BGE 112 Ib 26 |
6. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 26 février 1986 dans la cause commune de Chiètres contre Conseil d'Etat du canton de Fribourg (recours de droit administratif) |
Regeste |
Art. 24 RPG, Bewilligung zur Ausbeutung eines Kiesvorkommens, Interessenabwägung. |
Die Einwirkungen des zu erwartenden vermehrten Lastwagenverkehrs auf die Umwelt sind bei der Prüfung des sowohl gemäss Art. 3 Abs. 3 lit. b RPG wie Art. 11 UWG geschützten öffentlichen Interesses zu berücksichtigen (E. 5d). |
Im konkreten Fall überwogen die öffentlichen Interessen an der Erhaltung der Landschaft und der landwirtschaftlichen Nutzung des Bodens sowie am Umweltschutz; Aufhebung der strittigen Ausnahmebewilligung (E. 6). |
Sachverhalt |
Gravabal S.A., à Avenches (Vaud), a déposé auprès de l'Office cantonal pour l'aménagement du territoire du canton de Fribourg une demande d'autorisation de construire en vue de l'ouverture d'une gravière aux lieux dits "Uf der Aebni" et "vor em Holz", sur le territoire de la commune de Kerzers (Chiètres), dans le district du Lac. La zone d'extraction prévue a une superficie de 184'810 m2, dont 179'640 m2 sont des terres agricoles, actuellement affectées à des cultures céréalières et maraîchères. Situé à l'intérieur du périmètre du remaniement parcellaire de Chiètres, ce territoire est classé dans une zone sans affectation du plan communal. Il se trouve au pied nord-ouest des collines d'Arnen et de Sunnenberg, qui figurent à l'Inventaire des sites naturels du canton. La partie sud-est de la zone d'extraction, soit environ le tiers de celle-ci, est englobée dans ce site. Le volume des graviers exploitables s'élèverait à environ 2'700'000 m3. Ces matériaux seraient évacués par la route de Bienne en direction d'Avenches, au moyen de camions qui devraient traverser du nord au sud tout le village de Chiètres. L'exploitation de la gravière s'échelonnerait sur 30 ans. La demande d'autorisation de construire se limite cependant à une première étape, qui se rapporte à la partie nord-est de la zone d'extraction, d'une surface de 95'030 m2 exploitables en 15 ans. Les terrains concernés sont la propriété de particuliers, dont la plupart ont passé avec Gravabal S.A. une promesse de vente exécutoire au moment de la délivrance des autorisations définitives. Les vendeurs seraient mis au bénéfice d'un droit de réméré qu'il leur serait loisible d'exercer au moment de la remise en état des lieux. Celle-ci comporterait le remblai partiel de l'excavation et la restitution à l'agriculture d'une surface de 148'000 m2.
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Le 7 janvier 1983, l'Office cantonal des constructions et de l'aménagement du territoire a délivré à Gravabal S.A. l'autorisation exceptionnelle qui lui était nécessaire conformément à l'art. 24 al. 1 de la loi fédérale du 22 juin 1979 sur l'aménagement du territoire (LAT). Par arrêté (No 972) du 28 mai 1985, le Conseil d'Etat du canton de Fribourg a rejeté le recours formé par la commune de Chiètres contre cette décision. Tout en reconnaissant l'importance des intérêts publics allégués par la recourante, il a estimé que les intérêts publics et privés à l'exploitation de la gravière projetée l'emportaient.
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Admettant le recours de droit administratif de la commune de Chiètres, le Tribunal fédéral a annulé l'arrêté du Conseil d'Etat du 28 mai 1985 ainsi que la décision de l'Office cantonal des constructions et de l'aménagement du territoire du 7 janvier 1983.
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Extrait des considérants: |
2. a) L'exploitation d'une gravière constitue une construction ou une installation au sens des art. 22 et 24 LAT: elle implique un important bouleversement temporaire de la topographie et, du moins en l'espèce, une modification durable de celle-ci (ATF 108 Ib 366 consid. 5b). Aux termes de l'art. 22 al. 2 lettre a LAT, une construction ou une installation ne peut être autorisée que si elle est conforme à l'affectation de la zone dans laquelle elle est prévue. S'agissant d'une gravière, cette condition n'est réalisée que si le terrain à exploiter se trouve dans une zone d'extraction minière ou d'exploitation du sous-sol (ATF 111 Ib 87 et les références). De l'obligation générale instituée par l'art. 2 LAT, il résulte que les cantons doivent déterminer les zones d'exploitation de gravières, tout au moins celles d'une certaine étendue, par des plans contraignants (ATF 111 Ib 86, ATF 103 Ib 61 consid. 3a; pour un exemple d'une telle planification, cf. ATF 107 Ia 93 ss). En l'absence d'une planification cantonale, l'autorisation d'ouvrir une gravière implique une dérogation à l'art. 22 al. 2 lettre a LAT et ne peut donc être accordée que sur la base de l'art. 24 LAT (ATF 111 Ib 87, ATF 108 Ib 366 consid. 5b).
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b) La question de savoir si une construction ou une installation correspond à la destination de la zone doit être résolue à la lumière des plans d'affectation et des prescriptions y relatives. Contrairement à l'opinion émise par l'autorité intimée dans une remarque préliminaire de sa décision, les dispositions à considérer sont celles en vigueur au moment de la décision définitive sur la demande d'autorisation de construire et non celles qui étaient en vigueur quand cette demande a été déposée (ATF 107 Ib 137 consid. 2a et les arrêts cités). La loi fribourgeoise du 9 mai 1983 sur l'aménagement du territoire et les constructions (LATC) est entrée en vigueur le 1er juillet 1984 et son règlement d'exécution, du 18 décembre 1984 (RE), le 1er février 1985. Ces textes étaient donc applicables le 28 mai 1985, date à laquelle l'autorité intimée, qui jouissait d'une libre cognition en fait et en droit, a statué définitivement sur la demande exceptionnelle d'autorisation de construire.
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c) Dans le cas particulier, le périmètre d'extraction prévu englobe une surface d'environ 95'000 m2 pour la première étape et de quelque 185'000 m2 au total; il s'agit là d'une étendue comparable à celle d'une zone d'aménagement. Selon les principes de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, repris par la loi fribourgeoise, une exploitation d'une telle emprise n'est concevable que coordonnée à l'ensemble des autres activités qui ont des effets sur l'organisation du territoire et relève donc, en principe, du plan directeur cantonal (art. 6 à 8 LAT, 3 et 4 OAT, art. 19 LATC). Au demeurant, l'art. 16 al. 2 lettre k LATC prévoit que les études de base et les plans sectoriels concernent notamment les gisements importants.
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Le 14 novembre 1984, le Grand Conseil du canton de Fribourg a adopté un décret définissant, conformément à l'art. 18 LATC, les objectifs d'aménagement du territoire, qui doivent servir de programme pour l'élaboration du plan directeur cantonal (art. 18 al. 3 LATC). Ce décret prévoit notamment un plan sectoriel pour l'exploitation du sous-sol (ch. 2.5, p. 5) et précise les objectifs déterminants dans ce domaine (ch. 69 et 70, p. 31). Au chapitre des mesures à prendre, il préconise l'élaboration à bref délai d'une carte cantonale inventoriant les gisements exploitables ainsi que d'un plan sectoriel des zones d'extraction (p. 32).
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Ces travaux ne sont toutefois pas encore achevés. Le canton de Fribourg ne dispose donc pas, à ce jour, d'un plan déterminant de façon contraignante les zones d'exploitation du sous-sol et qui indiquerait, en particulier, les sites les plus appropriés pour l'extraction du gravier. Cela a notamment pour conséquence qu'il faut chaque fois examiner, dans le cadre de la pesée des intérêts prescrite par l'art. 24 LAT, si l'emplacement prévu pour une gravière s'impose plutôt que tout autre (ATF 108 Ib 367 consid. 6a, ATF 104 Ib 231/232).
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d) En l'espèce, la gravière projetée devrait s'ouvrir dans une zone sans affectation spéciale. Selon l'art. 109 RE, une telle zone est considérée provisoirement comme zone agricole au sens de l'art. 56 LATC. La conformité à l'affectation de la zone, selon l'art. 22 al. 2 lettre a LAT, n'est donc manifestement pas donnée, ce qu'admettent d'ailleurs tant les autorités cantonales que la société intimée. Comme on ne se trouve pas en présence d'un des cas énumérés à l'art. 24 al. 2 LAT, il faut examiner si le projet en cause réunit les deux conditions - cumulatives (ATF 108 Ib 367 consid. 6) - auxquelles l'art. 24 al. 1 LAT subordonne l'octroi d'une autorisation exceptionnelle de construire hors de la zone à bâtir.
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Il est constant que la première de ces conditions est remplie en l'espèce. L'exploitation d'une gravière, comme de toute autre source de matière première minérale, n'est en effet concevable qu'aux endroits où gisent les matériaux recherchés et où leur extraction est réalisable du point de vue technique et économique (cf. ATF 108 Ib 367 /368 consid. 6a, ATF 103 Ib 59 /60 consid. 2c). Le seul problème à résoudre en l'occurrence est donc celui de la pesée des intérêts en présence que postule l'art. 24 al. 1 lettre b LAT.
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Il s'agit là d'une question de droit que, saisi d'un recours de droit administratif, le Tribunal fédéral doit en principe examiner librement. Il s'impose toutefois une certaine retenue au regard de la pesée des intérêts à laquelle l'autorité inférieure a procédé, lorsque sont en cause des circonstances locales que cette autorité maîtrise mieux ou lorsqu'il se pose des questions d'appréciation (ATF 111 Ib 88 consid. 3, ATF 107 Ib 336 consid. 2c et les arrêts cités).
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a) Il s'agit tout d'abord des intérêts privés de la société intimée, par quoi il faut entendre non pas ses intérêts purement financiers, mais ses intérêts liés à la poursuite d'une activité industrielle d'intérêt régional. Cette société est une filiale d'une entreprise qui joue un rôle important dans l'approvisionnement du pays en matériaux de base destinés au génie civil et à la construction de bâtiments.
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Ces intérêts n'en doivent pas moins être relativisés dans la mesure où la société intimée n'allègue pas elle-même que ses activités seraient gravement compromises si l'autorisation exceptionnelle requise lui était refusée. A cet égard, les investissements qu'elle a consentis jusqu'ici en vue de l'ouverture de la gravière litigieuse sont relativement insignifiants, puisqu'elle s'est simplement réservé le droit d'acquérir les terrains nécessaires, en cas d'aboutissement favorable de ses démarches. Quoi qu'il en soit, ce dernier élément n'est d'ordinaire pas décisif. L'administré qui requiert une autorisation de police ne peut en effet placer l'autorité à laquelle il s'adresse devant un fait accompli et se prévaloir auprès d'elle de dépenses ou d'engagements financiers qui ne se seraient pas fondés sur des assurances formelles quant à l'octroi ultérieur du permis requis (cf. ATF 105 Ia 343 /344 consid. 6, ATF 101 Ib 196 consid. 2c).
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b) Quant à l'intérêt public à l'exploitation de gisements de gravier, il est indéniable, compte tenu des procédés actuels utilisés en matière de génie civil et de construction (ATF 111 Ib 90 et les références). Cet intérêt réside dans la possibilité de satisfaire le besoin de ces secteurs économiques, notamment en graviers à béton, en évitant autant que possible les longs transports, sources de nuisance, et les frais excessifs qui résulteraient de difficultés particulières d'exploitation engendrées par la situation géographique des terrains concernés, leur topographie ou leur structure géologique.
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aa) Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de constater que les bancs de gravier dont l'exploitation est avantageuse ne sont pas rares en Suisse, mais qu'ils ne sont disponibles que dans une mesure réduite sur le Plateau en raison notamment de l'intense occupation des sols (ATF 104 Ib 224 consid. 4b, ATF 103 Ib 59 consid. 2b, arrêt non publié Mauroux et consorts du 18 juin 1980, consid. 4). L'expertise aménagée à la demande de la société intimée a révélé la présence d'un banc de gravier considérable dans le territoire concerné, que le Syndicat d'améliorations foncières de Chiètres avait d'ailleurs défini, en 1974, comme un périmètre de gravier. La mise à découvert du gisement nécessite l'enlèvement d'une couche morainique d'une épaisseur moyenne de 5 à 6 m. Cette opération préalable n'affecte guère la rentabilité de l'exploitation, compte tenu de la profondeur du banc de gravier. Le volume extractible en 30 ans s'élèverait en effet, malgré les limites imposées par la nécessité de sauvegarder la nappe phréatique, à plus de 2,7 millions de m3. Selon les données fournies à l'autorité intimée en janvier 1984 par l'Association fribourgeoise des graviers, la consommation globale de gravier pour l'année 1983 s'est élevée, dans le canton de Fribourg, à 993'000 m3, dont 583'000 m3 de graviers à béton, 100'000 m3 de graviers cassés, utilisés à la fabrication de mortiers bitumineux, et 250'000 m3 environ de graviers tout-venant. Cette consommation est aujourd'hui couverte selon les régions, par les propres gisements de celles-ci, ou par des graviers importés des cantons voisins. Il n'est ainsi guère douteux que la gravière projetée réponde à un besoin objectif. Du moins les arguments contraires exposés à ce sujet par la commune recourante ne permettent-ils pas au Tribunal fédéral d'arriver, sur ce point, à d'autres conclusions que celles retenues par l'autorité intimée, étant donné la réserve qu'il se doit de garder dans un domaine ressortissant pour l'essentiel à la politique économique globale d'un canton. On ne saurait cependant perdre de vue que les autorités cantonales, la société intimée et les organismes spécialisés qui ont été consultés par les uns ou les autres, ne prétendent nullement que l'on se trouverait dans une situation de pénurie exigeant impérativement l'ouverture, à court ou moyen terme, de la gravière contestée (cf. arrêt non publié Sand A.G. Neuheim, du 27 juin 1984, consid. 5b/bb, p. 17).
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bb) D'autre part, la reconnaissance de l'utilité objective d'une gravière ne signifie pas encore que le projet doive nécessairement être admis à l'endroit prévu, tant il est vrai que l'ouverture d'une gravière n'est, selon la jurisprudence, que relativement liée à un emplacement (ATF 104 Ib 225 consid. 4b, ATF 98 Ib 498 consid. 6). Le canton de Fribourg ne dispose encore, on l'a vu, ni d'un inventaire précis des réserves de gravier ni surtout d'un plan cantonal fixant les zones d'exploitation de gravières. Or, le dossier ne comporte aucune indication qui permette d'affirmer que l'emplacement prévu en l'espèce est véritablement le plus approprié. Il est possible qu'il le soit, mais on ne peut exclure que d'autres zones puissent s'avérer aussi propices à l'extraction de gravier tout en ménageant mieux les intérêts opposés, et cela quand bien même elles impliqueraient un éventuel défrichement (ATF 104 Ib 225 consid. 4b, 103 Ib 60 consid. 2d). L'autorité - ou le juge - chargée d'opérer la pesée des intérêts postulée par l'art. 24 LAT doit examiner dans chaque cas si d'autres emplacements se prêteraient éventuellement mieux à l'exploitation envisagée (ATF 108 Ib 367). En l'occurrence, ni la décision attaquée ni le dossier ne permettent d'arriver à la conclusion que l'intérêt à l'exploitation d'une gravière à l'endroit prévu, plutôt qu'à tout autre, l'emporte sur les autres intérêts en présence.
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Il n'est toutefois pas exclu que la nécessité d'une gravière à l'emplacement litigieux soit démontrée à l'issue des travaux actuellement entrepris dans le cadre de l'élaboration du plan directeur cantonal. Il y a donc lieu de réserver (cf. par exemple ATF 104 Ib 232 consid. 8c) la possibilité pour l'autorité compétente de procéder éventuellement à un nouvel examen de cette question sur la base des futurs plan directeur cantonal et plan sectoriel des zones d'extraction.
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a) Les intérêts publics allégués par la recourante sont de ceux qu'énoncent les art. 1er et 3 LAT, et qu'il y a donc lieu de prendre en considération dans la pesée des intérêts prescrite à l'art. 24 al. 1 lettre b LAT. L'art. 1er al. 2 LAT contient une énumération, exemplaire, des buts que doivent poursuivre les mesures d'aménagement. Parmi ces buts figurent la protection du paysage (lettre a), la création et le maintien d'un milieu bâti harmonieusement aménagé et favorable notamment à l'habitat (lettre b) et la garantie de sources d'approvisionnement suffisantes dans le pays (lettre d). L'art. 3 définit les principes qui doivent régir un aménagement rationnel du territoire au sens de l'art. 22quater Cst. Ces principes consistent, entre autres, dans la préservation du paysage par une intégration optimale dans celui-ci des constructions et des installations (al. 2 lettre b), dans le maintien de bonnes terres cultivables réservées à l'agriculture (al. 2 lettre a) et dans la protection, aussi large que possible, des lieux d'habitation contre les atteintes nuisibles ou incommodantes, tels la pollution de l'air, le bruit et les trépidations (al. 3 lettre b).
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L'art. 1er LATC rappelle simplement dans les grandes lignes ces objectifs et ces principes. En revanche, le droit cantonal ne contient pas de disposition qui préciserait, dans le cadre de ces objectifs et de ces principes, les intérêts particuliers à prendre en considération dans l'examen d'une autorisation d'exploiter une gravière (cf. ATF 111 Ib 88 /89 consid. 3a et b).
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Il y a lieu d'examiner successivement la valeur des objections formulées par la commune de Chiètres et par l'Office fédéral de l'aménagement du territoire contre l'autorisation exceptionnelle accordée par les autorités cantonales. S'agissant des intérêts agricoles, la levée de l'interdiction de désaffectation ordonnée par l'autorité intimée le 19 octobre 1982 ne dispense pas le Tribunal fédéral de les apprécier dans le cadre de l'art. 24 al. 1 lettre b LAT, ne serait-ce qu'en raison du fait que le Conseil d'Etat a examiné l'ensemble de cette question dans la décision entreprise.
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b) Le 14 juin 1977, l'Office de l'aménagement du territoire du canton de Fribourg a présenté au Conseil d'Etat un inventaire des sites naturels dressé notamment avec la collaboration du Délégué fédéral à l'aménagement du territoire, de la Division fédérale de la protection de la nature et du paysage et de la Ligue suisse pour la protection de la nature. La préface de cet inventaire, rédigée par le conseiller d'Etat directeur des travaux publics, le définit comme un élément fondamental des études d'aménagement du territoire et comme une manifestation d'un souhait de la population fribourgeoise que des mesures soient prises en vue de la sauvegarde de son patrimoine. Aux termes de son avant-propos, cet inventaire est destiné à donner la base scientifique et technique indispensable aux mesures de sauvegarde à prendre pour le maintien, à long terme, des sites naturels inventoriés, éléments majeurs du patrimoine cantonal, à fournir aux autorités fédérales, cantonales et communales, ainsi qu'au public en général, une information aussi complète et aussi précise que possible dans ce domaine, et à définir une des composantes fondamentales des données de base d'un plan directeur cantonal. Cet inventaire fait donc partie des mesures de protection de la nature et du paysage, prises par les cantons, que la Confédération encourage conformément au chapitre 2 de la loi fédérale du 1er juillet 1966 sur la protection de la nature et du paysage (LPN; RS 451). Pour l'établir, les autorités cantonales ont procédé à une sélection objective des sites qu'elles ont délimités avec précision. Elles les ont classés en trois catégories, selon leur valeur et leur intérêt. La première catégorie concerne les sites méritant une protection intégrale de la nature, la deuxième les sites d'intérêt paysager du premier degré et la troisième les sites d'intérêt paysager du second degré. Les sites d'intérêt paysager du premier degré sont ceux dont les différents éléments constitutifs ont une forte valeur attractive en eux-mêmes et par rapport à l'homogénéité du paysage. Ce sont presque toujours des paysages dont l'aspect naturel et traditionnel est encore largement maintenu, dans des secteurs peu sollicités par l'urbanisation et qui n'ont pas été endommagés. Leur protection a pour but le maintien de la beauté particulière et du caractère intrinsèque du paysage dans son état actuel. Les sites d'intérêt paysager du second degré sont généralement des paysages ruraux harmonieux, équilibrés, et qui n'ont pas encore subi d'atteinte dégradante majeure, même si leur aspect est déjà altéré en certains secteurs. Leur protection tend à la sauvegarde d'un paysage rural caractérisé par des activités agricoles et sylvicoles et par une topographie particulière, ainsi qu'à la limitation des effets dus aux atteintes existantes.
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La région au nord-est de la commune de Chiètres, soit essentiellement la colline de Sunnenberg et son environnement immédiat, est classée à l'inventaire cantonal, en partie comme site d'intérêt paysager du premier degré et en partie comme site d'intérêt paysager du second degré. Le secteur inclus dans le site d'intérêt paysager du second degré englobe la zone sud-orientale du périmètre d'extraction, soit le tiers environ de sa superficie totale. L'inventaire décrit le paysage d'Arnen et de Sunnenberg de la manière suivante: deux collines, la colline de Sunnenberg, formée de champs cultivés et de prés, et la colline boisée d'Arnen, dominant l'agglomération de Chiètres et constituant le rebord du Plateau sur les grands marais. Ce site est considéré comme intéressant en raison de sa végétation et de sa faune, mais aussi parce que la colline de Sunnenberg est un excellent point de vue. La protection désirée comporte notamment le maintien de l'exploitation agricole. L'inventaire fait état de menaces provenant notamment du projet de gravière en limite du site. Parmi les dommages existants, l'inventaire signale le stand de tir qui se trouve dans l'excavation de l'ancienne carrière à l'extrémité nord-ouest du périmètre d'extraction.
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Comme le relèvent tant le Conseil d'Etat que la société intimée, l'inventaire des sites naturels du canton de Fribourg n'a pas force de loi et ses effets ne sauraient être comparés à celui d'un inventaire fédéral au sens de l'art. 5 LPN. Il a cependant la même portée que l'inventaire officieux CPN établi par diverses associations d'importance nationale. Il s'agit en effet d'un de ces inventaires dressés par des institutions d'Etat, dont parle l'art. 5 al. 1, 1re phrase, LPN. On doit en tout cas le considérer comme un indice de l'existence, dans le secteur considéré, d'un paysage sensible dont il convient autant que possible d'éviter l'enlaidissement, si l'on veut respecter les buts et les principes de l'aménagement du territoire énumérés aux art. 1er et 3 LAT. La délégation du Tribunal fédéral a pu constater la qualité du site de la colline de Sunnenberg en elle-même et du fait du dégagement visuel notamment en direction du lac de Morat. L'importance du rôle de délassement de ce paysage pour la population des environs serait sérieusement amenuisée par l'ouverture, en premier plan, d'une exploitation de gravier de longue durée sur une grande surface, amenant des nuisances industrielles dans un paysage qui n'a été modifié que pour les besoins de la rationalisation des activités agricoles. La division en étapes de l'exploitation de la gravière ne supprimera naturellement pas cette influence défavorable sur le paysage concerné. L'exclusion matérielle d'une remise en état intégrale des lieux à la fin de l'exploitation permet de retenir en outre l'existence d'un dommage résiduel permanent.
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c) Le territoire compris dans le périmètre d'extraction de la gravière contestée a fait l'objet d'améliorations foncières et d'un remaniement parcellaire récent. La mise en culture du nouvel état est intervenue en 1978. A l'exception d'une surface de 5000 m2 correspondant à l'ancienne carrière, tous ces terrains sont aujourd'hui affectés à des cultures céréalières ou maraîchères. Les cartes des aptitudes climatiques pour l'agriculture en Suisse, établies en août 1977 et que l'Office fédéral de l'aménagement du territoire considère comme un élément de référence, classent toute cette région dans la zone A 2, particulièrement propice aux grandes cultures et aux cultures spéciales; il s'agit là de la zone agricole la plus favorable de tout le Plateau. La carte des aptitudes des sols de la Suisse, établie en mars 1980, et qui est aussi un élément de référence de l'aménagement du territoire, classe le secteur examiné dans la zone (I) H 5, définie notamment comme très apte aux céréales et apte à très apte aux cultures sarclées. Il s'agit, sous cet angle, des terres les mieux favorisées de l'ensemble du pays. Or ces terres seront désaffectées temporairement, pendant la durée de l'exploitation, ou définitivement en raison de celle-ci.
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L'art. 183 LATC prescrit qu'au plus tard à la fin de l'exploitation, l'exploitant ou, à son défaut, le propriétaire est tenu de remettre le terrain en état dans un délai convenable, cette remise en état pouvant être ordonnée par étapes au cours de l'exploitation. L'obligation de remise en état des lieux au sens de cette disposition est une notion juridique indéterminée, pour l'application de laquelle les autorités disposent d'une certaine latitude de jugement. Les autorités cantonales n'ont certainement pas violé cette disposition en renonçant à exiger de la société intimée une remise en état intégrale des terres, mais seulement leur restitution à l'agriculture et leur aménagement en une cuvette dont la profondeur variera, du nord-est au sud-ouest, entre 20 et 4 m, la moyenne étant de 12,25 m. Il n'a pas été contesté que ce réaménagement en cuvette aura pour conséquence, quelle que soit la valeur des terres arables réinstallées, un appauvrissement de la productivité dû au refroidissement de surface (lac d'air froid). D'autre part, sur 179'640 m2 de terres actuellement cultivables, seuls 147'720 m2 seront restitués à la culture des champs. Cette modification des lieux compliquera enfin quelque peu les accès des exploitants agricoles à leurs parcelles.
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En dépit des efforts consentis par la société intimée, force est ainsi de constater que l'ouverture de la gravière litigieuse porterait une atteinte non négligeable aux intérêts de l'agriculture, cette atteinte étant soit permanente, soit de longue durée. Au cours de l'inspection des lieux, l'autorité cantonale a certes déclaré que le canton de Fribourg disposait largement de la surface en assolement de 38'500 ha, mise à sa charge par le projet d'ordonnance du Conseil fédéral (cf. Aménagement du territoire, Bulletin d'information, 1985, fasc. 1, p. 18); mais cette considération n'a guère de poids. Les surfaces d'assolement que le projet d'ordonnance prévoit sont en effet des surfaces minimales et, quelle que soit leur situation à cet égard, les autorités cantonales n'en doivent pas moins, conformément à l'art. 3 al. 2 lettre a LAT, réserver à l'agriculture suffisamment de bonnes terres cultivables. Or on a vu que les terres ici mises à contribution sont particulièrement privilégiées du point de vue de la productivité agricole.
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d) L'autorisation exceptionnelle accordée à la société intimée lui impose d'aménager un accès à la voie publique présentant toute sécurité. L'évacuation des matériaux extractibles se fera en effet par camions vers la route qui conduit à Bienne, puis en direction d'Avenches. Les camions chargés traverseront donc le village de Chiètres du nord au sud dans toute sa longueur. Ils reviendront, à vide, traversant la localité du sud au nord par la même voie. La recourante insiste sur la situation intolérable qui serait ainsi créée pour une commune dont la population s'élevait, au 31 décembre 1985, à 2875 habitants. L'autorité intimée estime que la nouvelle charge imposée au village de Chiètres serait nulle, voire imperceptible. La société intimée se serait en effet engagée à ne pas dépasser 60 passages par jour, alors que le village de Chiètres est parcouru aujourd'hui par environ 3500 véhicules.
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L'argumentation ici développée par l'autorité cantonale n'est pas soutenable. Il faut tout d'abord relever qu'il n'y a pas lieu de déterminer, en l'espèce, si le trafic automobile supplémentaire occasionné par l'exploitation de la gravière aurait pour conséquence un dépassement des normes auditives admissibles à l'intérieur d'une localité. En vertu de l'art. 3 al. 3 lettre b LAT, la préservation des lieux d'habitation des atteintes nuisibles ou incommodantes, telles que la pollution de l'air, le bruit et les trépidations, est en effet l'un des principes régissant un aménagement rationnel du territoire. Il s'agit là d'un intérêt public sur lequel le législateur fédéral a encore mis l'accent en adoptant la loi du 7 octobre 1983 sur la protection de l'environnement, entrée en vigueur le 1er janvier 1985 (LPE; RS 814.01). L'art. 11 LPE pose la règle de la limitation des émissions par des mesures prises à la source pour réduire notamment les pollutions atmosphériques, le bruit et les vibrations. L'al. 2 de cette disposition précise qu'indépendamment des nuisances existantes, il importe, à titre préventif, de limiter les émissions dans la mesure que permettent l'état de la technique et les conditions d'exploitation, et pour autant que cela soit économiquement supportable. Quant à l'al. 3, il commande de limiter plus sévèrement les émissions s'il appert ou s'il y a lieu de présumer que les atteintes, eu égard à la charge actuelle de l'environnement, seront nuisibles ou incommodantes. Cela étant, il importe peu que les camions de la gravière passent au nombre de 90 ou de 60 par jour. Quoi qu'il en soit, la population de Chiètres devrait en effet supporter le passage supplémentaire de cinq à dix véhicules lourds à l'heure, et cela pendant des journées pouvant s'étendre sur dix heures, comme la société intimée l'a admis au cours de l'audience d'inspection des lieux. A cela s'ajoutent le transport occasionnel de véhicules de chantier et de matériel, ainsi que les nuisances particulières que comporte le transport de gravier soit par temps pluvieux, soit par temps très sec. Il convient aussi de souligner que la route de Bienne est en pente à l'intérieur du village de Chiètres, qu'elle comporte plusieurs croisements ainsi qu'un passage à niveau gardé à l'intersection de la ligne de chemin de fer. Ce sont là autant d'éléments qui aggravent les inconvénients apportés par l'exploitation de la gravière aux habitants d'une localité relativement importante, et cela pendant une période initiale de 15 ans.
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Avant l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur l'environnement déjà, le Tribunal fédéral a posé des exigences strictes quant à l'équipement d'installations analogues à l'exploitation litigieuse (ATF 110 Ia 166). Compte tenu du système insatisfaisant d'évacuation des matériaux adopté en l'occurrence, on pourrait douter, si l'on se trouvait dans un cas d'application de l'art. 22 al. 2 LAT - c'est-à-dire si la gravière était projetée dans une zone d'exploitation du sous-sol -, que les terrains en cause soient suffisamment équipés pour une telle exploitation. Ce point n'a évidemment pas à être examiné en l'occurrence, où il ne se pose que la question de savoir si les intérêts qui militent en faveur de l'autorisation exceptionnelle se heurtent à d'autres intérêts qui leur seraient prépondérants, au sens de l'art. 24 al. 1 lettre b LAT.
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6. Les considérations qui précèdent conduisent à la conclusion qu'une autorisation exceptionnelle selon l'art. 24 al. 1 LAT ne peut être accordée à la société intimée parce que son projet ne respecte pas la seconde des conditions cumulatives posées par cette disposition. On se trouve en présence d'une convergence d'intérêts publics importants - la préservation du paysage, la sauvegarde des terres agricoles et la protection de l'environnement - qu'il faut opposer à un intérêt privé et à un intérêt public - l'approvisionnement en gravier - qui, pour être incontestables, n'en doivent pas moins être en l'occurrence relativisés. Sous réserve d'un réexamen sur la base du futur plan directeur cantonal (cf. consid. 4 in fine ci-dessus), cet intérêt privé et cet intérêt public doivent trouver leur satisfaction dans le cadre d'une exploitation moins dommageable pour les intérêts opposés qui ont été examinés.
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