,
du 7 août 2018 (A/4920/2017 ATAS/675/2018).
 
Faits :
 
A.
A.a. Le 6 mars 2015, A.________, né en 1978, a débuté une mission temporaire de "monteur d'échafaudages" par le biais de la société B.________ SA. A ce titre, il était assuré obligatoirement contre le risque d'accident auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après: la CNA). Le 8 avril 2015, il a chuté sur l'épaule gauche alors qu'il déchargeait une camionnette et il a subi une rupture transfixiante du tendon du sus-épineux. Il a été opéré le 8 juin suivant. La CNA a pris en charge le cas. En raison de la persistance d'une force musculaire diminuée, A.________ a séjourné à la clinique C.________ du 21 juin au 20 juillet 2016. Depuis ce séjour, il s'est plaint d'une aggravation de son état de santé. Une IRM réalisée le 14 novembre 2016 a révélé une re-rupture de la surface inférieure du supra-épineux avec dégénérescence kystique et la présence de liquide couvrant la partie supérieure de l'infra-épineux. L'assuré a subi une nouvelle opération le 12 janvier 2017. A l'issue d'un examen médical final du 26 juin 2017, le docteur D.________, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie et médecin-conseil de la CNA, a considéré que le cas était stabilisé et que l'assuré disposait désormais d'une pleine capacité de travail sans baisse de rendement dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles.
A.b. Se fondant sur les conclusions du docteur D.________, la CNA a informé A.________, le 28 juin 2017, qu'elle mettait un terme au paiement des soins médicaux et au versement de l'indemnité journalière avec effet au 31 juillet 2017. Par lettre du 2 août 2017 (timbre postal), A.________ s'est opposé à cette prise de position. Les 3 et 17 août suivants, la CNA l'a informé que le courrier du 28 juin 2017 ne constituait pas une décision pouvant faire l'objet d'une opposition et qu'une telle décision allait lui être notifiée ultérieurement. Il s'en est suivi plusieurs échanges entre la CNA et l'assuré. Le 31 août 2017, la CNA a rendu une décision par laquelle elle a nié le droit de l'assuré à une rente d'invalidité, mais lui a alloué une indemnité pour atteinte à l'intégrité de 10 %. Le 17 novembre suivant, elle a déclaré irrecevable l'opposition formée par A.________ le 26 octobre 2017, au motif qu'elle était tardive.
B. L'assuré a déféré cette décision à la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève. Statuant le 7 août 2018, la cour cantonale a admis le recours en tant que recours pour déni de justice s'agissant de la suppression du droit de l'assuré au paiement des frais médicaux et au versement des indemnités journalières dès le 1er août 2017 (ch. 2 du dispositif du jugement). Elle a constaté d'office la nullité de la décision du 31 août 2017 s'agissant du droit de l'assuré à une rente d'invalidité et à une indemnité pour atteinte à l'intégrité (ch. 3 du dispositif du jugement) et a renvoyé la cause à la CNA pour qu'elle statue sur le droit de A.________ à l'indemnité journalière et au traitement médical dès le 1er août 2017, ainsi que, le moment venu, à une rente d'invalidité et à une indemnité pour atteinte à l'intégrité, au sens des considérants (ch. 3 du dispositif du jugement).
C. La CNA forme un recours en matière de droit public. Elle conclut à la l'annulation du jugement du 7 août 2018 et à la confirmation de sa décision sur opposition du 17 novembre 2017.
L'intimé conclut au rejet du recours, tandis que la juridiction cantonale et l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer.
 
Considérant en droit :
1. Le recours en matière de droit public est recevable contre les décisions qui mettent fin à la procédure (art. 90 LTF) ou contre les décisions partielles (art. 91 LTF). En vertu de l'art. 93 al. 1 LTF, les décisions incidentes notifiées séparément qui ne portent pas sur la compétence ou sur une demande de récusation ne peuvent faire l'objet d'un recours en matière de droit public que si elles peuvent causer un préjudice irréparable (let. a), ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b).
Selon la jurisprudence, une autorité qui devrait, à la suite d'une décision de renvoi, rendre une nouvelle décision qui, de son point de vue, serait contraire au droit sans pouvoir par la suite la remettre en cause devant l'instance supérieure, est réputée subir un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (cf. arrêt 2C_533/2013 du 21 mars 2014 consid. 1.2, non publié in ATF 140 II 255; ATF 134 II 124 consid. 1.3 p. 127).
En l'occurrence, l'arrêt attaqué annule la décision du 31 août 2017 et renvoie la cause à la CNA en l'invitant de manière contraignante à rendre tout d'abord une décision formelle sujette à opposition sur le droit de l'intimé à l'indemnité journalière et à la prise en charge du traitement médical dès le 1er août 2017, puis à statuer sur le droit à une rente. Dans la mesure où la recourante considère que la décision du 31 août 2017 est entrée en force faute d'opposition dans le délai légal, elle serait ainsi tenue de rendre une décision qu'elle estime contraire au droit et qu'elle ne pourrait elle-même plus attaquer le cas échéant. Il s'agit donc d'une décision incidente recevable sous l'angle de l'art. 93 al. 1 let. a LTF.
2. Le litige porte sur le point de savoir si la juridiction cantonale était fondée à considérer que la CNA avait commis un déni de justice et à lui ordonner de rendre une décision formelle sujette à opposition sur le droit de l'intimé au versement de l'indemnité journalière et à la prise en charge du traitement médical au-delà du 31 juillet 2017.
 
Erwägung 3
3.1. Dans un premier temps, la cour cantonale a retenu que l'opposition formée par l'intimé le 26 octobre 2017 contre la décision du 31 août 2017 était tardive. Elle a toutefois constaté que celui-ci avait manifesté à plusieurs reprises son désaccord avec la décision informelle de liquidation du cas du 28 juin 2017. Aussi, la recourante aurait-elle dû rendre une décision formelle motivée et susceptible d'opposition donnant à l'intimé la possibilité de faire valoir ses droits quant à l'indemnité journalière et à la stabilisation de son état de santé, notamment en requérant des actes d'instruction complémentaire relatifs à son état de santé. Partant, en rendant, le 31 août 2017, une décision formelle portant uniquement sur le droit de l'intimé à une rente d'invalidité et à une indemnité pour atteinte à l'intégrité, la recourante avait agi de façon prématurée. Dans un deuxième temps, pour des raisons de sécurité juridique et au vu du grave vice de procédure commis par la recourante, la juridiction précédente a constaté d'office la nullité de la décision du 31 août 2017.
3.2. La recourante conteste le raisonnement de la cour cantonale. Elle lui reproche d'avoir constaté les faits de manière manifestement inexacte et d'avoir violé l'art. 19 LAA. Elle fait valoir que l'assuré avait certes contesté le contenu de la lettre du 28 juin 2017, plus particulièrement la cessation du versement des indemnités journalières au 31 juillet 2017. Cependant, la recourante lui avait répondu à plusieurs reprises que ce courrier ne constituait pas une décision formelle, qu'elle étudiait alors le droit à d'autres prestations légales d'assurance et qu'une décision susceptible d'opposition lui serait prochainement notifiée, ce qui fut le cas, le 31 août 2017. Partant, si l'intimé entendait contester cette décision, respectivement contester que les conditions de la suppression du droit aux indemnités fussent remplies au 1er août 2017, il lui appartenait de former opposition à la décision du 31 août 2017 dans le délai imparti. La recourante précise en outre que la stabilisation de l'état de santé de l'assuré constituait en l'occurrence la justification de la fin du droit à l'indemnité journalière et à la prise en charge du traitement médical, respectivement de l'ouverture du droit à une éventuelle rente d'invalidité et à une indemnité pour atteinte à l'intégrité, et qu'elle avait donc fait l'objet d'une décision formelle le 31 août 2017, contrairement à ce qu'avaient retenu les premiers juges.
3.3. En l'espèce, il doit être admis qu'en rendant, le 31 août 2017, une décision formelle de refus du droit à la rente et d'octroi d'une indemnité pour atteinte à l'intégrité de 10 %, la CNA a, par voie de conséquence, également refusé formellement le versement de l'indemnité journalière et la prise en charge du traitement médical au-delà du 31 juillet 2017, tels que requis par l'intimé. La question de la suspension des indemnités journalières et du traitement médical d'une part, et de l'examen des conditions du droit à la rente d'autre part, forment en effet un seul objet du litige (cf. ATF 144 V 354 consid. 4. 2 p. 358). La CNA aurait certes pu rendre une décision formelle relative à la suppression des indemnités journalières et à la prise en charge du traitement médical après avoir constaté le désaccord de l'intimé avec le contenu de la lettre du 28 juin 2017 (art. 49 LPGA). Toutefois, comme elle le fait valoir, la situation juridique de ce dernier ne s'est pas trouvée affectée du fait qu'elle s'est prononcée par une décision formelle de refus de rente. L'intimé pouvait en effet faire valoir son droit aux indemnités journalières et à la prise en charge du traitement médical en formant opposition à la décision du 31 août 2017 dans le délai imparti, ce que la CNA lui a expliqué à maintes reprises, soit par courrier du 3 août 2017, du 17 août 2017 et lors d'un entretien téléphonique du 28 août suivant faisant suite à un appel d'un syndicat (voir notice téléphonique du même jour). Or, il doit être admis que l'intimé avait saisi la portée de cette information puisqu'après avoir reçu la décision formelle du 31 août 2017 il s'est à nouveau clairement opposé - mais de manière tardive - à la cessation du versement des indemnités journalières, dans sa lettre du 26 octobre 2017.
3.4. Vu ce qui précède, c'est à tort que la juridiction cantonale, en retenant un déni de justice, a invité la recourante à statuer à nouveau sur le droit de l'intimé à l'indemnité journalière et a constaté la nullité de la décision du 31 août 2017. La recourante était fondée à ne pas entrer en matière sur l'opposition du 26 octobre 2017, celle-ci étant tardive (cf. art. 52 al. 1 LPGA). Partant, le recours se révèle bien fondé.
4. Au vu des circonstances, il y a lieu de renoncer exceptionnellement à percevoir des frais judiciaires à la charge de l'intimé (art. 66 al. 1, dernière phrase, LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est admis. Le jugement de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève est annulé et la décision sur opposition du 17 novembre 2017 de la CNA est confirmée.
2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève, et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 7 mars 2019
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant : Frésard
La Greffière : Paris