BGE 109 Ia 235
 
43. Arrêt de la Ire Cour de droit public du 30 décembre 1983 dans la cause dame B. contre Vaud, Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal (recours de droit public)
 
Regeste
Art. 6 Ziff. 2 EMRK; Unschuldsvermutung; Verurteilung des Freigesprochenen zu den Untersuchungskosten.
 
Sachverhalt
En juin 1982, sur plainte de la régie immobilière X., le Juge informateur de l'arrondissement de Lausanne a ouvert une enquête pour violation de domicile contre dame B. et consorts, auxquels il était reproché d'avoir occupé illicitement certains appartements d'un immeuble.
La plainte a toutefois été retirée le 30 novembre suivant, ce qui amena le Juge informateur à rendre, le 27 janvier 1983, une ordonnance de non-lieu. Considérant que les frais d'enquête devaient être supportés par tous les prévenus formellement mis en cause ou ayant admis avoir pénétré dans les appartements litigieux, le magistrat instructeur a mis le septième desdits frais, soit 140 francs, à la charge de dame B.
Celle-ci a recouru, sur cette question des frais, au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois. Elle contestait être entrée dans l'immeuble et faisait valoir que le seul fait d'avoir été mise en cause ne suffisait pas pour la condamner à une partie des frais. D'ailleurs, soutenait-elle à titre subsidiaire, cette condamnation était arbitraire dans la mesure où elle l'astreignait à supporter des frais concernant des tiers mis hors de cause et exemptés, par conséquent, de toute peine et de tous frais.
Par arrêt du 21 mars 1983, le Tribunal d'accusation a rejeté le recours, en application de l'art. 158 du Code de procédure pénale vaudois (CPP vaud.).
Agissant par la voie d'un recours de droit public fondé sur les art. 4 Cst. et 6 CEDH, dame B. requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal d'accusation.
Ce dernier et le Juge informateur ont présenté des observations, dont il ressort que le recours devrait être rejeté.
 
Considérant en droit:
a) Récemment, dans l'arrêt Vienne du 21 septembre 1983 (arrêt non publié), le Tribunal fédéral a eu l'occasion de préciser que, en soi, cette disposition n'est pas en contradiction avec le droit constitutionnel ou avec la Convention européenne des droits de l'homme, puisqu'elle se prête à une interprétation conforme aux exigences posées par ces normes de rang supérieur et, en particulier, avec la présomption d'innocence instituée à l'art. 6 par. 2 CEDH. Selon la jurisprudence actuelle (ATF 109 Ia 160 et arrêt Vienne précité), l'accusé reconnu innocent ou au bénéfice d'une décision de non-lieu ne peut être condamné aux frais qu'en vertu de considérations absolument étrangères à une appréciation de sa culpabilité. Une décision judiciaire reflétant le sentiment que l'inculpé est coupable pénalement n'est ainsi pas conforme à l'art. 6 par. 2 CEDH et il suffit, pour qu'il en aille de la sorte, d'une motivation donnant à penser que le juge considère l'intéressé comme coupable (cf. arrêt Minelli du 25 mars 1983, Publications de la Cour européenne des droits de l'homme, série A, vol. 62; RSJ 79/1983 p. 197 ss).
b) Pour justifier la condamnation de la recourante à une partie des frais, l'autorité cantonale a notamment retenu qu'en l'espèce les prévenus avaient adopté "un comportement punissable, en pénétrant - quoi qu'ils en disent - sans droit dans l'immeuble de la plaignante".
Cette motivation - nonobstant sa rectification apportée devant le Tribunal fédéral - reflète très nettement le sentiment que la recourante était coupable pénalement. D'ailleurs, le Tribunal d'accusation a tenu à rajouter que le non-lieu résultait du (seul) retrait de la plainte, laissant entendre clairement par là que si l'action pénale avait pu être conduite à son terme, la recourante aurait très vraisemblablement été punie pour violation de domicile. Une telle supputation est contraire à la présomption d'innocence, telle qu'envisagée par l'art. 6 par. 2 CEDH et la jurisprudence y relative (cf. notamment affaire Minelli déjà citée). Le grief formé sur ce point par la recourante est donc fondé.
La question peut rester indécise de savoir s'il en irait de même pour le cas où l'autorité cantonale aurait, dans son arrêt, nié expressément toute culpabilité pénale de la recourante et motivé sa condamnation aux frais par le caractère illicite, au sens du droit privé, du comportement incriminé.
c) Selon l'arrêt attaqué, la recourante a compliqué l'instruction en refusant de répondre à certaines questions du Juge informateur. La recourante critique ce motif de condamnation au paiement des frais. On ne peut que lui donner raison, car le prévenu ou l'accusé a le droit de se taire et de laisser à l'accusation la tâche de découvrir la vérité (ATF 106 Ia 8 consid. 4, ATF 103 IV 10 consid. 3a). Aussi, sous réserve de l'abus de droit - qui n'est ici ni établi, ni même allégué -, le refus de l'intéressé de participer activement à l'administration des preuves ne peut-il conduire à sa condamnation aux frais d'enquête ou de procès (ATF 109 Ia 167 consid. 2b).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours dans la mesure où il est recevable et annule l'arrêt attaqué.