BGE 89 I 407
 
59. Arrêt du 17 septembre 1963 dans la cause Deutsche Lufthansa Aktiengesellschaft contre le Département du commerce, de l'industrie et du travail du canton de Genève.
 
Regeste
Handelsregister. Eintragung der schweizerischen Agentur einer deutschen Luftfahrtgesellschaft.
2. Begriff der Zweigniederlassung (Erw. 5).
3. Umstände, die den Schluss darauf gestatten, dass die einem Hauptunternehmen untergeordnete Betriebsstätte die für eine Zweigniederlassung erforderliche Selbständigkeit besitzt (Erw. 6 und 7).
 
Sachverhalt
A.- La Deutsche Lufthansa Aktiengesellschaft (ci-après: Lufthansa) a son siège à Cologne. Elle exploite à Zurich une succursale, qu'elle a fait inscrire au registre du commerce. Elle a obtenu une concession suisse pour le transport professionnel de personnes et de biens par des lignes de navigation aérienne régulières.
Cette société possède à Genève une "direction pour la Suisse romande". Elle utilise des locaux importants à la rue Chantepoulet 1-3 et à la rue du Cendrier 22; elle exploite en outre un service d'escale et un service de fret à l'aéroport de Cointrin; la liste des abonnés au téléphone donne les numéros d'appel respectifs. L'établissement est géré par Jörg Arni - désigné comme "Directeur Lufthansa", agent agréé ou représentant régional - qui dispose d'une douzaine d'employés. Le papier utilisé en affaires indique une adresse télégraphique, un numéro de téléphone et un téléscripteur à Genève, et signale l'existence d'un compte ouvert à la Société de banque suisse. Sur les vitrines, les portes ou les boîtes aux lettres est apposée notamment la désignation: "Lufthansa Direction Suisse romande". Le mouvement local à l'aéroport de Cointrin est assez élevé (11 782 passagers et 131 588 kg de fret en 1962).
L'établissement de Genève émet sous sa propre dénomination des titres de transport et s'occupe de la réservation. Il traite aussi des affaires importantes. Il est chargé des relations avec les autres compagnies aériennes et les agences de voyage. Son chef est plus ou moins lié par les instructions de la succursale de Francfort ou du siège principal, lequel contrôle son activité. La compt abilité est centralisée à Zurich, où les sommes encaissées sont transférées. Les baux et les affrètements d'avions sont conclus par le siège principal. L'engagement du personnel et l'organisation générale de la publicité sont assurés par la succursale de Francfort.
B.- David Hodara, Roger Boisrame, Georges Candilis et la société Promotex SA se prétendent créanciers de la Lufthansa et se proposent de l'actionner en justice. Sur leur demande, le préposé au registre du commerce a invité la compagnie à requérir l'inscription comme succursale de l'établissement de Genève, car les circonstances lui permettaient d'admettre que les conditions de l'assujettissement étaient remplies (art. 57 al. 1 et 2 ORC). La Lufthansa a formé une opposition, qu'elle fondait tant sur le droit de la navigation aérienne que sur le code des obligations.
Le Département genevois du commerce, de l'industrie et du travail, statuant le 14 mai 1963, en qualité d'autorité cantonale de surveillance, a ordonné l'inscription.
C.- La Lufthansa a formé un recours de droit administratif contre cette décision.
Hodara et consorts, l'autorité de surveillance et le Département fédéral de justice et police proposent le rejet du recourants.
 
Considérant en droit:
a) Ce n'est pas le cas, à l'évidence, des accords entre la Confédération suisse et la République fédérale d'Allemagne relatifs aux services aériens, des 2 mai 1956 et 20 septembre 1961 (ROLF 1957 p. 427 et 1961 p. 953). Certes, l'art. 9 de la première convention prescrit à chaque partie contractante d'accorder aux entreprises désignées des possibilités égales et équitables pour l'exploitation des services concessionnés. Mais cette disposition concerne uniquement l'exploitation; elle ne vise pas l'inscription au registre du commerce.
Le seul texte qui puisse avoir quelque pertinence, c'est l'art. 4. Il permet de révoquer l'autorisation accordée ou de la soumettre à des conditions restrictives "si l'entreprise désignée ne se conforme pas aux lois et règlements de la partie contractante qui accorde les droits". On peut en déduire que l'entreprise étrangère doit, sauf convention contraire, respecter la législation interne. Or en l'espèce, les accords ne prévoient aucune dérogation.
Il se peut, certes, que la conclusion de conventions internationales sur la navigation aérienne repose, comme le soutient la recourante, sur la réciprocité. Ce principe directeur n'est toutefois décisif, dans l'application d'un traité, que s'il s'y trouve réalisé dans une disposition. Il semble en outre qu'il n'ait de portée qu'en ce qui touche l'organisation des réseaux aériens et plus spécialement l'octroi de concessions à des entreprises étrangères.
Selon la première, les autorisations prévues à l'art. 33 et les exceptions à la règle de l'art. 34 peuvent être subordonnées à la condition que l'Etat étranger accorde la réciprocité. Ces dispositions toutefois concernent certains vols professionnels exceptionnellement autorisés, les écoles de formation du personnel aéronautique et le transport professionnel entre deux points du territoire suisse. Or il s'agit d'abord en l'espèce de l'activité normale de la recourante, exercée en vertu d'une concession fondée sur l'art. 27 de la loi et des accords internationaux.
Quant à l'art. 139 al. 3 du règlement, il dispose que les entreprises étrangères dont l'Etat d'origine n'a pas conclu avec la Suisse un accord sur les lignes aériennes peuvent obtenir de cas en cas une concession pour l'exploitation de lignes déterminées, à condition que l'Etat d'origine accorde la réciprocité aux entreprises suisses. La Confédération suisse et la République fédérale d'Allemagne ayant conclu des accords, ceux-ci s'appliquent, à l'exclusion de cette disposition (art. 139 al. 2 du règlement).
4. Si elles veulent obtenir une concession générale pour le transport professionnel de personnes et de choses sur des lignes de navigation aérienne exploitées régulièrement, les entreprises suisses soumises au droit privé doivent être inscrites au registre du commerce; les entreprises étrangères visées à l'art. 139 al. 3 du règlement doivent posséder un domicile juridique en Suisse (art. 140 litt. e 141 al. 1 litt. a). De la comparaison de ces règles d'exécution, dont la première applique l'art. 53, A ch. 5 ORC, la recourante veut déduire que l'entreprise étrangère doit uniquement constituer un domicile, à l'exclusion de toute autre formalité. Cet argument a contrario ne justifie pas une dérogation aux art. 52 et suiv. ORC. D'une part, on vient de voir que la recourante ne se trouve pas dans l'hypothèse visée par l'art. 139 al. 3. D'autre part, l'exigence d'un domicile juridique n'exclut pas l'inscription au registre du commerce, dont le but est plus complexe. Ce registre doit permettre, en effet, de constater de manière complète et sûre, et de rendre notoires et accessibles au public, les rapports juridiques qui présentent un intérêt dans les relations d'affaires (RO 57 I 321).
La recourante a fait inscrire une première succursale à Zurich. Pour l'établissement de Genève, les règles ordinaires s'appliquent. Il s'agit de savoir si c'est une succursale.
Cette notion n'est définie ni par le droit des obligations ni par l'ordonnance sur le registre du commerce. La jurisprudence et la doctrine désignent par le terme de succursale l'établissement commercial qui, dans la dépendance d'une entreprise principale dont il fait juridiquement partie, exerce d'une façon durable, dans des locaux séparés, une activité similaire, en jouissant d'une certaine autonomie dans le monde économique et celui des affaires (RO 68 I 112 et les arrêts cités; 76 I 156 à 158; 79 I 71 et suiv.; 81 I 156 et suiv.; HIS, ad art. 935, A). Pour juger si ces conditions sont remplies, on doit se reporter à l'époque de la sommation (RO 76 I 155; 81 I 157).
Il est constant que l'établissement de Genève exerce, d'une façon durable, une activité commerciale dans des locaux séparés de ceux de l'entreprise principale, dont elle dépend et fait partie juridiquement. D'autre part, ses tâches appartiennent, d'après leur genre, à la sphère d'activité du siège de Cologne (RO 79 I 73 consid. 3 a; 81 I 157 consid. 2).
a) Il conviendrait, d'après l'arrêt publié le plus récent, qu'elle pût, sans modifications profondes, être exploitée de manière indépendante (RO 81 I 157); une décision antérieure (RO 76 I 158) avait constaté simplement que, dans ce cas, on se trouvait en présence d'une succursale.
Il est exact que cette caractéristique sert à déceler l'autonomie, mais elle appelle au moins une précision. Il n'est pas nécessaire que l'agence d'une compagnie aérienne puisse accomplir toutes les activités de l'établissement principal, acquérir des appareils de navigation nombreux et fort coûteux, former et engager du personnel navigant, obtenir des concessions et autorisations de vols et d'escales dans le pays et à l'étranger, établir le programme des services et financer l'ensemble de ses opérations. Il suffit que l'entreprise locale, grâce à son personnel spécialisé et à son organisation propre, soit à même, sans grande modification, d'exercer de façon indépendante son activité d'agence locale (passer des contrats pour l'acquisition de la clientèle en Suisse, organiser l'escale de Cointrin ou de Kloten, etc. ... ). Tel est le cas de l'établissement genevois de la recourante.
b) La succursale doit jouir d'une indépendance dans le monde économique et celui des affaires, soit d'une autonomie externe. Il importe donc peu qu'elle soit liée par les instructions du siège ou d'une autre succursale, qui contrôlent son activité, approuvent son budget, tiennent sa comptabilité, se font transférer les excédents de recettes ou traitent directement certaines affaires importantes, telles que l'affrètement d'avions, l'engagement du personnel ou de certains collaborateurs, l'organisation générale de la publicité ou la conclusion de baux à loyer. La subordination constitue au contraire un aspect essentiel de la succursale. Quant à la centralisation de certaines opérations, elle croît forcément en raison du développement de la technique (notamment des communications et de la rationalisation; RO 79 I 76).
c) L'autonomie dans les relations externes s'apprécie de cas en cas, d'après l'ensemble des circonstances. La doctrine et la jurisprudence comptent au nombre de celles qui dénotent l'indépendance, l'existence d'un bureau organisé et d'une procuration donnée à son chef, la présence permanente d'un employé au moins habilité à signer des lettres importantes, des relations directes avec la clientèle et la conclusion de contrats avec les tiers, une correspondance propre avec en-tête spécial, l'établissement de factures, l'indication répétée d'une adresse télégraphique, d'un numéro de téléphone ou de téléscripteur, d'un compte de chèques postaux ou d'un compte en banque, enfin l'importance des affaires traitées. Il est en soi sans intérêt, en revanche, que le chef demeure à l'étranger ou que les clients paient directement au siège principal. Dans la pratique, on rencontrera de nombreuses nuances dans la dépendance et l'autonomie: la situation globale est seule décisive. (Ces principes sont rappelés dans l'arrêt Air France rendu ce jour par la Cour de céans.)
7. L'établissement genevois de la recourante jouit de l'autonomie externe ainsi définie. C'est la "Direction pour la Suisse romande", assumée par un "directeur" assisté de douze employés. Il utilise de nombreux locaux et possède des bureaux organisés. En vue de renseigner le public'ces faits sont mentionnés, d'une façon ou d'une autre, sur les vitrines, les portes, les boîtes aux lettres, les documents relatifs au trafic aérien et dans la liste des abonnés au téléphone. Le papier à lettres indique le siège de Genève, son adresse télégraphique, son numéro de téléphone et de téléscripteur et un compte en banque. Le mouvement local à Cointrin est important. Le bureau de Genève émet des titres de transport dont le prix est élevé; il traite avec les compagnies aériennes et les agences de voyage.
Ces circonstances relatives aux rapports de l'agence avec des tiers constituent des signes assez évidents de l'autonomie dont elle jouit. Aussi l'inscription requise est-elle nécessaire; partant, la décision attaquée est fondée et le recours vain.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
Rejette le recours.