50. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 15 décembre 1981 dans la cause M. contre Office fédéral de la police (recours de droit administratif)
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Regeste
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Rechtshilfe in Strafsachen; Art. 8 des Bundesgesetzes vom 3. Oktober 1975 zum Staatsvertrag mit den Vereinigten Staaten von Amerika.
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Sachverhalt
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Le 11 mai 1981, le U.S. Department of Justice a adressé à l'Office fédéral de la police (ci-après: OFP) une demande d'entraide judiciaire en matière pénale concernant M., ressortissant des Etats-Unis d'Amérique domicilié dans ce pays, dont il était indiqué qu'il avait participé à un important trafic de stupéfiants. La requérante désirait avoir connaissance de documents bancaires relatifs à l'intéressé et demandait que les comptes de celui-ci fussent bloqués, afin d'empêcher que M. ne disposât de fonds provenant de son activité délictueuse.
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La demande d'entraide fut exécutée le 23 juin 1981 par un juge d'instruction genevois et, le 30 juillet 1981, une décision émanant de ce même canton ordonna le séquestre des fonds de M. auprès d'une banque de Genève, en application des art. 58 CP et 24 LStup.
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Entre-temps, soit le 19 mai 1981, l'OFP avait ordonné le blocage de tous les comptes établis au nom de M. "jusqu'au moment de l'exécution de la requête formelle par le juge d'instruction compétent genevois". Cette décision se fondait notamment sur l'art. 8 de la loi fédérale du 3 octobre 1975 relative au Traité conclu avec les Etats-Unis d'Amérique sur l'entraide judiciaire en matière pénale (ci-après: loi relative au Traité/LEEU; cf. RS 351.93).
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M. a fait opposition aux mesures provisoires ainsi ordonnées par l'OFP. Cette autorité ayant débouté l'opposant, celui-ci a alors formé un recours de droit administratif auprès du Tribunal fédéral, qui l'a rejeté.
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Extrait des considérants:
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c) Le recours de droit administratif n'est recevable que si le recourant a un intérêt pratique et actuel digne de protection à son admission (art. 103 lettre a OJ; ATF 106 Ib 112, ATF 104 Ib 319; arrêt non publié A., du 7 octobre 1981, concernant la loi relative au Traité).
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Or, lorsqu'un recours est dirigé contre une décision dont les effets sont limités à une certaine période, son admission ne présente plus d'intérêt actuel et pratique pour le recourant dès que cette période est écoulée. Tel est le cas en l'occurrence. La saisie dont le recourant demande l'annulation devait déployer ses effets "jusqu'au moment de l'exécution de la requête formelle par le juge d'instruction compétent genevois"; il n'est pas nécessaire de rechercher quel est exactement le terme ainsi défini, car il est incontesté que la mesure a en tout cas pris fin lors de l'entrée en force du séquestre cantonal du 30 juillet 1981. En l'état actuel, la mesure attaquée ne pourrait donc plus être rapportée de façon utile.
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On se trouve cependant en l'espèce dans une situation exceptionnelle où il se justifie d'entrer en matière nonobstant l'absence d'intérêt actuel. A ce défaut, compte tenu de la brève durée de validité de mesures provisoires rendues en application de l'art. 8 LEEU par l'OFP, le Tribunal fédéral n'aurait peut-être jamais l'occasion de se prononcer sur la portée de cette disposition, dont l'application peut être lourde de conséquence pour les justiciables (ATF 106 Ib 112; ATF 104 Ib 319).
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Il est évident que la portée de cette norme doit être définie en relation avec celle du Traité dont la loi tend à permettre l'exécution. Or, si l'OFP admet avec le recourant que le Traité ne permet pas aux Etats contractants d'exiger un séquestre conservatoire - du moins en règle générale - il considère en revanche que le droit interne suisse, soit l'art. 8 al. 1 LEEU, permet d'ordonner une telle mesure. Quant à M., il soutient au contraire que seules les mesures prévues par le Traité pourraient être autorisées.
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b) C'est avec raison que l'OFP et le recourant admettent qu'en principe le Traité n'impose pas aux Hautes Parties contractantes l'obligation de transférer les objets acquis au moyen de l'infraction - "producta sceleris" - (art. 1er et 2 du Traité "a contrario", avec l'exception prévue à l'art. 1er al. 1 lettre b). Il n'en résulte cependant pas pour autant qu'une telle entraide plus étendue soit prohibée. Outre que l'art. 1er du Traité prévoit la possibilité d'une extension de son champ d'application, il convient de relever que, dans le cas particulier, le droit interne ne doit le céder devant le droit conventionnel que s'il lui est contraire (art. 38 al. 2 et 3 du Traité; FF 1974 II 588). Or, c'est en vain que l'on chercherait dans le Traité l'expression d'un principe prohibant la remise à l'Etat requérant ou au lésé des "producta sceleris" ou des "instrumenta sceleris" - objets qui ont servi à la commission de l'infraction. On peut d'ailleurs relever que, dans le cadre de la Convention européenne d'entraide judiciaire, dont le système a inspiré celui du Traité (FF 1974 II 582), le Tribunal fédéral a expressément jugé, à propos précisément d'un séquestre conservatoire, qu'une entraide judiciaire plus étendue que celle prévue par cet accord international et rendue en application du droit cantonal n'était nullement prohibée (ATF 106 Ib 344 consid. 3). Par ailleurs, la remise de tels biens était déjà prévue dans le droit conventionnel extraditionnel entre les Etats-Unis et la Suisse (cf. ATF 97 I 382 consid. 5) et, de toute évidence, les Etats contractants n'avaient aucune raison de la prohiber dans le cadre dit de la petite entraide judiciaire. On notera enfin que la nouvelle loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale du 20 mars 1981 (cf. FF 1981 I 807ss), non encore en vigueur, prévoit elle aussi, à son art. 74, de telles remises d'objets en vertu du seul droit interne suisse; c'est dire que, de son côté, la Suisse n'a aucune raison de prohiber de tels actes d'entraide.
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Il résulte donc de ce qui précède que le droit suisse autonome peut prévoir ou réserver des mesures d'entraide sous forme de remise des "producta sceleris" et "instrumenta sceleris" sans être en contradiction avec le Traité.
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c) L'examen du texte même de l'art. 8 al. 1 LEEU démontre que les mesures qu'il permet de prendre dépassent celles qui peuvent être exigées bilatéralement dans le cadre de l'application du Traité. En premier lieu, les mesures en cause peuvent être prises "d'office", soit en particulier dans les cas où, faute d'être prévues par le Traité, elles ne pourraient être requises par l'office central américain. La disposition en cause prévoit en outre que l'OFP peut agir "sur requête d'une partie ou de l'office central américain"; il apparaît qu'en permettant ainsi aux lésés d'agir indépendamment de l'office central américain, le législateur a entendu leur assurer à ce stade une protection provisoire, en plus de ce qui est prévu dans la procédure conventionnelle. Mais, surtout, il convient de se référer aux motifs pour lesquels la loi prévoit que des mesures conservatoires peuvent être ordonnées; en effet, si celles-ci peuvent tendre à la conservation des moyens de preuve telle que prévue par le Traité, elles peuvent également servir à "maintenir une situation existante et (à) protéger des intérêts juridiques menacés"; il résulte clairement de ce libellé, qui n'est assorti d'aucune restriction, que l'autorité peut protéger par de telles mesures des intérêts qui ne le sont pas directement par le Traité.
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Cette réglementation permettant d'ordonner d'entrée de cause des mesures conservatoires s'explique aussi par le souci d'assurer la protection des intérêts menaçés entre le moment où l'OFP est requis par l'office central américain et celui où l'autorité cantonale chargée de l'exécution pourra intervenir utilement.
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Au demeurant, une protection provisoire peut également se justifier en raison de considérations tirées de l'ordre public suisse, notamment en vue d'une poursuite pénale ou d'une mesure fondée sur le droit pénal ordonnées en Suisse. C'est ainsi, par exemple, que le droit sur la lutte contre les stupéfiants permet en certains cas une condamnation en Suisse pour des infractions commises à l'étranger (art. 19 ch. 4 LStup) ou la confiscation en Suisse de bénéfices illégitimes réalisés par des infractions commises à l'étranger (art. 24 LStup). Il n'y a aucune raison pour que de tels intérêts ne soient pas pris en considération lorsque sont ordonnées des mesures provisionnelles en application de l'art. 8 al. 1 LEEU.
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d) Pour le surplus, M. ne prétend pas qu'en ordonnant les mesures conservatoires concernées l'OPF aurait abusé de son pouvoir d'appréciation ou l'aurait excédé.
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On ne voit du reste pas que tel aurait été le cas. Il était en effet à craindre qu'à défaut de telles mesures, le recourant ne tente de soustraire ses fonds bancaires, alors que sur le vu des allégués de la demande d'entraide judiciaire, une confiscation de ces avoirs fondée sur l'art. 24 LStup pouvait entrer en ligne de compte.
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