29. Extrait de l'arrêt du 9 février 1977 en les causes Geneux et Pasteur, d'une part, Anken et consorts, d'autre part, contre Conseil municipal de Plan-les-Ouates et Conseil d'Etat du canton de Genève
|
Regeste
|
Art. 85 lit. a OG; Art. 61 GE/KV; das Referendum ausschliessende Dringlichkeitsklausel.
|
2. Art. 61 GE/KV: Voraussetzungen der Zulässigkeit einer Dringlichkeitsklausel (E. 3).
|
Sachverhalt
|
La commune de Plan-les-Ouates est propriétaire d'un terrain non bâti, au lieu dit "Pré-du-Camp". L'implantation d'un quartier y fut envisagée dès 1967. En novembre 1970, le Grand Conseil genevois adopta une loi créant une zone de développement 3 sur le territoire de la commune précitée. Un plan d'aménagement fut alors élaboré; il fut approuvé par le Conseil municipal de Plan-les-Ouates le 10 novembre 1971. Cette décision fut sanctionnée par le peuple le 6 février 1972. Un plan d'aménagement définitif, prévoyant notamment la construction de cinq immeubles-tours, fut établi. Le 3 mai 1972, le Conseil d'Etat genevois l'approuva et le déclara plan d'aménagement au sens de la loi sur le développement de l'agglomération urbaine. Un recours de droit public formé contre cette décision fut rejeté par le Tribunal fédéral, par arrêt du 3 juillet 1974 (partiellement publié aux ATF 100 Ia 334). Le Département genevois des Travaux publics délivra alors les autorisations de construire sollicitées. Un recours formé contre ces décisions a été rejeté par la Commission cantonale de recours en matière de construction, mais partiellement admis par le Tribunal administratif genevois.
|
Dans l'intervalle, le Conseil municipal de Plan-les-Ouates avait autorisé le Conseil administratif à vendre à la société en nom collectif Marcel Morard et Cie une surface de 10000 m2 environ dans le périmètre du Pré-du-Camp. Cette vente est intervenue par acte authentique du 10 décembre 1971. L'acte prévoyait également la constitution d'une servitude. Par la suite, diverses modifications intervinrent. La surface définitive du terrain vendu a été arrêtée à 12427 m2; les acquéreurs renoncèrent à la servitude sans exiger la restitution de l'indemnité qu'ils avaient versée en raison de la création de ce droit. Le Conseil administratif ne perçut pas de supplément de prix pour l'accroissement de la surface vendue. Une convention complémentaire fut encore conclue par la commune de Plan-les-Ouates et la société Morard et Cie en février 1975.
|
Ces diverses tractations ont fait l'objet de la délibération du Conseil municipal de la commune de Plan-les-Ouates du 25 septembre 1975. Cette délibération a la teneur suivante:
|
"Le Conseil municipal, par 10 oui et 8 non,
|
1) ratifie les servitudes du plan dressé par M. Heimberg, géomètre officiel, le 6 septembre 1972 et autorise la création de toutes les servitudes nécessaires à la réalisation du Pré-du-Camp en conformité du plan d'aménagement adopté par le Conseil d'Etat le 3 mai 1972;
|
2) ratifie le tableau de mutation No 76 de 1972, les divisions-réunions parcellaires et les ajustements de servitudes qui en résultent;
|
3) approuve la vente à Marcel Morard et Cie, en tant que de besoin, de la parcelle (4423 B + 4424 B + 4424 C + 949 B) de Plan-les-Ouates, d'une surface de 1 ha 24 a 27 m, selon actes du 10 décembre 1971 et des 24 et 26 février 1975. Il est observé que cette vente a lieu pour le prix de 3'200'000 fr., auquel s'ajoute une soulte de 800'000 fr., conséquence de la modification des surfaces et gabarits imposés par le plan d'aménagement du 3 mai 1972...
|
4) donne tous pouvoirs au Conseil administratif pour réaliser les opérations ci-dessus et faire toutes réquisitions nécessaires au registre foncier."
|
Le Conseil municipal par 10 oui et 8 non, a muni cette délibération de la clause d'urgence en invoquant divers motifs.
|
Cette délibération du Conseil municipal de la commune de Plan-les-Ouates du 27 septembre 1975, munie de la clause d'urgence, a été approuvée par le Conseil d'Etat par arrêté du 8 octobre 1975.
|
Deux recours de droit public ont été formés contre les décisions du Conseil d'Etat et du Conseil municipal de Plan-les-Ouates. Les recourants, Paul Geneux et Jean-Marc Pasteur, d'une part, Michel Anken et consorts, d'autre part, contestaient les uns et les autres la validité de la clause d'urgence.
|
Le Tribunal fédéral a admis ces deux recours, dans la mesure où ils étaient recevables; il a annulé, dans leur ensemble, l'arrêté du Conseil d'Etat du 8 octobre 1975 et la délibération du Conseil municipal de Plan-les-Ouates du 25 septembre 1975.
|
Considérant en droit:
|
|
|
b) L'art. 61 Cst. gen. précise que la décision constatant le caractère d'urgence exceptionnelle est de la compétence du Conseil municipal, sous réserve de l'approbation du Conseil d'Etat. Si ce dernier agit alors dans le cadre de la surveillance de l'Etat sur les communes (art. 40 ss de la loi du 3 juillet 1954 sur l'administration des communes, en abrégé: LAC), une telle circonstance n'est pas en soi décisive pour la détermination du pouvoir d'examen dont jouit l'autorité cantonale. Pour être en mesure de contrôler si la clause d'urgence se justifie, le Conseil d'Etat doit disposer d'un pouvoir de cognition relativement étendu. Il ne pourra donner son approbation ou la refuser qu'après avoir été à même d'examiner l'ensemble des éléments entrant en considération, d'en avoir apprécié l'importance et de voir ainsi dans quelle mesure sont réalisées les conditions auxquelles est subordonnée l'admission de la clause d'urgence exceptionnelle. On ne saurait donc sans plus souscrire à l'opinion exprimée par le Conseil d'Etat dans sa réponse aux présents recours et tendant à limiter son contrôle en ce domaine à celui de la légalité.
|
En assumant la surveillance des communes au sens de l'art. 40 LAC, le Conseil d'Etat s'est vu confier en ce domaine de nombreuses attributions. Il lui incombe en particulier de suspendre les débats du Conseil municipal lorsque celui-ci sort de ses attributions constitutionnelles ou refuse de se conformer aux prescriptions des lois en vigueur (art. 42). Il doit en outre annuler toute délibération dudit Conseil prise en violation des lois et règlements en vigueur (art. 44). De plus, il est autorité de recours contre le refus du département compétent d'approuver les délibérations du Conseil municipal, dans les cas visés à l'art. 45 LAC. Aux termes de l'art. 46 LAC, certaines délibérations du Conseil municipal ne sont exécutoires qu'après avoir été approuvées par le Conseil d'Etat. Cette disposition s'applique en particulier aux décisions concernant les aliénations, constitutions de servitudes et autres droits réels, ainsi que les projets de construction ou de démolition d'immeubles communaux. Une telle approbation ne paraît pouvoir être donnée que si l'autorité cantonale jouit d'un plein pouvoir d'examen, et il doit en aller de même lorsque le Conseil d'Etat approuve, en vertu de l'art. 61 Cst. gen., la décision du Conseil municipal constatant le caractère d'urgence d'une délibération.
|
Selon la jurisprudence, seule peut être attaquée devant le Tribunal fédéral la décision rendue par l'autorité de dernière instance cantonale, lorsque celle-ci jouit d'un plein pouvoir d'examen (ATF 100 Ia 267 consid. 2). En l'espèce, le Conseil d'Etat n'a pas statué sur recours, mais a donné son approbation à la délibération du Conseil municipal de Plan-les-Ouates. On peut dès lors se demander si les recourants sont recevables à attaquer tant la décision d'approbation que celle de l'autorité municipale. La question peut cependant rester indécise. Dans les recours formés en matière de droit de vote, le Tribunal fédéral a en effet admis à plusieurs reprises qu'il convenait, en cas d'admission du recours, de casser non seulement la décision de l'autorité cantonale, mais également celle de l'autorité inférieure qui constitue la violation du droit de vote (cf. ATF 99 Ia 52 ss, 402 ss). Il convient par ailleurs de relever que les motifs invoqués par le Conseil municipal dans sa décision du 25 septembre 1975 doivent pratiquement être examinés par le Tribunal fédéral, puisque le Conseil d'Etat les a fait siens dans sa décision d'approbation.
|
c) Saisi d'un recours fondé sur l'art. 85 lettre a OJ, le Tribunal fédéral examine librement l'application du droit constitutionnel cantonal ainsi que celle des lois et règlements qui précisent le contenu et l'étendue du droit de vote. Ce n'est que lorsqu'il est en présence de deux interprétations également défendables qu'il donne la préférence à celle qu'a retenue la plus haute autorité du canton (ATF 100 Ia 58).
|
|
a) Aux termes de l'art. 89bis Cst., les arrêtés fédéraux de portée générale dont l'entrée en vigueur ne souffre aucun retard peuvent être mis en vigueur immédiatement par une décision prise à la majorité de tous les membres de chacun des deux conseils; leur durée d'application doit être limitée. Cette procédure d'urgence s'applique non seulement lorsqu'il s'agit d'adopter le plus rapidement possible des mesures de nécessité assurant la protection de l'Etat, mais également lorsque la procédure législative ordinaire ne permet pas de prescrire suffisamment tôt les mesures légales qu'imposent les circonstances (FAVRE, Droit constitutionnel suisse, p. 453).
|
Dans son rapport à l'Assemblée fédérale sur l'initiative pour l'extension de la juridiction constitutionnelle, du 17 septembre 1937, le Conseil fédéral a déclaré que "l'urgence suppose donc un péril en la demeure, la menace d'un dommage considérable qu'il convient d'écarter par une intervention rapide". Il a relevé que l'on ne saurait opposer l'urgence temporelle à l'urgence matérielle ("materielle Dringlichkeit"), mais admet que la distinction ainsi esquissée met en lumière les deux éléments nécessaires de l'urgence. "Une mesure ne peut être urgente que si elle est considérée comme nécessaire et présente une certaine importance; mais à cet élément matériel doit toujours s'ajouter un élément de temps, à défaut de quoi on doit nier l'urgence" (FF 1937 vol. III p. 23; FAVRE, op.cit., p. 453; GIACOMETTI, Das Staatsrecht der schweizerischen Kantone, p. 515; AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, Nos 1122 et 1123).
|
b) Telle qu'elle a ainsi été dégagée par l'autorité fédérale et la doctrine, la notion d'urgence concerne les arrêtés fédéraux urgents. Mais elle fait appel à des principes généraux qui peuvent également être pris en considération dans l'interprétation du droit cantonal, en particulier du droit constitutionnel genevois.
|
Selon l'art. 59 Cst. gen., les délibérations des conseils municipaux sont soumises à la sanction des électeurs lorsque le référendum est demandé par un certain nombre de citoyens. Tel est le principe auquel la constitution prévoit deux exceptions. La première concerne le budget communal pris dans son ensemble, contre lequel le référendum ne peut s'exercer (art. 60 al. 1). Ne peuvent être soumises au référendum que les dispositions budgétaires qui introduisent une recette ou une dépense nouvelle ou qui modifient le chiffre d'une recette ou d'une dépense de l'exercice précédent (art. 60 al. 2). La seconde exception vise les délibérations "ayant un caractère d'urgence exceptionnelle" (art. 61). Les termes mêmes de cette disposition indiquent clairement qu'elle doit faire l'objet d'une interprétation restrictive. La délibération doit en effet avoir un caractère d'urgence exceptionnelle; sa mise en vigueur doit intervenir à très bref délai et ne peut souffrir le retard dû à la mise en oeuvre d'une éventuelle procédure référendaire. On ne saurait donc considérer comme ayant une urgence exceptionnelle les décisions, même très importantes, dont la mise en application immédiate ne s'impose pas sans conteste. Les motifs invoqués à l'appui de la clause d'urgence doivent être suffisamment importants pour justifier la dérogation au principe selon lequel les délibérations des conseils municipaux sont soumises au référendum facultatif.
|
Or, il faut constater en l'espèce que les raisons alléguées par le Conseil municipal de Plan-les-Ouates et reprises par le Conseil d'Etat dans sa décision d'approbation ne démontrent en aucune manière le caractère d'urgence exceptionnelle, au sens temporel du terme, de la décision prise le 25 septembre 1975.
|
Les autorités communale et cantonale entendent justifier la clause d'urgence par le fait que les terrains en question ont été effectivement vendus, payés et le prix réinvesti dans des achats de terrains en 1971 déjà, alors que l'approbation municipale de ces aliénations n'est intervenue qu'en 1975. Il s'agirait de ne plus retarder la mise en exécution du projet du Pré-du-Camp. Ces circonstances ne sont pas de nature à donner à la décision prise en septembre 1975 un caractère d'urgence exceptionnelle. S'il est vrai que les actes de constitution de servitudes, de réunions et de divisions de parcelles ainsi que de vente de terrains ont été conclus en 1971, on ne saurait utiliser la clause d'urgence pour remédier à des retards accumulés pendant la procédure d'approbation de ces actes. Le caractère d'urgence exceptionnelle doit être inhérent à la décision elle-même. Tel n'est pas le cas lorsque la décision du Conseil municipal est affectée de la clause d'urgence dans le but d'accélérer la réalisation d'un projet. Au demeurant, si on a pu surseoir pendant quatre ans à l'exécution de ce dernier, il devient évident que la réalisation du projet ne peut être sérieusement compromise durant le temps nécessaire à la mise en oeuvre d'un éventuel référendum.
|
Le fait que le plan d'aménagement du Pré-du-Camp ait déjà fait l'objet d'une consultation populaire en février 1972 et qu'il a alors été approuvé par le peuple n'est pas un critère à prendre en considération pour juger du caractère d'urgence de la délibération prise par le Conseil municipal le 25 septembre 1975. Cette votation populaire ne conditionne en effet nullement le caractère urgent ou non de décisions postérieures concernant l'aménagement du Pré-du-Camp.
|
On ne voit pas non plus en quoi les engagements financiers de la commune pour l'équipement du Pré-du-Camp pourraient constituer un motif propre à donner à la décision du 25 septembre 1975 un caractère d'urgence exceptionnelle. Au surplus, le Conseil d'Etat lui-même, dans sa réponse aux recours, relève "qu'il n'a pas tenu compte d'intérêts financiers découlant d'une responsabilité hypothétique de l'Etat ou de la commune pour le cas où le projet échouerait, responsabilité qu'en tout état de cause il ne saurait admettre".
|
Les autorités cantonale et communale invoquent enfin l'intérêt public à la construction de logements à loyers modérés. Mais elles ne prétendent pas, à juste titre, que la situation serait telle que le retard apporté à l'exécution du projet par un éventuel référendum serait à cet égard insupportable.
|
Il convient dès lors de constater qu'aucun des motifs invoqués par le Conseil d'Etat et par le Conseil municipal n'est de nature à conférer à la décision prise le 25 septembre 1975 un caractère d'urgence exceptionnelle. Le grief que tirent les recourants de la violation de l'art. 61 Cst. gen. est ainsi fondé et les recours doivent être admis sur ce point.
|