BGE 85 I 273
 
44. Arrêt du 18 novembre 1959 dans la cause Meuwly SA contre Commission fribourgeoise de recours en matière d'impôts.
 
Regeste
Art. 4 BV; formelle Rechtsverweigerung.
 
Sachverhalt
Le 16 novembre 1954, la société Meuwly SA, bureau d'affaires à Fribourg, saisit la Commission fribourgeoise de recours en matière d'impôt en reprochant à l'autorité de taxation d'avoir imposé d'une manière excessive un bénéfice réalisé sur la vente d'un immeuble. L'organisation de cette commission est réglée par la loi fribourgeoise du 11 mai 1950 sur les impôts cantonaux, dont l'art. 68 prévoit notamment:
"La commission ... est composée de cinq membres et de deux suppléants nommés pour quatre ans par le Conseil d'Etat. Celui-ci désigne le président.
Le Directeur des Finances assiste aux séances avec voix consultative.
La Direction des Finances organise le secrétariat de la commission et désigne le fonctionnaire chargé de rapporter pour l'administration fiscale."
La Commission rejeta le recours le 23 avril 1959, en précisant qu'elle avait pris sa décision "en l'absence de MM. J. Bourgknecht, L. Dupraz et A. Sallin, qui se sont récusés".
Agissant par la voie du recours de droit public, la société Meuwly SA requiert le Tribunal fédéral d'annuler ce prononcé. Elle invoque l'art. 4 Cst. et fait notamment grief à l'autorité cantonale de ne pas avoir siégé dans la composition prévue par la loi et d'avoir pris sur le fond une décision arbitraire.
La Commission fribourgeoise conclut au rejet du recours.
 
Considérant en droit:
L'art. 68 de la loi sur les impôts cantonaux, selon lequel la Commission de recours "est composée de cinq membres et de deux suppléants nommés... par le Conseil d'Etat" signifie de toute évidence que ladite commission ne peut siéger valablement que lorsque cinq membres (dont éventuellement deux suppléants) sont présents. Il est de règle en effet qu'à défaut de disposition légale instituant un quorum, une autorité, composée d'un nombre déterminé de personnes, prenne ses décisions dans la composition prescrite par la loi. Ce principe est certainement valable en l'espèce. En effet si, dans l'idée du législateur, la Commission de recours avait pu se constituer régulièrement avec quatre, voire trois membres, il eût été inutile d'introduire l'institution des suppléants prévue par l'art. 68 LIC; de plus, la loi aurait dit expressément que la Commission peut siéger avec moins de cinq membres, comme elle l'a fait pour les commissions de district composées, d'après l'art. 47 LIC, "de cinq à onze membres", et dont cette dernière disposition précise qu'elles délibèrent "valablement lorsque la majorité des membres est présente".
Le silence de la loi sur ce point conduit à affirmer que la Commission de recours doit siéger dans sa composition légale de cinq membres. Tel n'a pas été le cas en l'occurrence puisque quatre commissaires seulement - et l'autorité cantonale l'admet - ont participé à la décision. La Commission fribourgeoise a donc violé le texte clair de l'art. 68 LIC. Or, d'après une jurisprudence déjà ancienne, les parties ont un droit à être jugées par des autorités régulièrement composées, et la violation de ce droit constitue un déni de justice (RO 48 I 254 s.; 32 I 37).
L'autorité cantonale ne saurait objecter que l'usage l'autorise à siéger dans une composition restreinte, de trois membres par exemple. En l'absence de toute règle prévoyant un quorum, cet usage pourrait conduire aux plus graves abus et permettre de considérer comme valable une décision de la Commission qui aurait été prise par deux membres, ou même un seul, ce qui serait évidemment contraire aux garanties que l'art. 68 LIC a voulu donner au contribuable en instituant une commission de cinq membres. L'intimée n'est pas fondée non plus à soutenir qu'elle n'est qu'une autorité purement administrative. Si l'administration peut exercer une certaine influence en son sein par l'organe du directeur des finances qui assiste aux séances avec voix consultative et par l'intermédiaire du fonctionnaire chargé de rapporter pour le fisc, il n'en demeure pas moins qu'elle est composée de personnes choisies hors de l'administration, qu'elle est indépendante de cette dernière et qu'elle constitue en fait une autorité juridictionnelle. Sans doute, certaines difficultés peuvent surgir quand plus de deux membres de la Commission se récusent. Toutefois, la Commission de recours ne prétend pas qu'il a été impossible en l'espèce de remplacer les commissaires récusés. Supposé d'ailleurs que tel ait été le cas, cela ne l'aurait point autorisée à violer d'une manière aussi manifeste le texte clair de l'art. 68 LIC. C'est au législateur fribourgeois qu'il appartient de prendre les mesures nécessaires.
Vu ce qui précède, le recours doit être admis et la décision attaquée annulée sans qu'il faille rechercher encore si elle devrait l'être aussi pour des raisons de fond.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours et annule la décision attaquée.