BGE 102 Ia 1 |
1. Arrêt de la Cour de cassation pénale du 16 janvier 1976, dans la cause D. contre Procureur général du canton de Genève. |
Regeste |
Art. 4 BV: Gesetzeslücke, Willkür. |
Sachverhalt |
Le 18 février 1975, la Cour de cassation de Genève a rejeté un recours du condamné.
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Par arrêt du 23 mai 1975, le Tribunal fédéral a admis partiellement un pourvoi en nullité de D., annulé l'arrêt de la Cour de cassation cantonale et renvoyé la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
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Les motifs de l'arrêt étaient en bref les suivants: l'arrêt cantonal n'étant pas motivé quant à la peine infligée au recourant, le Tribunal fédéral n'est pas en mesure de vérifier si l'art. 63 CP a été correctement appliqué; l'arrêt cantonal doit dès lors être annulé en vertu de l'art. 277 PPF (arrêt publié au RO 101 IV 132).
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B.- Statuant derechef le 7 octobre 1975, à la suite de cette annulation, la Cour de cassation genevoise a confirmé son arrêt du 18 février 1975, rejeté le recours de D. et prononcé que la peine infligée par les premiers juges le 10 octobre 1974 était justifiée eu égard notamment aux mobiles et à la situation personnelle du condamné, tels qu'elle les a elle-même résumés dans ses considérants.
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Dans ses considérants, la cour cantonale complète en effet son arrêt du 18 février 1975. Elle constate qu'il résulte du dossier pénal que le recourant a reçu de sa femme, pendant près de six mois, plusieurs milliers de francs provenant du métier de proxénète qu'elle exerçait; qu'il a menti en prétendant avoir gagné sa vie normalement en Espagne; que sa conduite est d'autant plus répréhensible qu'il aurait parfaitement pu exercer un métier honnête eu égard à sa formation; que son comportement ne peut s'expliquer que par le fait que l'on se trouve en présence d'un individu dont les traits essentiels sont la paresse, l'absence de scrupules et la bassesse de caractère. L'arrêt se réfère en outre à une condamnation à cinq jours de prison avec sursis datant de 1945 et au comportement du recourant durant l'enquête. En conclusion, l'autorité cantonale estime que la Cour correctionnelle, en fixant la peine, est non seulement restée dans les limites prévues par la loi, mais qu'elle a équitablement apprécié la gravité des actes en fonction aussi bien du caractère répréhensible du délit que du mobile et de la situation personnelle du condamné. De plus, la Cour de cassation cantonale a rejeté une requête du recourant tendant au renvoi de la cause à la Cour correctionnelle, considérant qu'elle disposait des compétences nécessaires pour motiver la condamnation.
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C.- En même temps qu'il formait un pourvoi en nullité, D. a interjeté un recours de droit public au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal du 7 octobre 1975. Il invoque une violation de l'art. 4 Cst. résultant selon lui de l'application arbitraire des dispositions cantonales de procédure.
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Considérant en droit: |
2. a) Selon une jurisprudence constante, une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (RO 100 Ia 6; 97 I 24, 352 et arrêts cités). Arbitraire et violation de la loi ne sauraient cependant être confondus. Pour être taxée d'arbitraire, la violation incriminée doit être manifeste et reconnue d'emblée (RO 96 I 627 consid. 4 et citations). Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution serait concevable ou même préférable (RO 99 Ia 346 consid. 1). Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution adoptée par l'autorité cantonale de dernière instance que si pareille solution apparaît comme insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain (RO 96 I 627 consid. 4).
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b) La procédure pénale genevoise est dominée, en première instance, par l'institution du jury. Le système instauré par le législateur prévoit des débats oraux suivis d'une double délibération: dans la première délibération, le jury statue seul sur la culpabilité de l'accusé et répond par oui ou par non aux questions touchant aux faits de la cause (art. 318 ss PP); en cas de verdict de culpabilité et après nouvelles plaidoiries, le jury, cette fois-ci avec la cour, délibère sur l'application de la peine (art. 339 ss PP applicable en vertu d'un renvoi figurant à l'art. 383 PP). En dehors des réponses aux questions sur les faits, la loi de procédure genevoise ne prévoit aucune motivation des arrêts.
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Ce système est applicable également à la Cour correctionnelle sans jury, quand bien même elle n'est composée que de magistrats professionnels. En effet, la procédure devant cette cour est réglée par simple renvoi à la procédure avec jury (art. 384 à 388 PP). La comparution devant cette cour dépendant de la volonté de l'accusé, qui renonce à son droit de comparaître devant un jury (art. 384 PP), le législateur s'est contenté de sanctionner l'absence de jury sans rien changer par ailleurs à la procédure. Faute de dispositions sur la motivation, la jurisprudence genevoise a considéré qu'une certaine liberté pouvait exister à cet égard pour la Cour correctionnelle sans jury, puisque ni la motivation ni l'absence de motivation ne sont contraires à la loi (SJ 1953 p. 9/10). L'usage général est toutefois de considérer que le code de procédure genevois exclut la motivation des arrêts de la Cour d'assises et de la Cour correctionnelle avec ou sans jury (cf. SJ 1957 p. 393/394).
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Contre les arrêts de la Cour d'assises et de la Cour correctionnelle, le législateur genevois a instauré un recours en cassation devant la Cour de cassation genevoise. A côté des violations de règles de procédure, ce recours est ouvert lorsque la décision attaquée a violé la loi pénale (art. 437 litt. a PP).
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En présence de jugements non motivés et d'états de faits constitués par les réponses du jury au questionnaire, le pouvoir d'examen de la Cour de cassation cantonale est forcément limité. Sur le fond, la Cour de cassation est chargée de décider si la juridiction de première instance a fait une erreur en appliquant la loi aux faits retenus. Elle doit accepter les faits qui ont été admis par l'autorité compétente et uniquement dire, sur la base de ceux-ci, si la juridiction inférieure a violé la loi ou jugé arbitrairement, de manière manifestement contraire à l'intention du législateur, en les interprétant, en les qualifiant ou en punissant comme elle l'a fait (cf. J. GRAVEN, in "Le centenaire de la Cour de cassation de Genève", p. 35/36, 40/41).
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c) Ce système a été ébranlé par l'institution du pourvoi en nullité au Tribunal fédéral et par l'obligation faite aux autorités cantonales de motiver en fait et en droit les décisions pouvant faire l'objet de ce recours (cf. art. 277 PPF). Indépendamment de la question de sursis, qui fait l'objet d'une règle fédérale particulière quant à la motivation (art. 41 ch. 2 al. 2 CP), l'obligation de motiver n'a pu poser véritablement de problème aux autorités judiciaires genevoises ou au législateur cantonal qu'en matière de fixation de la peine ou des mesures à prendre à l'égard du condamné. En effet, alors qu'elle dispose en principe, quant aux faits constitutifs de l'infraction ou aux éventuelles circonstances atténuantes, des éléments de faits devant ressortir du questionnaire auquel il est répondu en première instance, elle ne peut trouver dans celui-ci d'éléments semblables à propos des mobiles, des antécédents et de la situation personnelle de l'accusé, aucune question n'étant posée sur ces points aux premiers juges.
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Les exigences de la loi et de la jurisprudence fédérales en matière de motivation de la peine, telles qu'elles ressortent des art. 277 PPF et 63 CP ainsi que de leur interprétation, se limitent à demander aux autorités cantonales de dernière instance un résumé des éléments essentiels de la culpabilité du condamné (RO 95 IV 62/63; 93 IV 58, No 14, consid. c). L'arrêt rendu le 23 mai 1975 à l'égard du recourant (RO 101 IV 132) ne constitue pas autre chose qu'un cas d'application de ces règles. Or ces exigences, aussi modestes soient-elles, ont contraint les juges genevois à trouver une solution de procédure leur permettant de les satisfaire. La loi de procédure étant muette, il leur incombait, et plus particulièrement à la Cour de cassation, de combler cette lacune par voie jurisprudentielle. C'est ce que cette dernière a fait en décidant de motiver elle-même la peine.
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d) Cette décision ne peut pas être qualifiée d'arbitraire. En présence d'une situation non prévue par le législateur cantonal, face à une lacune de la loi et à des principes contradictoires, la cour cantonale a choisi une solution qui ne donne certes pas entièrement satisfaction - il ne pouvait du reste en être autrement -, mais qui ne viole gravement aucune norme ni aucun principe juridique clair et indiscuté.
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Aucune norme juridique cantonale précise n'empêche en effet la Cour de cassation de motiver la peine en fait et en droit. Aucune règle de procédure cantonale précise - qui correspondrait sur le plan cantonal à l'art. 277 PPF sur le plan fédéral - n'impose à l'autorité de première instance de fournir une motivation de la peine. La cour cantonale avait donc à choisir entre deux solutions, motiver elle-même la peine ou charger de cette tâche la juridiction de première instance. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral, statuant sur un recours de droit public, de se prononcer sur le système qui, à ses yeux, eût été préférable; il lui suffit de constater que celui qui a été choisi n'apparaît ni comme insoutenable, ni en contradiction manifeste avec la situation effective, ni adopté sans motifs objectifs, ni en violation d'un droit certain.
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e) Si la solution adoptée ne heurte donc gravement aucune norme de droit cantonal claire et indiscutée, elle n'est par ailleurs contraire à aucun principe du droit fédéral. En effet, les règles déduites de l'art. 4 Cst. quant à la motivation des décisions obligent seulement les tribunaux à mentionner, au moins brièvement, les motifs qui les ont guidés et sur lesquels ils ont fondé leur sentence (RO 101 Ia 48); à cet égard, les réponses fournies au questionnaire dressé sur les faits de la cause peuvent être considérées comme suffisantes. En outre, d'une façon générale, l'obligation de motiver, qui relève de la procédure, dépend au premier chef du droit cantonal (art. 64bis Cst.; RO 98 Ib 195 consid. 2; 96 I 723; 93 I 120 et 702).
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Quant à la jurisprudence dégagée de l'art. 277 PPF par la Cour de cassation du Tribunal fédéral à propos des jugements rendus par les jurys (arrêt Schürch, ATF 78 IV 134), bien que ce domaine échappe à l'examen de la Cour de droit public, il y a lieu de relever qu'elle ne vise et ne peut viser que les jurys statuant en unique ou dernière instance cantonale.
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f) Certes par la solution qu'elle a adoptée la Cour de cassation genevoise s'arroge, dans le domaine de la motivation de la peine, une certaine cognition en matière de fait. Il lui incombe alors évidemment de veiller à adapter sa procédure de façon à respecter le droit d'être entendu découlant notamment de l'art. 4 Cst. Il n'y a toutefois pas lieu d'examiner ce point plus avant, dès lors qu'il n'a pas été soulevé.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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