BGE 108 Ia 22 |
7. Arrêt de la IIe Cour de droit public du 12 février 1982 dans la cause Fischer et consorts c. Conseil d'Etat du canton de Vaud (recours de droit public) |
Regeste |
Zulassung zur Mittelschule im Kanton Waadt; Gleichheit der Geschlechter im Unterrichtswesen. |
Anwendbarkeit von Art. 4 Abs. 2 BV (E. 4c). |
Ein die Mädchen im Verhältnis zu den Knaben benachteiligendes Bewertungssystem bei den Examen für die Zulassung zur Mittelschule verstösst gegen das Gebot der Gleichbehandlung von Mann und Frau i.S. von Art. 4 Abs. 2 BV (E. 5). |
So wie die Examen gehandhabt werden, entbehren sie ausserdem der gesetzlichen Grundlage und beruhen auf einer willkürlichen Gesetzesanwendung (E. 6). |
Sachverhalt |
Les 1er et 2 juin 1981, Béatrice Aenishänslin, Sandy Fischer, Barbara Forrer, Leila Gabella, Sophie Grand, Sophie Grundisch, Christine Kropf, Evelyne Meier, Michèle Philipp, Sophie Piccard, Sandra Pochon et Claire Zurkinden se sont présentées aux examens d'admission au collège secondaire dans les communes de Lausanne, Morges ou Pully. Toutes ces filles ont échoué à l'examen d'entrée. Toutefois, si leurs résultats avaient été appréciés selon les barèmes appliqués aux garçons se présentant aux mêmes examens, elles auraient obtenu un nombre suffisant de points pour être admises au collège secondaire communal auquel leurs parents les avaient inscrites.
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Après avoir recouru auprès des commissions scolaires respectives contre la non-admission de leurs filles au collège secondaire, les parents des élèves concernées ont porté le litige auprès du Département de l'instruction publique et des cultes du canton de Vaud qui, par décision du 12 août 1981, a rejeté leur recours.
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La décision du Département ne leur donnant pas satisfaction, les recourants se sont alors adressés au Conseil d'Etat du canton de Vaud qui a également rejeté les recours, par décisions du 9 octobre 1981.
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Agissant par la voie du recours de droit public en leur qualité de représentants légaux, les parents de Sandy Fischer, Barbara Forrer, Leila Gabella, Sophie Grand, Sophie Grundisch, Christine Kropf, Evelyne Meier, Michèle Philipp, Sophie Piccard, Sandra Pochon et Claire Zurkinden concluent, avec suite de frais et dépens, à l'annulation des décisions du Conseil d'Etat vaudois du 9 octobre 1981. Invoquant les art. 4 Cst. et 2 Cst. vaud., ils prétendent qu'un traitement juridique différent dans le domaine de la formation scolaire et de l'enseignement, basé sur le seul critère du sexe, doit être considéré comme arbitraire et anticonstitutionnel.
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Par acte de recours séparé, Béatrice Aenishänslin, représentée par son père Jacques Aenishänslin, conclut également, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision du Conseil d'Etat du 9 octobre 1981, qui rejetait son recours contre la décision refusant son admission au collège secondaire. Se fondant sur les art. 4 al. 1 et 2 Cst., ainsi que sur l'art. 2 al. 1 et 3 Cst. vaud., elle estime notamment que "la règle posée par les autorités vaudoises doit céder le pas devant le principe reconnu de l'égalité devant la loi".
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Dans ses observations sur les recours, le Conseil d'Etat prend la défense du système des barèmes différenciés pour les garçons et pour les filles. Ce faisant, il se base sur une série de données statistiques comprises dans 17 tableaux que le Département de l'instruction publique a rédigés à son intention et en déduit que ce système "a permis de maintenir depuis quelques années des proportions à peu près équivalentes de filles et de garçons à l'entrée au collège secondaire ou, plus exactement, d'éviter une disproportion trop marquée en faveur des filles". Il relève encore que l'application bien comprise du principe de l'égalité de traitement suppose que l'on tienne compte des différences de fait existant entre deux situations données et qu'en voulant nier cette réalité, les recourants se prononcent plus en faveur d'un principe égalitaire que pour l'égalité de traitement au sens de l'art. 4 Cst. Le Conseil d'Etat conclut dès lors au rejet des recours.
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Au cours de la procédure cantonale, le Conseil d'Etat a, sur requête de mesures provisionnelles des recourants, décidé d'admettre à titre provisoire les élèves concernées au collège secondaire, où elles suivent actuellement le même enseignement que les élèves normalement admis.
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Le Tribunal fédéral a admis les recours pour les motifs suivants:
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Considérant en droit: |
1. Les recours sont dirigés contre les décisions rendues par le Conseil d'Etat le 9 octobre 1981 qui concernent le même objet et contiennent une argumentation identique. Par ailleurs, mis à part la violation de l'art. 4 al. 2 Cst. alléguée seulement par Béatrice Aenishänslin, les recourants invoquent les mêmes moyens et font valoir des arguments semblables. Dans ces conditions, il y a lieu de joindre les deux recours et de statuer à leur égard dans un seul et même arrêt.
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Le droit cantonal reconnaît aux élèves qui ont terminé leur quatrième ou cinquième année primaire un certain droit à être admis dans les collèges communaux, aux conditions fixées par le règlement général et les prescriptions du département (art. 117 de la loi vaudoise sur l'instruction publique secondaire du 25 février 1908). Un tel droit a été également reconnu par le Tribunal fédéral dans son arrêt Dubois du 12 octobre 1979 où il s'agissait d'un élève qui avait obtenu un nombre de points suffisant pour exiger sa promotion dans une classe supérieure (ATF 105 Ia 323 consid. 3b). Il en résulte que les élèves recourantes, lésées dans leur situation personnelle par le refus des autorités cantonales de les admettre à l'école secondaire, sont donc touchées dans leurs intérêts juridiquement protégés et ont, par conséquent, qualité pour recourir personnellement contre les décisions du Conseil d'Etat. Les présents recours sont dès lors recevables au sens de l'art. 88 OJ, sans égard au fait que, formellement, le premier recours a été déposé par les parents des élèves non admises, agissant en leur qualité de représentants légaux, alors que le deuxième recours a été formé directement par l'élève concernée, représentée par son père.
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Formés en temps utile contre des décisions prises en dernière instance cantonale, les deux recours remplissent en outre les autres conditions de recevabilité des art. 84 ss OJ.
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3. a) Le règlement général du 10 février 1971 pour les établissements d'instruction publique secondaire du canton de Vaud donne au Département d'instruction publique et des cultes la compétence pour fixer les modalités des examens et les conditions d'admission au collège secondaire, ainsi que pour adopter les épreuves élaborées par des commissions de maîtres (art. 85 et 86 du règlement). Dans les limites des prescriptions édictées par ce département, l'établissement des barèmes de cotation et la décision d'admission sont de la compétence de la conférence des maîtres, pour les collèges situés en dehors de la commune de Lausanne, ou de la conférence des directeurs des collèges lausannois, assistés d'un représentant de la conférence des maîtres de chacun des établissements, pour l'ensemble des collèges lausannois (art. 87 du règlement).
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Le système d'examen instauré sur la base de ces dispositions comprend six épreuves (trois en français, trois en mathématiques), conçues de manière à faire appel au raisonnement et à la capacité d'appliquer les connaissances acquises dans ces branches. Ces six notes sont complétées par deux notes fondées l'une sur la moyenne générale obtenue par le candidat au deuxième semestre de troisième primaire, l'autre sur la moyenne générale obtenue au premier semestre de quatrième primaire, ces deux notes n'intervenant que dans la mesure où elles sont favorables aux candidats.
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Les six épreuves d'examen sont jugées en fonction des résultats obtenus par l'ensemble des candidats du même degré dans une même zone de recrutement. Le seuil d'admission n'est donc pas déterminé au préalable, mais seulement une fois l'épreuve effectuée. La proportion d'élèves admise par rapport à la population scolaire du même âge est à peu près la même chaque année et, pour assurer un certain équilibre entre le nombre des filles et celui des garçons, les résultats des filles et des garçons sont traités séparément (sauf si l'effectif des candidats est trop restreint). L'objectif visé est d'admettre - à quelques unités près - une proportion fixée d'avance d'élèves masculins et féminins, par rapport à l'effectif des filles et des garçons considérés séparément, ayant l'âge requis et habitant l'aire de recrutement du collège considéré. Chaque établissement (ou, à Lausanne, chaque groupe d'établissements) dispose ainsi d'une relative liberté pour fixer le seuil d'admission de manière à tenir compte des particularités propres à sa région.
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b) Dans les collèges secondaires des communes de Lausanne, Morges et Pully présentement en cause, les barèmes appliqués pour l'évaluation des épreuves d'admission ne sont pas les mêmes pour les filles et pour les garçons, les barèmes utilisés pour l'appréciation des travaux des filles étant, dans l'ensemble, plus sévères. Il y a également des barèmes différents pour la prise en considération de l'écart à la moyenne primaire, qui est converti en plus de points pour les garçons que pour les filles.
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En l'espèce, il est constant que les recourantes auraient été admises dans le collège respectif où elles avaient passé l'examen d'entrée, si les résultats de leurs épreuves avaient été appréciés selon les barèmes fixés pour l'évaluation des travaux des garçons et si l'on avait tenu compte, dans la même mesure que pour ces derniers, de leur écart à la moyenne primaire. Il y a lieu dès lors d'examiner si le système des barèmes différenciés, tel qu'il est appliqué dans le canton de Vaud pour les examens d'admission au collège secondaire, est compatible avec les droits constitutionnels invoqués par les recourantes.
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b) De leur côté, les autorités vaudoises estiment que, même dans le cadre des dispositions constitutionnelles actuellement en vigueur, il ne saurait être question de substituer un égalitarisme mal compris à une notion d'égalité de traitement qui, pour assurer une égalité véritable, implique que les autorités tiennent compte des différences de fait existant entre deux situations données. En l'occurrence, les raisons qui militeraient en faveur de l'adoption de barèmes différents pour l'accession à l'école secondaire vaudoise peuvent, de l'avis du Conseil d'Etat, être résumées comme suit:
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aa) Il s'agirait en premier lieu d'assurer, au niveau cantonal, une proportion à peu près égale de garçons et de filles au sein de la population fréquentant les établissements scolaires du canton. Or, cet objectif ne pourrait être réalisé que moyennant l'adoption de barèmes différenciés pour les filles et les garçons. Si tel n'était pas le cas, les premières nommées entreraient en effet en surnombre à l'école secondaire, privant par là même un certain nombre de garçons - soit tout un groupe de la population - de la possibilité d'acquérir une formation à laquelle ils doivent, dans la structure actuelle de notre société, pouvoir accéder, si l'on ne veut pas créer un déséquilibre préjudiciable à tout le monde. En d'autres termes, il s'agirait donc de sauvegarder l'égalité des chances entre élèves de sexe différent.
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bb) Sur le plan pratique, cette différence de traitement entre deux groupes de personnes de sexe opposé trouverait sa justification dans les différences de fait fondamentales que l'on constate entre individus des deux sexes quant à leurs aptitudes respectives à affronter les épreuves d'un examen scolaire à l'âge de 10 ou 11 ans. En effet, le développement physique et psychologique des garçons et des filles présenterait, à cet âge, des différences sensibles, notamment dans la façon dont les deux groupes scolaires réagissent aux possibilités que leur offre l'école. Il s'ensuivrait que les résultats des examens d'admission au collège, de même que ceux obtenus à l'école primaire, seraient, depuis plusieurs années, systématiquement meilleurs pour les filles que pour les garçons. Avec l'introduction d'un barème unique, les filles auraient ainsi plus de trente-trois chances sur cent d'accéder au collège, alors qu'un garçon de la même année n'aurait guère plus de vingt-huit chances sur cent.
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Les autorités vaudoises en tirent la conclusion que, "face à une telle situation, il serait conforme au principe de l'égalité de recourir à un système de quota", qui permet de tenir compte des différences de fait constatées entre les individus des deux sexes, quant à leurs aptitudes à affronter l'examen d'entrée au collège, de manière à sauvegarder le principe de l'égalité des chances entre filles et garçons. Ce système s'imposerait d'autant plus que, malgré l'existence de barèmes différenciés, les filles admises au niveau secondaire sont plus nombreuses que les garçons (par exemple en 1981, il y a eu 1211 filles et 1181 garçons représentant respectivement 50,6% et 49,4% des élèves).
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c) Les examens litigieux se sont déroulés les 1er et 2 juin 1981, soit avant l'entrée en vigueur, le 14 juin 1981, du nouvel article constitutionnel prévoyant l'égalité des droits entre hommes et femmes. Toutefois, les décisions du Département de l'instruction publique du 12 août 1981 et celles du Conseil d'Etat vaudois du 9 octobre 1981 ont été rendues sous l'empire du nouveau droit. L'art. 4 al. 2 Cst. peut dès lors être pris en considération dans la mesure où il concrétise le principe de l'égalité de traitement que la jurisprudence a déduit de l'ancien art. 4 Cst. (ATF 103 Ia 519 consid. 2). En effet, dans son Message sur l'initiative populaire "pour l'égalité entre hommes et femmes" du 14 novembre 1979 (FF 1980 I p. 73 ss), le Conseil fédéral relevait que l'ancien art. 4 Cst. n'avait eu pratiquement aucune influence sur l'émancipation civile de la femme. Eu égard à la portée limitée du principe général de l'égalité formulée par cette disposition, une règle spéciale sur l'égalité des sexes aurait donc une signification distincte, qui traduirait une décision politique du constituant selon laquelle la différence de sexe ne justifie plus une différence de traitement (FF 1980 I p. 127).
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Il faut ainsi admettre qu'en inscrivant dans la Constitution l'art. 4 al. 2 Cst., le peuple suisse a clairement démontré qu'il accordait à cette disposition une valeur spécifique, qui va plus loin dans la garantie constitutionnelle de l'égalité des sexes que l'ancien art. 4 Cst. Il se justifie dès lors d'examiner le cas des recourantes à la lumière du nouveau droit, même si, formellement, une seule d'entre elles a invoqué l'art. 4 al. 2 Cst. D'ailleurs, en se prévalant de l'ancien art. 4 Cst. et de l'art. 2 Cst. vaud., qui représente une étape intermédiaire entre l'ancien et le nouvel art. 4 Cst., les autres recourantes reprennent exactement la même argumentation.
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"L'homme et la femme sont égaux en droits. La loi pourvoit à l'égalité, en particulier dans les domaines de la famille, de l'instruction et du travail. Les hommes et les femmes ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale."
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a) Ce nouvel article pose sans ambiguïté le principe que l'homme et la femme doivent être traités de manière égale dans tous les domaines juridiques et sociaux, ainsi qu'à tous les niveaux étatiques (Confédération, cantons, communes). Le principe de l'égalité entre les sexes ne signifie cependant pas nivellement total, aussi des exceptions sont-elles tolérées lorsque la différence biologique ou fonctionnelle due au sexe exclut absolument une égalité de traitement; tel est le cas, par exemple, de la protection de la femme en sa qualité de mère (FF 1980 I 146).
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En ce qui concerne l'instruction, l'art. 4 al. 2 Cst. considère qu'il s'agit précisément d'un des domaines privilégiés de l'égalité entre les sexes, où le législateur a mandat d'intervenir immédiatement. Le principe de l'égalité dans l'instruction et la formation professionnelle est d'ailleurs largement reconnu sur le plan européen. La plupart des Etats se sont en effet efforcés de concrétiser dans leurs lois nationales la Résolution (77) 1 de la Charte sociale européenne qui exige qu'hommes et femmes reçoivent une formation scolaire et professionnelle leur offrant les mêmes droits et de même nature. La Charte sociale européenne, signée par la Suisse le 6 mai 1976, n'a pas encore été ratifiée. Toutefois, la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique s'est occupée de cette question depuis 1972. Elle a notamment créé une commission ad hoc en septembre 1979 pour étudier spécialement les questions de la formation des filles et de l'égalité des chances, étude qui aboutit à formuler une dizaine de recommandations lors de l'Assemblée générale des directeurs cantonaux de l'instruction publique qui s'est tenue à Lucerne, en octobre dernier. Ces recommandations invitaient surtout les établissements scolaires à prévoir rigoureusement la même formation pour les garçons et les filles pendant le temps d'école obligatoire, selon un programme identique, et à encourager l'accès aux professions techniques pour les femmes. Actuellement, les nouvelles lois sur l'instruction publique mentionnent expressément que les mêmes possibilités de formation sont offertes aux élèves des deux sexes (cf., par exemple, § 3 al. 2 et 12 al. 2 de la loi argovienne du 17 mars 1981; art. 18 du projet de la loi saint-galloise in Botschaft des Regierungsrates zum Entwurf eines Volksschulgesetzes du 23 juin 1981).
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b) Dans le canton de Vaud, les écoles secondaires sont devenues mixtes en 1956. A cette époque, les filles ne suivaient pas le même programme que les garçons à l'école primaire et obtenaient des résultats systématiquement inférieurs aux examens d'admission au collège, d'où l'origine du système de barèmes différents, appliqués à chacun des sexes de manière à admettre la même proportion de filles que de garçons par rapport à la volée de référence (voir Bulletin du Grand Conseil vaudois, session ordinaire printemps 1979, vol. 1a, p. 1094). Ce système, qui se justifiait par le fait que les garçons avaient des leçons d'arithmétique pendant qu'on envoyait les filles à la couture, n'a d'ailleurs nullement empêché une légère disproportion dans le nombre des élèves masculins et féminins admis au collège dans les années soixante (par exemple en 1962, il y avait 43,5% de filles et 56,5% de garçons; en 1968, ces pourcentages avaient passé respectivement à 46,4% et 53,6%).
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Dès que les programmes furent uniformisés pour les élèves des deux sexes, la tendance s'inversa, les filles réussissant mieux les examens que les garçons. On décida alors d'appliquer un barème plus favorable aux garçons pour assurer l'égalité des chances entre les deux groupes et maintenir l'équilibre entre garçons et filles dans les collèges. C'est ainsi que, lors de la session d'examens de juin 1981, il y aurait eu, sans la correction que permet le système de barèmes différenciés, 55% de filles (soit +42) et 45% de garçons (soit -84).
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Actuellement, ce système est donc utilisé alors que les candidats masculins et féminins aux examens du collège suivent rigoureusement la même instruction et bénéficient de la même préparation pour passer le même examen d'admission dans le même établissement secondaire. Vouloir, dans ces conditions, apprécier de manière plus sévère les prestations scolaires des filles ne saurait être justifié par les prétendues différences dans le développement physique et l'évolution psychologique des garçons et des filles à l'âge de 10 ou 11 ans. En effet, les particularités qui les caractérisent ne peuvent être comparées aux différenciations fonctionnelles marquées qui, exceptionnellement, permettent de faire une entorse au principe de l'égalité des sexes.
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Quant à la notion d'égalité des chances, elle n'a, selon le Conseil fédéral jamais signifié autre chose que: "formellement, les hommes et les femmes doivent être placés dans la même situation juridique" (FF 1980 I p. 124). Sur le plan scolaire, cela signifie que chaque élève doit pouvoir se prévaloir individuellement de l'égalité de traitement juridique, indépendamment de son appartenance à l'un ou l'autre sexe. En transposant la notion d'égalité des chances sur le plan collectif, entre deux groupes sociaux, le Conseil d'Etat méconnaît le caractère individuel des droits constitutionnels que l'Etat confère à chaque citoyen. Il est d'ailleurs intéressant de noter que, selon une allégation des recourantes qui n'est pas contestée par le Conseil d'Etat, aucun autre canton suisse n'exige des filles des prestations supérieures à celles des garçons pour accéder à l'école secondaire.
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d) Compte tenu de tous ces éléments, le Tribunal fédéral doit constater que dans la mesure où les autorités vaudoises appliquent un système de barèmes différenciés, défavorable aux filles, pour les examens d'admission au collège secondaire, elles violent le principe de l'égalité des droits entre hommes et femmes tel qu'il est inscrit à l'art. 4 al. 2 Cst.
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Comme on l'a vu (supra consid. 2), l'art. 117 de la loi vaudoise sur l'instruction publique donne aux élèves un certain droit à être admis dans les collèges communaux, s'ils remplissent les conditions d'âge et d'examen déterminées par la loi, le règlement et le programme des cours. L'art. 60 du règlement précise même qu'un élève peut être admis à titre régulier sans examen, s'il a suivi régulièrement la classe et la section correspondante d'un établissement secondaire officiel de Suisse. Le droit cantonal ne prévoit donc nullement un examen concours qui a pour résultat d'instituer un numerus clausus pour l'admission dans les collèges secondaires communaux. Il n'est pas davantage question d'un système basé sur l'égalité des chances entre garçons et filles, tel que le conçoit le Conseil d'Etat. En réalité, ce système résulte d'une simple directive interne du Département de l'instruction publique aux directeurs des collèges en 1971. Au sujet de la non-transparence de ces règles d'examen, il est révélateur que lors des débats au Grand Conseil sur la motion Marianne Fritsch et consorts concernant les examens d'admission dans les collèges secondaires du 4 septembre 1978, aucun député n'ait soulevé la question du système des barèmes différenciés (voir Bulletins du Grand Conseil, session extraordinaire "Septembre 1978", vol. 1, p. 1672 ss; session ordinaire "Automne 1978", vol. 2a, p. 1553 ss et 1562; session ordinaire "Printemps 1979", vol. 1a, p. 744 ss). Ce n'est que lors de la discussion au sujet du Rapport du Conseil d'Etat sur l'initiative fédérale "pour l'égalité des droits entre hommes et femmes" que le rapporteur de la majorité de la commission relevait que la question du barème établi pour chacun des sexes avait soulevé une longue discussion; il se bornait cependant à constater que "dans le domaine de l'égalité entre les sexes, l'idéal n'est pas atteint" (voir Bulletin du Grand Conseil, session ordinaire "Printemps 1979", vol. 1a, p. 1105).
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Dans ces conditions, il faut admettre que les systèmes du numerus clausus et des barèmes différenciés, tels qu'ils sont pratiqués par les autorités cantonales pour les examens d'admission dans les collèges secondaires communaux n'ont pas de base légale et consacrent une application arbitraire du texte légal (sur la question du numerus clausus: voir ATF du 4 décembre 1981, en la cause Goël c. Conseil d'Etat vaudois, non publié). A cet égard, le grief des recourantes se révèle donc également fondé.
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7. Compte tenu de ce qui précède, les décisions du Conseil d'Etat vaudois du 9 octobre 1981 doivent être annulées pour violation de l'art. 4 al. 2 Cst. et arbitraire.
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