BGE 1 I 80 - Protestanten in Promasens (FR) |
19. Arrêt du 18 septembre 1875 dans la cause des protestants de Promasens |
en fait: |
Le 2 novembre 1863, l'assemblée paroissiale de Promasens résolut de subvenir aux frais de reconstruction de son Eglise par les moyens suivants :
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1 Une souscription de dons déjà obtenus ou à obtenir encore.
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2 Une contribution annuelle d'un franc par mille sur les immeubles bâtis et non bâtis, sans déduction de dettes, d'après la valeur cadastrale.
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3 Enfin les charrois, corvées à bras et cailloux à fournir par les propriétaires fonciers et les bois quelconques par les communes, le tout gratuitement.
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Ces décisions furent prises sous réserve de ratification du Conseil d'Etat, laquelle fut accordée.
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Le 6 novembre 1864, l'assemblée paroissiale décida d'adhérer à une demande des propriétaires protestants, tendant à être exonérés des charrois et corvées à bras. Ces propriétaires offraient en échange de payer le double de l'impùt, soit deux francs par mille : cet impùt ne fut perWu en plein que pendant 5 ans, il fut réduit pour la 6e et la 7e année à 1 1 T, puis pour les deux dernières années à 1 /oo.
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A l'expiration du terme fixé, les dettes résultant de la bâtisse n'étant pas encore entièrement éteintes, l'assemblée paroissiale de Promasens décida, en date du 19 mars 1873 :
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a) que les catholiques continueraient à payer pendant 12 ans l'impùt de 1 /oo sur les capitaux let es immeubles, sans déduction de dettes.
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b) que les protestants auraient à payer ces impùts pendant seulement 10 ans et au taux du T pour mille.
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c) que les catholiques paieraient en outre, sans distinction de personnes et de fortunes, une contribution de deux francs par focage.
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Le 27 septembre 1873, le Conseil d'Etat de Fribourg adhéra aux résolutions qui précèdent.
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Les protestants versèrent leur quote-part de cet impùt jusqu'après la mise en vigueur de la nouvelle constitution fédérale du 29 mai 1874, époque à laquelle ils demandèrent d'être libérés de cette obligation à teneur de l'art. 49 de la dite constitution.
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La paroisse de Promasens n'ayant pas obtempéré à cette requête, Louis Raccaud et consorts adressèrent, le 18 février 1875, un recours au Conseil d'Etat du canton de Fribourg, concluant à ce que, vu la disposition du dernier alinéa de l'art. 49 précité, le Conseil d'Etat veuille décider que la paroisse de Promasens n'était plus autorisée à lever son impùt sur des fonds appartenant aux protestants.
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1 sur la teneur du N 1 de l'art. 291 et de l'art. 292 sur les communes et paroisses, du 7 mai 1864, en vertu desquels les propriétaires fonciers, sans distinction de culte, supportent les frais de construction, de réparation et d'entretien du presbytère, de l'église et du cimetière, et les impùts prélevés dans une paroisse pour subvenir aux frais prévus sous le N 1 précité sont considérés comme charges réelles et atteignent toutes les propriétés du territoire imposable.
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2 sur l'art. 49 invoqué par les recourants, qui n'abroge nullement les dispositions sus-énoncées.
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3 sur le prescrit de l'art. 2 des dispositions transitoires de la nouvelle constitution, portant qu'en attendant la législation fédérale prévue à l'article 49, les lois cantonales demeurent en vigueur.
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Le 23 février 1875, et à l'instance de l'agent d'affaires Dupraz, à Rue, agissant au nom de la paroisse de Promasens (bourse de construction de la nouvelle église), saisie générale a été imposée sur les biens des recourants et opposition interjetée par ces derniers.
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C'est contre la décision du Conseil d'Etat de Fribourg, du 20 février, que Louis Raccaud et consorts recourent au Tribunal fédéral : ils font valoir, en résumé, à l'appui de leur pourvoi les considérations suivantes :
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Les frais de réparation et de construction d'une Eglise sont occasionnés uniquement par les besoins du culte et tout impùt décrété spécialement pour les couvrir tombe sous le coup de la disposition de l'art. 49, lequel statue que "nul n'est tenu de payer des impùts dont le produit est spécialement affecté aux frais proprement dits du culte d'une communauté religieuse à laquelle il n'appartient pas."
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Les recourants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal fédéral annuler la décision du Conseil d'Etat du canton de Fribourg, en date du 20 février 1875, et décider qu'à partir du 29 mai 1874 ils ne sont plus tenus de payer l'impùt décrété le 19 mars 1873 pour subvenir aux frais de construction de l'église de Promasens.
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Dans sa réponse datée du 15 juin, le Conseil d'Etat du canton de Fribourg présente, en substance, les arguments ci-après à l'appui de la décision dont est recours :
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Les propriétaires protestants ont été invités à assister aux assemblées paroissiales du 2 novembre 1864 et du 19 mars 1873 ;
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L'impùt n'est prélevé que sur les fonds, et non sur les capitaux appartenant aux propriétaires protestants.
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Si, dans l'autorisation accordée par le Conseil d'Etat le 27 septembre 1873, il est parlé d'un impùt de 50 cent, pour mille sur les immeubles et les capitaux de tous les propriétaires protestants, en réalité cet impùt paraót ne pas avoir été perWu, car les réclamants n'en font nullement mention. Dans le cas contraire, le Conseil d'Etat n'aurait pas hésité un instant à faire droit à une réclamation de leur part, car cet impùt et été alors personnel et aurait manqué ainsi de ce caractère territorial qui doit le distinguer pour qu'il puisse être perWu.
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L'art. 8 de la loi ecclésiastique fribourgeoise, du 21 février 1854, et les art. 291 et 292 de la loi du 7 mai 1864 sur les communes et paroisses, autorisent la paroisse catholique de Promasens à imposer la propriété foncière sur son territoire. sans acception de la confession des propriétaires.
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La loi établit une distinction entre les capitaux et les immeubles destinés au culte et les besoins spéciaux et courants de tel culte déterminé : les premiers sont destinés à subsister indéfiniment dans un but d'utilité publique ; il est logique et équitable de les considérer comme charges réelles s'attachant au sol du propriétaire.
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Les Eglises catholiques peuvent avoir sans doute pour destination principale l'exercice du culte, mais elles ont souvent une autre destination, puisque ces édifices peuvent servir soit à des réunions publiques, étrangères au culte, soit à d'autres buts d'utilité publique, comme en temps de guerre ou de peste. Désormais aussi les cimetières serviront également à tous les citoyens sans distinction de confession ou de croyance.
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La seconde catégorie des besoins du culte est en revanche d'une nature entièrement personnelle, de telle sorte que ceux là seuls qui profitent de tel culte déterminé doivent être astreints à supporter les frais qui en résultent. C'est cette distinction qui a guidé le législateur de la constitution fédérale lorsqu'il parle des frais proprement dits du culte.
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L'art. 2 des dispositions transitoires de cette constitution, invoqué par les recourants, dit expressément que les dispositions existantes des lois cantonales ne cesseront d'être en vigueur que par la promulgation des nouvelles lois fédérales à élaborer et destinées à les remplacer.
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En bonne administration, il est impossible d'admettre que la charge imposée à la propriété vienne à disparaótre par le seul fait que cette propriété a passé d'un propriétaire catholique à un protestant ou vice-versa.
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La réponse conclut enfin au rejet du recours.
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Statuant sur ces faits et considérant en droit : |
Or l'art. 2 des dispositions transitoires doit évidemment être compris dans ce sens, que celles d'entre les dispositions de la constitution fédérale qui proclament des principes positifs et précis, doivent entrer immédiatement en vigueur, tandis que d'autres dispositions, qui, ensuite de leur teneur moins précise, ne peuvent être appliquées qu'à l'aide de la législation fédérale encore à élaborer, ne déploieront leurs effets qu'après la promulgation des lois d'exécution qu'elles prévoient. L'article 49 §. 6, lequel proclame le principe positif et précis que "nul n'est tenu de payer des impùts dont le produit est spécialment affecté aux frais proprement dits du culte d'une communauté religieuse à laquelle il n'appartient pas" rentre dans la première de ces deux catégories de dispositions constitutionnelles. Le fait que l'exécution ultérieure de ce principe reste réservée à la législation fédérale implique une précaution justifiée par l'importance de l'objet auquel elle s'adresse, mais ne peut dispenser le Tribunal fédéral, jusqu'à la promulgation de la loi prévue, d'examiner, dans chaque cas particulier, s'il se trouve en présence de décisions prises contrairement au principe posé dans l'article susvisé. Admettre le contraire aurait pour conséquence de paralyser, peut-être pour longtemps encore, un droit individuel important garanti par la constitution fédérale à tout citoyen suisse.
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Il s'ensuit qu'on ne saurait faire payer à des citoyens suisses de confession réformée un impùt dont le produit est spécialement affecté à la construction d'une église catholique, servant exclusivement à des buts confessionnels, sans se mettre en opposition directe avec l'art. 49 §. 6 de la constitution fédérale.
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Le texte de cette disposition fédérale ne fait aucune différence entre les impùts mobiliers et immobiliers : lors de son adoption, une proposition tendant à faire une pareille distinction et à n'interdire que les impùts "personnels" demeura en minorité (voir Protoc. du Conseil national, année 1871-1872, pages 233-234). Le Grand Conseil du canton de Fribourg, en adoptant l'art. 8 de la loi du 8 mai 1874, qui dispense les protestants du paiement de tout impùt affecté au culte catholique, a reconnu lui-même que cette distinction ne doit pas avoir lieu. L'effet du principe posé dans la constitution fédérale ne peut donc être paralysé par une loi cantonale qui donne le caractère de "charges réelles" à des impùts perWus pour la construction et l'entretien d'églises et de presbytères, et cela d'autant moins que l'existence immémoriale d'un droit privé de ce genre sur les fonds du canton de Fribourg, n'est nullement démontrée.
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4. L'expression "proprement dits" appliquée par l'art. 49 aux frais du culte, ne doit pas être prise dans l'acception étroite que leur donne la loi fribourgeoise, laquelle n'y fait pas même rentrer le traitement des ecclésiastiques. Cette expression a, au contraire, surtout pour but d'indiquer que les cimetières (actuellement soumis aux autorités civiles) ne doivent pas être assimilés aux frais du culte. La législation fé-dérale future sur la matière pourra, cas échéant, décider si et jusqu'à quel point on peut exiger des adhérents d'une autre confession des contributions pour la construction et l'entretien d'une église servant aussi à des buts temporels :(ce qui n'est point le cas de celle de Promasens).
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Par ces motifs le Tribunal fédéral prononce : |
2. La dite décision, ainsi que la saisie générale imposée, le 23 février, sur les biens des recourants sont en conséquence déclarées nulles et de nul effet et les dits recourants sont libérés, à partir de la mise en vigueur de la constitution fédérale actuelle, soit du 29 mai 1874, du paiement de l'impùt décrété le 19 mars 1873, pour subvenir aux frais de construction de l'église de Promasens.
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