BGE 91 I 321 |
52. Extrait de l'arrêt du 14 décembre 1965 dans la cause Rassemblement jurassien contre Conseil-exécutif du canton de Berne. |
Regeste |
1. Legitimation eines idealen Vereins zur staatsrechtlichen Beschwerde gegen einen Entscheid, der seine statutarische Tätigkeit behindert; Zulässigkeit der Beschwerde trotz Fehlens eines aktuellen praktischen Interesses (Erw. 1). |
3. Freiheitsrechte und öffentliche Ordnung; Voraussetzungen, unter denen die Verwaltung die Freiheitsrechte auf Grund ihrer allgemeinen Polizeigewalt beschränken darf; Befugnis der Verwaltung, Demonstrationen zu verbieten, bei denen zu befürchten ist, dass Behördemitglieder an der Ausübung ihrer Funktionen gehindert, der Verkehr gestört und Schlägereien ausgelöst werden (Erw. 4). |
Sachverhalt |
A.- Le Rassemblement jurassien est une association régie par les art. 60 ss. CC. Selon l'art. 1er de ses statuts, il a pour but principal "d'affranchir le peuple jurassien de la tutelle bernoise par la création d'un canton du Jura au sein de la Confédération suisse ..., le cas échéant, par d'autres solutions". Il publie notamment un hebdomadaire, le Jura Libre. Diverses organisations lui sont affiliées. Tel est le cas du Groupe Bélier, dont les adhérents ont de 16 à 30 ans. Au Rassemblement jurassien s'oppose l'Union des patriotes jurassiens, qui groupe les forces antiséparatistes.
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B.- Une Ecole cantonale de maîtresses ménagères devait être inaugurée à Porrentruy le samedi 18 septembre 1965 en présence de F. Feignoux, directeur de cet établissement et des conseillers d'Etat V. Moine, directeur de l'instruction publique, et H. Huber, directeur des travaux publics. Au cours de la 18e fête du peuple jurassien, que le Rassemblement avait organisée le dimanche 12 septembre 1965 à Delémont, l'un des orateurs invita l'assistance à se rendre à cette inauguration, "pour manifester calmement, devant les Feignoux, Huber et Moine, la présence du Jura". Selon un article du Jura Libre, du 15 septembre 1965, un cri fut alors scandé par le public: "On y sera"; on croyait entendre: "Ah, ça ira". Et le chroniqueur d'ajouter: "A bon entendeur salut". L'article décrit comme suit un char du cortège allégorique qui défila le 12 septembre: "Le char le plus frappant fut probablement le "Théâtre des Marionnettes" ... qui représentait les deux conseillers d'Etat que vous savez suspendus aux ficelles de l'Ours. Les mauvais esprits et les myopes crurent y voir deux pendus...".
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De plus, le Jura Libre du 15 septembre 1965 contient deux communiqués déclarant notamment:
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A la fin de la Fête du peuple jurassien... M. Marcel Brêchet, secrétaire général adjoint du Rassemblement jurassien, a fait la communication suivante, au milieu des applaudissements:
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Mercredi 1er septembre 1965, à la demande de M. Frédéric Feignoux, un détachement de l'armée a pénétré sur une propriété privée jurassienne afin de détruire un panneau du Groupe Bélier.
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Ces dernières années, le conseiller d'Etat Virgile Moine a livré les Franches-Montagnes au département militaire fédéral, à l'encontre des promesses du gouvernement.
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Le conseiller d'Etat Henri Huber a déclaré qu'il fallait amener l'armée aux Franches-Montagnes pour changer la mentalité de la population.
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Ces trois personnages seront à Porrentruy samedi prochain. Par conséquent, le Rassemblement jurassien et le Groupe Bélier vous invitent tous à être présents avec vos drapeaux à Porrentruy, ancienne capitale du Jura, samedi prochain 18 septembre 1965, à 11 heures, sur les trottoirs du centre de la ville, pour manifester dans la franchise et le calme vos sentiments jurassiens."
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b) "Hommage des autorités à Frédéric Feignoux...
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Les 17, 18 et 19 septembre prochains, sous le couvert d'une inauguration d'école, M. Frédéric Feignoux sera à l'honneur.
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Grand agent occulte de Berne;
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Grand transfuge du parti libéral-radical réfugié au P.A.B.;
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Grand inspirateur des forces armées mobilisées pour brimer la liberté d'expression des Jurassiens;
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Petit bailli d'Ajoie.
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Tant de titres sont autant d'éloges que le peuple de Porrentruy, d'Ajoie, du Jura tout entier lui adresse d'un seul coeur...
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Le canton de Berne sut - et ce n'était que justice - utiliser les services d'une si "attachante" personnalité. Dans un bel et long élan de générosité, F.F. devint le grand commis que nous savons (traversant vents et marées sans coup férir).
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Les Jurassiens lui rendront les honneurs qui lui sont dus samedi 18 septembre 1965."
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Enfin, par un avis publié dans le Jura Libre du 15 septembre 1965, le Rassemblement jurassien invita ses membres, les organisations affiliées et tous les sympathisants à se trouver à Porrentruy le 18 septembre à 11 heures "en vue d'une manifestation". La convocation précisait: "Selon avertissement d'un député pro-bernois, les upéjistes préparent une contre-manifestation".
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De fait, le 17 septembre, la "Fédération interpartis du district de Porrentruy pour la défense des intérêts du Jura et pour l'unité cantonale" lança l'appel suivant:
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Le Rassemblement jurassien et le groupe "Bélier" ont décidé d'occuper la ville, de perturber cette manifestation et d'empêcher MM. les conseillers d'Etat Moine et Huber de remplir leurs fonctions, causant par ce fait un grave préjudice à l'Ajoie et à Porrentruy en particulier.
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Nous demandons à tous les citoyens d'Ajoie, du Clos-du-Doubs et des districts jurassiens de marquer par leur présence leur opposition aux menées subversives qui ont conduit l'année dernière aux scandaleuses émeutes des Rangiers et cette année à l'appel à l'étranger.
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Nous demandons au peuple jurassien, sans distinction de parti et de confession, de considérer que l'heure est venue d'arrêter le parti de la subversion et de l'étranger dans ses coupables entreprises.
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Tous à Porrentruy, samedi matin, pour la défense de la Patrie jurassienne, le respect de la constitution et de la liberté de penser.
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Cet appel a été voté par une assemblée interpartis réunissant des délégués de toutes les communes du district de Porrentruy."
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De son côté, la Municipalité de Porrentruy publia un "avertissement", dans lequel elle déclarait "réprouver d'avance toute organisation et toute manière d'agir pouvant perturber la cérémonie inaugurale et troubler l'ordre public".
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Quant au comité élargi du parti libéral-radical du district de Porrentruy, il fit paraître un communiqué où il manifestait "son inquiétude à l'égard des lourdes menaces" qui pesaient sur la cérémonie d'inauguration, et où, déclarant redouter le pire, il appelait toute la population au calme.
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Devant cette situation, la commission de l'Ecole cantonale de maîtresses ménagères annula la cérémonie d'inauguration. Le Conseil-exécutif du canton de Berne reporta celle-ci au 7 octobre 1965. Le 28 septembre 1965, il édicta l'ordonnance suivante:
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"Le Conseil-exécutif du canton de Berne,
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eu égard
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au danger de manifestations et contre-manifestations lors de l'inauguration de l'Ecole cantonale de maîtresses ménagères à Porrentruy, le 7 octobre 1965,
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se fondant
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sur les attributions que lui confère l'article 39 de la Constitution cantonale en matière de maintien de la tranquillité et de l'ordre à l'intérieur,
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arrête:
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2. Sont interdits dans les mêmes conditions:
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a) l'exhibition et le port de pancartes ou banderoles de toutes dimensions;
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b) le placardage et la distribution d'affiches, de tracts ou autres écrits;
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c) les harangues, ainsi que les diffusions par haut-parleurs ou autres procédés semblables;
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d) tous actes de nature à troubler le déroulement de l'inauguration de l'Ecole cantonale de maîtresses ménagères à Porrentruy, le 7 octobre 1965.
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Sont exceptées de cette interdiction toutes les dispositions prises en relation avec l'organisation de cette inauguration.
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Le matériel porté, exhibé, diffusé ou utilisé en violation de l'interdiction sera séquestré.
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3. Ces dispositions sont valables:
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a) sur le territoire de la commune de Porrentruy;
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b) sur les voies d'accès à cette localité, notamment sur la route de la Caquerelle.
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4. Les contraventions aux chiffres 1 et 2 ci-dessus seront punies des arrêts ou de l'amende. Ces deux peines peuvent être cumulées. Les dispositions du Code pénal suisse sont réservées.
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5. La Direction de la police est chargée de l'exécution de la présente ordonnance qui entrera en vigueur le 7 octobre 1965, à 00.00 heure et cessera de déployer ses effets le 7 octobre 1965, à 24.00 heures.
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6. La présente ordonnance sera publiée dans la Feuille officielle.
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7. Un exemplaire de l'ordonnance est transmis au président du Grand Conseil pour information."
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L'Ecole ménagère fut inaugurée le 7 octobre 1965 sans inci dent.
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C.- Agissant par la voie du recours de droit public, le Rassemblement jurassien requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'ordonnance du Conseil-exécutif du 28 septembre 1965. Il se plaint d'une violation des art. 4, 55 et 56 Cst., ainsi que des art. 39, 77 et 79 Cst. bern.
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Le Conseil-exécutif conclut au rejet du recours.
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Considérant en droit: |
1. Selon la jurisprudence, une association à but idéal a qualité pour former un recours de droit public contre une décision qui entrave son activité statutaire (RO 45 I 130; arrêts non publiés Union syndicale de Lausanne et Union des chômeurs de Lausanne du 22 mars 1935, et Nationale Front du 3 avril 1935). Le Rassemblement jurassien est une association de ce type. Il attaque l'ordonnance du 28 septembre, qui l'a empêché de faire le 7 octobre une manifestation semblable à celle qu'il avait organisée pour le 18 septembre, afin d'exprimer les idées que ses statuts le chargent de défendre. Il a donc qualité pour agir. Peu importe que la cérémonie en vue de laquelle l'ordonnance attaquée a été rendue ait déjà eu lieu et que le recourant n'ait ainsi plus l'intérêt actuel et pratique qui est en principe nécessaire pour recourir (cf. RO 90 I 249/250). La jurisprudence renonce en effet à cette exigence lorsque le recours vise un acte dont le Tribunal fédéral ne pourrait sinon jamais revoir la constitutionnalité et qui peut se reproduire en tout temps (RO 89 I 264). Or ces conditions sont incontestablement remplies en l'espèce.
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Toutefois, l'ordonnance interdit "les cortèges, assemblées, meetings ou rassemblements de personnes en rapport avec les revendications du Rassemblement jurassien ou de mouvements de même tendance". L'expression "en rapport avec les revendications" signifie "qui ont trait à ces revendications", "qui les concernent". Elle donne au texte une portée générale. Celui-ci s'applique donc à toutes les manifestations en relation avec ces revendications, qu'elles soient organisées par des partisans ou des adversaires du séparatisme. D'ailleurs, dans le préambule de son ordonnance, le Conseil-exécutif a rappelé le "danger de manifestations et contre-manifestations". Or, par ce dernier terme, il visait manifestement les actes possibles de mouvements hostiles au recourant. Il a donc respecté le principe de l'égalité de traitement.
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4. Le recourant se plaint de la violation de diverses libertés individuelles (notamment liberté d'association, de réunion, d'opinion, de presse). Comme le Tribunal fédéral l'a maintes fois jugé, les libertés individuelles ne peuvent être exercées que dans les limites qu'impose l'ordre public (RO 67 I 76 et les arrêts cités). En principe, ces limites doivent être fixées par la loi. Cependant, le maintien de l'ordre public est un devoir primordial des autorités, notamment de l'autorité exécutive. Celle-ci a le droit, en vertu de son pouvoir général de police, c'est-à-dire sans base constitutionnelle ou légale expresse, de prendre les mesures indispensables pour rétablir l'ordre public s'il a été troublé, ou pour le préserver d'un danger sérieux qui le menace d'une façon directe et imminente (RO 88 I 176 et les arrêts cités). De telles mesures peuvent limiter les libertés individuelles. Elles doivent toutefois respecter le principe de proportionnalité et être dirigées contre les perturbateurs (RO 67 I 76 et les arrêts cités).
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Quant à dire à quel moment l'ordre public est troublé ou sérieusement menacé, cela dépend au premier chef des circonstances du cas particulier. Néanmoins, d'une façon générale, on peut affirmer que l'ordre public est troublé lorsque les membres du gouvernement sont entravés dans l'exercice public de leurs fonctions. Certes, dans un régime démocratique, les magistrats sont exposés à la critique et il est normal qu'ils le soient. Ils n'en ont pas moins droit aux égards qu'exige l'importance de leur tâche. En particulier, s'ils accomplissent en public une mission officielle, la population doit s'abstenir de toute attitude qui les empêcherait de se déplacer ou de s'exprimer. Sinon, l'ordre public n'est plus respecté. Il est troublé aussi lorsque deux groupements hostiles échangent sur la voie publique des invectives ou des coups. Il est troublé enfin quand la circulation publique est sérieusement perturbée (RO 55 I 238).
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En l'espèce, l'Ecole ménagère devait être inaugurée avec la participation des conseillers d'Etat V. Moine et H. Huber. Or, à l'époque où le Conseil-exécutif a pris l'ordonnance attaquée, ceux-ci venaient de faire l'objet, à la fête du peuple jurassien et dansla presse séparatiste, d'accusations graves et outrageantes. L'un se voyait reprocher d'avoir "livré les Franches-Montagnes au département militaire fédéral, à l'encontre des promesses du gouvernement", l'autre d'avoir déclaré "qu'il fallait amener l'armée aux Franches-Montagnes pour changer la mentalité de la population". Lancées sous cette forme lapidaire et frappante, ces accusations étaient de nature à créer, chez des esprits déjà sensibilisés, un climat franchement hostile aux magistrats visés. De plus, à la même époque, le ton général de la presse séparatiste à propos de la cérémonie d'inauguration de l'Ecole ménagère était nettement agressif. Par ses propos ("A bon entendeur salut"), le chroniqueur qui décrivait la fête du peuple jurassien signifiait en réalité aux conseillers d'Etat Moine et Huber que leur présence à l'inauguration de l'Ecole ménagère était indésirable. Quant à F. Feignoux, qui devait également participer à la cérémonie, il était attaqué plus vivement encore. La menace de lui rendre les honneurs qui lui étaient dus pouvait encourager, à son égard, des actes d'hostilité propres à troubler l'inauguration du nouveau bâtiment scolaire. La situation déjà tendue s'est encore aggravée par l'intervention de la "Fédération interpartis du district de Porrentruy pour la défense des intérêts du Jura et pour l'unité cantonale". En invitant toute la population de la région, par un appel témoignant d'une attitude ferme et décidée, à venir à Porrentruy marquer son opposition aux agissements du Rassemblement jurassien, la "Fédération" ajoutait au risque d'affrontements violents. La gravité de la tension qui régnait alors est confirmée par les appels que le Conseil municipal de Porrentruy et un parti politique local ont estimé devoir adresser à la population. Ces appels révèlent les craintes sérieuses qu'éprouvaient leurs auteurs.
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En présence d'une telle situation, le Conseil-exécutif était fondé à craindre que les conseillers d'Etat Moine et Huber ne fussent empêchés de participer librement à l'inauguration de l'Ecole ou du moins d'y prendre la parole. Il pouvait redouter également que partisans et adversaires du séparatisme n'en vinssent aux mains dans une plus ou moins grande mesure. Enfin, il était en droit de penser que la circulation publique risquait d'être perturbée. Ainsi l'ordre public était sérieusement menacé. L'autorité exécutive cantonale avait dès lors le devoir de prendre les mesures nécessaires pour le protéger. Elle a agi tant contre le Rassemblement jurassien que contre ses adversaires, qui, par leurs agissements, pouvaient tous être considérés comme des perturbateurs éventuels. Il n'est pas allégué que les mesures qu'elle a prises fussent contraires au principe de proportionnalité. L'ordonnance attaquée respecte dès lors les conditions auxquelles l'autorité exécutive peut agir en vertu de son pouvoir général de police. Elle ne saurait être annulée.
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Rien ne sert au recourant d'objecter que la manifestation qu'il envisageait devait se dérouler dans le calme et que les consignes destinées à ses adhérents dans ce sens étaient formelles. Certes, il a invité ses membres à manifester "dans le calme" et "en bon ordre". Toutefois, ces instructions sont en contradiction évidente avec le ton agressif que la presse séparatiste prenait au même moment. Ce ton était propre à exciter les esprits et à engendrer des incidents au cours desquels les dirigeants du Rassemblement jurassien risquaient de perdre tout contrôle de leurs troupes. Le recourant ne saurait davantage tirer argument du fait que ses assemblées et fêtes publiques se sont déroulées jusqu'ici sans troubler l'ordre public. La situation devant laquelle s'est trouvé le Conseil-exécutif était complètement différente. Il ne s'agissait pas d'une assemblée ou d'une fête du Rassemblement jurassien, mais d'une manifestation qu'il avait organisée afin d'exprimer son hostilité notamment à l'égard de deux membres du Conseil-exécutif jugés par lui indésirables. Pour mieux parvenir à ses fins, il a saisi l'occasion d'une cérémonie qui requérait la présence de ces deux magistrats à Porrentruy afin de leur exprimer son opposition d'une manière blessante. Il devait dès lors se rendre compte que son attitude amènerait ses adversaires à réagir. Enfin, il ne saurait sérieusement soutenir que sa manifestation était licite, que seule l'intervention des antiséparatistes était illégale et que, partant, le Conseil-exécutif aurait dû ne s'en prendre qu'à ces derniers. En effet, une manifestation était prévue: l'inauguration de l'Ecole ménagère. Celles du Rassemblement jurassien et de ses adversaires étaient en réalité des contre-manifestations, et toutes deux mettaient en danger l'ordre public.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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