BGE 103 Ia 537
 
79. Extrait de l'arrêt du 21 décembre 1977 en la cause Société C. S.A. contre Commission cantonale de recours en matière d'impôt du canton de Fribourg
 
Regeste
Art. 4 BV; Besteuerung von unterkapitalisierten Immobiliengesellschaften.
 
Extrait des considérants:
b) Aux termes de l'art. 89 al. 1 de la loi du 7 juillet 1972 sur les impôts cantonaux du canton de Fribourg (LIC), "si des sociétés de capitaux et des sociétés immobilières disposent de fonds qui leur sont accordés comme capital étranger, leur capital propre selon l'art. 88 s'augmente de ces fonds jusqu'à ce que le montant total atteigne auprès des sociétés immobilières 1/4 et auprès des autres sociétés de capitaux 1/6 de la valeur imposable de leurs actifs". Selon l'art. 83 al. 3 LIC, "font également partie du bénéfice net imposable des sociétés de capitaux et des sociétés immobilières les intérêts correspondant à la part du capital étranger qui, en vertu de l'art. 89, doit être ajouté au capital social".
En l'espèce, la recourante ne conteste pas être une société immobilière au sens des dispositions précitées, soit une société de capitaux qui s'occupe principalement de l'acquisition, de la construction, de la gérance ou de la vente d'immeubles (art. 89 al. 3 LIC). Son principal actif est un immeuble et le loyer de celui-ci constitue l'unique produit porté au compte de pertes et profits. Elle ne discute pas non plus le calcul du montant de son capital et de son bénéfice imposables, tel qu'il a été effectué par l'autorité fiscale en application des art. 89 al. 1 et 83 al. 3 LIC. Ses critiques s'adressent à ces dispositions elles-mêmes, dont elle soutient, à titre préjudiciel et à l'occasion d'une décision d'application, qu'elles sont inconstitutionnelles. Selon une jurisprudence constante, elle est recevable à former un tel grief (ATF 100 Ia 65).
En l'espèce, la question litigieuse est celle de savoir si le législateur fribourgeois a violé l'art. 4 Cst. en prescrivant que le montant des fonds propres d'une société immobilière, telle que la recourante, doit atteindre le quart de la valeur imposable - soit en l'espèce, de la valeur comptable - de ses actifs. L'art. 89 LIC porte la note marginale "sous-capitalisation"; l'autorité de recours, dans la décision déférée, fait allusion à la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d'impôt pour la défense nationale et relative à la sous-capitalisation des sociétés immobilières, en relevant que le législateur a franchi un pas de plus par rapport à cette jurisprudence, et qu'il s'est distancé de la pratique en matière d'impôt pour la défense nationale pour instaurer une limite minimale des fonds propres par rapport aux fonds étrangers.
3. Le Tribunal fédéral a rendu plusieurs arrêts concernant les sociétés immobilières "sous-capitalisées", tant en matière d'impôts cantonaux que fédéraux. Lorsqu'il statue sur l'admissibilité d'une taxation fondée sur la réalité économique, il dispose d'un pouvoir d'examen diffèrent selon qu'il est saisi d'un recours de droit public pour arbitraire contre la fixation d'impôts cantonaux ou, au contraire, d'un recours de droit administratif en matière de contributions fédérales ou d'un recours de droit public pour double imposition. Dans le premier cas, son pouvoir d'examen est limité; il suffit alors que le procédé puisse se justifier par des raisons objectives et pertinentes. Dans les deux autres cas, le Tribunal fédéral statue en général avec plein pouvoir et n'admet le procédé que si la forme juridique adoptée par le contribuable est insolite et n'a été choisie qu'aux fins d'éluder l'impôt. Cette distinction a des conséquences importantes, notamment lorsqu'il s'agit de statuer sur l'admissibilité de la taxation, fondée sur la réalité économique, des sociétés immobilières "sous-capitalisées".
Ainsi, en matière d'impôt pour la défense nationale, le Tribunal fédéral n'admet qu'une société immobilière n'est sous-capitalisée que si les fonds étrangers excédent ce que la société peut emprunter de tiers avec ses actifs pour seule garantie. C'est la valeur vénale de ces actifs qui est déterminante. Ayant à juger si une société tente d'éluder les impôts sur le capital et sur le rendement net, l'autorité de taxation de l'impôt pour la défense nationale ne peut prendre en considération que les éléments qui servent de base au calcul de l'impôt pour la période fiscale en cause, en particulier la valeur de l'immeuble au début de la période de taxation. La question qu'elle doit examiner est en effet celle de savoir si les dettes de la société correspondent à sa capacité d'emprunt, ce qui ne peut être décidé qu'au regard de la valeur actuelle de ses actifs, et non pas celle de savoir si le capital propre de la société, tel qu'il apparaît au bilan, donne une image satisfaisante de la capacité contributive de la personne morale (ATF 102 Ib 162).
Statuant sur un recours de droit public formé contre une décision de taxation en matière d'impôts cantonaux, le Tribunal fédéral a en revanche jugé qu'il n'était pas arbitraire de soutenir qu'une société immobilière doit disposer des fonds propres suffisants à sa fondation, ou, au plus tard, au moment de la réalisation de son but principal, et que si elle est alors sous-capitalisée, une augmentation ultérieure de la valeur vénale des actifs - et, par conséquent, de la capacité d'emprunt de la société - ne modifie pas cette situation. Si l'on aborde le problème sous l'angle de l'imposition de la société d'après sa capacité contributive, force est en effet de constater que l'accroissement de la valeur vénale des immeubles de la société immobilière n'est pas déterminant, s'il n'apparaît pas au bilan. La société reste sous-capitalisée, malgré la formation de réserves latentes sur ses actifs (arrêt du 26 mars 1976 en la cause S.I. X. contre Commission valaisanne de recours en matière fiscale).
Il ressort de cette jurisprudence que le Tribunal fédéral a admis la validité du principe selon lequel une société immobilière doit être normalement capitalisée; il doit donc exister, au moment de la fondation, une certaine proportion entre fonds propres et fonds étrangers. En matière d'impôts cantonaux, le Tribunal fédéral a reconnu qu'une taxation fondée sur la réalité économique et visant à imposer la société d'après sa capacité économique réelle repose sur des motifs sérieux et pertinents. Il a ainsi déclaré conforme à la constitution la règle adoptée par l'autorité fiscale et selon laquelle les fonds propres de la société immobilière doivent atteindre un certain montant par rapport à la valeur comptable des actifs. Ainsi, une taxation cantonale fondée sur la réalité économique peut être admise sur le plan cantonal, même si la société immobilière en cause n'est pas "sous-capitalisée" au sens des dispositions régissant l'impôt pour la défense nationale.
a) Le législateur fribourgeois considère que la société anonyme constitue une entité juridiquement et économiquement indépendante, menant une vie propre, et l'impose en fonction de sa capacité contributive, soit sur la base du capital et du bénéfice. Il existe toutefois des entreprises qui ne se proposent pas d'obtenir un bénéfice. Dès lors, ainsi que le remarquent les auteurs du rapport du 14 février 1955 sur "le problème de l'imposition égale et juste des entreprises" (rapport de la commission d'experts pour la motion Piller, édité par le Département fédéral des finances et des douanes, Bâle 1955, p. 92), "un système fiscal qui s'en tient exclusivement aux éléments capital et bénéfice frappe dans le vide lorsqu'il s'agit d'entreprises dont le but n'est pas de réaliser un profit et dont le résultat s'exprime dans d'autres facteurs que le bénéfice et le capital propre". C'est pour ce motif que plusieurs cantons ont adopté un impôt minimum, ayant pour objet les recettes brutes de l'entreprise. Le canton de Fribourg est du nombre (cf. art. 1er lettre d et 90 ss LIC; sur la constitutionnalité des impôts minimaux sur les recettes brutes, cf. ATF 102 Ia 256 et la jurisprudence citée, et sur celle des impôts minimaux sur la propriété foncière, ATF 100 Ia 246 et les arrêts cités). Il convient dès lors de constater que l'adoption, par un canton, du système général d'imposition du bénéfice et du capital ne met pas obstacle en la règle à ce que d'autres méthodes d'imposition soient prévues lorsqu'elles visent des entreprises qui sont organisées économiquement de telle sorte qu'une taxation fondée sur les éléments bénéfice et capital frapperait dans le vide.
b) Les sociétés immobilières, telle que la recourante, ne sont pas de celles qui ne se proposent pas de réaliser un bénéfice. Leur capacité contributive doit être estimée, selon le système général d'imposition du canton de Fribourg, d'après leur bénéfice et leur capital propre. Ainsi que l'a admis le Tribunal fédéral dans la jurisprudence rapportée ci-dessus (consid. 3), l'autorité fiscale cantonale peut, sans violer l'art. 4 Cst., considérer qu'il doit exister un certain rapport entre les fonds propres et les fonds étrangers des sociétés immobilières. Une telle opinion, en matière d'impôts cantonaux, se justifie au regard de considérations tirées du principe d'une imposition égale de ces sociétés, en fonction de leur capacité contributive. L'exigence précitée est en effet de nature à assurer l'égalité de traitement entre sociétés immobilières sous-capitalisées et sociétés normalement capitalisées. Dès lors, le législateur cantonal qui, pour éviter que le système général d'imposition fondé sur le bénéfice et le capital ne crée des inégalités entre sociétés immobilières, exige de celles-ci un rapport minimum entre leurs fonds propres et la valeur imposable de leurs actifs, adopte une réglementation qui repose sur une base objective et sérieuse. Il ne viole ni le principe de l'égalité de traitement, ni celui de l'interdiction de l'arbitraire. Il n'y a donc pas contradiction entre les art. 88 et 83 al. 2 LIC et les art. 89 et 83 al. 3 de cette loi, ces dernières dispositions s'inscrivant dans le cadre d'une imposition égale des entreprises, en fonction de leur capacité contributive telle qu'elle doit ressortir du bénéfice et du capital propre. Dans ces conditions, la question de savoir si les fonds étrangers, considérés comme capital propre, sont ou non constitués par des prêts des actionnaires ou de personnes les touchant de près (soit, en d'autres termes, si les dettes de la société correspondent à sa capacité d'emprunt) n'est pas déterminante.
c) La recourante critique le texte de l'art. 83 al. 3 LIC, dont elle prétend qu'il est en lui-même contradictoire et absurde parce qu'il n'est pas concevable que les intérêts dus sur une part du capital étranger puissent être considérés comme faisant partie du bénéfice net de la société. Cette disposition ne constitue cependant que la conséquence, sur le plan du bénéfice imposable, de la règle adoptée à l'art. 89 LIC, dont on a vu qu'elle n'est pas contraire à l'art. 4 Cst. en tant qu'elle exige un rapport minimum entre fonds propres et fonds étrangers. Dès lors, le grief que soulève la recourante ne doit être examiné que dans la mesure où il vise une prétendue contradiction interne de l'art. 83 LIC. A cet égard, la recourante joue sur les mots et méconnaît le sens clair de cette disposition, mise en relation avec l'art. 89 LIC. Certes, les intérêts dus sur des fonds étrangers sont par définition des intérêts passifs. Mais, dans la mesure où le législateur peut valablement imposer aux sociétés immobilières un rapport minimum entre fonds propres et fonds étrangers, considérant ainsi qu'une part du capital étranger doit, du point de vue du droit fiscal, être qualifiée de fonds propres, il n'est que logique et raisonnable de considérer que les intérêts correspondant à cette part font partie du bénéfice imposable de ces sociétés.
b) Il convient donc d'admettre en l'espèce que le législateur fribourgeois n'a pas violé l'art. 4 Cst. en imposant aux sociétés immobilières un rapport minimum entre les fonds propres et la valeur imposable de leurs actifs. Il n'y a pas lieu d'examiner si la proportion d'un quart, telle qu'elle a été inscrite à l'art. 89 LIC, repose elle aussi sur des motifs sérieux et objectifs. En effet, sur ce point, la recourante ne soulève aucun grief recevable. Elle affirme certes que "la sous-capitalisation, issue de calculs purement théoriques, ne correspond à aucune réalité économico-financière", qu'elle n'est que "la conséquence d'une conception purement théorique et irréelle", qu'elle résulte "d'une manipulation purement artificielle du financement préjugé de l'entreprise en exigeant un rapport qui n'a rien d'objectif entre la proportion des fonds propres et la proportion du capital étranger". Mais de tels arguments ne sont pas de nature à démontrer que la proportion choisie par le législateur est en elle-même inconstitutionnelle.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours en tant qu'il est recevable.