8. Arrêt du 1er février 1961 dans la cause Aeberhard contre Broquet et Cour des poursuites et faillites du Tribunal Cantonal Vaudois.
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Regeste
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Art. 80 und 81 SchKG. Verhältnis dieser Bestimmungen zu Art. 61 BV (Erw. 1).
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- Gültigkeit einer Gerichtsstandsklausel? (Erw. 3).
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Sachverhalt
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A.- Le 7 août 1956, Fritz Aeberhard, commerçant établi à Berne, a vendu à Hubert Broquet, tenancier d'un bazar à Coppet, deux distributeurs automatiques de marchandises au prix de 5580 fr. Le contrat de vente, daté de Coppet, comprend 9 alinéas s'étendant sur une page et demie de texte. Les deux derniers alinéas, figurant au verso de la page et suivis immédiatement des signatures, contiennent les clauses suivantes:
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"8. Pour toutes contestations qui pourraient se présenter en vertu du présent contrat, Berne est reconnu comme for de juridiction.
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9. Ce contrat d'achat est établi en trois exemplaires. L'ache. teur confirme en avoir reçu un."
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L'exécution de ce contrat donna lieu à plusieurs discussions; des poursuites et des procédures de mainlevée furent engagées devant les autorités vaudoises. Finalement, Aeberhard ouvrit action devant le juge de Berne, en paiement d'un solde de 346 fr. Le 10 mai 1960, eut lieu devant le président du Tribunal III de Berne une séance à laquelle Broquet ne comparut pas. Se fondant sur la prorogation de for contractuelle, le président condamna Broquet à verser à Aeberhard un montant de 346 fr. avec intérêt à 5% l'an dès le 1er mars 1959, plus les frais de la procédure s'élevant à 113 fr. 65. Aeberhard ouvrit poursuite en paiement de ces montants; Broquet fit opposition, en prétendant que la prorogation de for était nulle en vertu de l'art. 11 de la loi fédérale du 4 octobre 1930 sur les voyageurs de commerce (LVC). Le juge de paix de Coppet prononça la mainlevée définitive de l'opposition pour le motif que Broquet aurait dû faire valoir l'exception d'incompétence devant le juge bernois.
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Sur recours de Broquet, la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois a annulé cette décision et maintenu l'opposition totale faite à la poursuite. La Cour relève que le refus du juge de paix d'examiner l'exception avancée par Broquet est contraire à l'art. 81 al. 2 LP. Cependant, l'art. 11 LVC n'est pas applicable en l'espèce, car la transaction en question n'est pas une vente au détail, puisque Broquet l'a conclue en tant que commerçant pour l'usage de son bazar. En revanche, la Cour cantonale estime que les exigences posées par la jurisprudence pour l'application de l'art. 59 Cst. ne sont pas satisfaites, car la prorogation de for, insérée entre d'autres clauses du contrat, n'est mise en évidence ni par sa place, ni par des caractères typographiques différents, ni par un titre. Cette clause étant nulle, le juge bernois n'était pas compétent.
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B.- Aeberhard a déposé un recours de droit public au Tribunal fédéral, en concluant à l'annulation de la décision cantonale et au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition. Se fondant sur les art. 4, 59 et 61 Cst., le recourant estime que c'est à tort que la Cour cantonale a refusé d'admettre la validité de la prorogation de for.
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C.- Broquet conclut au rejet du recours pour les motifs retenus par le juge cantonal.
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D.- La Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal propose également le rejet du recours en se référant aux motifs de sa décision.
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Considérant en droit:
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Au cours des instances cantonales, Broquet a invoqué la nullité de la prorogation de for prévue dans le contrat du 7 août 1956, en se fondant uniquement sur l'art. 11 LVC. (Il a abandonné - avec raison - ce moyen de droit dans son mémoire au Tribunal fédéral.) Le recourant considère que la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal a fait preuve d'arbitraire et a violé l'art. 4 Cst. en examinant d'office l'application de l'art. 59 Cst. Cette manière de voir ne peut être admise. La compétence du juge bernois étant contestée, le juge devait l'examiner également sous l'angle de l'art. 59 Cst.; s'il avait prononcé la mainlevée sans tenir compte de cette disposition constitutionnelle, l'opposant aurait eu la possibilité de déposer un recours de droit public pour violation de l'art. 59 Cst., même s'il n'avait pas invoqué cet article au cours de la procédure cantonale. En effet, la jurisprudence (RO 83 I 20 consid. 2) a admis que le recourant peut faire valoir devant le Tribunal fédéral des faits et des moyens de droit nouveaux, lors de recours qui sont recevables sans que les instances cantonales aient été épuisées. Or tel est le cas en l'espèce, en vertu de l'art. 86 al. 2 OJ. On peut admettre, en outre, que par le seul fait qu'il a contesté la compétence du juge bernois et revendiqué son for naturel l'opposant a invoqué implicitement l'art. 59 Cst., même s'il ne l'a pas fait expressément.
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A plusieurs reprises, le Tribunal fédéral a déclaré des clauses de prorogation de for non valables, lorsque la partie qui renonçait, selon le contrat, à son juge naturel avait rendu vraisemblable que cet engagement, qu'elle avait effectivement signé, lui avait échappé, soit qu'elle ait été pressée par le temps ou par son co-contractant, soit que la clause ait été perdue au milieu d'un contrat comprenant de nombreux articles (RO 57 I 11, 52 I 268, 49 I 50). C'est ainsi que, dans le dernier arrêt cité, le Tribunal fédéral a relevé que la société qui avait prévu la prorogation de for dans son contrat, aurait dû mettre cette clause en évidence par des moyens appropriés ou en signaler l'existence au recourant lors de la conclusion du contrat. Cependant il ne s'agit évidemment pas là d'une règle de forme à laquelle serait liée la validité de la clause, mais d'un élément d'interprétation de la volonté des parties. La manière dont la clause était alors insérée dans le contrat a permis de considérer comme vraisemblable l'affirmation de la partie qui déclarait ne l'avoir pas remarquée. Dans le cas présent en revanche, Broquet n'a jamais prétendu, au cours de toute la procédure cantonale, qu'il n'avait pas eu connaissance de la prorogation de for; il ne le dit même pas expressément dans son mémoire au Tribunal fédéral. Il n'y a pas lieu d'admettre, dès lors, un vice de la volonté qu'il n'invoque même pas.
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Au reste, même s'il avait fait valoir ce moyen, on devrait constater que la présente espèce est différente de celles qui ont donné lieu aux arrêts cités: le contrat du 7 août 1956 ne contient que neuf articles, assez courts; la clause de prorogation formant à elle seule l'alinéa 8 se trouve sur la seconde page, séparée seulement des signatures par une courte phrase et par la date. En outre, le contrat portant sur une somme importante a été conclu par un commerçant qui doit avoir une certaine habitude des affaires. Il serait étonnant que ce commerçant achète deux distributeurs automatiques valant plus de 5000 fr. sans lire le texte relativement bref qui lui était soumis.
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Rien ne permettant d'admettre que le contrat signé par Broquet ne correspondait pas à sa volonté, on doit considérer que celui-ci a renoncé valablement à la garantie donnée par l'art. 59 Cst. et qu'il ne peut pas invoquer l'incompétence du juge bernois.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral
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Admet le recours, annule l'arrêt attaqué et lève définitivement l'opposition formée par le recourant au commandement de payer, poursuite no 37 471 de l'Office des poursuites de Nyon.
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