51. Extrait de l'arrêt du 10 novembre 1976 en la cause William Magnin et consorts contre Conseil d'Etat du canton du Valais
|
Regeste
|
Art. 4 BV.; formelle Rechtsverweigerung. Baubewilligung für Flugfeld mit besonderen Merkmalen (Höhenflugplatz).
|
Sachverhalt
|
La société anonyme Téléverbier S.A., à Martigny, a adressé le 6 mars 1970 à l'Office fédéral de l'air une demande d'autorisation en vue de la construction d'un "altiport" au lieu dit Croix-de-Coeur, au-dessus de la station de Verbier, sur le territoire de la commune de Riddes.
|
Après avoir suivi la procédure prescrite par la législation fédérale sur la navigation aérienne, l'Office fédéral de l'air, section des aérodromes, a accordé à la requérante, le 8 juillet 1971, l'autorisation prévue par l'art. 37 al. 2 LNA, précisant que cette autorisation ne dispensait pas la bénéficiaire de l'obligation de demander l'accord de la commune ou du canton, selon les prescriptions locales, avant d'entreprendre tout travail.
|
Publication de l'autorisation a été faite dans le "Bulletin officiel du canton du Valais" du 16 juillet 1971, avec la mention suivante:
|
"Dans les trente jours dès la notification, la présente décision peut être attaquée par voie de recours au Département fédéral des transports et communications et de l'énergie, 3003 Berne. Le mémoire de recours sera adressé en deux exemplaires et contiendra les conclusions et leurs motifs. Un recours éventuel n'aura pas d'effet suspensif."
|
L'autorisation ainsi délivrée à Téléverbier S.A. n'a pas fait l'objet de recours.
|
Le 15 avril 1976, Téléverbier S.A. a formé auprès de l'Administration communale de Riddes une demande d'autorisation de construire à Croix-de-Coeur un "aérodrome à trouée unique", demande visant exclusivement les terrassements. L'Administration communale a mis cette demande à l'enquête publique par publication au "Bulletin officiel" du 23 avril 1976. Dans le délai réglementaire de dix jours, un grand nombre d'oppositions, émanant surtout de propriétaires de chalets sis aux Mayens de Riddes et à Verbier, ont été déposées au greffe communal.
|
Le 7 mai 1976, l'Administration communale a préavisé favorablement la demande. Le 18 mai, elle a transmis à la Commission cantonale des constructions (ci-après: CCC) les oppositions formées contre la demande d'autorisation de construire. La CCC a soumis le dossier aux différents offices cantonaux intéressés puis, le 22 juillet 1976, a décidé qu'elle n'était pas habilitée à se déterminer au sujet de la demande d'autorisation des travaux de terrassement de l'aérodrome, de même qu'au sujet de celle qui concernait la construction d'un baraquement de chantier en vue de cette construction; elle considérait qu'en vertu des art. 42 ss de l'ordonnance sur la navigation aérienne (ONA) du 14 novembre 1973, il incombait à l'Office fédéral de l'air d'accorder les autorisations de ce genre. Elle transmettait en conséquence les dossiers accompagnés des oppositions à l'Office fédéral de l'air pour statuer sur les oppositions.
|
Téléverbier S.A. a été informée par télégramme de cette décision dans la matinée du 22 juillet et a commencé les travaux de terrassement le même jour.
|
Le 3 août 1976, le Département cantonal des travaux publics et des forêts a informé les opposants de la décision de la CCC du 22 juillet 1976 et leur a fait savoir qu'il transmettait le même jour les dossiers à l'Office fédéral de l'air. Mais, par actes des 28 et 30 juillet 1976, ayant appris par un communiqué de presse la décision de la CCC et le début des travaux de terrassement, un certain nombre d'opposants avaient déjà attaqué la décision de la CCC devant le Conseil d'Etat, requérant son annulation.
|
Par deux décisions du 4 août 1976, le Conseil d'Etat a déclaré les recours irrecevables. Il a considéré que l'octroi du permis d'aménager un aéroport relève de la compétence exclusive de l'Office fédéral de l'air, qu'en l'espèce l'autorisation donnée par ledit office en date du 8 juillet 1971 n'avait pas été attaquée et était devenue définitive et exécutoire; enfin que le projet avait été examiné et admis, à l'époque, par le Conseil d'Etat et qu'il n'y avait pas lieu de reprendre l'enquête.
|
Divers propriétaires fonciers et l'Association pour la sauvegarde de la région de la Croix-de-Coeur forment un recours de droit public fondé sur l'art. 4 Cst. (déni de justice) et tendant à l'annulation des décisions du Conseil d'Etat du 4 août 1976.
|
Extrait des considérants:
|
|
Selon les décisions entreprises, l'octroi du permis d'aménager un aéroport (recte: un aérodrome) relèverait de la compétence exclusive de l'Office fédéral de l'air (OFA), en vertu de l'art. 37 de la loi sur la navigation aérienne (LNA). Il s'agirait d'un acte formel et définitif, marquant l'aboutissement de la procédure d'autorisation applicable, et cette procédure supposerait le respect des conditions que la commune et le canton peuvent exiger en vertu de leur législation en matière de constructions lors de leur consultation préalable: en l'espèce, le Conseil d'Etat aurait approuvé le projet de construction le 2 juin 1971. Ayant publié dans le "Bulletin officiel" du 16 juillet 1971 son autorisation du 8 juillet, l'OFA aurait donné ainsi à tous les justiciables éventuellement touchés dans leurs intérêts juridiquement protégés la possibilité de consulter les plans et de s'y opposer en attaquant cet acte par un recours au Département fédéral des transports et de l'énergie. Cet acte n'ayant fait l'objet d'aucun recours, il serait entré en force et serait exécutoire. Il n'y aurait pas lieu de recommencer l'enquête au sujet d'un projet déjà examiné et définitivement admis par la dernière instance cantonale.
|
Alors que, dans ses décisions du 4 août 1976, le Conseil d'Etat a ainsi considéré que la décision fédérale avait fait suite à une véritable décision cantonale de dernière instance, il a modifié son argumentation dans ses réponses aux recours: il a déclaré qu'il n'existait pas, en la matière, de procédure sur le plan cantonal, que la compétence de l'OFA excluait celle des autorités cantonales et que le canton du Valais, à l'instar de la commune, n'intervenait qu'à titre consultatif.
|
|
a) L'aérodrome dont la construction est présentement en cause est un champ d'aviation au sens de la LNA et de l'ONA. A l'époque où l'autorisation de construire a été délivrée par l'OFA, les conditions de délivrance de cette autorisation étaient régies par le RENA, dans sa teneur modifiée le 30 octobre 1968. L'art. 60 de ce règlement était ainsi conçu:
|
"L'Office fédéral de l'air soumet la demande au Département militaire fédéral et aux gouvernements des cantons intéressés.
|
S'il ressort du projet que les conditions minimums requises pour un aérodrome de la classe prévue sont remplies et s'il n'y a pas lieu de craindre que la construction et l'exploitation projetées ne nuisent à d'importants intérêts publics, en raison notamment du bruit escompté des avions, l'Office fédéral de l'air délivre l'autorisation de construire. Est réservé le rejet de la demande dans l'intérêt de la défense nationale."
|
Dans l'ONA, en vigueur depuis le 1er janvier 1974, la disposition correspondant à l'art. 60 al. 2 RENA est l'art. 43 al. 4, ainsi conçu:
|
"L'Office fédéral de l'air délivre l'autorisation si les exigences minimales requises pour un aérodrome de la classe prévue sont remplies et si la construction et l'exploitation ne nuisent pas à l'intérêt public, compte tenu notamment de la sécurité de la navigation aérienne, de l'aménagement du territoire, de la défense nationale, de la protection de l'environnement et de la protection de la nature et du paysage."
|
b) Il n'existe pas, dans le droit fédéral, de disposition expresse réglant la question de savoir si et dans quelle mesure l'autorité fédérale saisie d'une demande d'autorisation de créer un champ d'aviation est tenue de prendre en considération, au cours de la procédure suivie à cet effet, la réglementation cantonale et communale applicable en matière de police des constructions, ou encore si la procédure fédérale d'autorisation est indépendante des procédures cantonale et communale, ne pouvant se substituer à celles-ci. La question doit alors se résoudre par l'interprétation de la loi et au regard de la jurisprudence fédérale, voire de la doctrine.
|
c) Le Conseil d'Etat se fonde, dans ses réponses aux recours, sur l'art. 37 (recte: 37ter) Cst., aux termes duquel "la législation sur la navigation aérienne est du domaine de la Confédération", et en tire la conclusion que la compétence fédérale en la matière est exclusive de toute compétence cantonale. Mais le seul fait que la Confédération soit compétente pour légiférer en matière de navigation aérienne ne signifie pas que, par là, le canton et la commune aient perdu toute compétence en matière d'autorisation de construire un aérodrome, pas plus qu'on ne peut tirer de l'art. 36 Cst. la conclusion que, parce que les postes et télégraphes sont du domaine fédéral, le canton et la commune auraient perdu toute compétence pour accorder ou refuser à l'entreprise des PTT une autorisation de construire un bâtiment pour ses besoins (ATF 92 I 210).
|
d) Il a été jugé que lorsque le droit fédéral, le droit cantonal et le droit communal règlent chacun un domaine différent, ces différents ordres juridiques constituent en principe un tout unique; dès lors, la Confédération doit, pour ses propres constructions, respecter les règles établies par le droit cantonal et communal des constructions, dans la mesure en tout cas où l'application de ce droit ne rend pas impossible ou beaucoup plus difficile l'accomplissement des tâches constitutionnelles de la Confédération. C'est ainsi que lorsque l'entreprise des PTT entend édifier des bâtiments pour les besoins de ses services, elle doit se soumettre au droit cantonal et solliciter un permis de construire des autorités cantonales ou communales compétentes (ATF 92 I 210). L'on ne s'écarte de ce principe que dans les cas où le droit fédéral y apporte une exception expresse, prévoyant la compétence exclusive des organes de la Confédération. Il y a exception notamment en cas de travaux servant à la défense nationale, qui ne peuvent être soumis par les cantons à une autorisation préalable (art. 164 OM; cf. ATF 101 Ia 315). Il y en a une autre pour les chemins de fer: la loi fédérale sur les chemins de fer, du 20 décembre 1957, dit dans quelle mesure l'autorité fédérale, qui est appelée à octroyer une concession pour l'exploitation d'un chemin de fer et qui approuve les projets d'installation après avoir consulté les autorités cantonales intéressées (les cantons devant eux-mêmes consulter les communes), doit tenir compte elle-même de la réglementation cantonale; selon l'art. 18 al. 3 de la loi, les propositions faites par les cantons sur la base de leur législation, notamment en ce qui concerne la police des constructions, du feu et de l'hygiène publique, doivent être retenues dans la mesure où elles sont compatibles avec la législation fédérale et les nécessités de la construction et de l'exploitation des chemins de fer. Dans le cas, en revanche, de la loi fédérale sur l'utilisation pacifique de l'énergie atomique et la protection contre les radiations, du 23 décembre 1959, le législateur a, tout en prévoyant qu'une autorisation de la Confédération est requise pour la construction et l'exploitation d'une installation atomique, réservé expressément les attributions de police de la Confédération et des cantons, en particulier en ce qui concerne les constructions, le feu, les eaux et la surveillance du matériel de guerre (art. 4 al. 3), cela alors même que le canton intéressé est appelé à donner son avis (art. 7 al. 2); l'obligation pour celui qui entend construire une installation atomique de requérir une autorisation de la Confédération n'exclut donc pas celle de se soumettre à la procédure cantonale d'autorisation; la réglementation cantonale subsiste dans la mesure où elle n'est pas incompatible avec le sens et le but de la loi de 1959 et avec les autres dispositions du droit fédéral (ATF 99 Ia 257 s.; cf. ULRICH FISCHER, Die Kompetenzordnung bei der Bewilligung von Kernkraftwerken, ZBl 1973, p. 89 ss, not. 96).
|
e) La législation fédérale ne contient aucune norme dont il résulterait, expressément ou implicitement, qu'il n'y aurait pas lieu, en matière d'autorisation de construire un champ d'aviation, de tenir compte des règles cantonales et communales. Une telle norme ne résulte notamment pas de l'art. 37 LNA, qui se borne, à cet égard, à prévoir qu'une autorisation de l'Office fédéral de l'air est nécessaire. Sans qu'il soit besoin d'examiner si, à défaut de la loi, le règlement d'exécution pourrait permettre à la Confédération de s'attribuer en la matière une compétence qui ne dérive pas de la loi - ce qui paraît pour le moins fort douteux - il convient de constater que le règlement d'exécution ne prévoit rien de semblable. D'après l'art. 60 RENA, l'OFA est tenu de délivrer l'autorisation dès que les conditions minimums requises pour un aérodrome de la classe prévue sont remplies et sous la seule réserve qu'il n'y ait pas lieu de craindre que la construction et l'exploitation projetées ne se heurtent à d'importants intérêts publics, en raison notamment du bruit escompté des avions, le rejet de la demande n'étant réservé, en pareil cas, que dans l'intérêt de la défense nationale. Si, par ces dispositions, on avait entendu conférer une compétence exclusive à l'autorité fédérale, tout au moins aurait-on alors prévu que cette autorité doit se préoccuper de la réglementation cantonale et communale, ainsi que des droits des voisins; Or il n'a été prévu que la consultation du gouvernement cantonal, sans même exiger, comme le législateur fédéral l'a fait en matière de chemin de fer, celle des communes.
|
f) Il est d'ailleurs difficile de concevoir que, tandis que les constructions fédérales - à l'exception des installations militaires - sont en principe soumises au droit cantonal et communal en matière de police des constructions, la construction de champs d'aviation privés, pour la création desquels la présence d'un intérêt public n'est pas exigée, soit soustraite à l'application de la réglementation cantonale et communale. Les champs d'aviation ne sont pas des constructions effectuées par la Confédération pour ses besoins, comme c'est le cas pour les PTT ou pour les constructions militaires. Ce sont des installations qui sont en principe construites et exploitées sur la base du droit privé, mais qui doivent, afin de pouvoir être construites et exploitées, être au bénéfice d'une autorisation fédérale. Pour que cette autorisation soit délivrée, il n'est pas nécessaire, aux termes du règlement d'exécution, que l'existence d'un intérêt public soit démontrée; il suffit qu'il n'y ait pas lieu de craindre que la construction et l'exploitation ne nuisent à d'importants intérêts publics (art. 60 al. 2 RENA, texte du 30 octobre 1968), ou qu'elles "ne nuisent pas à l'intérêt public" (texte actuel). Si, pour les aérodromes publics, la loi autorise le Conseil fédéral à imposer aux propriétaires voisins des restrictions du droit de bâtir, cette disposition ne s'applique pas aux aérodromes privés: dans ce dernier cas, toute zone de sécurité doit être aménagée par l'achat de terrains et les servitudes constituées dans les formes du droit privé, l'autorisation d'exploiter devant être refusée s'il n'est pas possible d'aboutir de cette façon à une solution entièrement satisfaisante (art. 43 et 44 LNA dans la teneur primitive de celle-ci, applicable à l'époque; actuellement, il est précisé que les restrictions de la propriété foncière ne s'appliquent pas aux aérodromes ne servant pas au trafic public, les mesures exigées par l'exploitation devant être prises dans ce cas dans les formes du droit privé; voir l'art. 44ter dans la teneur de la loi du 17 décembre 1971). Les droits, à l'égard des voisins, du propriétaire d'un champ d'aviation sont donc essentiellement régis par le droit privé, de sorte qu'ils ne se distinguent guère de ceux des autres propriétaires fonciers (cf. BAI, Luftrecht und Grundeigentum, thèse Zurich 1955, p. 91 s.).
|
En définitive, il est évident que la délivrance de l'autorisation fédérale ne pouvait dispenser les constructeurs de l'obligation de requérir un permis de construire selon la législation cantonale et communale applicable. Le Tribunal fédéral n'a pas ici à examiner si et dans quelle mesure l'application des dispositions de fond de cette législation est restreinte par le droit fédéral. Il se borne à constater que la procédure cantonale a été éludée.
|