BGE 89 I 483
 
69. Extrait de l'arrêt du 25 septembre 1963 dans la cause Nyfeler contre Cantons de Vaud et de Neuchâtel
 
Regeste
Verantwortlichkeit der Kantone für die Handlungen ihrer Beamten; Bundesgesetz vom 13. Juni 1917 über die Bekämpfung der Tierseuchen.
1. Zulässigkeit der Schadenersatzklage eines Privaten gegen Kantone (Erw. 1).
2. Anwendbarkeit des kantonalen Rechts, das auf Art. 41 ff. OR verweist (Erw. 2).
Art. 24 Abs. 2 lit. b BZP.
3. Verbindung zweier je gegen einen Kanton gerichteten Klagen (Erw. 3).
Anwendung des waadtländischen und neuenburgischen Rechts.
4. Fahrlässigkeit kantonaler Beamten als Ursache der Ansteckung des Klägers durch an Brucellose erkrankte Schafe (Erw. 6).
5. Wegfall oder Herabsetzung der Ersatzpflicht der Beklagten wegen Umständen, für welche der Kläger einstehen muss? (Erw. 7).
6. Gründe und Mass der Ermässigung der Entschädigung (Erw. 8).
 
Sachverhalt
Résumé des faits:
A. - Au mois d'avril 1956, Nyfeler, propriétaire de moutons aux Verrières (Neuchâtel), en a confié 15 à Vanay, à La Tour-de-Peilz (Vaud), pour l'estivage. Le troupeau d'environ 180 bêtes, constitué par Vanay, paissait dans la région d'Yvorne lorsque l'administration vaudoise le soumit à un examen en vue de déceler la brucellose.
Plus de 15% des bêtes gardées par Vanay réagirent positivement au test; du point de vue vétérinaire, il fallait en conclure qu'il y avait, parmi elles, des sujets contagieux; toutes furent marquées d'un trou à l'oreille.
Le Dr Jaccotet, vétérinaire cantonal vaudois, ordonna alors la dislocation du troupeau avec retour des bêtes, y compris les sujets malades, à leurs propriétaires. L'expédition fut faite par Vanay, sous le contrôle d'un gendarme, les 1er, 2 et 3 juin 1956.
Pour les bêtes dont les propriétaires résidaient hors du canton de Vaud, le Dr Jaccotet chargea Charbon, fonctionnaire subalterne de son service, d'aviser par téléphone les offices vétérinaires des cantons où on les renvoyait. C'est ainsi que le service vétérinaire neuchâtelois, en la personne d'une employée subalterne Joséphine Bianchi, reçut la communication téléphonique, le vendredi 1er juin. Elle prit l'initiative de transmettre le message, par téléphone également, aux quatre propriétaires qui résidaient dans le canton de Neuchâtel, y compris Nyfeler. Sur le contenu de ces communications, les témoignages ne concordent pas. Il est tout au moins constant que le retour des animaux fut annoncé.
Les moutons destinés à Nyfeler arrivèrent à la gare des Verrières le même soir. Nyfeler, venu les chercher, constata qu'il ne s'agissait pas des siens et refusa d'en prendre livraison.
Sur un ordre de Vanay, les bêtes furent renvoyées à un propriétaire d'Evionnaz (Valais). Le lendemain soir, samedi 2 juin, Vanay en amena d'autres chargées sur un camion. Nyfeler déclara que celles-ci non plus n'étaient pas les siennes, mais il se décida néanmoins à en garder quinze, de peur de ne plus recevoir ni moutons, ni argent. Il savait que les animaux ainsi acceptés étaient infectés de brucellose ou, tout au moins, pouvaient l'être. Le vétérinaire Fleury, appelé par lui, en fut informé. Il signala le cas à Loew, inspecteur du bétail des Verrières, et l'invita à en informer le vétérinaire cantonal. De plus, il conseilla à Nyfeler de vendre ces moutons pour la boucherie ou de les abattre et lui interdit de les remettre dans le commerce. Au cours de l'enquête pénale qui fut ouverte, par la suite, contre Urfer, alors remplaçant momentané du vétérinaire cantonal neuchâtelois, le magistrat informateur posa à Fleury la question suivante: "Avez-vous vous-même attiré l'attention de M. Léo Nyfeler sur la nature de la maladie dont ses moutons étaient atteints et sur les dangers que cette maladie pouvait présenter?" Le témoin répondit simplement: "Oui".
Loew, qui avait vu les moutons arrivés par le second transport, téléphona effectivement à l'office vétérinaire cantonal, le lundi 4 juin 1956. Il par la à Joséphine Bianchi. Il reçut en tout cas pour instructions de séquestrer les bêtes acceptées par Nyfeler.
Postérieurement au 4 juin, le service vétérinaire neuchâtelois ne s'occupa plus de ces animaux jusqu'au moment où Nyfeler lui-même fut atteint de brucellose.
Nyfeler prétend qu'au mois de septembre 1956 il a senti que sa santé était altérée. Le 30 octobre suivant, il a consulté son médecin, le Dr Schmidt, aux Verrières. Ce praticien estima qu'il s'agissait d'une maladie de Bang et en avisa le médecin cantonal, qui, à son tour, avertit le service vétérinaire cantonal. Urfer se rendit alors sur place et ordonna l'examen des moutons détenus par Nyfeler au moyen du test à l'abortine. 8 bêtes sur 18 ayant présenté une réaction positive, il ordonna l'abattage de tout le troupeau aux frais de l'Etat.
Le 8 novembre 1957, Nyfeler requit deux poursuites pour une somme de 100 000 fr., l'une contre le canton de Vaud, l'autre contre le canton de Neuchâtel. Sous la rubrique "Titre et date de la créance, cause de l'obligation", il avait indiqué qu'il s'agissait de dommages-intérêts pour atteinte à la santé physique, respectivement lésions corporelles, de dommages subis par suite de la négligence de fonctionnaires de l'Etat (service vétérinaire). Les débiteurs firent l'un et l'autre opposition totale aux commandements de payer.
Entre-temps, le 6 mars 1957, Nyfeler avait déposé, devant le Procureur général du canton de Neuchâtel, une dénonciation pénale contre inconnu; il invoquait les art. 231, 232 et 122 CP (propagation d'une maladie de l'homme, propagation d'une épizootie, lésions corporelles graves) et les dispositions de la loi fédérale sur les épizooties du 13 juin 1917 et de l'arrêté du Conseil fédéral du 3 février 1956 sur la lutte contre la brucellose des moutons et des chèvres. Par suite de cette dénonciation, Urfer, vétérinaire cantonal remplaçant, fut renvoyé devant le Tribunal de police de Neuchâtel. Condamné par cette autorité, le 15 mars 1960, à 100 fr. d'amende pour avoir enfreint par négligence les art. 231 et 232 CP, Urfer a recouru devant la Cour de cassation pénale du canton de Neuchâtel, qui a cassé le jugement, le 25 mai 1960, et ordonné l'acquittement du prévenu.
B.- Le 20 octobre 1959, Nyfeler a ouvert, devant le Tribunal fédéral, une action dirigée cumulativement contre les cantons de Vaud et de Neuchâtel; il a pris les conclusions suivantes:
1. A titre principal, condamner les défendeurs solidairement à payer au demandeur une somme de 100 000 fr. ou ce que justice dira, avec 5% d'intérêts annuels à compter du 2 juin 1956.
2. A titre subsidiaire, condamner l'un ou l'autre des défendeurs individuellement ou les deux dans une proportion déterminée à payer au demandeur une somme de 100 000 fr. ou ce que justice dira, avec 5% d'intérêts annuels à compter du 2 juin 1956.
3. En tout état de cause, réserver une revision du jugement pendant un délai de deux ans.
Le demandeur allègue que le dommage subi serait une conséquence de la brucellose dont il souffrirait encore; qu'il aurait contracté cette maladie par contact avec les moutons infectés, renvoyés chez lui lors de la dislocation du troupeau de Vanay et que ce contact n'aurait pas eu d'effets dommageables si les services vétérinaires vaudois et neuchâtelois avaient fait en sorte qu'il fût averti du danger et des précautions à prendre, comme ils en avaient le devoir.
Les cantons de Vaud et de Neuchâtel concluent à libération avec suite de frais et dépens.
 
Considérant en droit:
Pour le canton de Vaud, la loi du 29 novembre 1904 (art. 1er) disposait que l'Etat est tenu de réparer le dommage causé sans droit par ses fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions, soit à dessein, soit par négligence ou imprudence. Elle a été abrogée expressément et sans aucune réserve par la loi du 16 mai 1961 sur la responsabilité de l'Etat, des communes et de leurs agents (art. 22), entrée en vigueur le 2 juin 1961. Selon l'art. 4 de cette loi, l'Etat répond du dommage que ses agents causent à des tiers d'une manière illicite. Vu l'abrogation pure et simple de l'ancienne loi, la nouvelle s'applique, même lorsqu'il s'agit d'un dommage survenu avant son entrée en vigueur. Elle a du reste confirmé, pour l'essentiel, le régime précédent, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de prévoir un régime transitoire.
Outre quelques dispositions particulières, elle prescrit (art. 8) que les art. 41 ss. CO, relatifs aux obligations résultant d'actes illicites, s'appliquent au surplus et par analogie à titre de droit cantonal.
Pour le canton de Neuchâtel, la loi du 2 décembre 1903 sur la responsabilité de l'Etat et des communes prévoit aussi (art. 1er) que l'Etat est tenu de réparer le dommage résultant d'actes illicites commis par les fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions et (art. 2) que les actions civiles fondées sur ladite loi sont au surplus soumises aux règles du Code fédéral des obligations.
Le Tribunal fédéral doit par conséquent examiner si la présente action est fondée, à l'égard du canton de Vaud, en vertu du droit vaudois et, à l'égard du canton de Neuchâtel, en vertu du droit neuchâtelois. Dans la mesure où les lois applicables ne contiennent pas de dispositions topiques, il appliquera les art. 41 ss. CO, qu'il interprétera, au besoin, selon sa propre jurisprudence.
6. Le demandeur ayant été contaminé par ses moutons, il faut examiner si c'est là une conséquence d'actes illicites commis par des fonctionnaires, soit du canton de Vaud, soit du canton de Neuchâtel.
Le demandeur estime que tel est le cas, parce que les services vétérinaires de ces cantons l'ont laissé dans l'ignorance du danger de contagion que créait le contact avec les bêtes infectées et ne l'ont pas instruit des mesures préventives qui lui auraient permis de rester indemne.
a) Nyfeler affirme avoir ignoré que la brucellose constatée chez ses moutons était transmissible à l'homme. Rien ne permet de croire qu'il en ait été autrement. Cette maladie, dont jusqu'alors le canton de Neuchâtel était resté indemne, y était inconnue du public. Nyfeler a cherché à se renseigner à son sujet, notamment par un téléphone au vétérinaire Christen, à Fleurier, mais sans l'atteindre lui-même. La transmission à l'homme des affections épizootiques étant plutôt rare, on ne peut guère lui reprocher de ne pas avoir fait en sorte d'obtenir l'avis d'un spécialiste. Il n'apparaît pas que le vétérinaire Fleury, qui a vu les bêtes après leur arrivée et a pris sur lui d'en ordonner le séquestre sans délai, ait comblé cette lacune. Le juge pénal, qui l'a entendu comme témoin, lui a demandé s'il avait attiré l'attention de Nyfeler sur la nature de la maladie et les dangers qu'elle pouvait présenter; il a simplement répondu: "Oui". S'il avait averti son client du danger de transmission à l'homme et des précautions propres à y parer, il n'aurait sans doute pas manqué de le dire. Son laconisme et la situation où il se trouvait permettent de conclure qu'il n'a pas donné cette information. Le Tribunal fédéral a d'autant moins jugé nécessaire de l'entendre à nouveau que les faits remontent de plusieurs années en arrière et qu'il s'agit d'un homme très âgé.
On peut, de plus, admettre comme très vraisemblable, selon le cours normal des choses, que si le demandeur avait reçu les avertissements et les instructions nécessaires, il aurait pris les précautions voulues pour prévenir la contagion et n'aurait pas été infecté.
Il y a donc un rapport de causalité adéquate entre l'ignorance où il s'est trouvé et sa maladie. Il faut dès lors chercher s'il incombait aux services vétérinaires vaudois et neuchâtelois de l'informer et, dans l'affirmative, si leur omission est assimilable à un acte illicite.
b) La fièvre de Malte a fait son apparition en Suisse, dans les cantons du Valais et de Vaud, vers l'année 1950. En 1955, elle s'est à nouveau manifestée avec une certaine gravité en Valais, où plusieurs personnes ont été atteintes, puis dans le canton de Vaud, où un cas de transmission à l'homme s'est également produit. Le 18 mai 1955, le directeur de l'office vétérinaire fédéral a réuni une conférence à laquelle les vétérinaires cantonaux valaisan et vaudois ont pris part. Les cas de transmission à l'homme y ont été signalés et on y a discuté des mesures à prendre.
Par la suite, l'office vétérinaire fédéral a adressé à tous les vétérinaires cantonaux trois circulaires sur les mesures à prendre contre la brucellose des moutons et des chèvres. La première, du 20 mai 1955, précise: "Les troupeaux de moutons et de chèvres trouvés infectés de mélitococcie seront abattus dans des conditions qu'il faut encore déterminer". La seconde, du 18 août 1955, prévoit que les moutons et les chèvres des troupeaux infectés de mélitococcie ne peuvent être cédés, sauf pour l'abattage immédiat; elle oblige à informer des dangers d'infection toute personne occupée au transport, au déchargement et à l'abattage des animaux et décrit dans le détail les mesures préventives qui s'imposent. La troisième enfin, du 5 octobre 1955, soumet aux destinataires un projet d'arrêté du Conseil fédéral sur la lutte contre la brucellose des moutons et des chèvres.
Le 21 octobre 1955, le service vétérinaire vaudois a adressé à tous les inspecteurs du bétail et à tous les propriétaires de moutons et de chèvres du canton un avis qui prévoit les mesures à prendre en cas d'avortement d'un de ces animaux, signale le danger de contagion pour l'homme et recommande certaines mesures de précaution pour écarter ce risque.
Le 15 février 1956 est entré en vigueur l'ACF du 3 février précédent sur la lutte contre la brucellose des moutons et des chèvres. En vertu des pouvoirs que lui confère l'art. 1er al. 2 de la loi fédérale du 13 juin 1917 sur les mesures à prendre contre les épizooties, le Conseil fédéral, à l'art. 1er, fait rentrer la brucellose des.moutons et des chèvres au nombre des maladies offrant un danger général selon l'art. 1er de la loi précitée et l'art. 140 de l'ordonnance d'exécution du 30 août 1920; il déclare en outre applicables à cette brucellose "les prescriptions concernant la lutte contre les épizooties, en particulier la loi fédérale du 13 juin 1917 et l'ordonnance du 30 août 1920", sauf les exceptions prévues par l'arrêté lui-même ou les ordonnances qui lui feraient suite. L'ordonnance d'exécution du Département fédéral de l'économie publique sur la lutte contre la brucellose des moutons et des chèvres, du 9 juillet 1956, est entrée en vigueur le 1er août de la même année, postérieurement aux faits intéressant la présente cause.
Le 2 juin 1956, au moment où le demandeur a pris possession des animaux que lui renvoyait Vanay, la situation était donc la suivante, du point de vue administratif: Tous les vétérinaires cantonaux avaient été informés que la brucellose des moutons et des chèvres était apparue en Suisse, qu'elle était transmissible à l'homme et que toute personne en contact avec des animaux malades devait prendre certaines mesures précisées pour éviter la contagion. De plus, le Conseil fédéral avait déclaré en général applicables à cette maladie la loi fédérale du 13 juin 1917 et ses ordonnances d'exécution.
c) Il est constant que les services vétérinaires, tant vaudois que neuchâtelois, avaient séquestré chez le demandeur quinze moutons qui pouvaient être considérés comme porteurs de germes, parce qu'ils provenaient d'un troupeau dont plus de 15% des bêtes étaient infectées de brucellose. Nyfeler fut informé que ses moutons ne devaient plus être vendus qu'à la boucherie. Mais il avait la faculté, dans son propre intérêt, de les conserver chez lui, hors de tout contact avec d'autres animaux, jusqu'à ce qu'ils se trouvent dans de meilleures conditions et puissent mieux se vendre.
Une telle mesure avait été prévue par les circulaires de l'office vétérinaire fédéral. Elle était conforme à la loi fédérale du 13 juin 1917 (art. 20 al. 2 ch. 3) et à son ordonnance d'exécution du 30 août 1920 (art. 161), que l'ACF du 3 février 1956 avait en principe déclarées applicables par analogie à la brucellose des moutons et des chèvres. L'ordonnance du 9 juillet 1956 l'a ensuite autorisée expressément (art. 5). Elle était donc licite.
d) De même, le transport que nécessitait le séquestre des animaux chez leur détenteur pouvait encore être considéré comme licite en lui-même vu l'art. 60 de l'ordonnance d'exécution du 30 août 1920 (cf. art. 72 de la même ordonnance et 5 al. 2 de l'ordonnance du 9 juillet 1956). Le canton de Vaud a établi que l'office vétérinaire fédéral en avait autorisé un semblable: il s'agissait du renvoi à leur propriétaire, dans le canton de Berne, en 1959, de moutons suspects de brucellose, qui avaient été amenés à Lausanne.
Il est sans conséquence, dans la présente espèce, que le transport ait ou non eu lieu avec des précautions suffisantes. Car, en tout cas, le demandeur n'a été contaminé que postérieurement.
e) Nyfeler n'ayant pas connu le danger de transmission à l'homme, la seule faute qui pourrait être retenue à l'encontre des fonctionnaires vaudois et neuchâtelois serait de n'avoir pas fait en sorte qu'il soit renseigné sur ce point et aussi sur les mesures de précaution qu'il devait prendre.
L'office qui ordonne le séquestre, chez le détenteur d'animaux atteints d'une maladie transmissible à l'homme, crée un danger pour autrui. Il est dès lors tenu, en vertu d'un principe général du droit, admis par la doctrine et la jurisprudence constante, de prendre les mesures qui s'imposent pour prévenir un dommage; une abstention, lorsqu'elle est fautive, peut entraîner la responsabilité de l'auteur (OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht, t. I, p. 70; RO 53 I 356; 79 II 69 et les arrêts cités). De plus, selon l'art. 20 al. 1 de la loi fédérale sur les épizooties, aux fins de combattre les maladies contagieuses et en prévenir la propagation, on prendra toutes mesures utiles pour protéger les hommes notamment. Le 2e alinéa du même article charge le Conseil fédéral d'édicter les prescriptions destinées à assurer l'application de ce principe. Sans doute, l'ordonnance d'exécution du 30 août 1920 n'oblige-t-elle pas expressément l'autorité à renseigner les personnes en contact avec des animaux atteints de maladies transmissibles à l'homme sur le danger de contagion et les mesures préventives qui s'imposent. L'ordonnance du 9 juillet 1956 ne le fait (art. 6 al. 3) que pour le personnel qui s'occupe de l'abattage. Mais cette obligation découle, on l'a dit, des principes généraux du droit; sa nécessité est évidente, s'agissant surtout de la fièvre de Malte, qui est particulièrement dangereuse pour les humains. Aussi bien l'office vétérinaire fédéral l'avait-il prévue dans sa circulaire du 18 août 1955, adressée à tous les vétérinaires cantonaux.
f) Le vétérinaire cantonal vaudois connaissait le danger qu'il créait par la dislocation du troupeau de Vanay et le séquestre des animaux chez leurs détenteurs. Car, depuis 1955 particulièrement, son service luttait contre l'extension de la brucellose dans le canton de Vaud.
Il a été conscient de ce danger, puisqu'il a décidé d'informer les services vétérinaires des autres cantons, où il renvoyait des moutons ou des chèvres. Mais au lieu de le faire par écrit ou tout au moins d'entrer en communication par téléphone avec ses collègues personnellement, puis de s'assurer qu'il avait été compris et que les mesures efficaces qui s'imposaient seraient ordonnées, il s'est contenté de charger un fonctionnaire subalterne de téléphoner, notamment au service vétérinaire, à Neuchâtel, où le message a aussi été reçu par un fonctionnaire subalterne. C'est dans la mesure où ils n'ont pas pleinement accompli leur devoir de renseigner les autorités neuchâteloises que les fonctionnaires vaudois ont commis une négligence illicite.
g) Sur le contenu de la communication téléphonique du vendredi 1er juin 1956, il y a contradiction entre les témoignages de Joséphine Bianchi, du service vétérinaire neuchâtelois, et de Charbon, secrétaire au service vétérinaire vaudois, recueillis au cours de la procédure pénale. Mais il n'est pas nécessaire d'élucider ce point. Il est en effet constant que, le lundi 4 juin, Loew, inspecteur du bétail aux Verrières, instruit par le vétérinaire Fleury, a avisé le service vétérinaire neuchâtelois que les moutons ramenés à Nyfeler étaient infectés ou suspects de brucellose. Aussi bien, ledit service a-t-il ordonné le séquestre de ces animaux, mesure que la loi ne prévoit que pour les maladies épizootiques, c'est-à-dire dangereuses (art. 20 al. 2 ch. 3 de la loi du 13 juin 1917 et 161 de l'ordonnance d'exécution du 30 août 1920). Mais il n'a pris aucune autre mesure jusqu'au moment où le demandeur est tombé malade. Le séquestre étant ordonné, Urfer, alors remplaçant du vétérinaire cantonal, avait l'obligation de se rendre immédiatement sur place et de procéder à une enquête approfondie (art. 142 al. 1 de la loi du 13 juin 1917). Il ne l'a pas fait. Peut-être ne connaissait-il pas exactement les dangers de la brucellose, qui n'était pas, jusqu'alors, apparue sur le territoire neuchâtelois. Mais, dans ce cas, il aurait dû se renseigner et il le pouvait d'autant mieux que son service avait reçu les circulaires de l'office vétérinaire fédéral, que l'arrêté du Conseil fédéral du 3 février 1956 était en vigueur et que le Bulletin vétérinaire fédéral, adressé notamment à tous les inspecteurs du bétail, renseignait sur la brucellose.
En omettant d'informer le demandeur des dangers de contamination et des précautions à prendre pour y parer, les fonctionnaires neuchâtelois ont donc aussi commis une négligence illicite.
7. Il suit de là que, selon la loi applicable à chacun d'eux, les défendeurs répondent en principe du dommage qu'ont entraîné ces fautes de leurs agents. Cependant, l'indemnité qu'ils doivent ainsi pourrait être réduite ou même supprimée si des faits dont le demandeur était responsable avaient contribué à créer le dommage, à l'augmenter, ou avaient aggravé sa situation (art. 44 al. 1 CO).
a) Nyfeler, on l'a dit, savait que ses moutons étaient malades. Même si, vu le séquestre, il s'était rendu compte qu'il s'agissait d'une affection épizootique, il n'aurait été astreint qu'aux mesures de propreté qu'exige l'ordonnance du 30 août 1920. L'art. 193 de cette ordonnance prescrit que toute personne qui a donné des soins aux animaux malades ou est entrée en contact avec eux doit se laver soigneusement la tête, les mains et les bras. Mais cette simple précaution ne suffit pas, s'agissant de la brucellose. La circulaire de l'office vétérinaire fédéral du 18 août 1955 en indique d'autres que rend indispensables la possibilité d'une contamination, même par la peau et, à plus forte raison, par les blessures, enfin par l'appareil digestif. Il n'a donc pas commis de faute en ne prenant pas de précautions spéciales.
b) Les défendeurs ont allégué que le demandeur aurait engagé sa responsabilité en acceptant de prendre chez lui des moutons malades et qu'il savait n'être pas les siens. Il aurait pu, à la vérité, les refuser. Mais, en les acceptant, il n'a très vraisemblablement pas augmenté le risque. Parmi les quinze têtes qu'il avait remises à Vanay, il est fort probable qu'il se serait trouvé des porteurs de germes. Au surplus, quels que soient les moutons renvoyés à Nyfeler, les fonctionnaires vaudois avaient les mêmes obligations. Il en va de même des fonctionnaires neuchâtelois; de plus, au moment où ils ont prononcé le séquestre, ils savaient que Nyfeler n'avait pas reçu ses propres moutons ou, tout au moins, ils l'auraient appris s'ils avaient procédé à l'enquête prescrite.
L'art. 43 al. 1 CO, applicable en l'espèce comme règle de droit cantonal, dispose que le juge détermine le mode et l'étendue de la réparation d'après les circonstances et la gravité de la faute.
a) Appliquant cette disposition, le Tribunal fédéral a jugé, tout d'abord, que l'indemnité peut être réduite si la faute n'est pas grave et notamment si elle relève de la négligence (RO 82 II 31 et les arrêts cités). Tel est le cas en l'espèce; les fonctionnaires vaudois et neuchâtelois n'ont pas enfreint de prescriptions légales explicites, mais seulement le principe général, énoncé dans la loi fédérale sur les épizooties et qui ordonne de prendre toutes les mesures propres à protéger les hommes et les animaux. Le service vétérinaire vaudois a bien avisé l'administration neuchâteloise compétente, mais les mesures qu'il a prises sur ce point étaient insuffisantes. Quant au service vétérinaire neuchâtelois, alors qu'il avait prononcé le séquestre, il n'a rien fait pour protéger la santé de celui qui avait la garde des animaux. L'un et l'autre ont agi par négligence. Il ne s'agit donc pas de fautes graves, ni volontaires.
b) Il faut en outre retenir que si l'autorité a ordonné le séquestre au lieu de l'abattage immédiat, c'était principalement dans l'intérêt de Nyfeler, afin qu'il puisse soigner ses animaux et attendre le moment favorable pour les vendre au boucher. Cela permet de réduire légèrement l'étendue de la réparation (RO 52 II 457; 59 II 465; 69 II 269).
c) Enfin, selon la doctrine (OSER/SCHÖNENBERGER, comm. ad art. 43 CO, n. 6; OFTINGER, Das schweizerische Haftpflichtrecht, t. I, p. 246 ch. 4) et la jurisprudence (v. spécialement RO 45 II 315; 47 II 431), l'intervention du hasard ou de la fatalité dans la production ou l'aggravation du dommage peut aussi justifier une réduction. Tel est le cas, en l'espèce.
Toutes les personnes qui soignent des moutons porteurs de germes ne sont pas contaminées, même si elles ne prennent point de précautions. Selon le procès-verbal de la conférence convoquée par le vétérinaire fédéral, à Lausanne, le 18 mai 1955, lorsque la brucellose est apparue pour la seconde fois en Suisse, on a signalé, en Valais, avant que des mesures prophylactiques fussent prises, plusieurs cas de transmission de la maladie à l'homme, mais un seul dans le canton de Vaud. Aussi bien l'épouse de Nyfeler est-elle restée indemne. De plus, le Dr Troillet, médecin à Orsières, a déclaré, le 20 mai 1961, après avoir soigné 50 cas de fièvre de Bang et de Malte, que les cas où la maladie présente des complications ne sont pas nombreux. Il y a lieu de tenir compte de ces circonstances en l'espèce.
d) Cependant, vu l'absence de faute concomitante de la victime, on ne réduira pas le montant de la réparation due à une fraction arithmétique du dommage; on laissera bien plutôt à la charge du demandeur les éléments du dommage qui peuvent donner lieu à des doutes et l'on mettra à la charge des défendeurs ceux dont l'existence est certaine.
9.-14. - .....
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
Admet partiellement la demande en ce sens que chacun des défendeurs est condamné à payer au demandeur une somme de 14 500 fr. avec 5% d'intérêts à compter du 1er juillet 1959; rejette la demande pour le surplus.