BGE 38 I 466 - Héridier
 
77. Arrêt du 12 décembre 1912 dans la cause Héridier contre Genève.
 
Regeste
Art. 43 Const. féd. Le principe du vote au domicile s'applique aussi aux ressortissants du Canton et aux votations cantonales et communales. Inconstitutionnalité d'une loi cantonale (Genève) qui permet à l'électeur de voter à son choix dans la commune de son domicile ou dans celle où il est propriétaire ou exerce sa profession.
 
Sachverhalt
 
A.
L'art. 2 de la loi genevoise du 3 mars 1906 sur les élections et votations dispose ce qui suit :
En vertu de cette disposition, les citoyens Jules Perréard, Joseph Bastian et Auguste Déclinand, tous trois propriétaires à Chêne-Bourg, se sont fait inscrire dans cette commune, bien qu'ils n'y soient pas domiciliés.
A l'occasion d'un referendum contre un arrêté du conseil municipal de Chêne-Bourg, Marc Héridier a demandé au Conseil d'Etat de Genève la radiation d'un certain nombre d'électeurs inscrits dans la commune de Chêne-Bourg, notamment celle de J. Perréard et de J. Bastian. Le 11 juin 1912 le Conseil d'Etat lui a répondu qu'il ne pouvait faire droit à sa demande en ce qui concerne ces deux électeurs (de même que en ce qui concerne d'autres électeurs qui ne sont plus en cause aujourd'hui).
Marc Héridier agissant tant en son nom personnel qu'au nom de 90 électeurs, a formé en temps utile auprès du Tribunal fédéral un recours de droit public contre cette décision. Au cours de l'instruction de ce recours, le Conseil d'Etat a fait droit à la demande du recourant en ce qui concerne tous les électeurs indiqués à l'exception de J. Bastian et de J. Perréard. La votation référendaire a eu lieu, les suffrages des 198 électeurs qui y ont pris part se répartissant par 137 dans un sens et 61 dans l'autre.
A la suite de ces faits le recourant a restreint la portée de son recours primitif à la radiation de J. Bastian et de J. Perréard; d'autre part il a demandé la radiation de Aug. Déclinand qu'il n'avait pas mentionné au début. Il conclut à la radiation de ces trois électeurs en se fondant sur l'art. 43 Constitution fédérale qui institue obligatoirement le vote au domicile; aussi bien en vertu de cet article le Conseil fédéral a refusé sa sanction à la loi genevoise.
Le Conseil d'Etat a conclu à l'irrecevabilité et subsidiairement au rejet du recours. Il fait observer que celui-ci n'a pas d'objet en ce qui concerne la votation référendaire du 7 juillet puisque les radiations demandées n'auraient rien changé au résultat du vote; d'autre part, quant à l'avenir, il est prématuré; en effet avant chaque votation le Conseil d'Etat complète et rectifie les tableaux électoraux, le recourant ne peut donc pas encore savoir si les noms des trois électeurs dont il demande la radiation continueront à figurer sur les tableaux de la Commune de Chêne-Bourg. D'ailleurs le recours est mal fondé, l'art. 2 de la loi genevoise n'impliquant aucune violation de l'art. 43 Constitution fédérale.
Postérieurement à l'échange des écritures du recourant et du Conseil d'Etat, Jules Perréard a cessé d'être propriétaire à Chêne-Bourg et a été transféré comme électeur dans la commune des Eaux-Vives où il est domicilié.
Le recours a été communiqué à J. Bastian et Aug. Déclinand. J. Bastian a déclaré se référer aux observations présentées en réponse par le Conseil d'Etat, A. Déclinand n'a pas présenté de réponse.
 
Erwägungen
 
Erwägung 1
1. Le recours ne tend plus aujourd'hui qu'à la radiation de l'inscription des citoyens Bastian et Déclinand sur les registres électoraux de la commune de Chêne-Bourg. Le Conseil d'Etat a en effet déjà fait droit à toutes les autres demandes de radiation formulées au début par les recourants à l'exception de celle relative à J. Perréard et ce dernier a cessé d'être propriétaire à Chêne-Bourg et par conséquent d'être inscrit comme électeur dans cette commune. D'autre part le recours n'a plus d'objet et a d'ailleurs été expressément retiré par les recourants en ce qui concerne la demande de referendum qui y avait donné naissance, car la votation référendaire a eu lieu pendant l'instruction du recours et la participation des électeurs dont la radiation est demandée n'a pu en modifier le résultat. Quant à l'avenir, le Conseil d'Etat estime que le recours est prématuré parce que, avant chaque votation, les registres électoraux sont revisés et qu'ainsi on ignore pour le moment si les électeurs dont les recourants demandent la radiation continueront à y figurer. Mais cette argumentation est sans valeur: actuellement les citoyens Bastian et Déclinand sont inscrits sur les registres électoraux de la commune de Chêne-Bourg; leur inscription a été maintenue non seulement pour la votation référendaire du 7 juillet, mais encore pour deux votations subséquents (9/10 novembre, élection du Conseil d'Etat, 1er décembre; élection du maire de la commune), et rien ne permet de supposer que le Conseil d'Etat ait l'intention d'en opérer la radiation; le recours est ainsi dirigé non contre la création future et hypothétique d'un état de fait inconstitutionnel -- auquel cas il serait en effet prématuré -- mais contre le maintien actuel de l'état de fait existant. On pourrait, il est vrai, soutenir que pour le moment cet état de fait ne lèse pas les intérêts des recourants et que ceux-ci ne subiraient une atteinte que le jour où il sera intervenu une votation sur le résultat de laquelle la participation des deux électeurs en question au vote aura pu influer; tant qu'une votation semblable n'aura pas eu lieu, les recourants n'auraient ainsi ni intérêt ni par conséquent qualité à recourir. Cependant, même si l'on fait abstraction de toutes considérations pratiques, cette manière de voir n'est pas absolument justifiée: la façon dont le corps électoral est composé -- façon qui se manifeste par les registres électoraux -- peut, même en dehors des votations auxquelles les électeurs prennent part, exercer une influence sur la politique locale (notamment sur les délibérations du Conseil municipal ou sur la confection des listes électorales, etc); tout électeur de la commune a donc un intérêt permanent à ce que les noms des citoyens qui, d'après la constitution, n'ont pas le droit de vote dans la commune ne figurent pas dans les registres. En outre lorsque, par le fait d'inscriptions inconstitutionnelles dans les registres, le résultat des votations futures risque d'être faussé, il y a un intérêt pratique évident à prévenir ce risque en ordonnant immédiatement les radiations nécessaires au lieu d'attendre qu'il se réalise et d'avoir alors à casser la votation. C'est pourquoi le Conseil fédéral, à la jurisprudence duquel il y a lieu de se rallier sur ce point, a toujours décidé que les recours contre des inscriptions au registre électoral sont recevables même lorsqu'aucune votation déterminée n'est attaquée (v. Salis, III no 1116).
 
Erwägung 2
2. Au fond, il est constant que les citoyens Bastian et Déclinand sont Genevois, qu'ils ne sont pas domiciliés dans la commune de Chêne-Bourg, que par contre ils y sont propriétaires et qu'ils y sont inscrits en vertu de l'art. 2 de la loi genevoise qui institue en principe le vote au domicile, mais qui permet aux citoyens de se faire inscrire comme électeurs dans une commune où ils ne sont pas domiciliés, pourvu qu'ils y soient propriétaires ou qu'ils y exercent leur profession. Les recourants prétendent que cette disposition -- et par conséquent l'inscription à Chêne-Bourg des deux électeurs sus-indiqués -- est contraire à l'art. 43 Constitution fédérale qui institue comme principe exclusif et obligatoire le vote au domicile; ils invoquent la jurisprudence constante du Conseil fédéral et notamment l'arrêté du 19 avril 1910 (F. féd. 1910 II p. 595 et sv.) par lequel le Conseil fédéral a déclaré l'art. 2 lettre e de la loi genevoise incompatible avec l'art. 43 Constitution fédérale et lui a par conséquent refusé sa sanction.
Le Conseil d'Etat de Genève a conclu au rejet du recours par les motifs suivants :
    b) L'art. 43 Constitution fédérale ne prescrit pas le vote au domicile d'une manière uniforme et obligatoire. Aussi longtemps qu'une loi fédérale n'aura pas défini la notion du domicile politique et stipulé l'unité de ce domicile, rien n'empêche les cantons de permettre, au moins en matière communale, à l'électeur de voter dans une commune dans laquelle il n'est pas domicilié.
    c) L'art. 43 prescrit seulement que les Suisses établis doivent jouir des mêmes droits que les citoyens du canton; or la loi genevoise ne porte pas atteinte à ce principe, car elle ne fait aucune distinction entre Genevois et Confédérés.
    d) L'art. 43 dernier alinéa ne soumet à la sanction du Conseil fédéral que les dispositions des lois cantonales concernant le droit de vote en matière communale des Suisses établis et le but de cette sanction est de maintenir l'égalité entre les Suisses établis et les citoyens du canton; cette égalité existant d'après la loi genevoise, c'est à tort que le Conseil fédéral a refusé sa sanction à l'art. 2 -- d'autant que le principe que consacre le dit art. figurait déjà dans une loi constitutionnelle du 26 février 1873 qui avait reçu la sanction fédérale le 24 juillet 1873.
    e) Enfin la jurisprudence du Conseil fédéral invoquée par les recourants a pour unique portée d'empêcher que des électeurs votent dans deux communes; la loi genevoise qui dispose que nul ne peut être électeur dans plus d'une commune satisfait donc aux desiderata de cette jurisprudence.
 
Erwägung 3
D'autre part le refus de la sanction du Conseil fédéral ne préjuge en rien le sort du recours. L'instance de recours -- soit, depuis l'entrée en vigueur de l'OJF revisée, le Tribunal fédéral -- n'est nullement liée par la décision du Conseil fédéral accordant ou refusant la sanction; dans l'examen de la constitutionnalité de la loi, sa liberté d'appréciation reste intacte (v. Burckhardt, Commentaire, p. 407). II n'est dès lors pas nécessaire de rechercher si la loi genevoise devait ou ne devait pas être soumise à la sanction du Conseil fédéral. De même le fait qu'une loi antérieure renfermant déjà le principe posé par l'art. 2 lettre e de la loi actuelle aurait reçu la sanction fédérale est indifférent; d'ailleurs il y a lieu d'observer que cette sanction a été accordée en 1873, soit avant l'entrée en vigueur de la Constitution fédérale actuelle, et qu'on ne peut donc en tirer aucun argument en faveur de la thèse soutenue par le Conseil d'Etat.
Enfin on ne peut pas non plus attacher de valeur à l'argument tiré de ce que le principe constitutionnel d'après lequel un électeur ne peut exercer son droit de vote dans plusieurs endroits à la fois est respecté par la loi genevoise. Les recourants ne prétendent pas qu'elle viole ce principe, mais ils soutiennent que ce n'est pas le seul qu'institue l'art. 43 Constitution fédérale, que la Constitution exige en outre le vote au domicile et que c'est ce principe-là auquel la loi genevoise porte atteinte. Si tel est vraiment le cas, il est bien évident que le respect de l'un des principes consacrés par l'art. 43 ne saurait couvrir l'inconstitutionnalité résultant de la violation de l'autre principe institué par le même article.
 
Erwägung 4
A ne considérer que le texte de l'art. 43 il peut paraître à première vue douteux qu'il ait une portée aussi étendue. L'alinéa 2 institue le vote au domicile, mais seulement pour les élections et votations fédérales. Quant au droit de vote en matière cantonale et communale, les alinéas 4 et 5 ne le règlent expressément qu'à l'égard du "Suisse établi" -- en ce sens que (sous réserve des affaires purement bourgeoisiales et moyennant un établissement de trois mois) ils assimilent, quant au droit de vote, le Suisse établi aux citoyens du canton et aux bourgeois de la commune et lui confèrent le droit de vote à son domicile.
Enfin l'alinéa 6 ne soumet à la sanction du Conseil fédéral que les lois relatives aux droits électoraux des "citoyens établis".
On serait des lors tenté d'interpréter l'art. 43 de la manière suivante:
a) En matière fédérale, le citoyen suisse -- qu'il soit établi dans son canton d'origine ou dans un autre canton -- vote au lieu de son domicile.
b) En matière cantonale et communale, l'art. 43 ne se rapporte pas au droit de vote des ressortissants du canton, lequel est réglé librement par la législation cantonale. La Constitution fédérale ne vise que le droit de vote des Suisses établis dans un autre canton que celui dont ils sont ressortissants: elle leur assure, d'une part, la faculté de voter au lieu de leur domicile, et d'autre part, la jouissance de droits de vote égaux à ceux des citoyens du canton.
Cette interprétation conduirait ainsi à attribuer à l'art. 43 une portée uniquement intercantonale et non intracantonale. Elle n'est en contradiction ni avec le texte de l'article (v. Affolter, Grundzüge, p. 109), ni avec les documents des travaux préparatoires de la Constitution (v. Burckhardt, Commentaire, p. 399-400) et l'on peut invoquer en sa faveur un argument de principe tiré du fait que, à moins d'exceptions expresses instituées par le droit fédéral, le droit électoral cantonal et communal est soumis à la souveraineté cantonale.
Cependant c'est l'interprétation opposée qui de tout temps a été adoptée de la façon la plus catégorique par les autorités fédérales, soit par le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale. Déjà dans son Message du 2 octobre 1874 (F. féd. 1874 III p. 34 et sv.) le Conseil fédéral a posé en principe que l'art. 43 institue le vote au domicile pour tous les citoyens et pour toutes les votations. Dans son arrêté du 4 février 1876 sur un recours Nessi (v. Salis, III no 1160), il a de nouveau déclaré que la disposition de l'art. 43 "doit être comprise en ce sens que tous les citoyens suisses sans exception, qu'ils soient ressortissants du canton ou d'un autre canton, ont le droit de voter au lieu de leur domicile." Cet arrêté a été confirmé par l'Assemblée fédérale. A l'occasion d'un autre recours Nessi (Salis, III no 1161), relatif également à une élection cantonale et au droit de vote des citoyens du canton, il a précisé que, d'après l'art. 43, un citoyen ne peut exercer ses droits politiques qu'en un seul endroit, c'est-dire seulement au lieu de son domicile. Le 14 septembre 1887 (Salis, III no 1164) il a déclaré que l'art. 43 ne permettait pas que les électeurs tessinois domiciliés dans une commune autre que leur commune d'origine pussent voter dans cette dernière. Le 18 juin 1891 (F. fd. 1891 III p. 931) il a exposé, à l'appui de la même manière de voir, que l'expression de "Suisses établis" qu'emploie l'art. 43 "comprend non seulement les Suisses d'autres cantons, mais encore ceux qui ont le droit de bourgeoisie dans le canton d'établissement lui-même." Enfin c'est en application du même principe que par arrêtés du 15 mars 1909 et du 19 avril 1910 (F. féd. 1910 II p. 595) il a refusé sa sanction aux lois valaisanne et genevoise qui permettent, la première, le vote au lieu d'origine, et la deuxième, le vote dans une commune dans laquelle l'électeur est propriétaire ou exerce sa profession.
Cette jurisprudence a réuni l'adhésion de la doctrine unanime (v. Blumer-Morel, 3e éd. I p. 396; Burckhardt, p. 400-401; Bertheau, Niederlassungsfreiheit, p. 222; Bloch, Zeitschrift f. schw. Recht, 1904, p. 408; Schollenberg, Bundesverfassung, p. 333-334; Grundriss, p. 79-80).
 
Erwägung 5
5. Le Tribunal fédéral doit à son tour s'y rallier. Sans doute on doit reconnaître qu'elle procède d'une interprétation très large de l'art. 43, cet article ne mentionnant le vote au domicile en matière cantonale et communale qu'à propos des "Suisses établis" et cette expression signifiant évidemment "les Suisses établis dans un canton autre que leur canton d'origine." Cependant il ne convient pas d'attacher une importance absolument décisive à cet argument de texte, la rédaction de l'art. 43 étant fort peu claire et pouvant prêter à diverses interprétations. Même au point de vue strictement grammatical, il est possible d'englober les citoyens du canton dans la catégorie des électeurs pour lesquels l'art. 43 institue le vote au domicile: en effet, après avoir disposé que "le Suisse établi jouit, au lieu de son domicile, de tous les droits des citoyens du canton", l'art. 43 ajoute "et, avec ceux-ci, de tous les droits des bourgeois de la commune" ; sans faire violence au texte on peut l'entendre en ce sens que la jouissance des droits des bourgeois de la commune que l'art. 43 accorde aux Suisses établis il l'accorde également ("et avec ceux-ci") aux citoyens du canton et qu'il l'accorde pour ces deux catégories de citoyens au même endroit, c'est-à-dire au lieu du domicile; en d'autres termes, du moment que, en matière cantonale et communale, l'art. 43 institue le vote au domicile pour les Suisses établis et que, par la mention: "et avec ceux-ci", il leur assimile les citoyens du canton, on peut en déduire que le principe du vote au domicile vaut également pour ces derniers.
Mais surtout -- et quelles que soient les difficultés de texte auxquelles elle puisse se heurter -- il existe d'impérieux motifs de fond pour se rallier à la manière de voir du Conseil fédéral. Tout d'abord elle est la seule qui soit compatible avec le souci d'égalité qui a inspiré l'art. 43. Cette disposition constitutionnelle a eu pour but de réaliser la plus complète égalité de droits électoraux entre les Suisses établis et les citoyens du canton (sous les seules réserves du vote en matière de droits purement bourgeoisiaux et du délai de trois mois prévu par l'al. 5 seulement pour les Suisses établis). Or cette égalité serait compromise si le principe du vote au domicile ne s'appliquait qu'aux Suisses établis. Le Conseil d'Etat fait observer que la loi genevoise réglemente d'une manière uniforme le droit de vote des Genevois et des Confédérés et qu'il n'existe donc en l'espèce aucune différence de traitement entre ces deux catégories d'électeurs. Mais si, en fait, cette inégalité n'existe pas d'après la loi genevoise, il n'en reste pas moins qu'elle est théoriquement possible. Et d'ailleurs la loi genevoise ne réalise l'égalité entre Genevois et confédérés qu'au prix d'une violation de la constitution, c'est-à-dire en permettant le vote en dehors du domicile pour toutes les catégories d'électeurs et pour toutes les votations, alors que la Constitution impose le vote au domicile dans tous les cas pour les votations fédérales (qu'il s'agisse de Suisses établis ou de citoyens du canton) et, en matière cantonale et communale, pour les Suisses établis.
A un point de vue plus général encore, celui de l'égalité au sens de l'art. 4 Constitution fédérale, l'art. 2 de la loi genevoise crée une inégalité de traitement inadmissible, en faisant dépendre l'exercice du droit de vote d'une faculté d'option qui, de par la nature même des choses, ne peut appartenir à tous les citoyens, alors que le droit de vote doit être régi per des critères objectifs semblables pour tous.
En outre le principe du vote obligatoire au domicile est le seul qui sauvegarde l'ordre, la clarté et la sûreté qui doivent régner dans tout système électoral. Dans les relations intercantonales, l'existence d'un double lieu de vote et la possibilité de voter ailleurs qu'au domicile, constituent déjà un élément d'incertitude et de trouble et sont de nature à favoriser des atteintes au principe d'après lequel il est interdit de voter dans plus d'un canton. Avec la faculté que laisse l'art. 2 lettre e de la loi genevoise, il est certainement à redouter qu'un Genevois domicilié hors du canton mais propriétaire dans le canton (ou y exerçant sa profession) vote à la fois dans le canton de son domicile et dans le canton de Genève. Mais c'est surtout en matière intracantonale que les conséquences fâcheuses de la possibilité de voter ailleurs qu'au domicile sont à craindre: sans doute la loi genevoise ne permet pas à l'électeur d'exercer son droit de vote à la fois dans plusieurs communes du canton; mais du moins, pour peu qu'il soit propriétaire ou qu'il exerce sa profession dans plus d'une commune, il peut chaque année changer de lieu de vote selon ses goûts ou ses vues politiques. Des citoyens peuvent également s'entendre pour influencer une votation communale en se procurant des propriétés sur le territoire de la commune. D'une façon générale les électeurs peuvent profiter des circonstances de propriété ou de profession dont l'art. 2 lettre e fait dépendre le lieu de vote pour exercer une influence anormale et abusive sur les votations d'une commune où ils ne sont pas domiciliés et où ils n'ont pas leurs intérêts politiques et administratifs. Il en résulte forcément une incertitude et une instabilité qui n'existent qu'à un degré infiniment moindre avec le système de vote au domicile.
Enfin il est essentiel de remarquer que ce système du vote exclusif au domicile a été adopté par tous les cantons suisses sauf trois (au nombre de ceux qui ne le pratiquent pas on ne doit pas compter le canton du Tessin qui, en accordant le droit de vote aux Tessinois domiciliés à l'étranger, ne déroge pas au principe fédéral du vote au domicile, celui-ci ne trouvant son application qu'à l'intérieur de la Suisse: v. Burckhardt, p. 397-399). Ces cantons sont ceux de Genève, de Berne qui, par une loi du 28 août 1861, donne le droit de vote en matière communale aux personnes demeurant hors de la commune, mais y payant des impôts, et du Valais qui, par la loi du 23 mai 1908, permet aux électeurs valaisans de voter dans leur commune d'origine même s'il n'y sont pas domiciliés. Encore doit-on observer que la loi bernoise fait actuellement l'objet d'un recours auprès des autorités cantonales, que le Conseil fédéral a refusé sa sanction aux lois genevoise et valaisanne et que cette dernière vient d'être l'objet, sur le point en question, d'une révision votée par le Grand Conseil et actuellement soumise au vote populaire. On peut donc dire qu'actuellement le principe du vote exclusif au domicile constitue le droit commun de toute la Suisse. C'est là une raison de plus pour se ranger à l'interprétation qui voit dans l'article 43 la consécration de ce principe.
En résumé, le vote au domicile comme principe exclusif et obligatoire, s'il n'est pas formulé d'une façon indubitable dans l'art. 43, est du moins dans l'esprit de la Constitution. Il est le seul à satisfaire aux conditions d'égalité, d'ordre et de sûreté que doit réaliser un système électoral. Il est appliqué par la très grande généralité des législations cantonales; la loi genevoise elle-même n'y apporte que des dérogations en somme peu importantes. Malgré les doutes que l'on peut avoir au sujet de l'exactitude grammaticale de l'interprétation donnée par le Conseil fédéral à l'art. 43, le Tribunal fédéral n'a pas de motif suffisant pour renverser une jurisprudence qui est restée constante depuis l'entrée en vigueur de la Constitution fédérale et qui appuyée du consentement presque unanime des cantons, est arrivée à réaliser une harmonie certainement favorable à l'exercice normal des droits politiques des citoyens. La disposition de l'art. 2 litt. e apparaissant ainsi comme incompatible avec ce principe constitutionnel, il y a lieu de déclarer le recours bien fondé en tant qu'il a trait à l'inscription des citoyens Bastian et Declinand opérée sur les registres électoraux die Chêne-Bourg en vertu de cette disposition inconstitutionnelle.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédérale prononce :
Le recours est admis et la décision du Conseil d'Etat de Genève du 11 juin 1912 est annulée en ce qui concerne l'inscription des citoyens Bastian et Déclinand sur les registres électoraux de Chêne-Bourg.