BGE 91 I 182
 
31. Arrêt du 28 avril 1965 dans la cause Delarze contre Conseil d'Etat du canton de Vaud.
 
Regeste
1. Tragweite von Art. 31 Abs. 2 BV und insbesondere des Vorbehalts der kantonalen Regalrechte (Erw. 2 b).
3. Darf eine kantonale Behörde, die ein Einfuhrmonopol besitzt, sich nach ihrem Belieben versorgen oder hat sie dabei den Grundsatz der gesetzmässigen Verwaltung zu beachten? Frage offen gelassen (Erw. 3).
4. Unter "nationaler Produktion" sind Erzeugnisse eines im Lande betriebenen Unternehmens (hier: der Urproduktion) zu verstehen (Erw. 4).
 
Sachverhalt
A.- L'art. 7 de la loi vaudoise du 19 novembre 1924 sur la viticulture, modifié par la loi du 8 septembre 1954, dispose:
"Le Département de l'agriculture a seul le droit d'importer des bois américains. Il les revend au prix coûtant aux vignerons et aux pépiniéristes autorisés."
En exécution de la tâche que lui confie cette disposition légale, le Département de l'agriculture du canton de Vaud, formant avec les départements intéressés ou les viticulteurs-pépiniéristes d'autres cantons viticoles le groupement suisse des acheteurs de bois de vignes américaines, a conclu le 23 juillet 1958 avec la maison Gendre, pépinières et vignes américaines, à Quissac, département du Gard (France), un contrat qui prendra fin le 30 avril 1968. L'art. 1er du contrat a la teneur suivante:
"Le groupement s'engage à acheter annuellement à la maison Gendre les quantités de bois de vignes américaines nécessaires à ses besoins, en tant que ceux-ci ne sont pas couverts par la production nationale et que les prix correspondent à ceux de la concurrence, compte tenu de la qualité, de la quantité, des variétés et des garanties fournies."
De son côté, la maison Gendre s'est engagée notamment à couvrir les besoins du groupement jusqu'à concurrence d'une certaine quantité et à ne faire aucune livraison en Suisse en dehors du groupement.
L'art. 8 de la loi précitée soumet à l'autorisation et au contrôle du Département de l'agriculture la plantation et la culture des champs de pieds mères (bois américains) sur le territoire vaudois.
L'art. 9 subordonne aux mêmes conditions le commerce des plants racinés greffés.
L'art. 10 confère au seul département le droit d'importer ou d'autoriser l'importation, soit de l'étranger, soit de cantons suisses, des plants de vignes quelconques.
B.- Jean Delarze, ressortissant vaudois, exerce la profession de viticulteur-pépiniériste à Verschiez, commune d'Ollon. Il était notamment propriétaire d'un champ où il cultivait des bois à greffer. En 1957, il a dû céder son champ à l'Etat de Vaud, qui l'a exproprié en vue de la correction de la route cantonale de Lausanne à St-Maurice. Ne trouvant pas de terrain de remplacement en Suisse, il a créé en 1958 une plantation de 2 ha de bois à greffer de vignes américaines à Broni, près de Pavie (Italie), en vertu d'un contrat passé avec une maison italienne. Il a demandé à plusieurs reprises l'autorisation d'importer dans le canton de Vaud des bois provenant de cette plantation. Le 30 septembre 1963, le Département de l'agriculture a refusé l'autorisation sollicitée.
Saisi d'un recours du viticulteur-pépiniériste, le Conseil d'Etat vaudois l'a rejeté le 11 décembre 1964. Sa décision est motivée en bref comme il suit: Le monopole d'importation fondé sur la loi vise à protéger la viticulture vaudoise; il constitue à la fois une mesure de police du commerce et de police sanitaire et une régale réservée à la compétence des autorités cantonales par l'art. 31 al. 2 Cst. L'interdiction faite aux particuliers d'importer eux-mêmes les bois américains oblige le canton de Vaud, de même que les autres cantons viticoles, à procurer aux vignerons les quantités de bois dont ils ont besoin pour parer aux insuffisances de la production indigène. Les cantons intéressés se sont assuré à cette fin la collaboration d'un fournisseur capable d'assurer les livraisons nécessaires au point de vue de la quantité, de la qualité, des variétés et des autres garanties requises. Ils ont dû lui concéder en échange une exclusivité - qui n'est d'ailleurs pas absolue - pendant plusieurs années. Le contrat réserve toutefois la fourniture de bois américains par les producteurs du pays et par des concurrents qui feraient des offres plus avantageuses. Le recourant ne peut se prévaloir d'une production nationale, puisqu'il fait ses cultures en Italie. Il n'a pas apporté la preuve qu'il était à même de livrer des bois américains moins chers que la maison Gendre, tout en fournissant une prestation équivalente. En particulier, les contrôles phytosanitaires exercés par l'autorité italienne ne présentent pas les mêmes garanties que ceux de l'autorité française, auxquels sont soumises les cultures de la maison Gendre.
C.- Agissant par la voie du recours de droit public, Jean Delarze requiert le Tribunal fédéral d'annuler la décision cantonale. Il invoque une violation des art. 4 et 31 Cst. A son avis, la loi vaudoise sur la viticulture, si elle n'est pas anticonstitutionnelle en elle-même, le devient par l'interprétation que lui donne le Département de l'agriculture et l'application qu'il en fait, en relation avec la convention qui le lie à la maison Gendre. La pratique suivie léserait les droits des tiers commerçants. L'intervention de l'Etat dépasserait la mesure nécessaire pour combattre le phylloxéra et protéger la vigne des maladies qui la guettent. Un contrôle sanitaire et technique suffirait pour atteindre ce but. Le danger étant actuellement conjuré, la libre concurrence devrait être rétablie. L'exclusivité accordée à la maison Gendre ne se justifierait par aucun motif d'intérêt général. De plus, aucune raison ne commanderait d'interpréter les termes de "production nationale" dans un sens territorial plutôt que selon la nationalité du producteur. Le moyen pris de l'insuffisance des contrôles phytosanitaires pratiqués en Italie serait dépourvu de pertinence, attendu que le département pourrait contrôler les bois au moment de leur importation dans le canton. Du reste, plusieurs livraisons de la maison Gendre auraient donné lieu à des réclamations fondées.
D.- Le Conseil d'Etat du canton de Vaud conclut au rejet du recours.
 
Considérant en droit:
a) L'art. 7 de la loi vaudoise sur la viticulture confère à l'autorité compétente un monopole de droit absolu pour importer des bois de vignes américaines. L'art. 10 de la même loi adoucit la rigueur de cette mesure en laissant à l'autorité la faculté d'accorder à des tiers l'autorisation d'importer d'autres plants de vigne. Conformément au texte clair de la loi, l'autorisation d'importer des bois de vignes américaines devait être refusée. Le grief tiré d'une interprétation prétendument arbitraire de la loi est mal fondé. Pour juger le mérite du recours, il faut en revanche rechercher si la décision attaquée est anticonstitutionnelle.
b) L'art. 31 Cst. garantit certes la liberté du commerce et de l'industrie, mais il réserve les dispositions restrictives de la constitution et de la législation qui en découle. En outre, l'alinéa 2 dispose:
"Les prescriptions cantonales sur l'exercice du commerce et de l'industrie ainsi que sur leur imposition sont réservées. Toutefois elles ne peuvent déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie à moins que la constitution fédérale n'en dispose autrement. Les régales cantonales sont aussi réservées."
La disposition constitutionnelle précitée, acceptée en votation populaire du 6 juillet 1947, a gardé le même contenu que le texte de 1874. Certes, celui-ci ne réservait expressément que la régale du sel. La pratique reconnaissait toutefois d'autres monopoles cantonaux existant déjà, tels que la régale des mines, la régale de la chasse et de la pêche, l'assurance-incendie obligatoire. Elle est maintenant consacrée par la disposition nouvelle. La doctrine et la jurisprudence qui se rapportent au texte de 1874 conservent donc leur valeur (MARTI, Die Handels- und Gewerbefreiheit, p. 227 s.; NEF, FJS 617).
Les cantons ont le droit d'étatiser certaines activités dans l'intérêt public. Ils ne peuvent toutefois le faire à des fins purement fiscales. Avec raison, le recourant ne prétend pas qu'il en soit ainsi dans le cas particulier. Le canton de Vaud revend en effet au prix coûtant les bois de vignes américaines qu'il importe.
L'institution d'un monopole peut se fonder notamment sur des motifs de police. Elle tend alors à sauvegarder des intérêts généraux tels que l'ordre public ou la sécurité, la moralité et la santé publiques. Mais une dérogation au principe constitutionnel de la liberté du commerce et de l'industrie ne se justifie que si elle est nécessaire pour atteindre le but visé (BURCKHARDT, Kommentar zur BV, p. 234; FLEINER, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, p. 382; MARTI, op.cit. p. 229).
En l'espèce, le monopole d'importation que le canton de Vaud s'est attribué protège la vigne contre la propagation ou le retour de parasites comme le phylloxéra et d'autres maladies. Il sert le bien public en prévenant les dommages qui menacent la production viticole. Il ne viole pas la règle de la proportionnalité des restrictions apportées à la liberté du commerce et de l'industrie. En effet, l'art. 57 du règlement d'exécution du 10 juillet 1894 pour la loi fédérale concernant l'amélioration de l'agriculture par la Confédération du 22 décembre 1893 (RS 9 p. 24) interdisait déjà d'importer en Suisse des plants, sarments, souches, feuilles et débris de vignes. Actuellement, l'art. 13 du statut du vin du 18 décembre 1953, modifié les 27 février et 1er décembre 1959 (ROLF 1953 p. 1184, 1959 p. 156 et 1747), subordonne l'importation des plants de vignes à un permis. Cette mesure moins incisive que la précédente n'empêche évidemment pas les cantons viticoles de prendre des précautions supplémentaires qui présentent des garanties plus grandes. Un simple contrôle à la frontière des bois de vignes provenant de nombreuses cultures différentes serait beaucoup moins efficace que le monopole d'importation. De surcroît, il n'assurerait pas la couverture de tous les besoins des viticulteurs.
3. Le monopole d'importation institué par le canton de Vaud étant reconnu fondé, il reste à examiner si l'autorité compétente est libre de conclure à son gré des contrats d'approvisionnement avec des fournisseurs étrangers, comme le ferait un simple particulier, ou si elle est tenue de se conformer à des règles limitant sa liberté d'agir. La question est controversée. Le Tribunal fédéral a jugé, par exemple, que la collectivité publique qui adjuge des travaux à un entrepreneur et les refuse à un autre soumissionnaire n'accomplit pas un acte d'autorité susceptible d'être attaqué par la voie du recours de droit public (RO 60 I 369, 89 I 278). Cette jurisprudence a été critiquée en doctrine (BURCKHARDT, RJB 71 (1935) p. 644; MARTI, Problème der staatsrechtlichen Beschwerde, RDS 1962 p. 43 a). Assurément, on pourrait se demander si l'extension de l'activité économique de l'Etat ne commande pas un élargissement de la protection juridictionnelle assurée aux particuliers par le recours de droit public fondé sur une violation des droits constitutionnels, notamment de l'art. 4 Cst. En l'occurrence, la signature du contrat avec la maison Gendre et le refus de passer une convention analogue avec le recourant sont des actes qui relèvent apparemment du droit privé. Mais ils reposent sur la décision prise par le canton de Vaud d'assurer lui-même l'importation et la revente des bois de vignes américaines dont les viticulteurs ont besoin pour parer à l'insuffisance de la production indigène. Or cette décision constitue un acte de l'autorité, qui vise à servir l'intérêt public.
La question peut cependant rester indécise. Même si le canton de Vaud n'était pas libre d'user de son monopole d'importation comme bon lui semble, on devrait lui reconnaître une certaine liberté d'agir, dans la mesure nécessaire pour sauvegarder les intérêts généraux qui sont en jeu. Le Conseil d'Etat vaudois a expliqué les raisons pour lesquelles il a souscrit, comme les autres cantons viticoles de la Suisse, un contrat avec un seul producteur étranger. Le contrôle des importations soumises à des règles de police est grandement facilité, lorsqu'un seul fournisseur effectue toutes les livraisons. Le fournisseur unique a été choisi en France parce que les contrôles phytosanitaires exercés dans ce pays sont plus sévères qu'ailleurs. La difficulté de se procurer les quantités nécessaires pour couvrir les besoins, spécialement dans les années où la production nationale est déficitaire, obligeait les autorités cantonales à traiter avec un partenaire qui puisse livrer des bois en suffisance. La maison Gendre est à même de fournir toutes les variétés nécessaires. Le fait que les cantons viticoles se sont groupés leur a permis d'obtenir des prix plus avantageux.
En adhérant au contrat passé entre le groupement et la maison Gendre pour des raisons objectives, les autorités vaudoises n'ont pas violé les règles que doit suivre une administration soumise à la loi. Le refus de passer des conventions semblables avec d'autres fournisseurs est la conséquence inévitable de cette adhésion. Dès lors, même si le Département de l'agriculture du canton de Vaud n'était pas libre de s'approvisionner à son gré, l'usage qu'il a fait de son monopole d'importation ne violerait pas les droits constitutionnels du recourant.
4. Le contrat passé entre le canton de Vaud et la maison Gendre réserve l'écoulement de la production nationale. Le recourant se plaint d'arbitraire parce que les autorités vaudoises lui ont refusé le bénéfice de cette disposition contractuelle. Mais il ne saurait déduire aucun droit de la convention, à laquelle il n'est pas partie. Au surplus, les bois de vignes qu'il cultive en Italie ne peuvent être qualifiés de production nationale. Ce n'est pas la nationalité du propriétaire, mais le lieu où sont faites les cultures qui est déterminant (cf. RO 91 I 77/8). De toute manière, la réserve insérée dans le contrat passé entre le groupement et la maison Gendre ne crée aucun droit nouveau en faveur des tiers producteurs. Elle respecte seulement le. droit de produire en Suisse des bois de vignes américaines et de les vendre, dans les limites des prescriptions de police en vigueur, telles que le statut du vin. La décision refusant au recourant le droit d'importer en Suisse les bois de vignes américaines qu'il cultive en Italie ne viole dès lors en aucune manière les droits des tiers réservés par le contrat.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours.