BGE 82 I 217 |
32. Arrêt du 21 novembre 1956 dans la cause Gailloud contre Cour de cassation pénale du canton de Vaud. |
Regeste |
1. Richterliches Prufungsrecht: Der kantonale Richter ist verpflichtet zur Prüfung der Rüge, dass das anzuwendende kantonale Recht gegen das Bundesverfassungsrecht verstosse. |
Sachverhalt |
Dans sa séance du 14 mai 1954, la Municipalité, se fondant sur cette disposition, a décidé d'interdire notamment la gravure au diamant et les croix en plusieurs parties. Elle en a informé les marbriers exerçant leur métier dans les cimetières de Lausanne.
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B.- Le marbrier André Gailloud possède un atelier de fabrication de monuments funéraires, à Renens, près de Lausanne. Le 8 mai 1956, il a été condamné par le délégué de la Municipalité de Lausanne à une amende de cinquante francs pour avoir posé au cimetière du Boisde-Vaux trois monuments gravés au diamant et une croix en trois parties. Il a recouru à la Cour de cassation du Tribunal cantonal vaudois, qui, dans un arrêt du 11 septembre 1956, l'a libéré du chef de contravention à l'interdiction de la gravure au diamant, a retenu en revanche l'existence d'une infraction en ce qui concerne la pose de la croix et a réduit l'amende à 30 fr. Elle a admis que la croix litigieuse était faite en trois parties, ce qui suffisait à constituer la contravention retenue à la charge de Gailloud. En revanche, elle n'a pas voulu examiner si, comme le soutenait le recourant, l'interdiction de poser des croix en plusieurs parties était inconstitutionnelle. Elle a considéré qu'en l'absence de tout arrêt du Tribunal fédéral à ce sujet, elle n'avait pas la compétence de trancher cette question.
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C.- Agissant par la voie du recours de droit public, André Gailloud requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de cassation et le prononcé du délégué de la Municipalité. Il se plaint d'une violation des art. 4 et 31 Cst. Ses moyens seront repris pour autant que de besoin dans les considérants ci-après.
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La Cour de cassation se réfère à son arrêt et le Ministère public au préavis qu'il a déposé devant l'autorité cantonale et dans lequel il concluait à ce que Gailloud fût libéré de toute peine.
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Considérant en droit: |
2. Le recourant soutient que l'interdiction de poser dans les cimetières de Lausanne des croix en plusieurs parties est contraire aux art. 4 et 31 Cst. Le Ministère public y voit pour sa part une violation de l'art. 53 al. 2 Cst. Toutefois le recourant n'invoque pas cette dernière disposition; avec raison d'ailleurs, car si la décision attaquée n'était pas conforme à ce texte, c'est devant le Conseil fédéral qu'elle aurait dû être attaquée, conformément à l'art. 125 litt. a, ch. 4 OJ, et non devant le Tribunal fédéral. Il ne reste donc à examiner que la violation des art. 4 et 31 Cst.
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Cela étant, la question se pose de savoir si le recourant est en droit de se prévaloir de l'art. 31 Cst. ou si la liberté du commerce et de l'industrie ne doit pas plutôt être exclue puisqu'il s'agit d'un domaine relevant d'un service public. Il est vrai que, dans la commune de Lausanne, la fabrication et la pose des monuments funéraires paraissent être exclues du service public et laissées à l'initiative privée. S'il en était bien ainsi, les particuliers seraient en droit de se mettre en cette matière au bénéfice de l'art. 31 Cst. (RO 80 I 125/126). Toutefois, cette question peut demeurer indécise en l'espèce. En effet, le Tribunal fédéral a déjà jugé que, dans sa réglementation sur l'usage des cimetières, l'autorité peut prendre des mesures propres non seulement à sauvegarder l'ordre et la salubrité publics mais également à assurer au champ du repos une apparence digne et harmonieuse; particulièrement en ce qui concerne l'aménagement des tombes, elle peut tenir compte de considérations esthétiques et s'opposer à toute atteinte au sentiment et au goût, pouvant blesser les personnes en deuil se rendant au cimetière pour y honorer leurs morts (RO 80 I 126). A cet égard, elle n'est limitée que par les principes découlant de l'art. 4 Cst. Or, même si l'on se place sur ce terrain plus étroit et non sur celui de l'art. 31 Cst., il faut reconnaître que l'interdiction de poser dans les cimetières de la commune de Lausanne des croix faites en plusieurs parties est insoutenable parce qu'elle est dépourvue de base objective et sérieuse.
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En effet, la Municipalité a décrété l'interdiction litigieuse afin de sauvegarder l'esthétique des cimetières et en se fondant sur l'art. 130 du règlement de police qui lui confère à ce sujet les pouvoirs nécessaires. Elle expose qu'à la longue les croix construites en plusieurs parties - dont une pour les bras - peuvent se disloquer et nuire alors à l'aspect du cimetière. Ainsi, elle ne considère pas qu'une croix en plusieurs parties est inesthétique de ce seul fait et même quand elle est neuve. Elle a évidemment raison, car on ne voit pas sur quel motif valable elle pourrait alors fonder son opinion, d'autant moins du reste que, selon les explications du recourant qu'elle ne critique pas, la technique moderne permet de faire des croix en plusieurs parties sans que cela se voie. La Municipalité entend donc protéger l'esthétique du cimetière uniquement contre le risque que les croix ainsi fabriquées ne se démolissent avec le temps sous l'effet des conditions atmosphériques. Il est vrai que, pendant l'inspection locale, le représentant de la Municipalité n'a pas été en mesure de montrer à la délégation du Tribunal fédéral une seule croix en plusieurs parties qui se fût disloquée. Toutefois, ce fait n'est pas décisif, car la construction des croix en plusieurs parties paraît être une innovation récente, de telle sorte que les croix de ce genre qui auraient pu être posées ne pourraient pas encore avoir subi les atteintes du temps. Cependant, les risques de dislocation sont à peu près les mêmes pour les croix en plusieurs parties que pour les autres monuments, les stèles par exemple, qui sont faits de manière semblable. Or, à cet égard, l'inspection locale a montré que la dislocation des différentes parties d'un monument de pierre se produit rarement et ne survient qu'après un temps assez long. Etant donné cette double constatation de fait, on peut tout au plus reconnaître à la Municipalité le droit de prendre les mesures nécessaires pour que le monument dégradé soit réparé ou enlevé. Cela suffirait amplement à faire disparaître l'éventuelle atteinte à l'esthétique, atteinte d'autant moins sensible d'ailleurs que les monuments disloqués ne se trouvent en général pas parmi des tombes neuves et en bon état mais dans des parties du cimetière où toutes les tombes sont déjà relativement anciennes et ont déjà plus ou moins subi les injures du temps.
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Du moment que les mesures rappelées ci-dessus suffiraient, la Municipalité ne peut aller au-delà et décréter, à titre préventif, l'interdiction absolue qu'elle a édictée. Pareille interdiction est nettement excessive et se trouve en disproportion flagrante avec le danger relativement minime qu'elle vise à prévenir. Au surplus, le risque de dislocation affecte tous les monuments, de sorte qu'il est contraire au principe d'égalité de prononcer une interdiction à l'égard des croix seulement, tandis que les stèles en plusieurs parties continuent à être admises.
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Ainsi, en interdisant aux marbriers de poser dans les cimetières de Lausanne des croix faites en plusieurs parties, la Municipalité a violé l'art. 4 Cst. Si sa décision à cet égard ne peut être annulée comme telle puisque le délai pour l'attaquer par la voie du recours de droit public est expiré depuis longtemps, elle ne saurait en revanche constituer la base de la condamnation infligée au recourant. Dès lors, cette condamnation, fondée sur la seule contravention à l'interdiction de poser des croix en plusieurs parties, doit être annulée, sans qu'il y ait lieu de rechercher si elle devrait l'être pour d'autres motifs encore, notamment parce que le droit du recourant d'être entendu aurait été violé.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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