BGE 84 I 83 |
13. Arrêt de la Ire Cour civile du 4 février 1958 dans la cause "Air-Genève", Borgeaud & Cie, contre Aéro-Club de Suisse, section de Genève. |
Regeste |
1. In Handelsregistersachen bestimmt sich die Sachlegitimation nach dem Bundesrecht (Erw. 1). |
Sachverhalt |
Le 15 mai 1956, l'Aéro-Club de Suisse, section de Genève (ci-après: l'Aéro-Club), avait informé le préposé au registre du commerce qu'il s'opposait à l'inscription d'une raison comportant l'expression "Air-Genève". L'usage de cette "enseigne" ou "étiquette", disait-il, prêterait à confusion et induirait le public à penser qu'il s'agissait d'une entreprise officielle; en outre il serait préjudiciable à l'Aéro-Club, "qui détient à Genève le pouvoir sportif en matière aéronautique".
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Le 21 février 1957, le préposé au registre du commerce informa l'Aéro-Club qu'il ne voyait guère en vertu de quelle disposition légale il pourrait refuser d'office la désignation "Air-Genève". Il lui demanda cependant de lui faire savoir dans les cinq jours s'il entendait former une opposition de droit privé, ajoutant que, dans ce cas, il lui impartirait, conformément à l'art. 32 al. 2 ORC, un délai pour obtenir du juge une ordonnance provisionnelle.
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B.- L'Aéro-Club ne répondit rien au Bureau du registre du commerce. Mais, par lettre du 26 février 1957, il s'adressa directement à l'autorité de surveillance, c'est-à-dire au Département cantonal du commerce et de l'industrie. Il exposait qu'il maintenait son opposition et alléguait notamment que l'expression "Air-Genève" induirait le public en erreur et devait être réservée à une entreprise officielle ou semi-officielle.
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Cet écrit fut considéré comme un recours.
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Par décision du 29 mars 1957, le Département du commerce et de l'industrie, considérant que les termes "Air-Genève" évoquaient l'idée d'une institution officielle ou quasi officielle, prit la décision suivante:
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"1. Les mots 'Air-Genève' ne peuvent pas figurer dans la raison 'Air-Genève', Borgeaud et Cie ... La réquisition déposée le 20 février 1957 est partiellement rejetée dans ce sens.
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2. Les effets de la communication du 21 février 1957, par laquelle le Registre du commerce a invité l'Aéro-Club à faire savoir dans les cinq jours s'il entendait former une opposition de droit privé ... sont suspendus jusqu'à droit définitivement jugé dans la présente procédure de droit administratif."
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C.- "Air-Genève", Borgeaud & Cie, forme un recours de droit administratif au Tribunal fédéral, en concluant à ce que celui-ci annule la décision du Département cantonal et dise que les mots "Air-Genève" peuvent figurer dans la raison à inscrire au registre du commerce.
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L'Aéro-Club propose le rejet du recours, de même que le Département genevois du commerce et de l'industrie et le Département fédéral de justice et police.
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Considérant en droit: |
1. La recourante nie en premier lieu la "validité de l'opposition de l'Aéro-Club", en soutenant qu'il n'avait pas vocation pour porter plainte devant l'autorité de surveillance contre la décision prise le 21 février 1957 par le préposé au registre du commerce.
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En la forme, l'Aéro-Club a qualité pour défendre devant le Tribunal fédéral, puisqu'il a été admis à agir comme partie dans l'instance cantonale (cf. art. 103 al. 1 OJ; RO 60 I 33 consid. 1, 81 I 397 consid. 1). Mais, ce que la recourante conteste, c'est qu'il ait, quant au fond, qualité pour s'opposer à l'inscription de la raison sociale qu'elle a choisie. Ce moyen ne peut être soumis au Tribunal fédéral que si, en matière de registre du commerce, la qualité pour agir quant au fond ressortit au droit fédéral.
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Cette condition est remplie. Le registre du commerce, en effet, est soumis essentiellement à la législation fédérale. Les cantons ne peuvent régler que le statut de leurs fonctionnaires affectés à la tenue et à la surveillance du registre du commerce, ainsi que certaines question d'organisation qui leur sont réservées (cf. art. 927 CO). Dès lors, la qualité pour agir relève du droit fédéral. Il en est ainsi, en particulier, de la qualité des tiers pour former opposition à une inscription, ainsi que le Tribunal fédéral l'a déjà jugé implicitement (RO 60 I 33 consid. 2, 81 I 397 consid. 1; cf. également RO 62 I 167, 75 I 382 consid. 1).
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Mais il se peut également que des tiers fondent leur opposition sur l'intérêt public que le registre du commerce est destiné à protéger et dont le préposé doit tenir compte d'office. Dans ce cas, cependant, ils n'ont pas, en principe, qualité de parties. En effet, l'opposition n'est pas une action populaire ouverte à chaque citoyen dans l'intérêt général. Le soin d'assurer le bien public et de faire respecter les principes du droit public objectif incombe aux autorités compétentes et non au particulier. Il leur est certes loisible d'examiner les atteintes à l'intérêt public que leur signalent des citoyens, mais elles n'en ont pas l'obligation parce que le particulier aurait le droit de les mettre en oeuvre. Si donc, contrairement à l'avis du dénonciateur, l'autorité considère que l'intérêt général n'a point été atteint et si elle en informe le particulier en rejetant sa requête, celui-ci n'a pas, en principe, qualité pour recourir contre cette décision (RO 60 I 33, 62 I 167, 73 II 181). Il n'en est autrement que dans les cas où le contraire est prévu par la loi ou en découle nécessairement. C'est ainsi que l'art. 57 al. 2 ORC permet aux tiers de requérir l'inscription d'une personne ou d'une société tenue de figurer dans le registre du commerce et la jurisprudence en déduit, à juste titre, qu'ils ont alors qualité pour recourir contre la décision de l'autorité administrative (cf. STAMPA, Sammlung von Entscheiden in Handelsregistersachen, no 5; HIS, Commentaire du CO, ad art. 932 rem. 88).
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On ne se trouve pas dans un tel cas lorsqu'il s'agit de savoir si une raison de commerce satisfait aux conditions des art. 944 et suiv. CO et 38 et suiv. ORC. Certes, l'art. 32 al. 1 ORC dispose que, si des tiers forment opposition à une inscription déjà opérée, le préposé les renvoie au juge, à moins qu'ils n'invoquent des dispositions que les autorités du registre du commerce doivent appliquer d'office. Mais ces derniers termes signifient simplement que, rendu attentif à des prescriptions impératives tendantes à la protection de l'intérêt public, le préposé vérifie d'office si elles ont été observées lors de l'inscription critiquée. Il s'agit donc d'une règle analogue à l'art. 940 al. 1 CO, qui prescrit au préposé de contrôler d'office si les conditions légales requises pour l'inscription sont remplies. Dès lors, les opposants. n'ont pas vocation pour recourir contre la décision du préposé. Il en est de même, à plus forte raison, lorsque l'opposition est dirigée contre une inscription non encore opérée. Dans ce cas, en effet, l'art. 32 al. 2 ORC défère au juge la solution du litige, ajoutant que le préposé ne peut de toute façon procéder à l'inscription que si les autres conditions requises sont remplies. Cette disposition renvoie donc simplement à l'art. 940 al. 1 CO dans la mesure où il s'agit du respect de prescriptions qui sont inspirées par le souci de l'intérêt public. Dès lors, lorsqu'un tiers prétend qu'une raison de commerce, déjà ou non encore inscrite, n'est pas conforme aux art. 944 et suiv. CO ou 38 et suiv. ORC, il n'est point recevable à recourir contre la décision par laquelle le préposé ordonne ou maintient l'inscription. En revanche, il a le droit d'attaquer devant le juge une inscription indue par laquelle il est lésé (art. 956 al. 2 CO; RO 73 II 181) et, tant qu'elle n'est pas encore opérée, il peut l'empêcher, conformément à l'art. 32 al. 2 ORC, en formant une opposition de droit privé et en obtenant du juge une ordonnance provisionnelle dans le délai qui lui aura été imparti à cet effet par le préposé.
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Si, en revanche, l'opposition de l'Aéro-Club tendait à protéger ses droits le préposé devait, en vertu de l'art. 32 al. 2 ORC, lui impartir un délai suffisant pour obtenir du juge une ordonnance provisionnelle. Toutefois, comme les déclarations de l'opposant n'étaient pas très claires sur ce point, c'est avec raison que le préposé l'a invité à préciser s'il entendait former une opposition de droit privé. Les effets de cette communication ayant été valablement suspendus par l'autorité cantonale, l'Aéro-Club devra maintenant indiquer s'il entend former une opposition selon l'art. 32 al. 2 ORC et, dans l'affirmative, il incombera au préposé de lui impartir, conformément à cette disposition légale, un délai pour obtenir une ordonnance provisionnelle du juge.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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