90. Extrait de l'arrêt du 13 décembre 1967 dans la cause Société de financement immobilier SA contre Tri-Service Rüfenacht SA et Cour de justice civile du canton de Genève.
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Regeste
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Konkurs der Schweizerfiliale eines Unternehmens, dessen Hauptsitz sich in Frankreich befindet (Art. 6 des französisch-schweizerischen Vertrages über den Gerichtsstand und die Vollziehung von Urteilen in Zivilsachen, vom 15. Juni 1869).
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Sachverhalt
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A.- La "Société de financement immobilier S. A." (en abrégé: SFI) a été constituée à Paris, où elle a son siège, et inscrite au registre du commerce de la Seine, le 23 avril 1964.
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Elle a pour but "toutes opérations de promotion immobilière". Elle a ouvert une succursale à Genève, à l'adresse Place St-Gervais 1.
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Le 29 décembre 1965, le Département du commerce, de l'industrie et du travail du canton de Genève, agissant en qualité d'autorité de surveillance du registre du commerce, ordonna l'inscription de la succursale au registre du commerce. La société déposa contre cette décision un recours de droit administratif au Tribunal fédéral, qui fut rejeté comme téméraire par la Ie Cour civile, le 20 avril 1966; l'arrêt relevait notamment que l'établissement genevois de la recourante disposait d'une très large autonomie interne et externe et constituait manifestement une succursale au sens de l'art. 935 al. 2 CO, dont l'importance était au moins aussi grande que celle du siège de Paris. L'inscription au registre du commerce fut opérée le 26 avril 1966 et publiée dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC) du 6 mai 1966. A la suite d'une demande de la succursale de Genève, faisant état de la cessation de son activité et de la fermeture de ses locaux, l'inscription fut radiée au registre du commerce le 22 février 1967 et la radiation publiée dans la FOSC du 3 mars 1967.
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B.- "Tri-Service Rüfenacht SA", qui exploite à Genève une agence de publicité internationale, ouvrit le 9 août 1966 une poursuite contre la SFI, en paiement d'un montant de 5629 fr. représentant des frais de publicité. Le commandement de payer fut notifié le 26 septembre 1966 à la débitrice, qui n'y fit pas opposition. La commination de faillite, requise le 24 novembre 1966, fut notifiée le 19 décembre 1966. Sur requête de la créancière du 20 avril 1967, le juge de première instance prononça la faillite de la SFI le 5 mai 1967.
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La SFI recourut contre cette décision à la Cour de justice de Genève, en contestant la competence ratione loci des autorités genevoises.
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Par arrêt du 22 août 1967, la Cour de justice confirma la décision de faillite, s'appuyant notamment sur les motifs suivants:
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Le principe de l'unité de la faillite, découlant de l'art. 6 de la Convention, n'est pas violé, puisqu'on est en présence de la seule faillite de la succursale de Genève et non pas également de la faillite du siège de Paris. Le for de l'établissement principal de la société, qui n'est pas mentionné comme tel dans la Convention, mais n'est qu'une conséquence du principe de l'unité de la faillite, n'entre en considération que s'il s'agit de plusieurs faillites ouvertes en des lieux différents, et non pas lorsqu'il ne s'agit que de la faillite d'une succursale, prononcée dans une procédure de poursuite relative à une dette de la succursale elle-même.
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S'il est vrai que la faillite a été prononcée après la publication de la radiation de la société au registre du commerce, en revanche la commination de faillite est intervenue avant cette publication. Or l'art. 53 LP prévoit qu'en cas de changement de domicile après la commination de faillite, la poursuite se continue au même domicile. La cessation d'activité de la succursale de Genève constitue en fait un départ de la Suisse, donc un changement de domicile, de sorte que l'art. 53 LP s'applique en l'espèce et la faillite pouvait être prononcée à Genève.
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C.- Agissant par la voie du recours de droit public, la SFI de Paris, soit sa succursale de Genève, requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt rendu par la Cour de justice de Genève le 22 août 1967 et, en tant que de besoin, renvoyer la cause à cette dernière pour statuer à nouveau. Elle invoque la violation de l'art. 6 de la Convention franco-suisse du 15 juin 1869 et de l'art. 4 Cst.
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Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable.
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Extrait des considérants:
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Or cet article prévoit que la faillite d'un Français ayant un établissement de commerce en Suisse peut être prononcée par le tribunal de sa résidence en Suisse, et réciproquement celle d'un Suisse ayant un établissement de commerce en France par le tribunal de sa résidence en France. Il n'est pas contesté que cette disposition concerne non seulement les personnes physiques, mais également les personnes morales, notamment les sociétés anonymes. A ne s'en tenir qu'à la lettre de cet article, on devrait admettre sans autre que la succursale genevoise de la SFI peut être poursuivie et mise en faillite à Genève pour des dettes relatives à son activité commerciale propre.
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a) Cependant, les jurisprudences française et suisse reconnaissent qu'au-delà de son texte même, l'art. 6 de la Convention pose le principe de l'unité et de la force attractive de la faillite dans les rapports entre les deux Etats contractants, comme l'art. 55 LP le dit expressément pour le droit interne (cf. FF 1876 II p. 294 ss. pour la jurisprudence du Conseil fédéral; RO 15 p. 577, 46 I 164 consid. 2, 49 I 460, 54 I 46/47 pour la jurisprudence du Tribunal fédéral; ESCHER, Neuere Probleme aus der Rechtsprechung zum französisch-schweizerischen Gerichtsstandsvertrag, p. 128). La doctrine admet également cette manière de voir, qui n'est pas contestée (CURTI, Der Staatsvertrag zwischen der Schweiz und Frankreich betreffend den Gerichtsstand und die Urteilsvollziehung, p. 126; JACOT, La faillite dans les relations de droit international privé de la Suisse, p. 142; ESCHER, loc.cit., p. 125 et 128; JÄGER, Commentaire ad art. 197 LP, no 5 p. 129/30; ROGUIN, Conflits des lois suisses, p. 745, no 624; LYON-CAEN ET RENAULT, Traité de droit commercial, vol. 8, p. 842 no 1314). Il découle de ce principe que la faillite prononcée au lieu de l'établissement principal d'une entreprise exclut toute procédure de faillite en un autre lieu, notamment au lieu d'un établissement secondaire, même si une faillite y avait déjà été prononcée auparavant (JÄGER, art. 55 no 5). Mais selon la jurisprudence du Conseil fédéral (affaire Crédit foncier suisse, FF 1876 II p. 294) et du Tribunal fédéral (RO 54 I 48, également 76 I 159), le lieu déterminant n'est pas celui du domicile légal du failli ou du siège social d'une personne morale en faillite, mais bien le lieu où se trouvent le siège effectif de l'entreprise et le centre de ses affaires. Cette jurisprudence, approuvée par CURTI (p. 128), ROGUIN (. 747), ESCHER (p. 127) et LYON-CAEN ET RENAULT (p. 844) (cf. aussi JACOT, p. 147), tend à empêcher des manoeuvres déloyales au détriment des créanciers d'un établissement où se déroule l'activité principale d'une entreprise. Il y a d'autant moins de raison de s'en écarter en l'espèce que la recourante ne la critique pas en elle-même, se contentant de qualifier de "sans pertinence juridique" la question posée par la Cour de justice au sujet de l'importance plus grande que pourrait avoir la succursale de Genève par rapport au siège de Paris. Il est vrai que la Cour de justice n'a pas tranché cette question, estimant que l'ouverture de la faillite à Genève se justifiait déjà par d'autres motifs. La recourante ne soulève pas à ce propos le grief de déni de justice formel; la cour de céans pourra également laisser ouverte cette question, si les motifs de l'arrêt attaqué ne sont pas contraires aux dispositions de la Convention.
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b) Selon l'art. 50 al. 1 LP, le débiteur domicilié à l'étranger qui possède un établissement en Suisse peut y être poursuivi pour les dettes de celui-ci. La recourante ne prétend pas que le texte de l'art. 6 de la Convention s'oppose au prononcé de la faillite au lieu de la succursale - soit à Genève - pour des dettes contractées par cette succursale; mais elle soutient qu'en vertu du principe de l'unité et de l'universalité de la faillite, celle-ci ne peut être prononcée qu'au siège principal de Paris; elle s'appuie pour cela sur l'arrêt Barbezat (RO 54 I 46/47) et sur la doctrine (LYON-CAEN ET RENAULT, no 1315; CURTI, p. 128 ss., et JÄGER, Comm. ad art. 166 LP, no 6). Or le principe de l'unité et de la force attractive de la faillite n'est en tout cas pas violé, par l'ouverture de la faillite de la succursale de Genève, tant que la faillite du siège de Paris n'est pas prononcée; il n'y a en effet, tant que cet événement ne s'est pas réalisé, qu'une seule faillite, laquelle produit également ses effets sur les biens meubles et immeubles que le failli peut posséder dans l'autre pays (art. 6 al. 2-5 de la Convention). La question de l'unité ne se posera que si la faillite de l'établissement parisien est également prononcée: dans ce cas, la faillite de Genève sera paralysée et l'ensemble des biens de la recourante rentreront dans la masse de la faillite de Paris (ROGUIN, p. 744 no 623; JACOT, p. 146, 161/2). C'est également l'opinion soutenue par le Tribunal fédéral dans l'arrêt non publié Candau, du 17 juin 1932, p. 5-7 (cf. SJ 1932 p. 158).
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Une telle conséquence ne s'ensuivrait cependant pas s'il s'avérait que l'établissement de Genève revêt une importance plus grande que le siège de Paris, ce qui n'est pas exclu si l'on se reporte aux constatations retenues par la Ie Cour civile dans son arrêt du 20 avril 1966. Dans ces circonstances, on ne voit pas pourquoi les créanciers qui ont traité avec l'établissement de Genève ne pourraient pas en demander la faillite en ce lieu et se verraient contraints de requérir la faillite du siège de Paris, avec lequel ils n'ont entretenu aucune relation d'affaires.
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Tant que la faillite de l'établissement de Paris n'est pas prononcée, la jurisprudence invoquée par la recourante (RO 54 I 46/7 et les arrêts qui y sont cités: 49 I 459 et 46 I 160) ne s'oppose pas à l'ouverture de la faillite de la succursale de Genève: les arrêts invoqués concernent en effet des affaires où la faillite avait été ouverte aussi bien en Suisse qu'en France.
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Il est vrai qu'une partie de la doctrine (LYON-CAEN ET RENAULT, no 1315 p. 844; CURTI, p. 128/9; JÄGER, ad art. 166 LP no 6) est de l'avis que la faillite doit toujours être requise au siège du principal établissement, lequel n'est cependant pas, selon la jurisprudence et les deux premiers auteurs cités, au lieu du siège formel, mais au lieu du centre réel des affaires, même si ce dernier n'est qualifié que de succursale et inscrit comme tel au registre du commerce. L'arrêt attaqué a soulevé la question de l'importance respective de la succursale de Genève et du siège de Paris, mais l'a laissée ouverte. Il s'est cependant référé à l'arrêt du 20 avril 1966, relatif à l'inscription de la succursale de Genève au registre du commerce, dans lequel la Ie Cour civile du Tribunal fédéral tire, des faits retenus par l'autorité cantonale, la conclusion que l'importance du siège dit principal de Paris ne paraît en tout cas pas dépasser celle de l'établissement de Genève. La recourante n'a sérieusement contesté cette conclusion ni dans la procédure devant la Cour de justice civile, ni dans son recours de droit public. Il n'est ainsi pas exclu qu'en cas de réquisition de faillite dirigée contre le siège de Paris, Genève soit néanmoins désigné comme le for unique de la poursuite, en application du principe admis par la jurisprudence et la doctrine. Il est donc d'autant moins indiqué d'annuler en l'état, pour violation du principe de l'unité et de l'universalité de la faillite découlant de la Convention franco-suisse, la décision de faillite prononcée contre la succursale de Genève: il serait absurde de renvoyer aujourd'hui les créanciers de cette succursale à requérir la faillite du siège principal qui pourrait se révéler n'être que formel, faillite dont la procédure se déroulerait finalement à Genève pour l'ensemble des établissements que la recourante possède dans les deux pays.
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Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de déclarer les autorités genevoises incompétentes pour prononcer la faillite de la succursale, tant que la faillite du siège de Paris n'aura pas été demandée et qu'à cette occasion la question de l'établissement le plus important, de Paris ou de Genève, n'aura pas été tranchée de façon expresse.
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Le grief de violation de la Convention franco-suisse du 15 juin 1869 est dès lors mal fondé.
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